La pénombre suffocante très vite ne fut plus qu’un mauvais souvenir, la voix grave de Silver vint s’élever dans la faille, résonnante contre les parois glaciales. Alors elle n’avait plus l’impression d’avoir atterri dans les limbes du monde ou dans un enfer sans retour. La jeune femme écouta avec attention les directives de son capitaine et avança. Tout semblait facile, il n’y avait que ces petits yeux brillants aux reflets de sa torche qui pouvaient lui arracher quelques sueurs froides quand elle les croisait. Elle en avait vu de ces choses, aussi était ce grâce à cela qu’elle parvenait à garder son calme et à faire preuve de sang froid en sillonnant dans l’inconnu. La torche placée en avant pour éclairer le maximum d’espace, elle vit toutes sortes de petites créatures vivant dans l’obscurité et ne préféra jamais s’en approcher de peur que ces dernières soient venimeuses. Anne avait beau être sur Neverland depuis un moment, elle ne connaissait pas toutes les espèces vivantes qui grouillaient sous terre et par-dessus, néanmoins son expérience fait qu’elle ne préfère pas tenter le diable et passer son chemin avec discrétion.
Évoluant habilement, les gouttes d’eau tombant sur sa tête était une chose dont elle se serait bien passer et qui par moment lui provoquaient des spasmes. C’était tout bonnement insupportable. Mais Anne continua, tombant finalement sur le coffre qu’ils étaient venus chercher. Haussant la voix pour prévenir qu’elle l’avait trouvé, Anne tapa contre le bois pour vérifier que celui-ci n’était pas vide ou en remontant elle attirerait d’autant plus la colère de l’équipage. Elle fut heureuse alors de constater que le coffre sonnait plein et s’empressa de nouer la corde solidement autour de celui-ci pour que les gars puissent remonter le tout.
Le nez levé sur le haut de la faille où elle ne percevait que de faibles traces de lumière, Anne soupira doucement – encore un peu et elle pourrait sortir enfin de ce trou. Pendant un court instant, elle eu peur qu’on ne l’abandonne mais fut rassurée de pouvoir remettre la main sur cette corde. Abandonnant la torche par terre, la pirate s’empressa de se sécuriser pour entreprendre son escalade. Et là elle était une nouvelle fois dans l’inconfort puisqu’elle devait faire confiance à des hommes qui un jour plus tôt étaient tous prêts à la saigner. Le cœur battant sous l’angoisse, Anne commença sa remontée, prenant son temps pour appréhender des prises qui la sécuriseraient en cas de mauvaise surprise. Mais tout se passait bien, alors elle décida de leur faire confiance et seulement se laisser remonter au lieu de prendre le temps de se saisir de roches. Mais une sensation lourde vint la saisir par les tripes quand soudainement la corde sembla lâcher. La chute infernale lui donna l’impression de faire un arrêt cardiaque jusqu’à ce qu’elle cesse brutalement avant qu’elle ne rencontre le sol. Tremblante, Anne soupira doucement, elle n’appréciait pas la petite blague et en percevant de nouveau la voix du capitaine elle comprit qu’il était celui qui l’avait rattrapée.
« J’ai connu mieux. » Fit-elle remarquer en grinçant des dents, excédée.
Anne fut de nouveau remontée, la colère infusant dans ses veines, elle serrait les dents jusqu’à retrouver la lumière et les pieds bien ancrés au sol. La jeune femme remercia le capitaine d’un geste silencieux avant de reporter son regard noir sur l’équipage. Le coupable vint se trahir d’un sourire satisfaite, d’un rire qui s’échappa d’entre ses lèvres et qui fut ainsi la provocation de trop. Anne se débarrassa de la corde et se jeta sur l’homme. Le chargeant comme un taureau, Anne le plaqua au sol et posa ses mains sur sa gorge commençant à l’étrangler avec la ferme intention de lui faire payer. Elle ignorait si elle était capable de s’arrêter avant que son cœur ne lâche, quoi qu’il en soit, avoir prise sur sa peau était en quelque sorte un bon moyen pour elle d’extérioriser tout le stress qu’elle avait soudainement emmagasiné.
« Et si j’t’arrache la gorge tu ris encore ? » Menaça la pirate entre les dents.
Elle n’eut pas le temps d’allier les gestes à la parole que des hommes vinrent l’attraper par les bras pour lui éviter de commettre l’irréparable et la relever. Celui qui venait de se recevoir les foudres de l’irlandaise en revanche ne semblait pas faire le fier, ayant visiblement compris qu’elle n’était pas du genre à plaisanter et qu’elle n’hésiterait pas à tuer si nécessaire.
« C’est comme ça que tu remercies quelqu’un qui t’a aidé ?! Espèce de lâche !!»
C’était un comportement inacceptable pour elle, d’autant plus qu’elle avait beaucoup risqué en allant lui sauver la mise. Elle avait fait un premier pas vers eux et avait espéré que le retour arrive mais elle était très déçue. Anne espérait alors que le capitaine puisse intervenir car il ne s’agissait pas seulement que d’elle. Sur le navire de James, toute tentative d’assassinat était sévèrement punie, elle se demandait si les codes de la piraterie traversaient les mondes.
Avec l’aide de quelques bonnes âmes qui se remirent au travail, John tira et tira encore sur la corde afin de remonter sa protégée. A vrai dire, il avait un peu de mal à avoir des appuis stables dans le gravier avec sa jambe de bois. Mais il donnait le maximum pour la sortir de là, et lorsque finalement il vit sa tête de rouquine reparaitre, il lui adressa un sourire et lui tendit la main pour les derniers pas. Un gentil coup amical dans l’épaule, et il chassait d’un revers de manche ce souvenir. Il avait sa petite idée pour régler les différends à bord du Walrus, mais il faudrait user de patience au sein de l’équipage, et c’était déjà compliqué de les gérer présentement, alors c’était d’une lourde tâche qu’il s’acquittait. John vérifia rapidement qu’Anne se portait bien, mais il en eut la confirmation bien trop rapidement.
