You can't see it with your eyes, hold it in your hands
feat. Saamiya
Je sais que par les temps qui courent, il serait peut-être plus prudent d'essayer d'éviter de se balader seul, mais je sais aussi qu'aujourd'hui plus que jamais j'ai besoin d'entretenir mes stocks. Entre les événements de la dernière fois et cette nuit qui s'attarde, j'ai cet étrange pressentiment que les choses ne vont pas aller en s'arrangeant. Et s'il advenait que je ne puisse être capable d'aider les miens, ma famille, mes amis, le camp tout entier, les autres aussi si besoin est.. l’idée de ne pas pouvoir leur porter secours m’est insupportable. C’est pour pouvoir être utile dans des moments pareil que j’ai suivi les traces de mon père à la base, il penserait quo si je venais à me retrouver à regarder tout ça immobile et inutile pour un simple problème de stock, parce que j’aurais eu peur de m’aventurer un peu loin pour me ravitailler ? Et puis.. peur ? de quoi ? pourquoi ?
Non je n’ai pas peur, pas de ce qu’il pourrait m’arriver à errer seul dans ces bois aujourd’hui si sombre. J’ai peur pour les autres, pour mes proches, pour ma fille. Ceci dit je me suis bien gardé de le lui laisser voir, à Selyne. Je me suis contenté de lui dire une sale tempête approchait et que c’était juste le gros temps qui empêchait le soleil de montrer le bout de son nez. Je ne pense pas qu’elle m’ait cru mais elle doit se dire que je suis trop sot pour trouver la bonne explication et ça sera une diversion suffisante pour le moment. Elle est tout sauf stupide ma crapule.
La patience commence à me manquer, voilà bien une heure, peut-être plus, peut-être moins difficile à dire sans soleil, que je cherche la plante qui me fait défaut. Ses feuilles sont pourtant faciles à repérer d’ordinaire, mais là encore, avec la faible luminosité ambiante j’ai bien du mal à trouver ce qu’il me faut. Plusieurs fois, il me semble avoir repéré l’herbe que je brigue mais à y regarder de plus près, ce n’est qu’une pâle copie. Concentre toi, Mataku, concentre toi, tu ne peux pas passer la journée entière, ou la nuit, le dos vouté et le nez dans les buissons pour une seule graminée. Toutefois il arrive un moment où je suis forcé de me rendre à l’évidence, soit ma vue baisse, soit il va falloir que j’aille faire mes récoltes bien plus loin que prévu.
C’est pour la seconde option que j’opte finalement, refusant de m’avouer vaincu. Sage décision ou chance peut être, toujours est-il que je finis par trouver enfin ce que je cherchais en vain. Accroupi, une petite serpe en guise d’outils, me voilà lancé dans une récolte trop maigre à mon gout. Il n’y a là que quelques pousses mais c’est toujours ça de gagné. J’en aurais presque le sourire aux lèvres en plaçant précautionneusement l’ingrédient dans ma besace avec la satisfaction du travail accomplis. Mais au moment où je me redresse, quand quelque chose me rentre dedans….
Quelque chose ou.. quelqu’un. Un petit brin de femme, assise par terre, essoufflée, paniquée. Elle m’est arrivée dessus en courant, elle n’a pas dû me voir, soit qu’elle ne regardait pas où elle allait, soit qu’elle aussi est perturbée par la pénombre, sans parler du fait que j’étais accroupi. Elle a l’air d’avoir bien plus peur que mal et mon premier réflexe est de jeter un œil dans la direction d’où elle vient. Je sais ce que les autres ont vu il y a quelques nuits, je sais que ces bois sont dangereux, et puis je garde un sale souvenir d’une certaine rencontre avec une ourse, alors quoi qui ait pu l’effrayer, je m’attends au pire. « Ça va ? Rien de cassé ? » Que je chuchote à l’inconnue sans la regarder, toujours occupé à scruter derrière elle.
