NB : Ce RP se déroule il y a plusieurs semaines, avant que Gabriel ne retrouver Gràinne. Peu après la nuit éternelle. Il ne sait pas que la poudre oubliettes ne lui permet d’oublier que les trois dernières heures.
Grâce aux six élus, le jour état enfin revenu sur Neverland. La nuit éternelle avait beaucoup miné mon moral. L’île ayant été imprévisible pendant quelques lunes, j’avais passé la plupart de mon temps aux alentours de ma maison, dans la Forêt des Larcins, et dans les tavernes et les rues de One-Eyed Willy. Maintenant que le soleil brillait sur nos terres, un brin d’aventure s’imposait. J’avais donc quitté la forêt la veille. Après avoir volé un cheval, j’étais allé tranquillement vers Blindman’s Bluff – la cité de l’aveugle, le festin des voleurs. Mais ce jour-là, ce n’étaient pas les poches des passants sur le marché qui m’intéressaient… Une personne de ma connaissance m’avait parlé de ces poudres de fée qui se vendaient dans une boutique dans les bois. Après avoir étudié soigneusement les allées et venues des fées dans la boutique, il m’avait assuré que la marchandise était transportée vers la cité dès ce soir.
J’avais longtemps songé à la façon de voler ce butin que je désirais. L’autre voleur à qui j’avais parlé m’avait assuré que leur transport était peu surveillé et que je pourrais facilement partir est la poudre sans que qui que ce soit ne tente de lutter contre moi. Plusieurs alternatives s’offraient à moi : je pouvais attaquer le convoi dans la forêt ou sur la route pendant qu’il se dirigeait vers leur boutique, mais j’étais peu familier avec cette forêt et je n’avais pas envie de moisir les mains vides dans un cachot. Je pouvais aussi tenter de pénétrer tout simplement dans la boutique pendant la nuit pour voler des poudres, mais je trouvais ça peu aventureux. Finalement, je pouvais en voler quelques-unes pendant que le convoi serait déchargé.
Ce jour-là, j’avais traîné dans la taverne de l’Aigrefin pas mal toute la journée, reccueillir des informations sur ces fameuses poudres de fée qui faisaient mon envie. J’avais appris que les fées fabriquaient constamment de nouvelles poudres qu’elles mettaient sur le marché. Certaines ne pouvaient pas être utilisées par les humains, mais de nombreuses d’entre elles le pouvaient. Elles leur donnaient des noms en rapport avec leur résultat. La poudre blanimaux permettait à un humain de converser avec un animal. Une autre poudre permettait à quiconque d’arracher la vérité même aux plus farouches. Une autre permettait de franchir de longues distances en un instant. Deux de ces poudres m’intéressaient plus particulièrement… Elles les appelaient la poudre pour les cœurs brisés et la poudre oubliettes. D’après leurs noms, ces poudres me permettraient de réparer mon cœur ou d’oublier tout ces trucs - et cette personne - qui pesait sur mon conscience.
La longue nuit avait été difficile sur le moral. Je ne parvenais plus à me sortir Gràinne de la tête. Je me sentais atrocement seul. Tout au long de ces jours sombres, j’avais espéré que mon feu follet apparaisse entre les arbres pour illuminer ma vie. Je désespérait. Malgré la dizaine d’années qui avait passé, je ne pouvais me sortir cette rouquine de la tête. Mon espoir disparaissait lentement. Je devais bien me rendre à l’évidence, Gràinne ne reviendrait pas. Je ne la retrouverais jamais. Il ne me restait qu’une chose à faire, même si l’envie n’y était pas, je devais l’oublier. Ces poudres me permettraient soit d’être en paix avoir moi-même ou d’oublier cette comète qui avait fait irruption dans ma vie.
J’étais déterminé. J’avais piqué une carte que j’avais vu quelque part en ville, puis je m’étais mis en route vers Pixie Hollow, là où se trouvait cette fameuse boutique. J’y arrivai lorsque la nuit fut tombée. Juste à temps. Je me planquai dans la végétation, surveillant la venue de ce chargement de poudres pour ravitailler la boutique. Elles allaient et venaient, entrant la marchandise dans la boutique. À un moment, elles ne ressortaient plus. La porte arrière restait ouverte, un bonne partie du chargement était toujours dans le petit chariot, mais personne ne semblait vouloir ressortir de la boutique. C’était maintenant ou jamais. Mon mousquet dans le creux de la paume, je m’approchai du chariot tentant de trouver ces bouteilles que je désirais. Il y avait là des flacons de toutes les formes et des poudres de toutes les couleurs, et à cet instant, je me maudis de ne pas avoir demandé à quiconque à quoi ressemblaient ces deux poudres précises…
Cela faisait quelques temps que la nuit éternelle s'était dissipée sur Neverland. L'île reprenait son rythme de croisière, grâce aux élus. Alkëstia leur resterait à jamais reconnaissante. Grâce à eux, l'île reprenait son souffle et les habitants de Neverland étaient toujours vivants. Ils pouvaient de nouveau vivre pleinement leur vie. Et la fée ne s'en était pas privée. En dehors de ses activités d'alchimiste, elle avait débuté une quête avec Aeglos, pour retrouver Linäe, une fée disparue depuis la nuit éternelle. Et il y a quelques jours, elle avait retrouvé son inventeur fou préféré, Raygon.
Voilà quelques jours maintenant qu'Alkëstia n'avait plus quitté Pixie Hollow. Elle travaillait sur l'élaboration d'une nouvelle poudre. Elle souhaitait réaliser une poudre qui permette d'agrandir et de rapetisser les objets. Cela serait utile pour les fées. Elle s'était rendue compte que sous forme humaine, elle ne pouvait plus écrire sur son calepin de fée et une fois redevenue fée, un calepin d'humain était trop encombrant. Pourtant, elle avait opté pour les deux possibilités. Elle avait ses calepins à sa taille, pour ses expériences sous sa forme de fée et un calepin de taille humaine, pour prendre des notes sous forme humaine. Néanmoins, la poudre ne fonctionnait pas encore. Il lui manquait une note decrescendo. Elle avait réussi la partie crescendo de sa préparation. Il lui fallait encore travailler dessus et un peu de temps. En effet, elle travaillait seule sur ce projet et l'alchimie était une science qui demandait de la patience et beaucoup d'échecs, avant d'avoir le résultat escompté. Et là encore, le résultat n'était pas toujours celui souhaité au départ. Alkëstia songea qu'il y avait des fausses notes dans sa partition pour cette poudre, elle n'était pas sur la bonne intensité. Il fallait qu'elle change de musique. Elle avait donc pris des notes dans son calepin et voyant que le temps passait, elle avait dû abandonner ses expérimentations pour faire les poudres déjà établies. C'est lorsqu'elle en fut à la moitié qu'une fée alchimiste vint la bousculer. La livraison était prête, il ne manquait plus les poudres d'Alkëstia. « Dépêche-toi, Tia, avant que la commerçante ferme boutique ! -Oui, j'arrive ! J'ai presque fini. -Si tu n'avais pas fait de nouveaux tests aussi. -Avec ce genre de réflexion, nous ne serions pas allées loin, Elvina. Et je te rappelle que c'est grâce à la recherche de nouvelles poudres et l'innovation que nous avons développé toutes ces poudres. Si nous avions suivi ton raisonnement, nous serions encore seulement avec la poudre d'humanité. Et encore. Si nous n'avions pas fait des tests, nous n'aurions jamais développé l'alchimie. -Oh ce que tu peux butée et effrontée quand tu t'y mets ! -Seulement quand je sais que j'ai raison et c'est le cas. Ça y est j'ai fini. -Enfin ! » Les deux fées chargèrent les poudres d'Alkëstia dans le chariot et le convoi s'envola en direction de la boutique de la commerçante.