Sous ses yeux, il vit la jeune femme se jeter sur celui qui avait tenté de la tuer. Elle ne semblait montrer aucun signe de peur, ce qui lui arracha un sourire parce qu’il avait besoin de gens comme elle. Ce comportement serait parfait pour lui, et il mettrait à profit bien des abordages avec une créature pareille dans son équipage. Il aimait de plus en plus ce qu’elle semblait dégager, et c’était tout autant bénéfique pour elle. Mais pour le moment, il se contenta de savourer cet agréable spectacle que de la voir se jeter avec autant de rage sur celui qui l’avait fichu dans le pétrin. Elle tenta de l’étrangler, et étonnement, elle le maitrisa plutôt bien. John aurait pensé que le bougre aurait la supériorité, mais il ne se rappela que trop rapidement qu’il lui manquait une main. Cela lui donnait un peu l’impression de regarder ces combats de chiens organisés dans les rues sombres.
Il contemplait non sans une certaine satisfaction ce que la jeune femme était en train de faire, jaugeant son potentiel, et il était épaté. S’il savait qu’elle avait déjà tué son mari, être témoin d’une pareille colère lui montrait à quel point elle n’avait pas froid aux yeux. Peut-être ferait-elle un bon second, mais il avait encore besoin de tester sa confiance en elle. Alors enfin, il demanda à ses hommes de la stopper en la tirant de sa victime. John la regarda avec un large sourire qui n’était pas sans montrer sa sournoiserie ; il la félicita d’un coup d’œil. Alors, il demanda à ses hommes de porter le coffre, et leur ordonna de faire demi-tour.
« Et toi, tu te bouges aussi » adressa-t-il au crétin qui était encore à terre. « J’sais bien qu’ça t’fous la honte de t’faire avoir comme ça par une femme, mais tu fous de côté ta fierté et t’aides les autres. J'réserve mon jugement pour ta pomme, mais j'ai déjà mon idée. » Sur ses mots, il ne dévoila rien de plus. Ils firent le trajet en sens inverse, John réclamant d’Anne qu’elle reste à l’écart de cet imbécile pour éviter une nouvelle confrontation. Il aurait bien pris quelques minutes d’amusement supplémentaires, mais le temps leur était précieux, c’est pourquoi il avait préféré les séparer. Ils redescendirent le long de la rivière puis au travers de la forêt, jusqu’à rejoindre finalement les chaloupes. John fit encore attention de séparer Anne de l’autre, mais il voyait bien les regards piquants qu’il lui jetait. Ceci étant, il avait sa petite idée, et il s’en réjouissait d’avance.
Une fois à bord, John ne se priva pas pour réclamer du sale boulot de la part de celui qui avait mis à rude épreuve sa patience. Il lui fit récurer la vaisselle, peler des patates et laver le sol, en profitant bien sûr pour se foutre de lui un bon nombre de fois et de manières tout aussi variées qu’il ne lui était possible de le faire. Finalement, lorsque toute cette mascarade fut finie, il dévoila enfin son idée.
« Billy, t’es maître canonnier, n’est-ce pas ? » l’autre répondit que oui, c’était bien son poste. « Et bien plus maintenant. Anne, j’ai pas besoin de te faire le topo sur ton nouveau poste ici, non ? »
Anne serra les dents, se retenant toutefois de lui sauter de nouveau dessus quand les hommes la relâchèrent petit à petit. La pirate écouta les dires du capitaine qui penchaient en sa faveur et une fois de plus lui indiquaient qu’il appréciait ce qu’elle faisait et sa manière d’être. Le cœur cognant sous l’adrénaline et la rage, Anne fusillait du regard cet homme qu’elle aurait aimé sentir mourir sous ses doigts. Lâcheté, ingratitude, les hommes comme eux ne méritent pas de faire parti d’une équipe car ils sont de ceux qui seraient près à vous mettre un coup de couteau une fois le dos tourné. Et autant le dire, si elle montait de plusieurs échelons sur le navire, il ferait parti de ceux qu’elle laisserait sur le quai, d’une part parce qu’il remettait en doute les décisions du capitaine mais aussi parce qu’on ne pourrait clairement pas lui faire confiance.
Et le trajet retour fut entamé, Anne était plongée dans sa colère, obéissant à Silver qui ne voulait pas la voir s’approcher de ce rat de cale. La jeune femme marchait d’un pas nerveux et empressé, prenant les devants avec les éclaireurs, donner des coups de sabre dans les buissons lui faisaient grand bien qu’à chaque fois elle imaginait la tête de cette ordure à la place. Elle ignora les regards un peu méfiants qu’on lui lançait, visiblement ils commençaient tous à la connaitre et avaient ainsi vite fait de comprendre qu’elle n’était pas une femme qu’il fallait contrarier puisqu’elle n’avait aucune pitié à donner des coups.
Arrivé au navire après avoir fait un peu de chemin en chaloupe, il y avait un grand silence sur le pont, tous observaient le coffre avec beaucoup d’intérêt mais il devait d’abord passer dans la cabine du capitaine pour qu’il le compte avec celui qui s’occupait des comptes du navire. Anne croisa le regard de l’homme qui l’avait poussée, elle le vit en compagnie de Silver qui visiblement lui donna quelques corvées pour qu’ils n’aient pas à se croiser. On leva l’ancre et le vent s’engouffrant dans ses longs cheveux roux lui fit le plus grand bien. Anne montait aux mats pour aider sur les voiles, redescendait pour se montrer utile ailleurs. Son sens du détail à chaque fois faisait qu’elle était toujours bien placée, elle avait toujours quelque chose à faire, à arranger, à vérifier et puisque la mer était clémente, tout se passait aussi bien qu’à l’allée. Elle entendait cependant les matelots discuter, alors que sans grande surprise, certains avaient déjà vendu la mèche sur ce qu’il s’était passé avec Anne. Néanmoins l’on savait qu’elle avait contribué à localiser le coffre et à le ramener. Si certains préféraient souligner qu’elle avait été frapper Billy, d’autres vantaient ses mérites en disant qu’elle était descendue dans ce trou sombre sans la moindre hésitation. On ne savait toujours pas quel genre de personnage elle était, puisque les femmes comme elle ne courraient pas les rues mais le vent tournait en sa faveur et ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’elle gagne le respect.