Je n’avais presque plus d’énergie et pourtant je continuais de courir, courir, courir. Je ne voulais pas qu’il me retrouve et me fasse subir une si grande punition dont je me souviendrais tous les jours de ma vie. Surtout je ne voulais pas qu’il me retrouve, car je ne voulais pas m’accoupler avec lui et lui donner les enfants dont il avait si besoin. Mon souffle se faisait sifflant, mes muscles se faisaient crispés. J’avais mal aux pieds. Ils étaient écorchés, mutilés par les branches au sol. Ils me faisaient souffrir, mais je continuais de m’enfoncer dans cette forêt abondante. Je ne savais nullement où j’allais. Je ne connaissais pas cette île. Je ne connaissais pas cet endroit. La nuit tombait et je voyais de moins en moins devant moi. Mon cœur n’en pouvait plus, il battait contre mes tempes. J’avais le tournis. Puis, j’entrai en collision avec un mur. Enfin… Une personne. J’étais effrayée. J’avais ramené mes genoux contre ma poitrine osant à peine à le regarder en face. Je me balançais sur moi-même pour essayer de chasser ces idées de mes pensées. Je ne pus que faire un signe de tête afin de lui signifier que j’allais bien. Presque bien. J’étais tombée sur quelque chose qui avait égratigné mon front et mes bras. Mais peut-être était-ce toutes ces branches qui s’étaient trouvées sur mon chemin. Je ne savais plus comment agir. On m’avait brisé là il n’y avait plus aucun doute. Avant j’aurais répondu, j’aurais été audacieuse, mais maintenant, je n’étais qu’une épave apeurée devant cet homme qui m’était inconnu. Tout pour moi était une menace. Je me reculai légèrement exposant toutes les petites coupures qui me chauffaient à vif. Je n’avais pas bu depuis des heures et je ne me sentais pas très bien, alors pour ma survie je murmurai :
«Vous avez de l’eau? Vous comprenez ce que je dis? De l’eau» dis-je en faisant le geste de boire.
Ça avait l’air idiot, mais je ne savais pas si ces habitants étranges dans ces accoutrements épurés parlaient notre langue. Je pourrais bien lui parler en deux langues différentes utilisant ma langue maternelle qui était l’arabe. Mais c’était encore plus ridicule de penser cela quand il m’avait parlé en me demandant si j’allais bien. Je me concentrais à respirer, même si tout ce que je voulais était repartir et mettre plus de distance entre ce bateau et moi.
«Je dois partir, il me retrouvera, il… il…» dis-je en m’affolant.
Je paniquais, tout mon corps paniquait. Mon cœur battait à la chamade et cet homme devant moi m’effrayait. Il était imposant et comment pourrais-je savoir s’il ne me voulait pas de mal. Et s’il connaissait mon maître? Et s’il était là pour me ramener à lui? S’il était là pour m’infliger cette punition? Pourquoi étais-je figée, pourquoi je ne bougeais pas? Mais… s’il était ma seule chance de m’en sortir? Était-il bon? Ou était-il méchant? Mes pensées étaient floues.
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Elle ne répond pas. Pourquoi ne répond elle pas ? Je ne baisse les yeux d'une fraction de seconde pour la voir hocher la tête, recroquevillée sur elle même, tétanisée. Je les relève aussitôt pour m'assurer que nous sommes seuls. Quoi qui ai pu la mettre dans cet état, ça ne l'a pas suivi jusqu'ici. Je laisse filer un lourd soupire avant de la regarder de nouveau. C'est bien plus que de la peur qui la met dans cet état. Mais qu'est ce qui a bien pu arriver à cette gosse pour qu'elle se retrouve effarée comme ça à courir comme une dératé en pleine foret par les temps qui courent ? La réponse doit être là, dans les marques sur sa peau que je découvre à présent que j'y prête attention. La pénombre ambiante me les avait masqué jusque là mais maintenait que je la fixe...
J'en sursauterais presque quand elle se met à mimer. Qu'est ce... Mais d'où est ce qu’elle vient pour s'imaginer que je me comprends pas ce qu'elle me dit ? Je viens de lui poser une question et elle m'a répondu, d'un simple dodelinement, mais elle m'a répondu. C’est bien qu’elle me comprend. C’est une nouveauté ça, on raconte en ville que nous somme des sauvages incapable de causer normalement maintenant ? Mais loin de me vexer, je met tout ça sur le compte de l'état de choc où elle se trouve et je me garde bien de lui en faire la remarque. Hors de question de risquer de la braquer. Il me semble qu'il me reste un peu d'eau dans la gourde au fond de ma besace aussi j'esquisse un geste pour l'en sortir quand elle reprend.
Cette fois, elle parle plus franchement bien qu’elle bégaie, mais ses mots n'ont rien de rassurants. « Il ? Qui ça il ? » Ainsi il y avait bien quelqu'un après elle et je me redresse pour scruter une fois de plus le sous bois. Trop brusquement peut être. Elle est en proie à une peur panique, c'est la seule certitude que je puisse avoir et sa frayeur commence à être contagieuse. Allons Mataku, ressaisi toi. Il n'y a rien, rien du tout autour de nous. Une chouette par là bas qu'il me semble avoir entendu il y a peu, quelques petits mammifères qui grattent le sol un peu plus loin, renard ou blaireau probablement. Mais rien qui mérite qu'on s'emporte à ce point.