Lorsque les fées et leur cargaison arriva, la nuit était tombée. Les fées déposèrent avec précaution leur cargaison au sol, derrière la boutique. Elles toquèrent et la commerçante leur ouvrit, ravie. Là, elles commencèrent à décharger leur précieux chargement, en effectuant une série d'aller-retours entre la boutique et la cargaison. Lorsque les fées arrivèrent à la moitié du chargement, la commerçante les arrêta. Il fallait consigner le nouvel arrivage dans l'inventaire et les fées avaient été plus rapides, dans la remise en rayon que la commerçante à consigner les nouveaux arrivages. Elles marquèrent donc une pause, le temps que la commerçante notait les nouvelles poudres dans son inventaire.
Tandis que la commerçante consignait les derniers arrivages, Alkëstia observa méticuleusement les étagères, vérifiant que les poudres étaient à la bonne place. Là, elle vit une ombre passer furtivement au mur. Elle se retourna et chercha la provenance de ladite ombre. Elle sortit par la porte, laissée ouverte. Elle vit alors un homme armé d'un mousquet. Protectrice envers le chargement, les fées et la commerçante, Alkëstia fendit sur le brigand tout en lui hurlant dessus. « Eh ! Que fais-tu ici, le géant ?! » Évidement, le géant en question ne pouvait pas la comprendre et n'entendit qu'un bruit de carillon, à la place des paroles de la fée. Alkëstia, avec sa force de fée combinée à sa vitesse de vol, l'attrapa par le col et le traîna au sol, le plus loin possible du chargement et de la boutique. Elle finit par l'envoyer dans le premier fossé qu'elle trouva. Non mais, pour qui se prenait-il ? Pour voler ainsi leur dur labeur ! Déjà qu'elles permettaient de partager leurs poudres avec le reste de l'île ! Elles ne toléraient pas le vol ! Elles étaient altruistes et lui, qu'un vulgaire voleur de pacotille ! La fée ramassa des pierres et commença à les jeter sur la malheureux voleur. La fée était colérique et tempétueuse et ce voleur avait justement déclenchée ses foudres ! Elle lui jeta tout ce qu'elle trouva autour d'elle. Puis, la colère se dissipa pour laisser place à la curiosité. Pourquoi avait-il fait ça ? Pourquoi volait-il ? Et quel(s) poudre(s) voulait-il ? Pour le savoir, la fée prit dans sa besace une fiole de poudre d'humanité. Elle la déboucha et répandit un peu de poudre sur elle. Aussitôt la fée se mua en une humaine. Là elle pouvait se faire comprendre. Un brin d'espièglerie la traversa, quand elle l'interrogea, avant que la curiosité ne reprenne le dessus. « Alors le moustachu, pourquoi nous volais-tu ? »
Ces poudres étaient mon seul espoir; elles étaient la seule façon que j’avais trouvée de me remettre du départ de Gràinne. Bien sûr, mon cœur avait aimé d’autres femmes à travers les années. Après tout, plus de dix années étaient passées depuis la première fois qu’on m’avait brisé le cœur. C’était pour Gràinne que j’avais ressenti les sentiments les plus intenses. J’avais aussi vécu une idylle passagère avec cette jolie sirène qui se nommait Ophélie. Jamais je ne pourrais oublier ce visage candide et bienveillant, ses réflexions pleines de sagesse et de sincérité. Elle m’avait aidé à guérir. Puis j’avais vécu cette relation incendiaire et destructrice avec la sublime Annabel. Elle m’avais quitté parce que je lui avais révélé ne pas vouloir d’enfants. Je n’ai jamais compris comment elle avait même pu songer à avoir des enfants avec moi. Une relation aussi violente et enflammée n’aurait jamais été un climat sain pour élever des enfants… J’aurais pu me remettre de ces ruptures. Bien qu’elles m’aient morcelé le cœur, Annabel et Ophélie ne me l’avaient pas arraché comme l’avait fait Gràinne O’Malley.
Gràinne et moi avions eu amplement de temps pour apprendre à nous connaître. Sans même s’en rendre compte, au fil des heures que nous passions ensemble, elle avait lentement conquis mon cœur. À coup de rires, de regards, de poussées d’adrénaline, de courses effrenées et de confidences à la flamme d’une chandelle dans cette petite maison au creux de la Forêt des Larcins. Je suis tombé follement amoureux d’un rire. D’un rire franc et clair. Je suis tombé sous le charme de cette chevelure rougeoyante qui volait derrière elle comme la queue d’une comète brûlant dans son sillage alors qu’elle zèbre le firmament du ciel d’encre d’une nuit bien noire. J’ai donné mon cœur à cette fillette aux yeux brillants, à cette enfant intrépide qui ne demandait qu’à apprendre de toutes ces expériences que j’avais vécu. Son refus de retourner mon baiser, ce jour-là, m’avais arraché le cœur.
J’observais les fioles de poudre d’un regard consterné. Si j’avais à choisir entre ces deux poudres qui m’avaient été mentionnées, je choisirais la poudre pour les cœurs brisés. Je ne pouvais pas retourner à cette personne que j’étais avant de connaître Gràinne. Près de quinze années étaient passées. Je ne pouvais pas oublier 15 ans en quelques secondes. Je n’étais plus cet adolescent paumé qui avait perdu sa mère. J’étais maintenant un homme. Mais si je ne trouvais pas cette poudre pour réparer ce chicot que j’avais pour cœur, je me contenterais de cette poudre d’oubliettes. Et j’oublierais. Malgré tous les bons souvenirs que j’avais eu avec ces conquêtes que j’avais fait au fil des années, j’oublierais. Et je me construirais une nouvelle identité.
Depuis que ma mère était morte, j’étais resté accroché à cette maison qu’on avait construit tout au creux de la Forêt des Larcins. J’avais longtemps cru que j’y restais accroché dans l’attente du retour de mon père. Aujourd’hui, je savais que j’y restais dans l’espoir que Gràinne O’Malley apparraisse entre les arbres. Et j’étais fatigué de cette vie recluse que je vivais depuis tant d’années. Si j’oubliais, peut-être pourrais-je m’établir en ville. Peut-être pourrais-je enfin laisser mon cœur aimer une autre femme. Peut-être réussirai-je à surmonter toutes ces épreuves que j’avais traversé.
Je détaillais les fioles de poudres de toutes les couleurs et de toutes les grosseurs quand j’entendis un étrange son de clochette derrière moi. Je sursautai, craignant qu’une de ces lucioles ne soit sorties de la boutique et ne me surprenne la main dans le sac - ou plutôt dans le chariot. Tout à coup, une lumière violette virevolte autour de moi à toute vitesse. Je sentis de tout petits poings saisir le collet de ma chemise et me tirer vers l’arrière. Ma poigne n’était pas assez ferme autour de mon mousquet qui s’échoua par terre près du chariot de poudres. Les quatre fers en l’air au fond du fossé au bord de la route, une pluie de pierres s’abattit sur moi. J’avais envie de rire, un grand sourire étira mes lèvres alors que de petites pierres me heurtaient de plein fouet. La joue écorchée, je fus témoin d’une chose qui me laissa tout à fait perplexe.
Sous mes yeux étonnés, la petite lueur qui carillonnait se changea en femme. Vêtue d’une robe violette, la dame arborait une chevelure aussi orangée que celle de cette femme dont j’étais tombé amoureux plusieurs années auparavant. Un air sévère sur son visage pâle, elle m’invectiva : « Alors le moustachu, pourquoi nous volais-tu? » demanda-t-elle, sa voix me laissant croire qu’elle n’était peut-être pas aussi fâchée que je l’avais d’abord cru.