A un moment, alors qu’elle était sur le pont et qu’elle s’occupait de nouer des cordes, Billy remonta, croisa Silver et elle leva les yeux sur ces deux silhouettes quand le dialogue entre eux s’entama. Le capitaine déclara qu’Anne était désormais maitre canonnier à sa place. La concernée étira un fin sourire satisfait tout en reportant son regard sur ce qu’elle était en train de faire. Passer officier après quelques heures de navigation, c’était sans doute un beau record et elle était plutôt fière d’elle pour le coup. Silver s’adressa à elle, acquiesçant, elle entreprit d’aller vérifier toutes sortes de choses concernant son poste mais n’eut le temps de faire que deux pas que l’homme l’attrapa par le bras pour l’empêcher de partir.
« Vous voyez pas que cette sorcière vous a j’té un sort pour avoir le poste ?! » Cracha t-il en secouant Anne.
Anne se libéra de son emprise et ne se fit pas prier pour lui décoller une gifle d’un revers de main pour qu’il s’éloigne d’elle.
« T’y réfléchira avant de te comporter comme un rat, traitre ! Je plains l'équipage d'avoir un camarade aussi lâche que toi prêt à tuer quelqu'un qui t'a sauvé la mise ! » Répliqua Anne.
La jeune femme fit le choix de ne pas s’y attarder et prit le chemin des cales pour aller vérifier tout ce qui concernait son nouveau poste, passant par l’état des canons, au stock de poudres et de boulets. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant leur état, quelque part ça ne l’étonnait pas puisqu’elle l’avait vu picoler au lieu de faire son travail. Heureusement qu’ils n’avaient pas été attaqués où le Walrus se serait fait envoyer par le fond. Du coup, Anne fit venir deux trois moussaillons pour y remédier et mit les mains dans la crasse pour les remettre en état le temps du reste du voyage.
L'annonce qu'il venait de faire sembla décrocher exactement les réactions qu'il avait escomptées. Le capitaine du Walrus vit un large sourire se dessiner sur les lèvres de la jeune femme, et s'il ne lui adressa aucun sourire en retour, l'attention était là, et il était certain qu'il avait pris la bonne décision. Anne n'était pas là depuis très longtemps, c'était même son premier voyage avec eux, mais elle avait rapidement montré ce que John avait attendu d'elle. C'était quelqu'un qui ne semblait pas avoir froid aux yeux, et qui n'avait pas peur du travail qui pourrait l'attendre. En somme, c'était le genre de matelot que n'importe quel capitaine aurait voulu dans son équipage, et elle représentait un atout non négligeable pour le Walrus. Ceci étant, ce n'était pas le moins du monde ce à quoi Billy s'était attendu, et il eut tôt fait de manifester son mécontentement en râlant de sa voix graveleuse. John arqua un sourcil, il n'avait pas franchement l'intention de rentrer dans les débats maintenant, sa décision était prise et il savait que c'était largement profitable au Walrus. D'ailleurs, s'il voulait un jour avoir l'espoir de toucher les sommets, il fallait bien qu'il se sépare des quelques derniers bougres qui ne se pliaient pas assez bien à ses ordres. Et force était de constater que celui-ci en faisait partie. Alors, il commença à plaider sa cause en insultant Anne de sorcière, ce qui arracha un rire rauque au capitaine.
« Arrête tes conneries, tu r'tournes bosser ou bien t'auras pas ta part » ajouta-t-il pour compléter ce que venait de lui répondre Anne. Billy, c'était le genre d'homme qui croyait facilement à toutes ces légendes de sorcellerie ou autres, ce qui n'était pas franchement le cas de John. Il dévisagea Anne un instant, lui faisant signe de reprendre son poste et de faire ce qu'elle avait à faire. Avec ça, elle aurait déjà plus de boulot et si elle le faisait correctement, premièrement cela montrerait sa détermination, et ensuite cela plairait certainement aux derniers réticents qui pourraient constater qu'elle faisait son travail au même titre qu'eux. John avait toujours eu une vision des femmes déplorable, à quelques exceptions qui se comptaient sur les doigts de la main. Si habituellement il les côtoyait seulement pour les retourner sur la table, il découvrait avec intérêt qu'il en était des différentes. Parmi elles, Anne était sans doute celle qui le surprenait le plus, et cela lui plaisait bien.
Finalement, le capitaine laissa Anne à sa besogne, et il désigna un sceau et une serpillière à Billy, d'un coup de menton. « Bouge-toi » lui ordonna-t-il simplement, d'une voix grave et assurée. Et il les laissa pour regagner sa cabine, se laisser choir dans son fauteuil et soupirer un bon coup. Il se pencha pour attraper une bouteille de rhum qu'il avait laissée sur le coin du bureau, s'y abreuvant avec peu de retenue. Il était assez épuisé de leur expédition sur terre, d'une part parce que marcher dans la jungle dans sa condition n'était pas aisé, mais marcher sur terre, c'était sans doute l'une des choses qu'il détestait le plus au monde. Alors, il se posa tranquillement avec le journal volé entre les mains, passant bien quelques heures à en déchiffrer les lignes manuscrites quand on toqua à sa porte. Il ordonna d'entrer, découvrant le visage de Billy, qui affichait une expression à demi-mesure entre la frustration et la haine. John lui adressa un bien large sourire, sachant pertinemment pourquoi il était là, et ce qui allait l'attendre s'il ouvrait la bouche.
