Can we go back, this is the moment Tonight is the night, we’ll fight till it’s over So we put our hands up like the ceiling can’t hold us
A califourchon sur les passerelles, Raygon ponçait la planche arrondie qu’il était en train de construire. C’était une pièce de rechange commandée pour le navire de Barbe Noire. Et si son nom lui avait tout de suite donné la nausée, il n’en avait rien laissé paraître au maître d’équipage qui se tenait devant lui, les bras croisés. « Not’ maitre charpentier a pas le bon bois et pas les bonnes pièces, alors t’peux l’faire ou non c’boulot ? On t’payera bien ! ». Bien sûr l’argent, c’est ce qui attirait tout commerce avec les pirates. La plupart de ses voisins, dont lui fallait pas jouer le fanfaron, fermait les yeux sur les activités douteuses devant les trésors que leur rapportait parfois ces mercenaires. Des bagues avec des diamants gros comme un œuf, des perles aux couleurs chatoyantes, bref, personne ne crachait sur des revenus pareils. Mais Ray avait une idée derrière la tête. Et s’il voulait que sa tambouille soit pleine ce soir, il voyait plus loin. « Ok, mais va falloir que je travaille sur place pour qu’elle corresponde bien. Histoire que vous ne vous n’retrouviez pas avec des fuites ! ça s’rest bête… sur un navire… ! » Le rire gras du pirate lui répondit alors qu’il jetait une petite bourse sur la table. « T’as bien raison garçon ! Allez suit moi l’gringalet ». Haussant un sourcil, Raygon attrapa sa sacoche pleine d’outils brinquebalante et jeta un rapide coup d’œil à ses bras musclés. Gringalet d’mes fesses oui ! Deux hommes attendaient à la sortie, et le garçon les fit passer par derrière jusqu’à son atelier pour choisir le meilleur bois pour ses pièces. Du chêne, y’avait qu’ça de vrai. Et du jeune, pour qu’il soit souple à travailler. Une fois chargés ils prirent la direction du port. Les odeurs iodées s’accentuèrent à mesure de leur descente et Ray entendit bientôt les voiles claquer et les marins hurler leurs ordres à tout va. Respirant un bon coup il suivit les hommes de Barbe Noire jusqu’à son galion, impressionnant, énorme, monstrueux à en faire peur. Après un rapide arrêt sur le pont, toujours aussi réticent à quitter la terre ferme, le charpentier s’y engagea à la suite de son débiteur. « V’la travail fiston ! Si t’as un soucis, demande à ce gars là bas, c’est le maître charpentier à bord. Quoi que c’est ptêtre pas une bonne idée vu qu’tu lui piques son boulot pour la journée. Il doit l’avoir mauvaise. En fait demmerde toi ! » Ray eut un sourire jaune. Il avait l’habitude de se « démmerder », il n’avait besoin de personne et surtout pas pour faire son travail ! Se mettant à l’ouvrage, le bastingage ayant été lourdement endommagé, il prit ses mesures, l’arrondi de la courbure et les reporta sur son bois brut. Trois heures plus tard il ponçait l’ensemble, lui restait encore les détails et le vernissage lorsque son regard fut attiré par l’homme qu’on lui avait désigné plus tôt. De loin il ne l’avait pas vraiment regardé, mais là il était arrêté, de face et Ray du plisser les yeux et se gratter la cervelle pour retrouver où il avait déjà vu ce visage…
Quelques années plus tôt à l’arbre du pendu…
« Aller Colibri dépêche ! Tu finiras tes trucs inutiles plus tard ! » « C’est pas des trucs et c’est pas inutile. » ronchonna Colibri en posant soigneusement sa maquette, histoire que la colle à base de sève, sèche convenablement. Partant à reculons sans respirer pour ne pas faire bouger d’un cil son œuvre, il ferma le cabanon derrière lui pour rejoindre son meilleur ami. Salomon attendait au bord du toboggan, sautillant sur place. A peine le vit-il qu’il l’entraina avec lui dans sa glissade. Les deux lurons traversèrent le campement encore endormi des enfants perdus et se dirigèrent vers la forêt. « Tu te rappelles où tu as mis les pièges ? J’espère que cette fois on attrapa un sanglier !» « Evidement tête de merlan ! Laisse moi passer devant ! » Prenant la tête du petit convoi, Colibri les achemina vers la clairière qu’il avait repéré la veille. Parce qu’elle était dégagée sans être trop voyante, il l’avait trouvé parfaite pour un piège. Mais lorsque les deux amis débouchèrent au lieu dit, une drôle de surprise les attendait. Un adulte se débattait dans les filets de cordes qu’avait tressé Colibri, et plus il bougeait, plus le cordage se resserrait, c’était l’une des inventions dont le garçon était fier. Ses tatouages tribaux et son air nordique n’appartenaient à aucune tribu indienne connue et Salomon se redressa en criant « Un pirate !!! ». A peine eut-il prononcé ces mots que les yeux limpides du prisonnier se tournèrent vers les deux gamins émerveillés.