Pourquoi est-ce que je volais? En voilà une question stupide, ne puis-je m’empêcher de penser. Je lui souris : « J’ai besoin de vos jolies poudres. Et comme je suis sans le sou, j’ai pensé que je pourrais en prendre quelques-unes, sans me faire remarquer. » Je la regardais d’un œil espiègle, curieux de ce qu’elle pourrait bien me répondre. « Puis… je me suis rendu compte que j’avais oublié de demander à mes contacts à quoi ressemblait la fiole qui contenait votre fameuse poudre pour les cœurs brisés. Donc, tu m’as surpris. »
La tempête passée, la fée ressentit un rayon de curiosité la traverser. Alkëstia, après avoir déchargé toute sa colère sur la malheureux voleur, se calma et n'eut qu'une idée en tête : combler sa curiosité. Et pour la rassasier, la fée devait se faire comprendre de l'humain. Elle utilisa sa poudre d'humanité et prit forme humaine. De cette façon, elle pouvait aisément questionner le malandrin sur le pourquoi de sa tentative de vol. Etant devenue humaine, elle put ressentir deux émotions simultanée. Si bien que la curiosité et l'espièglerie se mêlèrent dans sa question.
Tandis qu'elle attendait la réponse, elle ne put s'empêcher de détailler minutieusement le voleur. Il était bien bâti et semblait en bonne santé. Il se caractérisait par une moustache de la même couleur que ses cheveux. Il semblait difficile à oublier. Alkëstia était certaine, qu'elle ne l'avait encore jamais ni vu ni rencontré. Elle n'eut pas le temps de détailler son accoutrement, bien étrange pour une fée, puisque l'homme lui répondit. D'après les dires du voleur, il avait besoin de certaines poudres, mais ne pouvait pas se les offrir. Alkëstia avait toujours cru que les humains pouvaient se payer ce qu'ils voulaient. Il faut dire que chez les fées, il n'y avait pas d'argent. Elle avait appris qu'il y en avait chez les humains et que l'argent était toujours en circulation et ne s'épuisait jamais. Bien qu'elle s'était questionnée sur comment faisaient les humains sans le sou, elle n'avait pas eu de réponse et elle n'avait pas été sur le terrain pour vérifier. A L'époque, elle avait eu des choses plus importantes à traiter que de se pencher sur le fonctionnement des humains. L'alchimie était en train de naître et il fallait des alchimistes. Le fonctionnement monétaire des humains était passé à la trappe. Puis, le temps passant, elle avait eu d'autres priorités, comme de prendre des notes sur les poudres ou essayer toujours davantage de perfectionner le domaine de l'alchimie. Maintenant, elle avait une réponse : ils volaient. En y pensant, ça lui semblait évident.
L'inconnu poursuivit sur le motif du vol. Alkëstia arqua un sourcil. La poudre des cœurs brisés ? Pourquoi la désirait-il tellement au point de voler ? Dans l'esprit de la fée, il y avait plus grave qu'une peine de cœur, et il y avait d'autres poudres plus intéressantes que cette poudre-ci. La fée n'avait jamais compris à quoi servait cette poudre, d'ailleurs. Un cœur ne peut pas se briser, c'est un muscle ! Et elle ne comprenait pas en quoi tomber amoureux d'une autre personne pendant quelques heures aiderait à surmonter un chagrin d'amour. Et d'abord c'était quoi un chagrin d'amour ? Alkëstia l'ignorait. Elle supposa que ça devait être le fait de pleurer ou de mourir à petit feu, à cause du délaissement d'une personne. Eh bien, c'est que ce n'était pas une personne importante, et que c'était tant mieux qu'elle soit partie. Dans ce jugement froid dressé par la fée, il fallait prendre en compte son manque d'expérience dans l'amour. La fée n'était pas une humaine, elle ne ressentait pas l'amour de la même façon qu'un humain. Et puis, en cinq siècles, elle n'avait jamais été envahie par un sentiment amoureux. Ignorant le sentiment ressenti par un cœur brisé, la fée n'avait pas participé à l'élaboration de cette poudre. Elle n'en voyait clairement pas l'intérêt. Elle ne connaissait pas ce que c'était que de sentir le désespoir et le vide dans son cœur. Peut-être parce que la fée, bien que toujours loyale et toujours disponible pour autrui, était une personne assez froide, préférant les faits aux sentiments. L'élaboration de poudres passait avant se faire de nouveaux amis, bien qu'elle était ouverte à toutes nouvelles rencontres. Elle avait d'ailleurs quelques amis, mais la fin justifiait les moyens. Et dans le cas présent, pour Alkëstia, la fin de la peine de cœur ne pouvait pas se résoudre, et donc se justifier par une poudre de coeur brisé à effet temporaire. La fée s'approcha du voleur et glissa dans le fossé, à côté du voleur. Au moins, ils étaient tranquille dans ce lieu de discussion improvisé. Comme de rien, la fée s'assit à côté du voleur et poursuivit leur conversation. « Ce qui est surprenant, ce n'est pas de t'avoir surpris, mais de vouloir une telle poudre ! Son effet n'est que passager, tu sais. Et en quoi tomber amoureux d'une autre personne t'empêchera d'avoir de nouveau le cœur brisé ? Et d'abord, c'est quoi un cœur brisé ? Et l'amour vaut-il vraiment le coup de prendre le risque de voler ? Et déjà, c'est quoi l'amour ? » Peut-être que le voleur pouvait combler les lacunes de la fée en matière de sentiments amoureux. Après tout, il ne faut jamais juger un livre sur sa couverture. Ce voleur avait peut-être toutes les réponses qu'il fallait à la fée.
Alors que je lui expliquais – le plus calmement possible – les motifs de mes actes déshonorables, je la détaillais discrètement de la tête aux pieds, fuyant son regard qui transpirait de colère. De petite stature, elle arborait des vêtements mauves semblables à la lueur que j’avais aperçue quelques instants auparavant. La robe qu’elle portait, presque surnaturelle, semblait constituée de milliers de voiles diaphanes. Si j’avais eu à imaginer les vêtements des anges dont m’avait parlé ma mère quand j’étais tout petit, c’est de cette façon que les aurait imaginés. Ses petites chausses semblaient être faites de satin de la même couleur que sa robe. Je ne pus m’empêcher de me demander si les fées étaient toutes vêtues de la sorte. Je n’aurais osé le lui demander. Je me risquai alors à porter mon regard sombre vers le visage de la luciole. Ses boucles rousses n’étaient pas sans me rappeler celles de la femme que j’avais aimée tant d’années auparavant, bien qu’elles soient bien moins orangées que celles de mon feu follet. Son visage, bien que rempli de colère, n’était pas désagréable à regarder. Et c’est cette colère, cette étincelle dans son regard enflammé qui me transporta dans le passé, vers ce moment où j’avais mis mon coeur sur la table; vers ce moment où j’avais laissé mes sentiments l’emporter sur ma raison... vers ce moment où mes lèvres s’étaient posées sur celles de Gràinne O’Malley. Je me souvins du regard qu’elle avait alors posé sur moi. Ces prunelles qui s’étaient remplies d’une incompréhension, d’une confusion qui avaient serré mon coeur avant de se remplir d’une frustration, d’une hargne telle que je n’aurais pu l’imaginer. Elle m’avait craché quelques paroles qui en avaient eu fini d’écraser cet organe vital qui battait en ma poitrine, puis elle était partie.