« Capitaine, j'viens pour vous parlez d'la sorcière » eut-il seulement le temps de dire que déjà, John s'était levé et l'avait empoigné par les cheveux pour le trainer dehors. Il s'approcha des hommes qui étaient regroupés sur le pont, demandant à ce qu'on lui sorte un mousquet. Quelqu'un se désigna rapidement pour le lui fournir, les hommes craignant certainement la colère de leur capitaine. Alors, John se retourna vers celui qui lui posait problème.
« Tu vois, on est pas encore si loin que ça de l'île. Alors j'te conseillerais de te grouiller si tu veux réussir à nager jusque là bas, et tu devrais même plonger maintenant si tu veux retrouver ton arme » fit-il, et il jeta le mousquet à la mer, prêt à y pousser également Billy s'il n'était pas assez rapide à sauter. « Et vous autres, que y'en ait pas un qui l'ouvre ce soir parce que j'suis en forme pour vous envoyer par le fond ! »
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Dernière édition par Long John Silver le Dim 22 Jan 2017 - 15:49, édité 1 fois
Anne entendit de l’agitation sur le pont, quand Silver y passait, sa jambe de bois tapant contre le plancher résonnait en coups réguliers dans la cale. La pirate se demandait ce qu’il se passait, jusqu’à ce que les échos de la voix du capitaine lui parvienne aux oreilles. Le fameux Billy semblait encore avoir fait des siennes et cela n’avait clairement pas plu à Silver qui maintenant voulait le dégager du navire. Anne décida de ne pas se montrer pour ne pas attiser et alimenter les discussions tournant autour d’elle, cependant elle ne manquerait pas d’aller en parler au capitaine. Il n’y avait aps beaucoup de vent, l’allure du bâtiment sur les mers était relativement lent à ce qu’il est normalement capable d’encaisser et cela allait allonger leur séjour en mer. Ça ne l’arrangeait pas, elle aurait voulu rentrer vite fait au port, que tout le monde puisse avoir le temps de prendre du recul et décider si oui ou non ils faisaient bien d’accepter Anne sur le navire. Les avis semblaient tourner en sa faveur, mais la jeune femme pensait que c’était toujours mieux de pouvoir prendre un peu de recul. Essuyant ses mains crasseuses dans un torchon, elle s’approcha de l’escalier pour entendre ce qu’il s’y passait au dessus avec grande attention.
Billy était sans doute encore allé se plaindre d’Anne ou alors il avait mis sa patience à rude épreuve et payait le prix. Ils n’avaient pas le droit de remettre en cause de l’avis du capitaine dans la mesure où la décision prise profitait à tout l’équipage – en outre, elle les avait aidé à récupérer un coffre. Mais quelque chose dérangeait Anne encore. Elle ne prit pas le risque d’aller raisonner Silver, ce n’était pas son rôle, alors elle resta attentive au moindre son provenant de cette scène qui aurait tôt fait de faire parler l’équipage. Anne soupira doucement, puis entendit le bruit des éclaboussures quand Billy plongea finalement à l’eau, maudissant le capitaine alors que le navire poursuivait son chemin. C’en était fini de lui, il finirait par mourir dans ce coin là et alors sa place ne pourrait pas être remise en cause. Anne retourna à son travail, fit quelques aménagements de sorte que tout soit plus facilement accessible en cas d’attaque mais aussi dégager un peu l’espace qui avait été beaucoup trop occupé pour rien au final.
« Pourquoi tu fais ça Bonny ? » Fit un gars qui râlait de devoir tout redéplacer alors qu’il estimait avoir mieux à faire. « Parce qu’on compte bien tomber sur un gros butin a un moment non ? Faut faire de la place ! » Répliqua t-elle.
L’homme étira un sourire, étouffant un rire gras et finalement se remit au travail. Finalement elle les aimait plutôt bien ces gars, leur ancien second ne devait pas souvent placer d’espoirs en eux, ni les motiver et c’était bien dommage. L’homme à qui elle avait dit ça aimait l’idée qu’ils puissent un jour mettre la main sur un gros butin et commença à en débattre avec un autre de ses collègues. Anne les écoutait d’une oreille, continuant son travail, mais fut étonnée qu’ils essayent de la faire participer. La jeune femme n’avait à vrai dire pas tellement de conversation, peu habituée à ce que l’on s’intéresse à elle de manière plus personnelle. Elle leur répondit toutefois honnêtement, et ils furent ainsi bien placés pour comprendre qu’elle n’avait pas grand-chose dans la vie si ce n’était son grand amour de l’océan et de la liberté que celui-ci lui offrait. Ils étaient étonnés semblerait il, d’avoir à faire à une femme qui ne s’intéresse pas au nombre de parures et de souliers qu’elle possède. Et pourtant il n’y a pas qu’elle mais cela confirmait qu’ils étaient pour la plupart ancrés dans leurs stéréotypes puisqu’ils ne croisaient que des femmes pour tirer leur coup. Ils auraient pourtant tout intérêt à se méfier d’elles, à force de les prendre pour des idiotes, c’est eux qui se font pigeonner.
Alors qu’elle avait fini, la journée touchait à sa fin, ils atteindraient de nouveau les côtes de One-Eyed-Willy sans aucun doute en fin de matinée dès le lendemain s’ils levaient l’ancre assez tôt. En attendant, ils trouvèrent un coin tranquille où s’amarrer tout près d’un îlot ridicule de quelques mètres carrés surement mais cela leur permettait de se dégourdir les jambes sur la terre ferme. Anne décida de rendre visite à Silver, afin de discuter un peu. Elle toqua à l’entrée de sa cabine, puis attendit l’autorisation pour entrer.
La jeune femme referma la porte derrière elle et croisa le regard de son capitaine.
« J’t’ai pas remercié pour la promotion…J’t’avoue que j’m’y attendais pas. »
Anne demanda l’autorisation d’un regard pour s’asseoir sur l’un des fauteuils, lui faisant comprendre qu’elle souhaitait discuter de certaines choses avec lui.