Je me retourne vers le vieux Melot avec un sourire. « Il s’rait tant qu’tu m’trouves quelqu’un pour t’remplacer vieillard. T’es plus tout jeune et si tu m’claques entre l’doigts, j’me r’trouve sans personne dans m’demeure ! » Mon vieux serviteur et ami me mire avec les sourcils froncés avant de rouspéter fortement sur le perron de ma demeure. Je m’esclaffe, le laissant râler tandis que je me dirige vers le Queen pour savoir combien de temps nous allons encore rester au port. Ce n’est pas parce que la nuit est constante qu’on doit rester à terre : c’est justement le moment de profiter de l’île instable pour piller et ravager d’autres navires en arrivage ou les courageux qui vont braver les mers houleuses. Je traverse la cité pirate pour aller jusqu’au port ou l’immense vaisseau stagne. Il y a pourtant du mouvement à bord, je le remarque de loin alors sans attendre, je vais jusqu’à la passerelle pour monter sur le pont principal. Un des charpentiers à mes ordres discute avec un jeune garçon sur le travail à faire concernant les réparations que je lui avais pourtant confiées il y a trois jours. Les visages se tournent dans ma direction avant que l’autre charpentier du Queen s’éloigne. Je le rattrape avant qu’il ne descendre et l’empoigne par sa chemise humide et malodorante avec un regard sombre, menaçant : « Alors comme ça, tu t’déleste d’la charge que j’te donne, rat de cale ?! » L’homme ouvre la bouche pour certainement se défendre, mais je ressers un peu plus mon étreinte si bien qu’un couinement s’échappe de ses lèvres à défaut de mots. « Ferme ton claque merde ! T’disparais, maint’nant ! » Je le relâche sans douceur, ricanant en le voyant trébucher sur le sol. Quel pleutre ! Je retourne sur le pont pour observer le travail du gamin pendant un moment, les bras croisés. C’est qu’il se démerde bien, il connait son boulot et le bois : au moins l’autre crétin n’a pas embauché un ignare. Le temps qu’il travaille, je vais me servir un verre avec deux autres pirates dans le pont inférieur. Un court instant qui se transforme en plusieurs heures avec quelques verres dans le nez puis me souvenant du gamin, je remonte pour constater des travaux. Je suis maître Charpentier, c’est moi qui supervise, donne les ordres. Je complimente, paye ou au contraire… Mais le gamin est doué. Il redresse le visage pour m’observer et j’étire un sourire, m’approchant avec les bras croisés sur mon torse, les mirettes glaciales : « Gamin, t’démerdes bien ! Normal’ment, t’aurais pas dû bosser sur l’bateau d’Barbe Noire, c’était à l’autre incompétent d’faire ton boulot ! » Je le mire avant de dériver sur le bastingage où il ne manque plus que les détails de finitions. « C’est d’beau travail ça ! T’mérites l’pièces qu’tu vas toucher ! » J’observe son faciès un instant, fronçant des sourcils. Son visage me dit quelque chose, je l’ai déjà croisé quelque part et je suis prêt à en mettre ma main à couper. Mais où ? Je bois souvent alors, si je l’ai rencontré alors que j’avais un coup dans le pif… je ne suis pas prêt de me souvenir de son nom. « Comment t’t’appelles, gamin ?! »
Quelques années plus tôt…
Maudits soient cette île et ses habitants. L’idée, aussi inédite et originale soit-elle, n’est qu’une façon supplémentaire de faire grimper dangereusement la colère qui m’anime. On ne peut plus marcher dans les environs sans se retrouver perché dans un filet. Je suis certain que cela vient de ces maudits indiens, bien qu’après m’être battu avec un de la tribu, je les aurais plus vus utiliser les armes plutôt que des filets. Je n’ai jamais autant vécu de mésaventure depuis que je suis ici, aurais-je un jour de répits ? Il faut croire que non. Maudite île ! Mes mains tirent, écartent en usant de toute ma force dans l’espoir d’obtenir un déchirement ou un trou suffisamment béant pour me faufiler et m’échapper de ce piège. Mais sans succès jusqu’à maintenant, les cordes n’ont de cessent de m’étreindre un peu plus. Je grogne, peste dans ma barbe naissante