J’écoute avec attention les explications données par la fée sur la fabrication des fameuses poudres vendues par les fées. Je ne peux m’empêcher de me demander pour quelle raison les fées vendent leurs poudres plutôt que de les donner en cadeau. Quel intérêt pouvaient bien avoir les pièces d’or pour ce peuple ? En même temps… l’argent n’était-il pas un concept complètement insensé que les hommes avaient créé dans leur quête de puissance ? J’avais entendu dire que les sirènes n’utilisaient pas l’argent, qu’elles vivaient des ressources de la mer sans jamais rechercher à priver certaines des leurs. Les indiens quant à eux n’utilisaient pas beaucoup les devises monétaires que s’échangeaient les hommes dans les villes comme Blindman’s Bluff et One-Eyed Willy, ils recouraient plutôt au troc pour obtenir ce qu’ils désiraient obtenir. Aussi, je ne comprenais pas que les fées choisissent d’échanger leurs poudres contre de l’argent. Elles auraient pu demander quelque chose d’autre que des pièces en échange de leur précieuse marchandise… La luciole me raconte alors que leurs poudres sont fabriquées par divers processus, dépendant leur utilité, mais qu’elles ont toutes une chose en commun : la poudre de fée. Elle t’informe que la poudre provient du Saule Sacré. J’aurais bien aimé savoir où se trouvait ce fameux Saule Sacré, mais je ne lui demanderai pas. Pour une fois depuis longtemps, je passe un bon moment avec une autre personne et je peux avoir une discussion franche avec quelqu’un sans craindre de me faire rabrouer, puisque la créature semble plutôt intéressée par les sentiments humains. Ça n’est pas étonnant considérant que cette race ne ressent pas les choses comme nous les ressentons.
J’avais du mal à m’imaginer un existence comme celle qu’elle devait vivre. En écoutant ses paroles, je ne peux m’empêcher de comparer les fées à des abeilles. Focalisées sur leur travail, sur la place qu’elles ont au sein de leur communauté… Ça me semblait triste. Mais si elle ne connaissait pas une vie autre que celle-là, alors les sentiments qui rythmaient mon quotidien ne pouvaient pas lui manquer. S’agenouillant devant moi, elle me remercie pour la leçon sur l’alcool et se présente sous le prénom d’Alkëstia. Tiens donc ! Les fées avaient-elles des noms de famille ? Probablement pas, puisqu’elles ne naissaient pas comme les humains. Tu te contentes donc de ce simple prénom. Tout sourires, je lui tends la main en éludant : « On m’appelle Gabriel, la luciole, Gabriel Santini. Mais tu peux m’appeler Gabe. » Ses yeux pétillent d’une drôle de façon. Comme seuls les yeux de ceux en état d’ivresse peuvent briller. D’une voix légèrement pâteuse, elle me demande si je sais où on peut trouver plus d’alcool. Il est vrai que la flasque dans ma paume se vide plus rapidement que lorsque je suis le seul ivrogne.
Le regard un peu hagard, je tâte ma ceinture à la recherche de mon sac. Je dois l’avoir laissé derrière moi, parce que je ne sais plus du tout où il est. Je hausse les épaules. « En ville, on a plein d’alcool. Tu devrais passer y faire un tour un de ces quatre ! » Des voix étouffées parviennent à mes oreilles. Merde ! J’avais complètement oublié ses compatriotes dans la boutique de poudres ! Je me ressaisis rapidement. Lui fourrant la flasque dans la main, je m’écrie : « Dis donc… il se fait plutôt tard. Je crois que tes amies reviennent par ici. Je crois qu’il est mieux que je m’en aille. Quoi qu’il en soit, je te laisse ma flasque. Un souvenir, un cadeau ! Si jamais tu as envie de te prendre un plus grosse cuite, tu me trouveras dans la Forêt des Larcins ! C’est pas très loin de One-Eyed Willy ! »
Me campant sur mes pieds, je m’empare de mon mousquet et me retourne vers la rouquine qui tarde à se remettre sur ses pieds. Quel bougre, je fais, pensai-je. « Attends ! Je vais t’aider à te remettre sur tes pieds. Vas-y doucement en retournant vers ton Saule Sacré. L’alcool a cette tendance étrange à nous faire perdre l’équilibre… » Tu tires la fée grandeur nature sur ses petits pieds en riant avant de reculer de quelques pas. Jetant la ganse de ton mousquet sur ton épaule, tu lui adresses un dernier sourire avant de tourner les talons pour t’enfoncer dans la nuit.