« Billy, j’sais pas c’qu’il t’a dit, mais t’aurais pas dû l’envoyer par-d’ssus bord. Tu m’avais dit d’régler ces problèmes seule, maintenant que t’as pris parti tu risques d’voir certaines têtes en colère. »
Anne appuya son dos contre le fauteuil, visiblement embêtée.
« C’pas dans mon intérêt que ton équipage doute de toi par ma faute. » Conclua t-elle à ce propos. Anne n’avait cependant pas fini, ce n’était à vrai dire qu’une introduction.
« mais en parlant de mauvais éléments...Tes canons étaient dans un sale état, si on s’était fait attaquer, on se serait fait descendre. Mais j’ai surtout l’impression que c’est c’que ce Billy aurait voulu et ça date pas de mon arrivée. Y’a plein de trucs qui m’ont mis la puce à l’oreille. J’crois qu’y’en a qui vous aiment pas beaucoup et qui prévoyaient de faire une mutinerie. Si lui y est plus, y’en a d’autres qui agissent encore dans l’ombre et qui sabotent votre batiment.» .
John resta impassible, son visage affichant une expression indescriptible. C'était comme s'il était de marbre, que même jeter un homme qu'il connaissait depuis une dizaine d'années par dessus bord ne lui donnait pas l'once d'un sentiment d'empathie. Il avait revêtu son masque de marbre, froid et distant, à fixer les yeux apeurés de celui à qui il ordonnait de sauter. Avec un peu de chance, et s'il se grouillait au lieu de traîner à l'implorer, il aurait de quoi récupérer le mousquet pour se foutre en l'air s'il arrivait jusqu'à l'île. Et s'il ne le faisait pas, il mourrait sûrement de faim avant qu'un quelconque navire ne s'approche de ce coin-là. Force était d'admettre que l'option n'était pas à dispenser, et elle serait sûrement son seul espoir. John le fixait encore, son regard bleuté qui le transperçait comme un pic de glace en plein cœur, il ne lui adressa qu'un signe du menton, dirigé vers les vagues denses qui s'agitaient contre la coque du bateau. Il n'eut pas besoin d'insister pour que l'homme n'obéisse et finisse par sauter par dessus le bastingage, laissant ses yeux perçants détailler sa silhouette qui s'enfonçait dans la noirceur des abysses. Et ça ne lui faisait rien.
John s'en retourna rapidement à ses affaires, il passa dans les cales afin de vérifier que chacun était à son poste, que chaque homme à bord avait quelque chose à faire et le faisait bien. Il les encouragea avec son sarcasme habituel, mais il n'avait aucune envie d'être parmi eux ce soir-là. Alors, il s'était retiré dans sa cabine, à lire des cartes et à les étudier, à faire les comptes, à planifier les marchandises qu'ils auraient besoin de se procurer une fois à port. Il avait de quoi s'occuper de longues heures, et il travailla un bon moment avant de ne finalement entendre quelqu'un frapper à la porte. Il donna son autorisation pour que la personne entre, et il fut relativement soulagé de voir qu'il s'agissait d'Anne, parce qu'il n'avait nullement envie d'entendre les plaintes de ses hommes. Elle demanda à s'asseoir, et commença bien vite à exposer la raison de sa venue.
« Ma petite, je sais que ça te paraît certainement pas juste, mais je vais te dire une chose et tu vas bien m'écouter. Ce mec-là, je l'ai pas dégagé parce qu'il avait un problème avec toi, je l'ai dégagé parce qu'il avait un problème avec les ordres que je lui ai donné. Tes soucis, effectivement, tu les règles seule, mais là ce n'était pas seulement toi que ça concernait. » Il marqua une pause pour entendre le reste de ce qu'elle avait à lui dire, jouant de ses mains avec un compas qui était posé sur le large bureau. Elle lui avança alors ses soupçons quant à une possible mutinerie, ce qui fit doucement sourire le capitaine. Il avait eu quelques soupçons également, mais de son statut c'était bien plus difficile à déceler que pour quelqu'un comme Anne. Et finalement, cela l'arrangeait bien d'avoir une sorte de taupe comme ça.
« Là, tu y es. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles il est passé par dessus bord. Ça fait un moment qu'il questionne mon autorité, et effectivement cela ne date pas de ton arrivée. Maintenant, si tu peux m'aider à mettre un peu d'ordre là dedans et à surveiller les gars, ce s'rait pas de refus. » Il se leva pour aller déboucher une nouvelle bouteille de rhum, l'ancienne n'ayant pas fait long feu. Il était tendu, ces derniers temps, et si l'arrivée de Anne ajoutait au tumulte général, elle n'était pas sans lui rendre un bon service ; il appréciait sa persévérance et son sens du devoir, et elle avait tout à fait sa place ici. « Si t'as besoin de nouveau matériel pour remplacer ce qui est usé, tu me feras un récapitulatif, et je m'occuperais d'aller acheter ça en ville quand on sera amarrés. T'as pas trop de mal avec les autres gars ? Parce que si on a jeté leur chef ça peut tout bonnement tuer leur mutinerie dans l’œuf, mais si tu as d'autres soupçons, n'hésite pas à creuser et à m'en parler. Je compte sur toi pour pas t'faire attirer par le mauvais côté ici. »
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Dernière édition par Long John Silver le Dim 5 Mar 2017 - 13:47, édité 1 fois
Le capitaine Silver n’était pas de ces types parfaitement prévisibles, et en venant lui exploser les raisons qui l’avaient poussé à bannir un homme elle se rendait compte qu’elle avait eu faux sur toute la ligne. Ça la rassurait et en même temps cela ne faisait qu’accroitre le respect qu’elle avait pour lui tandis qu’elle l’écoutait avec grande attention, parce qu’il avait totalement raison d’agir de cette manière et elle ne pouvait servir qu’un homme qui savait user de sa matière grise avant de penser à ses muscles ou sa manière de combattre. Un diable de pirate ne l’est que s’il est intelligent, et Silver, c’était précisément ce qu’il était. Anne se priva d’étirer un sourire satisfait, elle savait dès lors qu’elle pouvait l’appeler « capitaine » sans le moindre doute et qu’elle serait bientôt sans doute prête à le suivre jusqu’en enfer s’il le lui demandait. Il avait alors toute sa confiance, sa loyauté et bien que cela arrive assez vite, plus vite qu’en temps normal, Anne était sure de son cou et maintenant plus que tout, elle voulait devenir le second de ce navire. Elle devait continuer de gagner sa confiance pour cela, et nourrir cette complicité qui déjà montrait le bout de son nez dans leurs discussions.