La fée me fit alors remarquer qu’il était surprenait que j’aie voulu voler une telle poudre, son effet étant éphémère. Elle me demanda pourquoi j’aurais voulu tomber amoureux d’une autre personne pour oublier celle qui m’avait peiné. J’étais confus. La poudre pour les cœurs brisés ne servait-elle pas à les réparer? Cette poudre ne servait-elle pas à atténuer la douleur ressentie suite à la perte d’un amour? Pourquoi une personne aurait voulu de cette poudre si son effet n’était pas permanent? Mais les questions de la créature s’enchaînaient à toute vitesse, me laissant peu de temps pour assimiler les informations qu’elle venait de me transmettre. Qu’est-ce que c’était, un cœur brisé? L’amour valait-il vraiment la peine de risquer les cachots ou même la mort? Au fond, qu’est-ce que c’était que l’amour?
J'écarquillai les yeux à la lumière de ces dernières questions. Qu'est-ce que c'est, un cœur brisé? L'amour valait-il vraiment la peine de prendre un tel risque? Et puis, au final, qu'est-ce que c'était, l'amour? Me ressaisissant, un sourire étira mes lèvres et je ne pus empêcher ce rire de naître dans ma gorge. « Pour l'amour du ciel, ils vous apprennent quoi, dans la forêt des fées? Les fées n'ont-elles pas de sentiments? »
Enlevant mon chapeau, je me passai la main dans les cheveux, tentant de rassembler mes pensées pour répondre à ses questions. Je lui devais bien ça. Après tout, je venais de me faire prendre la main dans le sac. Ce n'était pas dans mes habitudes, et j'éviterais d'en parler à qui que ce soit, mais ma curiosité l'emporta sur ma fierté. Aussi, j'étais seul depuis plusieurs mois. Je n'avais que rarement l'occasion de discuter franchement avec quelqu'un. L'envie était trop forte. Soupirant, scrutant la porte du magasin avec un brin de nervosité, je fouillai dans une poche d'où je sortis une flasque remplie de whisky dont je pris une rasade avant de me lancer dans un monologue qui en aurait sûrement fatigué plus d'un...
« Je croyais que les fées vivaient très longtemps... je ne comprend pas comment vous pouvez passer outre un tel sentiment malgré votre longévité, mais bref... L'amour c'est... un sentiment à la fois merveilleux et impitoyable. L'amour rend aveugle. Parfois, ça vient lentement, ça se forge avec le temps, ça apparaît discrètement avant que tu ne t'en rendes vraiment compte. D'autres fois, il te frappe comme un éclair et tu sais immédiatement que la personne que tu as sous les yeux va changer ta vie à tout jamais.
Aux premiers émois on dirait que des milliers de lucioles volent dans ton estomac, c'est un peu bizarre. Avec le temps, c'est un réconfort. C'est comme... une chaleur. Un peu comme quand t'avale de l'alcool. (Je pris une autre gorgée de whisky, sentant la chaleur de la boisson s'insinuer en moi, réconfortante. La seule chaleur qui atténuait ma peine.) En fait, tu vois, quand t'es amoureux, tu te sens un peu comme quand t'es ivre : comme l'alcool qui coule dans ton gosier, l'amour se fraye un chemin en toi pour venir se lover, telle une boule de feu, dans le creux de ton ventre, mais ça ne fait pas mal. C'est une chaleur agréable, enivrante. Comme quand t'as bu de tout ton saoul, tu deviens heureux. Tu sais pas pourquoi, tu sais pas pour combien de temps, mais ta tête et ton cœur sont légers, comme si tu marchais sur des nuages, et tu souris tout l'temps. Quand tu aperçois la personne dont t'es amoureux, le monde entier semble ralentir. Son sourire et son bonheur illuminent ta vie, comme si rien ne pouvait venir assombrir ton existence tant que l'autre est heureux. Et cette envie de combler l'autre de bonheur devient ta raison de vivre. Tu finis par t'oublier toi-même au détriment de l'autre.
Au fond, quand t'es amoureux, t'as l'impression de vivre sur le plus haut nuage du paradis. Mais quand t'es au sommet, que tu peux plus monter, tu ne peux que descendre. Et plus t'es haut, plus la chute fait mal...
Parce que quand cette personne qui est ton monde et ta vie te quitte, qu'elle en ait décidé ainsi ou pas... c'est comme si ton monde s'écroulait. Le soleil se voile, ne laissant plus passer la lumière. Et tu sais pourquoi on dit un cœur brisé? Parce que c'est comme si quelqu'un enfonçait son poing dans ta poitrine pour t'arracher le cœur. T'as le souffle court, t'as une boule énorme dans le ventre, comme si t'allais rejeter le contenu de ton estomac d'un moment à l'autre, sauf que c'est constant.
Tu sais quoi, la luciole? Certaines personnes feraient des choses aussi stupides pour l'amour de quelqu'un... sauf que moi, j'en ai assez de vivre dans cette ombre laissée par son départ... J'en ai assez d'avoir du mal à respirer et de perdre tous mes moyens chaque fois que je crois l'apercevoir dans la foule. Ça m'empêche d'avancer. Ça fait dix ans qu'elle est partie et quand je suis seul, je ne peux pas m'empêcher de sentir ce vide laissé par son absence. Cette douleur-là, petite fée, c'est ça qui vaut la peine de voler tes poudres. »
Je pris une longue pause, avalant encore le liquide, sentant mes sens s'engourdir lentement. « Mais je comprend pas, Pixie. Pourquoi vous appelez ça la poudre des cœurs brisés si ça n'enlève pas cette peine? Qu'est-ce qu'elle fait au juste, cette poudre? »
Une fois installée à côté du voleur, dans le fossé, Alkëstia posa le méandre de questions, au fur et à mesure qu'elles lui assaillirent l'esprit. La fée fut offensée de la première réponse du géant. Elle défendit avec véhémence sa cause. « Bien sûr que nous avons des sentiments, le géant ! Certaines fées sont même déjà tombées amoureuses ! Néanmoins, elles n'ont jamais expliqué ce que c'était. » Dans la défense de son espèce, Alkëstia venait d'avouer qu'elle n'était jamais tombée amoureuse. Il faut dire que malgré toutes ses qualités, la fée se trouvait munie du défaut d'être un être froid, quasiment hermétique aux sentiments. La fée préférait les faits aux sentiments. Elle avait passé des siècles à étudier l'île, consigner le savoir si bien qu'elle était une véritable érudite. Elle savait tout ce qu'il fallait savoir sur les fées, les créatures habitant non loin de Pixie Hollow, les enfants perdus, le fonctionnement et l'histoire de l'île. Elle était une experte dans son domaine de l'alchimie. Seulement, cela venait avec un prix, puisque c'était au détriment des sentiments.