Aussi je m’accroupis doucement devant elle pour lui tendre l'outre dans laquelle un fond d’eau suffira, j’espère, à la rassasier. Dans le cas contraire, j'ai souvenir d'avoir croisé un petit ruisseau non loin de là. « Tiens. Bois, finis là si tu en as besoin. » Mais elle a sans doute bien trop peur pour accepter quoi que ce soit d'un parfait étranger au milieu de nul part. D'autant que j'ai parfaitement conscience que dans de telles circonstances, un petit brin de femme comme elle a toutes les raisons du monde de se méfier d'un homme de ma carrure. « Je ne te veux aucun mal. Tu m'as demandé de l'eau, tiens, c'est pour toi. » Peine perdue. Bon sang.. je ne peux pas la laisser là. Je ne pourrais plus me regarder ne face si je tournais les talons en l'abandonnant à son sort. Alors je change de méthode.
Lorsque Selyne était plus petite, qu’elle n'avait pas encore oublié qu’elle n'est qu'une enfant, il lui arrivait d'avoir peur la nuit, de refuser de se calmer, de se recroqueviller comme elle le fait pour se protéger. A cette époque, je m'asseyais simplement prés d'elle, lui promettant que je ne laisserais rien lui arriver, montant la garde contre je ne sais quelle chimère que son esprit avait inventé jusqu'à ce qu’elle se calme. Alors c'est exactement ce que je fais. Je me recule un peu, pour lui laisser son espace, et je m'installe là, adossé à l'arbre le plus proche, à deux ou trois mètres d'elle, laissant la gourde à sa portée. « Il, qui qu'il soit, ne te retrouvera pas ici. Et quand bien même, je vais rester là jusqu'à ce que tu ais repris ton souffle. Quand tu te sentiras de te lever tu pourras repartir mais il ne t’arrivera rien d'ici là puisque je reste là. »
je n'étais pas rassurée du tout, en fait j'étais terrifiée. Sa posture en disait long. j'étais recroquevillée sur elle-même. Bien que j' aie pu prononcer des mots clairs, et qu’au fond de moi cet homme n’avait aucun lien avec mon Monsieur, j'avais peur. En fait, j'avais peur des hommes tout court. Mon père avait eu la bassesse de me vendre à un émissaire qui m'avait battue pour me retrouver avec le vrai acheteur qui n’était guère plus charmant. Je respirais difficilement le cœur au bord du gouffre. Alors quand il lui tendit sa gourde, Je ne l'a pris pas tout de suite. Je ne l’ai prise pas du tout, trop effrayée. J’étais dans un endroit que je ne connaissais pas, il y avait des forêts abondantes, alors que je vivais dans un désert. J’étais une brebis dans une forêt de créatures bien violentes. Je ne savais pas ce qui m’empêchait de partir. Peut-être m’inspirait-il un peu confiance? Je le vis s’appuyer contre un arbre. Il se trouvait à une distance qui me laissait le choix de mes actions. Je l’écoutai me dire qu’il ne me voulait pas de mal et qu’il ne laisserait personne m’atteindre tant qu’il serait présent. Mes yeux se portèrent alors sur la gourde qui était à ma disposition. Il restait quelques gorgées et je ne pus m’empêcher de tout boire.
«Merci» dis-je en chuchotant
Je n’arrivais pas à prononcer grand-chose, alors je laissai passer un peu de temps en silence. Mon cœur ralentissait, il reprenait un tempo normal et je pouvais enfin respirer à ma convenance. Voyant que mon maître ne me retrouverait pas ce soir. J’étais tranquille. Je relevai alors doucement les yeux vers mon bon samaritain. Je pris une respiration avant de lui parler.
«Saamiya. Je m’appelle Saamiya. Vous êtes?»
Je réussis à lui sourire faiblement. Visiblement, il ne me ferait aucun mal et je ne risquais pas d’aller bien loin avec mes pieds abimés. Autant discuter et détendre l’atmosphère tout en restant sur mes gardes. J’avais encore peur, je ne m’étais pas dépliée, mes muscles étaient endoloris, mais pour moi comme cela j’étais protégée. Protégée des coups, de la douleur et des autres. Au fond de moi, je me posais beaucoup de questions qui n’étaient pas répondues. Des questions qui n’avaient ni queue ni tête pour mon esprit, mais qui pourtant ne pouvaient pas être plus naturelle de poser.
«Je suis bien loin de chez moi et je ne sais pas où nous sommes! Tout ceci me semble bien étrange et différent. Ces forêts, cette beauté… dites-moi… où suis-je?»