« Aye, j’ai encore des trucs à vérifier, mais je te donnerai la liste très vite. J’pense que ce s’rait pas mal d’changer les canons bientôt, si on croise un navire on pourrait s’en tirer avec des canons en bien meilleur état le temps de refaire place au neuf et pour bien moins cher. »
Anne connaissait son poste même si elle avait exercé bien plus longtemps en tant que second du capitaine. Elle prenait ce nouveau rôle très à cœur et comme tout pirate savait le penser, il y a toujours de bons moyens de faire des économies. Alors Anne ne disait pas seulement cela parce qu’elle voulait voir le Walrus à l’attaque, elle ne doutait pas de sa puissance à en juger sa réputation – disons que cela pouvait aussi bien satisfaire sa curiosité de découvrir d’autres facettes du capitaine que l’on surnomme « Barbecue ».
« Quand aux autres, j’vais me faire discrète, mais t’as raison faut faire le ménage ou alors ils arriveront à retourner le cerveau des autres avec ce qu’il se passe. Et c’est hors de question que je sois la motivation de plus d’une mutinerie latente. »
Sur ces mots d’un commun accord pour la suite, Anne prit congé du capitaine, après lui avoir présenté ses respects et sorti de la cabine. La jeune femme sentait toujours autant de regards haineux sur elle mais plus le temps s’écoulait plus ces regards là ne se comptaient sur les doigts d’une main. Les autres avaient fini par l’accepter en voyant de leurs propres yeux qu’elle n’était pas qu’une gamine mais qu’elle avait la piraterie dans le sang.
Anne s’empressa de continuer sa tâche, listant tout ce qu’il y avait à changer, continuant de mettre les mains dans la crasse pour remettre en bon état d’usage tous les canons du bâtiment. C’est avec acharnement qu’elle le fit, s’assurant de ne pas laisser la moindre faille sans surveillance. C’est lorsqu’elle se lavait les mains dans un seau d’eau qu’elle entendit la vigie crier au navire au loin. L’agitation commença alors à remuer la cale, tous se retrouvèrent sur le pont et Anne approcha le bastingage pour détailler le navire au loin qu’ils allaient sans doute croiser. Une frégate et à en juger sa ligne de flottaison elle devait avoir de sacrés cargaisons à bord. A voir s’il s’agissait d’un ennemi ou d’un allié mais Anne avait un profond désir de leur prendre leurs canons. La jeune femme se dirigea vers Silver, grimpant quatre par quatre les escaliers jusqu’à arriver vers le capitaine.
« Quels sont vos ordres capitaine ? » Demanda la jeune femme.
Elle n’attendait qu’un seul ordre pour répartir les hommes aux canons, tous étaient prêts à utiliser mais ils devraient se montrer malins car la frégate en avait sans doute des bien plus neufs qu’eux. Anne avait déjà quelques idées pour leur faciliter la tâche, mais elle n’attendait qu’une seule chose…
Anne était un bon matelot, sans aucun doute meilleure que bien de ceux qui étaient à bord et elle avait une certaine présence d'esprit qui plaisait beaucoup au capitaine du Walrus. Bien sûr, elle était déjà toute prête à sa prochaine tâche, et John avait le pressentiment qu'avec elle en maitre canonnier, les choses allaient drôlement mieux tourner. Elle était déterminée, elle ne se laissait pas marcher sur les pieds et par dessus tout, elle prenait son travail très à cœur. Du moins, c'était ce qu'elle lui montrait, et John ne se croyait pas stupide au point de tomber dans un piège pareil. Il était content de voir que les hommes l'acceptaient de plus en plus à bord, et espérait bien que sa dernière intervention, quelque part, ne prévienne les prochains avant qu'ils ne tentent quoi que ce soit.
Elle avait bien remarqué, elle aussi, que quelques bougres avaient l'esprit mal tourné à bord du Walrus. John l'en avait avertie afin d'en être certain, mais elle était visiblement de son côté et elle comptait aussi bien que lui débusquer ces rats. John savait déjà qu'il n'allait pas être clément, mais il n'imaginait sans doute pas les limites de la violence qu'il réservait à ces hommes. Ils auraient mille fois préféré se faire avaler par le kraken s'ils savaient seulement ce qui parcourait les veines du capitaine du navire. Oh, il avait déjà ce sourire étrange et sournois qui allait marquer son visage tâché de sang une fois qu'il aurait réglé ses comptes, et le travail promettait d'être long et de faire un beau carnage. Mais pour l'heure, ils en étaient à d'autres questions, et il n'avait encore pas assez de noms pour tuer la mutinerie avant qu'elle n'éclate.
Alors, Anne finit par prendre congé et le capitaine regagna ses occupations, à étudier la carte qu'il avait sous les yeux, à prendre des distances, à les reporter, à calculer le temps qu'il lui faudrait pour intercepter tel ou tel bâtiment qui passerait ici. Il prenait son temps, sentant légèrement l'ennui le guetter alors qu'il était friand d'aventures, et que passer ce gars par dessus le bastingage l'avait mis en appétit. Le capitaine du Walrus était un homme difficilement rassasié pour si peu, il avait besoin de cet acharnement qu'offraient les abordages, de cette violence lorsqu'il se battait et du sang qu'il faisait couler. C'était ça aussi, asseoir son autorité et sa domination lorsqu’on est un pirate.