et je crois que j’utilise d’une kyrielle de noms d’oiseaux avant qu’une voix de gamin ne surplombe mes grommellements. « Un pirate !!! » Mes mirettes s’abaissent sur deux gamins stupéfaits qui me mirent dans ce filet de malheur, se réjouissant de leur prise. De tous les habitants, il a fallu que je me fasse piéger par des mômes. Mon égo en prend un coup, encore une fois. « Sale gamin ! Sortez-moi d’là ! » L’un des deux se met à rire et j’ai des envies de meurtres. Et mes haches qui sont un peu plus loin près de la rivière... je n’ai qu’un poignard, mais je ne peux pas l’attraper puisqu’il est dans ma botte et mon pied pendouille dans le vide entre les mailles du filet. « Arrête de rire sale môme ! Sortez-moi d’là sinon… » Les menacer n’est pas la solution. Je soupire, ferme les yeux avant de les rouvrir en espérant être un peu plus doux. « J’suis pas un pirate ! Alors, laissez-moi sortir ! »
Can we go back, this is the moment Tonight is the night, we’ll fight till it’s over So we put our hands up like the ceiling can’t hold us
Pour dire vrai, Raygon n'aurait même pas eu besoin de monter sur le rafiot du vil capitaine de l'île pour construire sa pièce. Il avait passé tant d'heures à l'observer qu'il était capable de dessiner les moindres échardes du bois. Il le détestait autant qu'il l'admirait. S'il avait à sa proue le plus cruel et sanguinaire de tous les pirates, il n'en demeurait pas moins une œuvre d’exception où le travail noble du bois avait encore montré toutes ses prouesses. Mais pour son ami et sa mystérieuse disparition, Raygon se devait de monter à bord même du galion et récolter toutes les informations utiles à son enquête. De toute manière, il était beaucoup plus crédible ainsi que s'il avait pu reconstituer la pièce au charpentier sans même avoir pris les mesures, ça l'aurait fait passé pour un gars louche bien plus que pour un génie. Sur Neverland, on avait vu des fées, des sirènes, mais des génies jamais!
Le regard glacial du pirate le surprit tellement lorsqu'il s'arrêta devant lui qu'il en lâcha son outil qui tinta bruyamment sur le plancher du bateau. On aurait pu penser qu'il s'agissait de peur. A dire vrai tout aurait pu y faire penser. La posture du guerrier nordique faisait ressortir ses muscles mastoc et deux Raygon mis côte à côte n'aurait pas rempli les épaules du colosse. Mais la réalité c'est que Ray' avait oublié sa peur face au souvenir tenace que lui rappelait ce visage. Il pouvait même dire que l'homme possédait un corbeau tatoué en auréole autour de son oreille droite. Pourtant de là où il se trouvait, le garçon ne distinguait pas son profil. Son compliment le touchait, peu de gens prenaient la peine de remercier les artisans de son espèce. De un parce qu'il avait l'air de sortir du berceau, de deux parce ce qu'il fabriquait ne contenait ni pierre précieuse, ni lingot d'or. Il hocha la tête, accepta ses remarques en ramassant son rabot qu'il rangea dans un sac, remerciant silencieusement l'autre incompétent ... et bien d'être aussi incompétent et de l'avoir laissé monter sur le galion pirate. Se redressant, Ray arrivait à peine au menton du colosse, son haleine sentait l'alcool et il ne put s'empêcher de reculer d'un pas devant le froncement de sourcils du pirate. « Raygon Finnighan... m'sieur...» Il n'aurait pas dû rajouter ce « m’sieur » avec ce terme il se rabaissait au simple rang de palefrenier. Mais l’autre avait une aura telle que les mots étaient sortis sans qu’il ait pu les mâcher. « J’ai repéré deux trois entailles sur le flanc gauche en arrivant, j’pourrais y jeter un coup d’œil après avoir fini cette pièce bien sûre… sauf si vous voulez que votre autre gars s’y colle mais il a à peine su faire la différence entre mes ciseaux et ma gouge toute à l’heure. »Il savait qu’il jouait un jeu dangereux en s’immisçant dans les travaux du navire, mais la chance sourit aux audacieux et il croisa ses bras finement musclés sur son torse, histoire de ne pas pâlir la comparaison.