Je regardais autour de moi. Tout était impressionnant. Moi qui n’étais jamais sortie de mon pays, tout paraissait grand et grandiose. Je le regardais nerveusement et timidement lui et sa carrure imposante. Il semblait beaucoup plus fort que l’homme qui me possédait. Mais il ne fallait pas non plus que je mette toute les chances sur cet homme gentil. Néanmoins je gardais espoir que ma fuite serait la seule et la bonne. Que jamais il ne me retrouverait. Je décidai d’aborder le sujet, puisqu’il avait posé la question plus tôt, mais je n’étais pas prête à y répondre. Pas plus que maintenant, mais s’il me défendait autant savoir dans quoi il s’embarquait.
«Il… c’est l’homme qui me possède. Je me suis enfuie.»
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Je n'avais pourtant aucune raison de faire ça, me sentir responsable, me mettre en tête de veiller sur elle de la sorte. Néanmoins j'y suis... adossé à cet arbre, guettant le moindre bruit suspect tout en faisant mine de concerne un calme stoïque. Il faut dire que cette histoire me tracasse. Le semble avion passé l'âge d'avoir peur du noir ou des fantômes. Et puis elle ne s'est pas mise dans cet état toute seule, du moins j'en doute. Alors il y avait bien quelque chose à ses trousses, et si je pouvais éviter de me faire surprendre par la chose en question... Et à moi je Commence à me crisper pour tout ça, elle au contraire, semble se détendre enfin un peu puis qu'elle ose enfin boire.
Il vient un moment où je finis par me demander si quand elle mimait tout à l'heure ce n'était pas plutôt parce qu'elle avait du mal à parler et non pas parce qu'elle craignait que je ne la comprenne pas. c'est vrai quoi, elle n'a plus desserré les mâchoires et... à moins que ce ne soit moi qui lui colle cette trouille. Mais elle se présente. Si je m'attendais à ça ! Samia ? Ou quelque chose comme ça. Sa voix tremblotte tellement que je ne suis pas sur d'avoir saisi son prénom comme il faut. Qu'importe, Samia ça suffira. « Je suis Mataku. » Et je lui retourne son sourire enfin soulagé de la voir se décrisper quoi qu'elle reste recroquevillée sur elle même, prostrée, sur ses gardes. Mais je sais que c'est un travail de longue haleine que d'amadouer une bête effarée et à l'heure qu'il est, son instinct de survie la rapprocherait plus de ça que d'une demoiselle à proprement parler.
Puis comme si ce début de conversation avait levé un verrou, la voilà qui se lâche à poser d'autres questions. Ainsi elle vient d'arriver sur l'île.. c'est du moins ce que je crois comprendre entre les lignes. Je ricane un peu, un ricanement amusé, nullement moqueur bien que je cesse aussitôt de crainte qu’elle ne le prenne mal. « Ici... » que je réponds finalement en désignant des deux bras tout ce qui nous entoure « .. ici, là, là-bas, toute cette île, c'est Neverland. » Je ne peux pas comprendre ce qu'elle trouve de si... surprenant.. à tout ceci. Je n'ai jamais connu que ça, je n'ai jamais aimé que ça. Neverland, ses bois, ses plaines, ses cotes. C'est ma terre, celle où je vis et où je mourrais. Mais ils sont nombreux comme elle, de plus en plus. Quoi que la plupart arrivent dans les villes comme Blind'sMan Bluff et découvre petit à petit où ils se trouvent sans se voir précipité comme elle en plein bois. Et puis il y a cette nuit...
Je pourrais lui parler de ça, lui expliquer qu'ici, en temps normal, les jours sont radieux et le soleil éclatant, mais à quoi bon. Ça attiserait sa frayeur et elle n'en a nul besoin. D'autant qu'elle semble plus terrifiée que jamais en prononçant les mots suivants. «Il… c’est l’homme qui me possède » J'arque un sourcil. Comment ça l'homme qui la possède ? On ne possède pas les gens. On possède des objets, des animaux à la rigueur si on veut considérer son bétail comme un bien précieux quoi que je ne défende pas cette idée. Mais pas une personne. Je soupire un coup, fermant les yeux, laissant ma tête tomber en arrière contre le tronc. Ainsi elle s'est enfuie de chez son bourreau, un esclavagiste. Pauvre enfant, je n'ose imaginer ce par quoi elle est passée.