Et finalement, il ne s'en fallu pas plus de quelques minutes pour qu'il entende les cris de la vigie, annonçant un bâtiment en vue. Le capitaine n'eut pas besoin de plus pour afficher ce minois sournois et mauvais, il avait voulu ses aventures, et il était servi. Il ne mit pas longtemps avant de débarquer sur le pont en envoyant claquer la porte de sa cabine dans un bruit de craquement, et ses pas rythmés par le son de sa jambe de bois le menèrent jusqu'au bastingage où Anne le rejoignit rapidement. John laissa son regard céruléen détailler le navire, les distances et calculer leur manœuvre, tandis que l'agitation dans les cales commençait à se faire entendre.
Oh, il avait déjà son idée, et un simple regard vers Anne la lui confirma. « Les voilà, tes nouveaux canons » Et il laissa sa main aller sur le bois du bastingage, le vent venant s'aventurer dans les longues mèches brunes qui encadraient son visage. Le capitaine sentait alors, s'infuser doucement dans ses veines, le besoin de piller, saccager et tuer sans merci. Il était servi, et de ce qu'il en pouvait voir cela ressemblait plus à navire marchand lourdement armé qu'à un bâtiment appartenant à des pirates. Il soupira, pas peu content de savoir qu'ils allaient repartir avec du beau matériel, parce qu'il avait beau avoir de quoi se défendre, les hommes là-bas étaient assurément moins formés que les ruffiants qu'il avait à bord du Walrus.
« Et bien, je dirais qu'on va voir ce qu'il a dans le ventre, celui-là. » fit-il à Anne, alors qu'elle avait visiblement compris ce qui se tramait dans sa tête. « Tout le monde à son poste, bande de chiens ! Ce navire vous me le descendez, pas de pitié, on ne laisse aucun survivant ! » annonça-t-il en hurlant les ordres à ses hommes. La partie pouvait commencer.
Anne étira un fin sourire à son capitaine à sa remarque, effectivement cela tombait à pic et leur permettrait d’avoir du bon matériel. La jeune femme ne perdit pas plus de temps pour descendre dans les cales afin de prendre son post. L’agitation sur le navire dura quelques secondes avant que tout le monde finisse par trouver sa place. Anne vérifiait certains détails, veillant à ce que tout le monde ait le matériel nécessaire pour que lorsqu’il faudrait faire feu, ils ne se retrouvent pas bêtes. L’adrénaline venant accélérer les battements de son cœur, le silence se fit alors que l’on attendait que le navire vire de bord pour commencer à tirer. Ils étaient tous prêts, sous le regard attentif d’Anne qui avait hâte de voir ce que le Walrus avait dans le ventre et par une soif intarissable de combat et de sang. Alors, lorsqu’il fut assez près, le navire commença sa manœuvre pour se mettre en position de tir. Anne calculait la distance afin de prévoir quand le capitaine leur ordonnerait de tirer.
L’attente ne fut pas très longue avant que la voix grave du capitaine ne vienne s’élever dans les airs pour annoncer le début des hostilités. Et dès les premiers coups de canons, on n’entendait plus que les explosions. Le navire se défendit également, leurs boulets vinrent trouer la coque.
« Ne visez pas trop bas ! On va l’aborder pas le couler !» Fit Anne en corrigeant les tirs de certains matelots.
Anne leur donna alors un nouvel angle de tir, visant les mats, les voiles afin que le navire soit hors d’état de service et qu’ils n’aient d’autre choix que de se rendre. Motivant ses troupes, il leur fallait absolument gagner ces échanges avant que le Walrus soit trop endommagé. Anne s’empressa de se mettre à l’un des canons, corrigeant une nouvelle fois l’angle en demandant à son voisin de faire de même pour qu’ils soient plus importants dans leurs coups. La mèche allumé, les boulets vinrent exploser le bois du grand mat et là sonnait l’avant gout de la victoire. Des cris joyeux s’élevèrent sur le Walrus, maintenant ils étaient suffisamment près pour sortir les grappins et commencer l’abordage.
« Allez remontez !! On n’en a pas fini !! » Ordonna Anne qui dégaina ses sabres pour rejoindre le pont.
Une partie de son travail avait bien été exécuté, néanmoins le navire avait essuyé bien des dégâts a cause du temps que cela avait pris. Les canons en mauvais état en était la cause, mais il avait fallut se montrer plus imaginatif pour faire pencher la balance en leur faveur. Tous les pirates du Walrus étaient là, certains commencèrent à dénouer les cordes pour atterrir sur le pont du navire adversaire. Anne chercha un instant Silver du regard, d’un signe de tête entendu, elle lui fit comprendre qu’ils en avaient fini dans les cales et qu’ils étaient tous prêts pour le combat. Prenant appui sur le bastingage dès que les deux navires furent bord à bord, les planches furent hissées pour faire des ponts entre les navires. Les coups de feu et les coups de sabre déjà troublaient la quiétude de l’océan dans un rythme saccadé. Anne aimait ce son, mais l’appréciait d’autant plus en étant au cœur du conflit. Elle ne perdit donc pas de temps pour y aller, combattant avec férocité et d’une violence qui la caractérisait bien. Sans pitié, avare d’en avoir toujours plus, les victimes d’Anne Bonny s’alignaient au passage de son ombre, motivée par l’envie de montrer ce qu’elle valait au capitaine et au reste de l’équipage.
Elle croisa des regards surpris, des regards choqués, de voir qu’une femme comme elle avec des traits angéliques et d’un gabarit peu imposant était capable de faire preuve d’autant de hargne. Habile au maniement de ses sabres, parfois tirant à bout portant en volant des armes à feu, Anne vint prouver qu’elle avait largement sa place au sein d’un équipage. Voilà longtemps qu’elle n’avait pas gouté à cette sensation qu’était la piraterie, depuis la mort de son mari. Elle était heureuse d’être arrivée jusque là.