Face à face avec son initiateur d'ivresse, la fée, devenue humaine pour un temps, lui dévoila son prénom. Elle s'enquit ensuite du professeur de l'amour. Alkëstia apprit que le poète se nommait Gabriel, et plus précisément Gabriel Santini. Santini était-il une sorte de nom pour le rattacher à une famille ? Il semblait que c'était le cas pour la fée, que c'était ce à quoi servait le nom. Alkëstia ne se souvenait plus d'où elle le savait. Est-ce que c'était parce qu'elle l'avait lu dans un livre ? Quelqu'un le lui avait-il dit ? La mémoire faisait défaut à l'alchimiste sur ce point. Elle le savait, un point c'est tout. Ce que savait aussi la fée était ce à quoi un surnom servait. Gabriel venait de lui donner le sien : Gabe. « C'est noté Gabe. Tu peux m'appeler Flamboyante ou Tia. A ta convenance. »
Alkëstia, se rendant compte que la flasque se vidait rapidement, s'enquit auprès de Gabriel, s'il y avait un autre moyen de se procurer de l'alcool. L'expérience était instructrice et enivrante. La fée n'avait aucune envie de l'arrêter, bien au contraire. D'ailleurs, Gabriel semblait connaître un endroit. Il lui partagea l'information. Alkëstia acquiesça la tête en un mouvement affirmatif, signe qu'elle comprenait l'information. Néanmoins, ce n'était pas tout à fait vrai. La fée croyait comprendre. Quelques secondes après son signe de compréhension, elle s'interrogea. Pour obtenir de l'alcool, elle devait se rendre en ville. Laquelle ? La fée l'ignorait. Tout ce qu'elle savait c'est que l'alcool se trouvait en ville. Il semblait plus qu'évident que toutes les villes humaines de l'île devaient posséder un lieu pour se procurer le nectar. La fée en vint à cette conclusion. Ses idées commencèrent à s'embrouiller. C'était quoi déjà une ville ? Alkëstia chercha quelques secondes dans sa mémoire. C'était un lieu de rassemblement humain ? Oui, ça devait être ça. Pourquoi ce qui est évident et limpide devenait confus et brumeux, quelques secondes plus tard ? Alkëstia commençait à ne plus avoir les idées claires. Elle se surprit à observer le monde d'une vision différente d'il y a quelques minutes. Etait-ce normal ? Depuis combien de temps voyait-elle de cette façon ? Pourquoi n'avait-elle pas remarqué cela plus tôt ? La fée n'avait plus sa lucidité habituelle. Elle ne pensa même pas à s'interroger, ni à noter mentalement le phénomène, pour le retranscrire plus tard dans son carnet. Pour la première fois de sa vie, elle vivait simplement l'expérience, sans penser à prendre des notes, ni même à l'étudier. L'alchimiste était devenue une autre version d'elle-même, moins sérieuse et plus détachée de l'étude des faits.
Du mouvement se fit entendre non loin du duo. Gabriel fut le premier à réagir. Il donna sa flasque à la rousse, en la lui mettant en main. Alkëstia la leva et lança un « Salute », avant de boire une gorgée cul sec. La fée apprécia ce calice. Néanmoins, toute chose a une fin. Son initiateur au nectar ambré lui annonça que le temps avait passé. Il était temps pour lui de rentrer. Il lui offrait néanmoins sa flasque. Un sourire reconnaissant vint illuminer le visage coloré de la fée. C'était la première fois qu'un humain lui offrait quelque chose, sans rien attendre en retour. Elle venait d'avoir un véritable cadeau de la part d'un humain ! La fée en était honorée. D'ordinaire peu tactile, elle prit la main de Gabriel dans la sienne et la serra en le remerciant. Elle se souvenait d'avoir vu des humains se serrer la main de cette façon. Alkëstia n'avait pas compris pourquoi et elle ne savait pas si c'était la bonne coutume, pour ce genre d'occasion. Cela ne l'empêcha pas de le faire, ne connaissant pas d'autres coutumes humaines pour lui montrer sa gratitude. Gabriel ne s'en formalisa pas, puisqu'il poursuivit en lui donnant sa localisation. Flamboyante le regarda et lui répondit. « C'est noté pour la Forêt des larcins, Gabe. »
Alkëstia regarda Gabriel se lever sans difficulté. Ce ne fut pas son cas. Son corps d'humaine était beaucoup plus encombrant que son corps de fée. L'alcool ingurgité ne jouait pas non plus à en sa faveur. Le poète le remarqua rapidement et lui prêta main forte. Il la gratifia même de recommandation. La fée enivrée le remercia et prit la direction du Saule Sacré. Elle fit quelques détours et finit par s'endormir sous forme humaine non loin de Pixie Hollow, pour reprendre sa véritable apparence le lendemain.