Néanmoins, je ne relève pas. C'est un sujet qui n'appartient qu'à elle et sur lequel je ne me vois pas la questionner. A la place je me redresse un peu pour retirer ma sacoche de mon épaule et la poser sur mes genoux pour fouiller dedans. J'en sors quelques une des plantes que j'ai ramassées puis je pointe ses pauvre petons meurtris du doigt. « Tu ne peux pas continuer dans ces bois comme ça. Tu vas finir par t'estropier tout à fait. Si tu veux bien, je pourrais jeter un œil et soigner ça pour que tu puisses reprendre ta route. » Je ne ferais rien sans qu'elle m'y autorise, et surtout pas m'approcher d'elle. J'attends patiemment qu'elle se sente un peu plus à son aise. La braquer serait mettre fin à toutes mes chances de pouvoir l'aider.
Mataku, un prénom simple au son saccadé. Prénom qui m’évoquait les guerriers ou encore les dieux. Simple, court et surtout mémorable. Il était le seul Homme que j’avais vu depuis mon arrivée dans ce paysage étrange. Avant ce voyage, avant cette trahison de l’homme qui fut mon père j’étais enjouée, ricaneuse, sociable et maintenant, je ne ressemblais à rien. J’étais une épave de douleur, de souffrance et de peur. Pourtant, j’avais l’impression qu’il me comprenait, qu’il m’apaisait. C’était pour ça que j’étais en mesure de communiquer un tout petit peu. Du moins poser une question importante comme le lieu où l’on se trouve! Je regardais ces gestes avec attention. Ses bras forts, ses doigts et ses yeux. Il nomma le nom de l’île : Nerverland. Je n’avais jamais entendu parler de cette île avant. Comment était-ce possible? Étions-nous toujours dans le même monde? Il était fou que je me pose cette question. Avant de prononcer ce nom, il avait un peu rit et ça m’avait intriguée :
«Je sais c’est ridicule que je sois émerveillée par un rien, mais de là d’où je viens, les forêts se font très rare. C’est un milieu plutôt sec.»
Je réussissais à dire des phrases qui ne demandaient pas beaucoup d’implication ou d’explication, car je ne pouvais révéler tout ce qui m’était arrivée. Parler de choses comme la nature était pour moi le moyen simple d’esquiver et aussi de me détendre. Cependant, je ne pouvais pas être ici sans lui dire qu’il y avait quelqu’un à mes trousses, je ne voulais pas qu’il soit blessé par ma faute. Je n’étais pas arrivée à en dire plus, ni son nom, ni ce qu’il m’avait fait, ni pourquoi. Mais il savait qu’il y avait une possibilité que le ‘’il’’ débarque. Mataku était admirable, il ne forçait en rien les choses, il ne me posait même pas de question. Comme s’il pouvait lire en moi que je ne serais pas en état d’en dire plus. Ms souffrance était trop récente pour ne pas sombrer en parlant de ceci. Alors, il détourna la conversation sur mes pieds abimés. Mes yeux se portèrent sur mes talons, mes chevilles, mes orteils. Il n’y avait rien en bon état. Il avait raison, je ne pourrais pas aller plus loin comme ça. J’avais peur qu’il m’approche, j’avais peur de lui accorder un minimum de confiance. J’étais terrifiée à l’idée de tomber dans un panneau. Mon cœur recommençait à battre à la chamade, mon souffle était plus court. Et pourtant! Je fis un petit oui de la tête presque invisible et par réflexe pour qu’il m’aide. Mon premier réflexe a été de reculer mes pieds, de me recroqueviller un peu plus, mais je le laissai quand même venir vers moi.
«Pourquoi m’aides-tu? Tu ne me connais pas. Je ne représente qu’une marchandise avec laquelle tu pourrais ramener de l’or à ta famille. Pourquoi faire preuve d’autant de bonté envers moi qui ne suis rien?!»
Pas que je voulais savoir, pas que je me dévalorisais, mais je ne comprenais tout simplement pas. Pendant un temps je n’avais été que robot. Je n’avais été qu’un objet à qui l’on demande d’obéir sous peine de se faire punir. Maintenant, j’étais là avec quelqu’un que je ne connaissais pas, à la carrure d’un ours et qui m’offrait son aide gratuitement? Y avait-il un prix à tout cela? Cette pensée me replongea dans mes souvenirs et devant lui, j’avais l’air une fillette qui avait peur du noir.
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Ridicule ? Non certainement pas. C'est même plutôt touchant, enfantin quelque part. Comme si elle redécouvrait le monde maintenant qu'elle a échappé à l'enfer qu'à du être sa vie jusque là. Une enfant apeurée et perdue dans un monde qu'elle ne connaît pas, voilà ce qu'elle est. Alors bien sur que non, je ne vais pas la juger pour ça.