Alkëstia prit sur elle de ne pas relancer la lutte contre l'humain. Elle regarda le moustachu retirer son chapeau. La curiosité l'enveloppa davantage. Elle s'interrogea mentalement sur la question. « A quoi ça peut-il bien lui servir ? A le protéger du soleil ? Pourtant, le soleil s'est couché. Et à ma connaissance, les humains ne peuvent pas prendre d'insolation lunaire. D'ailleurs est-ce que ça existe ? Non, je ne crois pas. Hum. Je me demande s'il y a un livre qui traite du sujet. » Les fées ne portant pas de chapeau, Alkëstia était intriguée par cette pièce de tissu. C'était bien un trait humain. La fée le détailla attentivement, puis ausculta minutieusement le reste de l'accoutrement de l'homme. Elle se demandait en quelle matière sa tenue était faite. Elle n'eut pas le loisir de s'interroger davantage sur le sujet. Le comportement de l'homme était plus fascinant que ses vêtements. Il semblait hésiter à répondre à ses questions. Il tourna la tête vers le magasin de poudres. Allait-il retenter un vol ? La fée, maintenant ayant l'apparence d'une humaine, se prépara à bondir. Peu importait son apparence, elle défendrait les siens. Le peuple féerique passerait toujours avant le reste, enfin presque. Elle ferait tout pour May-Lee. Etait-ce ça l'amour ? Est-ce que l'amitié qu'elle éprouvait pour son étincelle était-elle une forme d'amour ? D'ailleurs, la fée avait quelques amis en dehors de May-Lee tels que Raygon, Azalea ou Mélusine. Cependant, elle n'avait jamais ressenti l'amour avec un grand A pour une autre fée ou un être humain. La fée n'eut pas le temps d'épiloguer mentalement sur le sujet. Le moustachu semblait s'être ravisé et n'avait pas l'air de vouloir cambrioler l'échoppe. La fée se détendit et se demanda s'il allait lui répondre ou non. Elle le regarda prendre une gorgée de son breuvage. « Qu'est-ce que c'est que ça ? A l'odeur, certainement pas de l'eau. Ce que ça sent fort ! »
Dès les premières paroles de l'homme, Alkëstia voulut l'interrompre. Cependant, la fée n'en fut rien. Elle se contenta de répondre mentalement. « Bien sûr que nous vivons longtemps, le géant. Tu as raison de le penser. Figure-toi que je suis âgée de cinq siècles ! Néanmoins, je ne pense pas n'avoir jamais ressenti l'amour. » Dans la vie, certaines priorités nous guident et dans le cas d'Alkëstia, c'était la soif de connaissance. Elle l'écouta, ne voulant pas le couper alors qu'il allait satisfaire sa curiosité et enrichir ses connaissances.
Au fur et à mesure du monologue, la fée passa de la surprise à l'émerveillement, puis à la peur. Alkëstia eut une vision d'horreur quand l'homme lui expliqua la raison de l'appellation du cœur brisé. A la fin du monologue, Alkëstia comprenait le point de vue de l'homme. Finalement, il n'était pas qu'un mécréant qui ne respectait pas leur travail. Il était bien plus que cela. Il était un homme de conviction, prêt à tout pour combler un vide, qui depuis dix longues années, lui enserrait le cœur. Compréhensive, la fée plongea son regard dans celui ténébreux de l'homme au cœur palpitant. « Je me suis trompée sur ton compte, le géant. Tu n'es pas qu'un vulgaire voleur de pacotille. Tu es homme profond, une sorte de poète éclairé au grand coeur. » Alkëstia lui sourit, puis pendant le silence laissé par son interlocuteur, elle se plongea dans ses réflexions. Une ribambelle de questions traversa son esprit. Néanmoins, elle consentit à les laisser de côté pour un temps. L'homme au cœur brisé lui posa quelques questions sur les poudres, la spécialité de l'alchimiste. Alkëstia répondit aussitôt à ses questions. « Parce qu'elle répare un cœur brisé, d'où le nom. Du moins, en partie. Je n'ai pas travaillé sur celle-ci, à vrai dire, enfin à son élaboration. Je n'y voyais pas l'intérêt. J'ai préféré me consacrer à la poudre Devine-tout. Cependant, je connais les effets de toutes les poudres, puisque je prépare toutes les poudres. Il faut bien que nous, les alchimistes, continuons à en produire pour que vous puissiez toujours en avoir à disposition. Certaines partent plus vite que d'autres. Enfin, je m'éloigne du sujet. En fait cette poudre, celle des cœurs brisés, fonctionne. Ton cœur brisé est réparé, puisqu'en la prenant tu tomberas amoureux de la première personne que tu trouveras. Cependant, la durée n'est que de trois heures, enfin six heures, puis qu’avec une fiole, tu as deux utilisations. Tu devrais donc constamment en prendre pour être guéri d'un cœur brisé. Seulement, je trouve ça bien humain de croire qu'une poudre peut régler des problèmes de ce genre. Ça ne fait que masquer le problème et non le résoudre. » Ayant répondu à son professeur temporel, Alkëstia songea que c'était à son tour de l'affubler de questions. Et elle en avait. Les connaissances, apportées par son professeur de l'amour, ne firent que soulever davantage de questions qu'elles n'apportaient de réponses. Dans un sens, c'était bon signe pour la fée. Elle allait avoir des éclaircissements sur ce sentiment. « Pour tes explications sur l'amour, il y a certaines choses qui m'échappent. Comment un sentiment peut être à la fois merveilleux et destructeur ? Ensuite, es-tu sûr que ça soit un sentiment ? Si ça rend aveugle, c'est une maladie ! Et je ne crois pas que nos poudres soient un remède à ça. Elles ne redonnent pas la vue. Et tu as expliqué que lorsque tu aimes une personne, elle devient ton monde et tu ferais tout pour elle. J'ai rencontré une enfant perdue, qui correspondrait à la description. Elle s'appelle May-Lee. C'est une formidable amie, mon étincelle. J'ai su rien qu'en la voyant qu'elle changerait ma vie, tout comme Raygon. Un autre ami, que j'ai retrouvé récemment. Est-ce que ça compte pour de l'amour ? Est-ce qu'il est possible d'aimer plusieurs personnes à la fois ? Et c'est cet amour ou type d'amour qui t'a brisé le cœur ? Je l'ai peut-être ressenti aussi. Quand mon ami Raygon a décidé de quitter les enfants perdus pour grandir, ça était un déchirement. Cependant, j'ai très bien vécu sans lui. Il me manquait, c'est tout. Et je lui en voulais ne nous avoir trahi. Après réflexions, je ne suis pas sûre que cela soit le même déchirement qu'un cœur brisé. Existe-t-il des degrés d'amour ? » La fée en avait beaucoup voulu à Raygon de les avoir abandonnés. Rancunière, il avait fallu du temps pour qu'elle accepte sa décision. Lors de leurs retrouvailles, elle s'était jetée sur lui de rage et de rancoeur, mais elle avait été ravie et soulagée de le retrouver dans sa vie.
En finissant de formuler sa dernière question, les yeux aux iris émeraude de la fée tombèrent sur la flasque. Sa curiosité pour l'objet la fit poser d'autres questions avant toutes réponses de la part du poète à ses questions précédentes. « Et sinon, tu n'as pas cessé de comparer l'alcool à l'amour. C'est donc cela qui est dans ta flasque ? Je ne savais pas que les humains en buvaient. Les fées n'en boivent pas, mais l'alcool peut être utile pour les poudres. Parole d'alchimiste. Tu me laisserais y goûter ? Devenir ivre, comme tu le dis, équivaut à tomber amoureux, si je comprends bien. De cette façon, je pourrais goûter à l'amour. »
Spoiler:
Désolée du retard, je voulais essayer d'être à la hauteur de cette magnifique déclaration d'amour
Son air insulté à ma mention de l’ignorance de son peuple pour les sentiments amoureux me fait sourire. Les fées semblaient vivre dans l’apprentissage et le travail constant. Nous, pauvres humains, étions animés par l’amour. Il était difficile de définir réellement l’amour, parce que c’était un sentiment si différent d’une personne à l’autre et d’une relation à l’autre. Je n’aurais pu nier avoir, à un certain moment, éprouvé plus que de l’amitié pour ma belle amie Ophélie. Et même si Annabel et moi avions connu une relation assez malsaine qui était destinée à se terminer éventuellement, je ne pouvais prétendre que je n’avais rien ressenti pour elle. Si j’avais eu à décrire la façon dont chacune d’entre elles m’avaient fait vibrer, j’aurais utilisé des termes très différents… Ophélie, c’était comme un long fleuve tranquille; comme un ruisseau qui fait calmement son chemin entre les rochers dans les montagnes silencieuses. Avec elle, c’était doux et simplement; c’était réconfortant, comme un baume sur cette douleur créée par Gràinne. Annabel, c’était une volcan endormi qui risque d’entrer en éruption à tout moment. C’était une lutte constante, une embuscade effrénée. C’était jouer avec le feu. Les journées avec Anna ne connaissaient pas de routine. Il était impossible de s’ennuyer. Être avec elle, c’était comme aiguillonner une bombe avec prudence, dans la crainte que tout ne finisse par exploser en détruisant tout sur son passage. C’était un mal nécessaire pour fréquenter la belle brune. Et ça m’avait empêché de penser constamment à ce premier amour qui m’avait blessé pendant près de quatre ans.