Quelques années plus tôt à l’arbre du pendu…
L’adulte les transperça de son regard glacier. Si Colibri en reçut toute la fraicheur et dévia son regard vers le haut du filet qui grinçait sous le poids de leur prise, il sentit que son meilleur ami ne lâchait pas des yeux ce qu’il pensait être un pirate. Lui tâtant les cotes de son coude Sal’ lui souffla en pouffant « Il est ronchon ton sanglier !» Les menaces n’avaient aucun effet sur les deux gamins qui avançaient à pas de loup vers le guerrier venu du froid. En le regardant de plus près, sa musculature roulant sous l’agression des cordes, ils hésitèrent. Ils avaient déjà combattu des pirates, mais c’était de nuit, un raid dans les bois où les enfants étaient sortis vainqueurs. Ils n’avaient distingué que des bras, des jambes, des visages enfouis sous des poils hirsutes, et des cris d’ours. Ce géant était différent, il émanait de lui une violence tranquille que seule l’intelligence tactique retenait. Raygon allait proposer un plan de secours sinon de retraite à Salomon quand le prisonnier parla de nouveau, reniant la piraterie. Bien que cela soit difficile à croire, Sal’ haussa les épaules, attrapa son ami par l’épaule l’air contrit. « Tu l’as entendu ? Ce n’est pas un pirate. Alors il ne nous intéresse pas. » Faisant demi tour, les deux marmots se dirigèrent de nouveau vers l’orée du bois, prêt à s’enfoncer de nouveau dans ses profondeurs. Il n’allait pas faire tant d’effort pour décrocher un quidam.
« Raygon Finnighan... m'sieur...» Ce nom ne me dit rien, pourtant ce faciès… j’ai l’impression de le mirer quelques années en moins avec un sourire malicieux. Il faut dire que la marmaille se ressemble beaucoup trop entre eux parfois. J’ai rencontré de nombreuses personnes sur Neverland, vécu de nombreuses aventures et mésaventures... Il est probable que ce garçon en fasse partie ? Ou alors, je reviens sur un soir de beuverie, mais je ne sais pas pourquoi, je le vois plus jeune devant mes mirettes. « J’ai repéré deux trois entailles sur le flanc gauche en arrivant, j’pourrais y jeter un coup d’œil après avoir fini cette pièce bien sûre… sauf si vous voulez que votre autre gars s’y colle, mais il a à peine su faire la différence entre mes ciseaux et ma gouge toute à l’heure. » Mes lèvres s’étirent, l’audace est une qualité que j’apprécie, plus particulièrement chez les jeunes garçons lambda sans aucun rôle dans la piraterie. Je penche légèrement la tête sur le côté pour l’observer entièrement, captant le moindre froncement ou soupir. Il se contente de croiser les bras et d’attendre une remarque sans crainte, ni regret. « C’un incapable… Mais l’plupart des pirates l’sont, du moins sur c’navire. « Si ça t’fait plaisir d’y j’ter un œil p’tit, alors fais. J’aimerai bien observer c’que t’fais… P’t’être qu’on t’f’ra revenir plus souvent… » Sans attendre de réponse, je le laisse retourner à sa besogne et je tire une caisse pour poser mon séant dessus. Mes yeux fixent ses mains fines, trop fines pour un métier comme la charpente et la menuiserie : pourtant, il est doué et agile, tactique et régulier. « Dis-moi… t’travailles que l’bois où… tu fais d’autre chose ? T’as pas l’mains des charpentiers, pourtant t’en as les qualités. Mais… t’dois aussi travailler… sur d’autres matières, j’me trompe ? » Je croise ses mirettes un court instant, avant de baisser les yeux sur son ouvrage, me levant pour venir mirer les détails et les finitions. Je me considère comme un bon charpentier, mais je suis bien meilleur guerrier. Ce gamin, il est même plus doué que moi – ce qui n’est pas difficile –, mais je travaille le bois depuis huit ans maintenant et vu son faciès, il ne doit pas être bien vieux.
Quelques années plus tôt…
« Il est ronchon ton sanglier ! » Sanglier ? Moi ? Saleté de gamins ! Et ils continuent de pouffer comme des poules plutôt que de me porter secours. Ah la jeunesse d’ici est vraiment impertinente ! Dire que je ne suis pas un pirate est peut-être l’idéal pour que ces gamins ne soient pas effrayés et détache le filet. Je me moque bien qu’ils disparaissent aussitôt, je veux simplement descendre de mon perchoir avant d’attirer les ours. « Tu l’as entendu ? Ce n’est pas un pirate. Alors il ne nous intéresse pas. » Mais ce n’est pas vrai… Lorsqu’on est un pirate, les gamins veulent te tuer et lorsque tu n’en es pas un, ils veulent aussi te tuer, mais sans avoir l’arme en main. Je roule des yeux, serrant les poings en imaginant mes paumes autour de leur gorge. « REVENEZ ! » Leurs silhouettes s’éloignent tout en me laissant dans ce maudit filet. Qu’est-ce qui peut plaire à des gamins ? De l’or ? Des femmes ? Non, ils sont trop jeunes encore… De l’alcool ? Pas sûr qu’il accepte de me libérer contre une bouteille de piquette. Fichtre ! « REVENEZ !!!! » Les deux garçons se noient dans la végétation dense du bois et je grogne, lâchant un juron et maudissant Thor. « SI VOUS M’LIBÉREZ…. J’F’RAI C’QUE VOUS VOUDREZ !!! » Risquer, mais pas impossible. Ce ne sont que deux mômes et je suis certain que leurs caprices sont à la hauteur de mes moyens.