Je la laisse se décider, prendre le temps de réfléchir, de se faire à l'idée que je m’approche enfin d'elle. Si elle refuse, j'attendrais encore. Mais elle semble se rendre enfin compte de son état et de l'aide dont elle a besoin. Comme si elle émergeait à peine maintenant de son cauchemar et qu'elle ne s'était pas aperçu qu'elle s'était blessée de la sorte dans sa fuite. Elle panique de nouveau alors qu’elle s'était calmée et je regrette de ne pas avoir attendu un peu encore avant de passer à cette étape. Comme une bête effarée, un animal blessé qui a désespérément besoin d'aide mais qui se refuse à laisser quiconque s'approcher, c'est à ça que je la comparais plus tôt et j’étais bien en deçà de la vérité.
Pourtant elle me laisse m'avancer, elle se recroqueville plus encore mais elle me laisse approcher. Jusqu'à la question qu'elle pose et qui me tire un nouveau sourire attendri. Elle voudrait savoir pourquoi je l'aide sans la connaître, pourquoi je ne profite pas d'elle moi aussi... de tous ceux qu’elle a croisé dans sa vie, aucun n'a donc jamais pris la peine de s’intéresser à elle sans arrière pensées ? Et puis... « Tu n'es pas une marchandise, Samia! Ceux qui t'ont convaincue du contraire ne méritent pas d'être appelés des hommes. Ne me confonds pas avec eux. Et qu'est ce que je ferais de l'or que tu me rapporterais ? Qui te dit que ma famille en a besoin ? C'est justement pour eux que je ne m'abaisserais jamais à une telle chose. On a pas besoin d'or quand on a une famille à la place. Il n'y a que les pirates pour penser le contraire, et je n'en suis pas un. » Puis m'asseyant en tailleur à coté d'elle, je tends un main pour lui saisir un pied. Elle hésite mais finit par se laisser faire. Je ne la force en rien, je ne fais que la guider, la laissant libre de reculer de nouveau si elle venait à prendre peur une fois de plus.
Mes gestes sont lents, méthodiques, pas que je manque d’entraînement, mais c'est une patiente fragile dont je m'occupe là. Fragile... elle semble l'être à tout point de vue. Son pied semble si petit entre mes mains, si pale, comme une de ces poupées de porcelaine qui risquerait de se briser au moindre faux mouvement. Et tout en m'occupant d'elle, je termine de répondre à sa question. « Je t'aide parce que c'est ce à quoi j'ai dédié ma vie, ce pourquoi j'ai appris l'art des plantes et de la guérison. Pour pouvoir aider ceux qui en ont besoin, pour servir une cause juste dans ce monde. Il n'y avait personne comme ça d'où tu viens ? »
« Tu n'es pas une marchandise, Samia! Ceux qui t'ont convaincue du contraire ne méritent pas d'être appelés des hommes. Ne me confonds pas avec eux. Et qu'est ce que je ferais de l'or que tu me rapporterais ? Qui te dit que ma famille en a besoin ? C'est justement pour eux que je ne m'abaisserais jamais à une telle chose. On a pas besoin d'or quand on a une famille à la place. Il n'y a que les pirates pour penser le contraire, et je n'en suis pas un. »
Je n’en étais pas une? J’étais quoi alors? Pendant des années, j’avais vécu avec mes parents et j’avais l’impression qu’ils m’aimaient d’un amour inconditionnel et qu’ils me garderaient auprès deux pendant longtemps… Mais mon père n’avait pas hésité à me vendre à un inconnu qui disait prendre soin de moi… Alors si je n’étais pas un simple objet que l’on pouvait échanger contre de l’argent j’étais quoi? Je le laissai s’avancer vers moi, lui, l’homme aux valeurs d’ors. Celui qui me démontrait de l’intérêt. Il était donc, pirate celui qui m’avait acheté? Cela expliquerait son bateau. Puis, quand il s’affaira à guérir mes pauvres pieds, il dit quelque chose qui me toucha profondément.
« Je t'aide parce que c'est ce à quoi j'ai dédié ma vie, ce pourquoi j'ai appris l'art des plantes et de la guérison. Pour pouvoir aider ceux qui en ont besoin, pour servir une cause juste dans ce monde. Il n'y avait personne comme ça d'où tu viens ? »
Pour me détendre et me laisser toucher sans perdre la carte, je me mis à parler de ma famille tout en répondant à ses questions. Je gardais ma tête basse, pas assez confiante pour le regarde de plein pied. J’abordai une voix calme mais anxieuse.