Gràinne, c’était une étincelle. Mais pas de celles qui brûlent. Plutôt de celles qui surprennent. Se retrouver près d’elle, c’était à la fois comme rentrer à la maison après un long voyage, mais c’était aussi une poussée d’adrénaline. C’était un amour pur et désintéressé. Je n’avais pas voulu tomber amoureux d’elle, c’était inattendu. La comparaison avec le whisky était tout simplement parfaite. Parce que Gràinne, c’était comme prendre une longue gorgée de ce nectar : ça désaltérait et ça réchauffait en même temps.
Je lui décris ensuite ma vision de l’amour. Même si elle semble vouloir m’interrompre à plusieurs reprises, elle m’écoute attentivement. Définitivement, c’était un sujet qui lui semblait bien intéressant pour qu’elle boive mes paroles de la sorte. Je l’interroge alors sur l’utilité de la fameuse poudre des cœurs brisés, tout en avalant une autre petite gorgé du précieux liquide qui dort dans ma bouteille.
Elle me fit sourire encore plus largement lorsqu’elle déclara qu’elle s’était trompée sur mon compte et que j’étais bien plus qu’un petit voleur, que j’étais plutôt un homme profond, une sorte de poète. Son explication concernant la poudre me fait hausser les sourcils. Ce sont donc effectivement les fées qui conçoivent les différentes poudres. La luciole m’informe qu’elle est une alchimiste et qu’elle a travaillé sur une autre poudre qui s’appelle Devine-Tout. J’hésite à imaginer son utilité après avoir été trompé par cette poudre des cœurs brisés. Elle m’explique que la fameuse poudre pour les cœurs brisés fait en sorte que tu tombes amoureux de la première personne que tu croises pendant trois heures pour chaque utilisation à raison de deux utilisations par fiole. Elle s’avoue ensuite déconcertée de ma stupidité à croire que mes problèmes pouvaient être réglés comme ça, en un tour de main, comme par magie. L’ivresse m’envahissant peu à peu, je ne contredis pas ce sous-entendu. C’était plutôt une sorte de détresse qui envahissait mon être. Si cette poudre ne pouvait pas m’aider, comment allais-je finir par me guérir de ce mal qui m’habitait ? Je soupire en observant la demoiselle. Malgré mes explications, je lisais toujours de nombreux questionnements dans ses prunelles sombres, et je sais que j’aurai droit à une autre avalanche d’interrogations.
Et j’avais raison. Quelques instants après que j’ai terminé mon explication, visiblement trop métaphorique pour sa vision des choses, elle enchaîne encore une fois les questions à toute vitesse. Comme j’ai comparé l’amour à l’ivresse, elle me demande d’y goûter. Pourquoi pas ? Il y a longtemps que je n’ai pas eu de compagnon pour profiter d’une bonne bouteille. La compagnie d’une fée me changerait des habituels saoulons que l’on trouve dans les tavernes. « Tiens, goûte… dis-je en lui tendant la bouteille. L’amour ne rend pas aveugle physiquement, Pixie. C’est une expression. Ça veut dire qu’il t’empêche de voir les tares et les défauts de l’autre personne. Que malgré tout les maux de ton partenaire, tu ne t’imaginerais pas vivre sans lui. L’amitié est effectivement un genre d’amour. Mais il y a une différence entre l’amour qu’on éprouve pour ses amis et celle que tu ressens pour une personne avec qui tu partagerais ta vie, avec qui tu fonderais une famille, la luciole. »
J’ai peu d’amis, mais je songe à toutes ces personnes qui ont croisé mon chemin au courant de ma vie. Je pense à Félix, cet orphelin qui habitant les rues de One-Eyed Willy lorsque nous étions enfants… J’aurais tout fait pour lui venir en aide, quitte à me blesser ou à me retrouver dans une mauvaise position. Quand j’ai échoué dans ma quête pour le retrouver, après la mort de ma mère, j’ai ressenti une grande tristesse et un profond vide, mais je m’en suis remis. Je n’ai jamais oublié Filou, mais cette absence est moins douloureuse que celle de Gràinne que je ressens comme une plaie qui refuse de guérir et qui me fait du mal dès que j’aperçois une femme qui lui ressemble ou que j’entends le rire d’une femme ou que quelqu’un utilise une expression qu’elle utilisait. Ce vide-là, il fait plus mal que celui laissé par un ami.
« J’aimerais bien t’explique ce que c’est que l’amour, petite fée. Mais je ne peux pas. L’amitié c’est beau, c’est un lien qui te permet de grandir, mais l’amour charnel, l’amour passionnel, c’est différent. J’ai aimé plusieurs femmes dans ma vie, la luciole, mais j’ai aimé chacune d’entre elles de façon différente. Tu ne sauras ce qu’est l’amour que lorsque tu tomberas toi-même amoureuse, j’imagine. Si ça arrive un jour… »
Après les réponses aux questions du géant, la fée posa les siennes. Elle termina sa série de questions par une requête. Elle voulait devenir ivre, pour ressentir l'amour. Pour ça, elle se devait de tester cet alcool. Le poète ne fut pas contre et lui tendit sa flasque. Alkëstia s'en saisit délicatement. Elle l'inspecta méthodiquement. Elle commença par faire tourner la flasque entre ses mains. Le contenu se heurta au paroi dans un son caractéristique. C'était mélodieux. Ses iris émeraude devinèrent une couleur ambrée du liquide. « Une douce couleur pour une douce mélodie. », songea la fée. L'odeur, quant à elle, était forte. Alkëstia l'avait sentie de loin, mais là, elle en mesurait l'ampleur. L'alchimiste sentit un mélange de différents arômes, parmi cette forte odeur d'alcool distillé.