Finalement, le capitaine avait été tué, sans doute par Silver, mais elle ne l’avait pas croisé pendant le combat. Le peu qui restait de l’équipage avait capitulé, venant jeter les armes pour finalement s’asseoir tous regroupés sous la surveillance des pirates. En se souvenant où la coque avait été percée durant les coups de canons, Anne s’empressa de faire un tour dans les cales pour constater les dégâts. Elle fit presser quelques membres de l’équipage pour qu’ils viennent récupérer les canons et les mettre en place sur le Walrus avant que le navire ne prenne trop l’eau et qu’ils soient perdus. Ils s’affairèrent, pressés par les ordres d’Anne qui se voulait efficace jusqu’au bout.
« Il nous reste cinq minutes avant qu’il ne coule, j'ai vu qu'il y avait de belles marchandises aussi là dessous, on les prend ? » Informa Anne en rejoignant le capitaine, un œil sur l’échange qui se faisait rapidement.
La lourde voix du capitaine du Walrus fusa dans les airs, à en faire trembler les voiles tellement elle pouvait donner froid dans le dos. D'aucuns auraient dit qu'il était un esprit du mal, il leur aurait bien ri au visage. Le mal ? C'était juste une bonne vieille blague à côté de lui. Il était l'instigateur de tellement pire, de choses tellement plus cruelles et violentes, qu'on ne pouvait décemment pas le comparer au « mal ». L'homme jeta un rapide regard à son équipage ; tout le monde semblait s'activer sur le pont mais aussi dans les cales, alors il était plutôt satisfait. Ceci étant, il valait mieux pour tout le monde qu'il soit satisfait. Auquel cas sa colère pouvait se déchaîner sur le premier qui ferait un pas de travers, et souvent, cela n'annonçait rien qui vaille. Il était impitoyable, tout comme il allait l'être dès lors que ce navire serait à portée de tir. Ses mirettes se figèrent un instant sur la coque qui s'avançait vers eux, calculant déjà ce qu'ils pourraient en tirer lorsqu'ils l'auraient abordé.
Il ne quittait pas son butin des yeux ; John était tout ce qu'il y avait d'un bon pirate, attiré par l'or, avide de richesses et de fortune. Oh, il aurait pu piller tous les navires du monde pour sa gloire qu'il l'aurait fait sans ciller. Alors, on pouvait comprendre que son navire soit plutôt prospère ces derniers temps, et cela ne manquait pas d'afficher un curieux sourire sur son visage. Il écoutait en fond les ordres que donnait Anne, et il était plutôt satisfait de son travail parce qu'elle avait largement dépassé ses espérances. Malgré tout ce qu'il pouvait penser des femmes, elle était l'exception qui confirmait la règle : elle, il lui faisait confiance et il commençait à voir ce qu'elle valait, et combien elle pourrait apporter à son navire. Alors, il la laissa guider les hommes pour empêcher le navire ennemi de manœuvrer, et bientôt, ils purent placer le Walrus côte à côte avec l'autre afin de dresser des ponts de fortune entre les deux. John sentit enfin ce moment qu'il avait tant attendu remplir son cœur de haine et de violence, noirci par la piraterie de longue date.
Et il ne fit pas de quartier, abattant sa lame tranchante dans chaque tête nouvelle qui passait devant lui, le sang teintant déjà ses mains et son visage parsemé d'éclaboussures. Un sourire mauvais sur les lèvres, il n'accordait sa pitié à personne. Il n'hésita pas lorsqu'il se retrouva face à un gamin qui devait n'avoir qu'une dizaine d'années tout au plus, et il lui trancha la gorge avec la même frénésie que pour tous les autres. Il était sans pitié, sans merci et à seulement le voir on savait qu'il ne lâcherait pas l'affaire. A un moment, il attrapa l'un des hommes par le col, figeant ses prunelles dans les siennes alors que le temps semblait soudain ralentir.
« Le capitaine, il est où ? » demanda-t-il d'un ton à lui glacer le sang. L'autre bégaya une réponse incompréhensible en montrant la cabine, et John se contenta de lui ouvrir le ventre sur place pour seule réponse. Il lâcha la dépouille encore chaude pour se diriger vers la cabine, au rythme de son pas marqué par sa jambe de bois. Ouvrant la porte à grand fracas, il découvrit un homme de son âge, qui le mit en garde de suite avec un sabre de pacotille. « Pose ça, l'ami. T'as pas ta chance contre moi » Et il se rua sur l'autre pour le désarmer en quelques secondes, lui vidant les tripes sur le beau tapis brodé d'or qui recouvrait le sol. Dommage, il aurait fait bien dans sa cabine. Mais cela ne valait pas l'odeur du sang et des canons. John laissa la cabine, gueulant sur le pont que le capitaine était mort et que les autres pouvaient se rendre, ce qui, somme toutes, se fit plutôt rapidement alors que les derniers galeux se mettaient à genoux pour implorer leur survie.
Il vit Anne arriver vers lui, elle avait déjà fait déplacer les canons alors il était d'autant plus content de son boulot. « Ouais, remontez ce que vous pouvez mais ne prenez pas le risque de rester coincés en bas » répondit-il à ses paroles. Il la laissa repartir, surveillant les hommes de près alors qu'ils étaient à genoux, certains priant le ciel pour ne pas se faire égorger. « Will, approche » appela-t-il, alors que l'homme en question se présentait devant lui. Il lui intima l'ordre de sortir son sabre, observant le tranchant de la lame un instant. Il était abîmé, mais tant pis, ça rendrait certainement les choses plus intéressantes. « J'ai changé d'avis, je me fous complètement de leur sort, mais y a pas de survivants ici ce soir. T'as cinq minutes » Et il s'adossa au bastingage, savourant ce merveilleux spectacle de son regard sournois.