«Mes parents étaient des marchands… Je croyais qu’ils avaient de l’amour pour moi. Peut-être qu’ils en avaient, mais quand l’argent est venue à manquer, ils ont décidé de me vendre. Enfin… Mon père. Je croyais qu’ils étaient des gens formidables qui avaient des valeurs de famille. Mais il faut croire que je me suis trompée. Il y en a des gens comme toi, chez moi… Une fois, j’étais allée au marché et je voulais ramener des fruits à la maison, car ils m’interpellaient, et j’ai échappé le tout par terre. La dame m’a donné un nouveau panier rempli sans que je n’aie à payer. Mais là où j’étais dernièrement, c’était toi obéissance ou punitions. Il était gentil, enfin… parfois. Il m’arrivait de l’apprécier… mais ça je ne sais pas si c’est normal.»
Je sentais une larme couler sur ma joue, mais je relevai la tête pour lui faire un petit sourire rempli de gratitude. Je n’avais pas trop envie de parler de ma famille, car pour moi ils étaient morts en m’envoyant avec ces hommes. Ils avaient fait un choix égoïste en ne pensant pas au bien-être de leur fille unique. D’ailleurs, avaient-ils de nouveau un enfant? Si oui, lui arriverait-il la même chose qu’à moi? Je n’en avais aucune idée. Mataku était un homme bienveillant, rempli de bonté. Une bonté pure. Il aurait pu me laisser là, sans m’aider. Mais il en avait décidé autrement. Il m’intriguait, je voulais en savoir plus sur lui et sur ce qui constitue cette île. Après tout, j’allais y vivre pour un très long moment. «Racontez- moi l’histoire de votre famille! Elle doit être charmante et chaleureuse.»
Sa famille était chanceuse de l’avoir parmi eux. Ils étaient tout simplement plus chanceux que moi. Je ne savais plus qui j’étais, je n’avais plus confiance en personne, j’étais terrifiée et une épave. Plus personne ne voudrait de moi comme ça. Il me redonnait peu à peu une aisance. J’étais moins crispée, je tremblais que légèrement. J’avais froid, mais ça c’était le cadet de mes soucis. Une fois qu’il serait parti, je devrais repartir à courir et me cacher quelque part où je ne pourrais être trouvée. Mais pour le moment, je devais profiter de ce petit moment de répit que l’on m’offrait pour reprendre des forces.
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Il n'y a aucun mensonge dans ce que j'ai dit. Aucune malice d’aucune sorte qui viserait à l'amadouer ou je ne sais quoi. Je n'ai fait qu’énoncer un fait, une vérité. Et comme pour me prouver que j'ai bien fait d'être franc, la voilà partie à me raconter sa vie d'avant. Des détails, des choses insignifiantes pour beaucoup mais qui doivent avoir leur importance à ses yeux. Une histoire de fruits et d’épicière généreuse, une scène de tous les jours, un petit quelque chose auquel elle se raccroche.Une scène qui tranche terriblement avec tout le reste de son récit. Ainsi c'est son propre père qui l'aurait vendue à un esclavagiste et moi, sourcils froncés, j'essaye de ne pas l'interrompre quand je voudrais lui dire que cet homme, qu'il fut son père ou non, n'aurait rien mérité de plus que la mort et la damnation.
Je me mords la joue un peu plus quand elle raconte sa vie avec cet homme qui l'avait.. troquée. S'il est normal d'avoir eu ce réflexe humain d’apprécier les quelques instants de répit qu'elle a eu ? « Normal, ça n'existe pas. Normal c'est une question de point de vue, d’éducation. Un pirate va trouver normal de massacrer un village pour de l'or quand ça choquerait n'importe qui d'autre. Autre exemple, je trouve anormal que tous ces enfants perdus puissent vivre sans l'amour d'une mère alors qu'eux n'en éprouve visiblement plus le besoin. Normal, c'est une notion abstraite. » J'ai évoqué les enfants perdus bien qu'elle n'ai probablement pas la moindre idée de quoi je parle. Qu'importe, elle me posera la question si ça la taraude.
Mais c'est un autre sujet qu'elle aborde. Quoi que pas si éloigné si on y réfléchi bien puisqu'elel me questionne sur ma famille. Sa question me tire un petit ricanement amusé. Je ris jaune bien sur, mais elle ne pouvait pas savoir. « Il n'y a rien à raconter. Je ne suis pas doué pour raconter les choses. Et puis... » Je repose doucement son pied au sol après avoir terminé de le bander. « Là tu devrais pouvoir marcher sans aggraver les choses maintenant. Mais tu devrais nettoyer ça régulièrement jusqu'à ce que ça guérisse. Tient, prends ça. » Dans une des étoffes dans ma besace, j'enroule quelques une des racines que j'ai ramassées avant de les lui tendre.