Tandis que la fée examinait le contenu et laissait ses sens examiner l'alcool, elle écouta en même temps l'homme au cœur brisé lui conter les explications. La fée n'avait pas pensé à un sens métaphorique dans les explications de son professeur temporaire. Pour elle, il énonçait des faits. Hors ce ne fut pas le cas, il eut une vision bien plus poétique de la chose. Elle se sentit stupide de ne pas avoir pensé plus loin qu'un simple constat. Pour son corps défendant, elle ne s'était pas attendue à ce qu'un humain explique si poétiquement un tel sentiment. Alkëstia se dit alors que c'était peut-être ça, que d'être amoureux. Il s'agissait de dépasser les faits, même dans la description. L'humain était allé bien plus loin qu'une description brute du phénomène. Il avait dépassé les explications. Il les avait transcendées par des concepts métaphoriques, poétiques, qui faisaient appel à l'imagination, aux sens, à l'émotion. Alkëstia comprenait beaucoup mieux le phénomène. La rousse comprit également la différence entre l'amour ressenti envers ses amis et celui envers un amant ou une amante. Elle savait qu'elle ne l'avait jamais ressenti. Certes, il y avait son étincelle et son Colibri, mais elle ne décrirait pas ce qu'elle ressentait pour eux de la même façon que le poète décrivait le sentiment amoureux. Finalement, c'était peut-être simplement qu'un sentiment humain. Pourtant, elle savait que certaines fées étaient capable de le ressentir. Pourquoi n'était-elle pas capable de le ressentir ? Pourquoi était-elle plus attirée par les faits que les sentiments ? D'ailleurs, l'homme semblait se poser la même question. Il venait de terminer ses explications en terminant par « Si ça t'arrive un jour. » Alkëstia ne s'en offusqua pas. Elle haussa les épaules et lui répondit. « Eh bien nous verrons. Chaque expérience en son temps. » Elle lui sourit, puis leva la flasque pour l'expérience de l'alcool. « Vous dites quelque chose avant de boire ? »
Quand l'homme lui eut répondu, Alkëstia goûta au nectar. Elle sentit le liquide envahir sa bouche. C'était bon. Un délicieux goût boisé titilla ses papilles. Une fraction de seconde plus tard, le liquide pénétra dans sa gorge. Les sensations changèrent. Alkëstia lâcha la flasque au sol, serra les poings et ferma les yeux. Elle les rouvrit et regarda le moustachu. « Hum. Ça brûle ! C'est fort ! » Elle regarda alors l'homme. « Comment fais-tu pour boire cela de la façon dont tu le bois ?! » La fée avait observé l'homme en boire durant ses explications. Il n'avait pas semblé être aussi affecté qu'Alkëstia en buvant l'alcool. Peut-être était-ce dû à l'habitude ? L'érudite songea à retenter l'expérience. Une seule fois ne peut certainement pas être suffisant pour se faire une idée. Ses yeux regardèrent la flasque. « Maintenant que je suis prête, je veux bien retenter l'expérience. » La fée lui sourit et plongea ses yeux émeraude dans ceux chocolat de l'humain. Elle était sûre d'elle, décidée à goûter de nouveau au produit du labeur humain.
Quand la flasque fut de nouveau entre ses mains, Alkëstia, debout devant le moustachu, inspira et expira doucement. Puis, elle porta la flasque à ses lèvres rosées et but d'un coup sec une gorgée. Là encore, le liquide vint brûler sa gorge. Elle le sentit se frayer un chemin dans ses entrailles. Cela la brûlait, mais paradoxalement, ça ne la répugnait pas. C'était une chaleur violente, mais confortable. Elle se sentait en vie. Elle éclata de rire et regarda l'homme au chapeau. Elle lui tendit la flasque et s'assit à côté de lui. A ce moment-là, ce n'était plus seulement ses lèvres qui avaient une couleur rosée. Ses joues avaient pris des couleurs. « La deuxième fois, le liquide me brûle encore, mais c'est différent. C'est même..oserais-je dire agréable ? Est-ce que c'est une sorte de magie ? » Quand son initiateur au Whisky l'eut renseignée, Alkëstia eut une autre question. Elle voulait savoir le nom du responsable de la coloration de ses joues et de son sentiment de joie. Et puis, en érudite, elle voulait enrichir ses connaissances, pendant qu'elle était encore lucide. « Comment appelles-tu cet alcool de vie ? Et comment le faites-vous ? » Ce liquide, elle savait qu'il s'agissait d'alcool. Il la rendait vivante. La fée avait alors tout naturellement associé « vie » à « alcool ». Bien qu'elle commençait à ressentir les effets de l'alcool, elle était encore perspicace pour faire une telle association, suivant sa logique et son ressenti.
Elle scrute attentivement le contenu de la bouteille alors que je lui explique la différence entre les sentiment amoureux et l’amitié qu’elle connaît avec cette personne qu’elle appelle son étincelle. Une chose bien difficile à expliquer à une personne aussi rationnelle qu’elle semble l’être. Moi qui me croyais particulièrement terre à terre, je devrai revoir ma définition, puisque je semble être un parfait rêveur, voire un total lunatique, si l’on me compare à la fée, toute cérébrale et objective. Je craignais qu’elle ne me tienne rigueur de ma dernière remarque. Il était faux de croire que tous connaîtraient l’amour au moins une fois dans leur vie. L’amour était, certes, un sentiment exceptionnel et merveilleux, mais il existait des gens sages qui préféraient se tenir loin de tels sentiments. J’avais entendu dire que de nombreux représentants du peuple marin préféraient le célibat à l’enchaînement à un autre être pour l’éternité. Les fées semblaient être bien plus concentrées sur leur rôle existentiel que sur les relations interpersonnelles. Je savais que certaines d’entre elles consacraient leur vie à protéger et guider ces enfants qui vivaient dans la forêt de Neverland. Il aurait donc été erroné de dire qu’elles étaient complètement insensibles. Celle qui se tenait devant toi, par exemple, semblait très curieuse des mœurs, des habitudes et des concepts qu’elle ne connaissait pas.
La rouquine me demande alors si nous disons quelque chose avant de boire. Elle lève la fiole entre ses mains alors que je souris : « Certains disent "santé", d’autres préfèrent dire "tchin" ou encore "skol". Tu sais, j’ai rencontré de nombreux humains qui ne sont pas nés sur cette île. Ils sont parfois des façons de faire des plus étranges… Mais je me souviens que ma mère disait que, là d’où nous venons, on dit "salute" ! C’est ce que j’ai toujours dit. Alors… salute ! » De façon impulsive, elle porte la flasque à ses lèvre et enfile une grande gorgée. Tu écarquilles les yeux. Peut-être aurais-je dû lui dire d’y aller doucement pour les premières lampées. Son visage passe rapidement d’une expression d’adoration à un miasme d’ébahissement. La bouteille tombe sur le sol. Tu te penches prestement pour la rattraper, remerciant le ciel que ce ne fut pas une carafe de cristal, sans quoi vous auriez perdu tout le précieux liquide de la boisson qu’elle contient. Quelques gouttes dorées sont tombées sur le sol, mais tu parviens à sauver ce qu’il en reste. « Humph ! Ça brûle ! C’est fort ! » Elle pose un regard un peu courroucé sur moi alors que je me retiens de rire à gorge déployée. « Comment fais-tu pour boire cela de la façon dont tu le bois ?! »
Je hausse les épaules avec désinvolture, une énorme sourire me fendant le portrait. « C’est l’habitude, j’imagine… que je réponds en ricanant. Quand on en boit tous les jours, on finit par s’y faire. » Elle prend quelques secondes pour se ressaisir et déclare qu’elle est prête à retenter l’expérience. Je lui tends la flasque, plongeant mon regard foncé dans le vert de ses yeux. Ses iris brillent déjà d’une étincelle qu’il serait difficile de ne pas remarquer. Je devrai l’arrêter avant qu’elle n’en absorbe trop, parce que je risque de me retrouver avec une fée complètement ivre sur les bras, et je soupçonne que ses copines se trouvent toujours dans cette boutique, risquant de nous surprend d’un moment à l’autre. Elle attrape la bouteille et porte le goulot à ses lèvres rosées, avalant une autre lampée. Et tu sais parfaitement comment elle se sent, là tout de suite. Cette sensation de chaleur que tu lui as décrite se fraye une chemin jusqu’au creux de son ventre. Elle sent une nouvelle énergie insufflée en elle, une euphorie que rien ne semble pouvoir miner. Le whisky… la seule chose qui parvenait à te faire oublier ta tristesse. Le seul remède à cette tristesse laissée par mon feu follet, puisqu’il semble que même la magie ne puisse m’accorder le répit que je mérite.