Je me redresse ensuite, soupirant lascivement. Je n'ai pas répondu à sa question. « Ma famille... mon père était herboriste lui aussi, doublé d'un guérisseur hors paire, ce que je suis loin d'être encore. Ma mère... c'était la femme la plus patiente que j'ai connu. Quant au reste... à dire vrai il n'y a plus que ma fille et moi. Mais je suppose que tu pourrais qualifier cela de famille charmante et chaleureuse » Chaleureuse comme le sourire que je lui offre en guise de ponctuation. Selyne et moi avons nos différents mais elle m'est plus chère que ma propre vie. C'est une petite famille, mais c'est la mienne. C'est tout ce qui compte.
Une main tendue vers elle, je l'incite à se relever. « Viens, tu ne peux pas errer dans ces bois, que tes pieds soient en meilleur état ou non. Je vais t'accompagner un bout du chemin jusqu'à la ville. Blindman's Bluff est peut être … comment dire ça... folklorique... mais il y a des gens là bas qui pourront t'aider. Et tu pourras y trouver un logement et un travail décent. » Hors de question de la laisser partir seule dans cette obscurité.
J’avais senti le besoin d’aborder un peu mon histoire. Elle n’était pas que noire ou blanche, elle était parsemée de tâches grises. Ces tâches représentant les moments de répit. Le premier homme, l’émissaire, il ne me laissait jamais tranquille. Il cherchait constamment à me faire sortir de mes gons, cela aurait signifié qu’il aurait réussi à me briser. Il y avait des jours où je me sentais bien avec lui… Que je n’avais pas besoin de me braquer. Alors, je ne me sentais pas normal. J’écoutai attentivement son explication. Si normal n’existait pas, alors qu’avais-je ressenti.
«Vous croyez? Alors le mot «normal» est relatif pour chaque personne. Alors pour cet homme, il était normal de me punir comme ça?!»
J’étais un peu perdue, je ne savais plus ce qui était bien et ce qui était mal. Quand on vit le mal tous les jours pendant un temps, on finit par croire que c’était bien. Qu’une personne profondément violente était finalement gentille. Quand je ne désobéissais pas, j’étais choyée. J’avais de petites attentions. Même si la majorité du temps… c’était le contraire. C’était pourquoi j’avais changé le sujet. Je voulais en savoir plus sur lui, sur sa famille. Il devait bien y avoir quelque chose à raconter et cela me permettrait de me détendre encore plus. Nous n’étions pas douée tous les deux pour parler on dirait. Il me dit que je pourrais marcher. Il me remit dans une étoffe, des herbes qui m’aideraient à maintenir mes blessures propres et sur la voie de la guérison. Il voulait donc, que je parte maintenant. Je restai assise un moment, j’avais peur de mettre du poids sur mes pieds. J’avais peur de me blesser de nouveau. Il se redressa et je le fixai. J’eu un petit sourire lorsqu’il commença à me parler de sa famille. Il suivait donc les traces de son père. Sa famille semblait merveilleuse. De plus, il avait commencé à construire sa propre famille. Il était lui-même père de famille et devait protéger sa fille contre tout, puisqu’il était seul avec elle.
Je pris la main qu’il me tendait. Je n’avais plus peur de lui. Mon instinct de survie était de nouveau présent et valait mieux que je me fonde dans la masse. La douleur que je ressentais plutôt était moindre et je pouvais respirer mieux. Je ne savais pas combien de temps j’avais couru dans cet état, mais maintenant j’étais prête à repartir. Il m’expliqua notre destination et je ne savais pas si cela était une bonne idée. J’allais donc devoir exposer mes craintes. «N’est-ce pas là un des premiers endroit où il me cherchera? Dans une ville?»
Dieu savait ce qui m’attendait s’il remettait la main sur moi. Je ne voulais pas être une machine à faire des héritiers, à devoir m’écraser derrière une personnalité qui m’ait propre ou encore craindre pour ma vie chaque jour et chaque seconde. J’aspirais à plus. J’aspirais à être heureuse et libre. S’il me disait que s’était sûr, alors je le suivrais. Il n’avait aucune raison de me nuire. Une randonnée à la lueur de la lune me donnait espoir que ma vie allait changer. La lune était la mère de toute existence, il suffisait de la regarder pour y voir notre destinée et la mienne n’était pas d’être une esclave.
«Vous regardez souvent les étoiles? Les milles et une nuits sont porteuses d’un message d’espoir. Qui souvent est ce que nous attendons.»