Emballée, elle déclare que ça brûle toujours, mais que c’est plus agréable. « Est-ce que c’est une sorte de magie ? » Cette fois, je ne peux me retenir de rire à gorge déployée. En voilà une question étrange. « C’est pas de la magie, la luciole ! m’écriai-je en essuyant les larmes de joie qui perlent au coin de mes yeux. C’est normal. Je pense que c’est juste une réaction normale du corps… à cause de ton cerveau, et tout… mais je suis pas médecin, hein ! » Ses questions sont intarissables. Elle me demande comment on appelle le nectar et comment il est fabriqué. Je réfléchis quelques instants. Je me rappelle avoir eu l’occasion d’en discuter un jour avec une femme rencontrée à Blindman’s Bluff. « On appelle ça du whisky, ma chère ! On le fabrique en distillant des céréales dans de l’eau dans un truc qu’on appelle un alambic, je crois… Je sais pas trop comment il font, mais je crois qu’ils doivent le réchauffer ou un truc du genre. Après ça, ils font vieillir le nectar dans un fût de chêne pendant quelques mois, voire quelques années, puis le tour est joué ! Je suis pas un expert, je me contente de le boire, vraiment… mais c’est un processus qui nécessite du temps et de la patience. Une qualité qui me fait défaut, malheureusement. »
Je lui fais signe de me passer la bouteille et avale rapidement une autre petite gorgée avant de la lui tendre de nouveau. « Il n’y a donc rien, parmi tous les trucs magiques que font les fées, qui puisse me permettre d’oublier cette peine qui ravage mon cœur ? N’y a-t-il donc pas de remède à ce mal qu’est le cœur brisé ? » Un brin de désespoir de se faire entendre dans ta voix. « Et vous ? Comment est-ce que vous fabriquez ces poudres que vous vendez ? Peut-être que l’une d’entre vous finira par en créer une qui permettra d’atténuer les maux comme celui que je ressens… »
Avant de tenter l'expérience de l'ivresse, Alkëstia questionna le poète sur la formule d'usage à prononcer, avant de boire. Elle voulait faire correctement les choses. Son professeur d'un soir lui expliqua les us et coutumes. Il semblait y avoir plusieurs formulations. « C'est assez curieux ! », songea le petite humaine. « Comme si les humains ne pouvaient pas tous avoir la même façon de s'exprimer ! C'est drôle, il semble qu'ils aient chacun leur propre façon de parler, selon de là où ils viennent. Peut-être était-ce ça la magie du langage ? » La fée y réfléchit quelques secondes. L'impatiente de goûter à l'ivresse chassa toutes ses interrogations, quant au langage humain en dehors de l'île. Elle leva son verre et après un « Salute », Alkestia porta la flasque à ses lèvres et vécut sa première expérience avec la boisson.
Le premier test ne fut pas une réussite. Du moins, pas pour la fée, qui avait son gosier en feu. Elle questionna le poète sur sa faculté à boire aussi facilement ce liquide ambré. Ce dernier haussa simplement les épaules, en répondant en riant que c'était l'habitude. Alkëstia était alors prête à s'y habituer, du moins essayer. Et puis, pour l'érudite, un seul test n'était pas assez concluant pour une expérience. Elle retenta avec une seconde gorgée. Cette fois, ce fut plus agréable. Le liquide était une douce violence à l'intérieur de son petit corps. La chaleur l'envahit et le rouge lui monta aux joues, mais elle n'en avait cure. La petite fée devenue humaine était heureuse de cette expérience, enfin réussite à ses yeux. Elle en fit part au moustachu. L'alchimiste le questionna alors sur ce liquide. Elle n'avait pas perdu le nord. La quête de la connaissance la guidait toujours, pour l'instant.
L'homme rigola à la première question. La fée croisa les bras sur sa poitrine, offensée que l'homme se moque d'elle. Elle ne dit rien, puisqu'elle apprenait de nouvelles notions. Ainsi, ce n'était pas de la magie, qui provoquait les effets ressentis par la fée. C'était une réaction physiologique du corps. « Intéressant. Je me demande si ce Whisky a le même effet sur une fée que sur un humain. Il faudrait que je teste cela quand je serais de nouveau une fée. Oh d'ailleurs ! Faut que je note les effets ! » Alkëstia sortit de sa poche un tout petit carnet et essaya d'y écrire ses notes, mais c'était peine perdue. Le carnet et le crayon étaient trop petits pour sa taille d'humaine. Elle soupira, les rangea, puis se jura de continuer à travailler sur sa poudre pour faire agrandir et rapetisser les objets. Alkëstia se concentra sur la suite des réponses de son professeur. Elle apprit de cette façon ce que savait le poète de la fabrication du Whisky. « Ce que les humains sont ingénieux ! »
Alkëstia redonna ensuite la flasque de Whisky à son propriétaire lorsque ce dernier le lui demanda. Il en but une gorgée, hurla son désespoir et lui repassa la flasque. La fée la reprit et but une troisième lampée de Whisky. « Non, je ne pense pas. Pour oublier, il y a la poudre Oubliette. Seulement, là encore l'effet n'est pas permanent. Je déduis que le remède est ce qu'il te fait défaut : la patience. Il n'y a que le temps qui répare ou non les dégâts, enfin les cœurs brisés. » La fée esquissa un sourire. Dans l'état qui était le sien, la fée ne sut dire si elle lui souriait à cause de l'alcool, d'une éventuelle compassion qui lui était peu commune, ou pour la situation dans laquelle elle se trouvait.
L'homme voulut également étoffer ses connaissances. Il demanda à la fée comment elles faisaient leurs poudres. « Hum. Peut-être, mais là encore l'effet ne durera pas, à moins de constamment prendre de la poudre. Pour répondre à ta question, nous faisons les poudres de façon similaire au Whisky, si je ne me trompe. Nous appelons notre art des poudres, l'alchimie. Certains ingrédients de nos poudres sont distillés, d'autres sont décantés. Cela dépend de la poudre et des ingrédients. Chaque poudre a ses propres ingrédients et son mode opératoire. Elles ont néanmoins toute au moins un ingrédient en commun : la poussière de fées. Sans elle, les poudres ne pourraient pas avoir leurs vertus. La poudre provient de notre Saule Sacré. D'ailleurs, l'atelier est dans le Saule Sacré. Il est l'âme de l'île. Ce n'est pas pour rien que les Elus ont dû se rendre auprès de lui pour lever la nuit éternelle. » Alkëstia but une autre gorgée et tendit la flasque au propriétaire. Leur objet de partage était quasiment vide. La fée se demanda si l'homme savait où en trouver davantage. La rousse appréciait ce nectar. Elle appréciait également la conversation avec cet inconnu, moustachu poète à ses heures, sans nom. Alkëstia se dit qu'il était temps qu'elle lève le voile sur son identité. Elle changea de position dans le faussé, et se mit sur ses genoux, face à l'homme au chapeau. « Je voudrais te remercier, le moustachu, pour ta leçon sur l'alcool, mais je ne connais même pas ton nom. Le mien est Alkëstia. » La fée lui sourit, ses yeux de couleur émeraude, pétillant sous l'éclat de la lune qui se levait, plongèrent dans le regard noisette de l'homme. Cette fois, elle savait pourquoi ses lèvres se fendaient d'un sourire. L'alcool la rendait guillerette et elle appréciait réellement cette conversation et ce moment avec le poète moustachu. « Je me demandais, est-ce tu sais...hum...où est-ce qu'on peut trouver d'autres alcools ? Ou le même. Ta flasque se vide vite. »