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Pourquoi le mot "viking" lui venait-il à l'esprit quand il regardait l'homme qui lui faisait face? Il ne connaissait pas ce mot, ne se rappelait plus ce qu'il signifiait, mais il l'avait déjà entendu, et un peu près sûr de la propre bouche du maître charpentier. Ray était certain de l'avoir déjà rencontré, et de près vu qu'il était capable de reconnaitre les tatouages tribales qu'il arborait. Depuis son départ de l'Arbre, il avait été plus que méfiant envers les pirates et recensait la moindre information sur chaque marin du port de One-Eyed de sa pointure à ses activités plus ou moins illégales. Il faudrait qu'il fouille ses carnets mais la seule explication possible c'est qu'il le connaissait alors qu'il était encore Colibri...
Ce nom était accroché à tant de souvenirs d'insouciance et de fraternité qu'il sentit comme des lames s'enfoncer dans son torse, se frayant un accès jusqu'au tambour de son cœur. Ses yeux se voilèrent et il fut heureux de pouvoir retourner à sa besogne, même sous le regard inquisiteur de Tankred. Travailler le bois l'avait toujours aidé à évacuer les échardes de ses pensées. A mesure qu'il ponçait, elles se lissaient, s'étiraient jusqu'à perdent toute accroche sur son présent. Il enduisit le bois d'une cire protectrice dont lui seule avait le secret, recouvrit la pièce terminée qui s'encastrait sans défaut dans l'armature du navire. Le garçon aimait le travail bien fait. C'était une des choses qu'il avait apprécié en grandissant, faire quelque chose dont il serait fier.
La question franche du maitre charpentier obligea Ray à croiser son regard, histoire de savoir s'il ne s'agissait que de pure curiosité ou de renseignements sous cape. Il restait suspicieux et s'il adorait en apprendre plus sur les autres, le chemin inverse n'était pas évident. Les yeux glaciers de l'homme ne lui apportèrent aucune réponse sinon qu'il était fin observateur et Raygon répondit prudemment, s'écartant du même temps pour le laisser juger de son travail. « Je bricole aussi... Des mécanismes... des horloges cassées... » Réparer les rouages pour que tout rentre dans l'ordre. En y pensant, Raygon trouvait son passe temps bien trop proche de la mission qu'il s'était donné, en quittant l'Arbre, il y a de cela quelques années. Les bras de nouveau croisés il observa Tankred. Étrangement, la force brute qui se dégageait de lui transpirait la franchise, c'était un homme à aller droit au but et sans s'enquiquiner de détours. Le jeune homme hésita à peine une seconde avant de lancer tout à trac.
« Est-ce que le prénom de Salomon vous dit quelque chose? »
Quelques années plus tôt à l’arbre du pendu…
Les cris de rage leur parvinrent de moins en moins fort à mesure qu'ils s'enfoncaient dans la végétation. Pour dire vrai, Colibri se sentait déjà mieux, loin du regard polaire du prisonnier. Il pouvait bien rester à vie dans ce filet, tant qu'il en était loin le gamin était content. La culpabilité n'existait pas chez les enfants, et encore moins chez les perdus. Pourtant Sal' posa doucement sa main sur son épaule, le forçant à ralentir. Bah oui bien sûr, c'était trop beau pour être vrai. Que son meilleur ami ait lâché si vite l'affaire était un rêve aussi crédible que Neverland pour une bigote. Colibri pria intérieurement pour que l'homme arrête de crier et qu'il ne dise surtout rien qui puisse faire retourner son acolyte bien trop suicidaire à son goût mais... l'adulte prononça les mots magiques. Ni une ni, deux les gamins firent demi tour, Sal' tirant par la manche Colibri. Se postant à quelques mètres de lui, le plus vieux des deux enfants s'adressa au saucisson aérien.
« Moi c'est Salomon, et lui c'est Colibri! » un raclement de gorge et des yeux ronds accueillir cette délation mais Sal' n'en avait rien à faire et poursuivit. « T'es un pirate dit ? Hein? Est-ce que c'est vrai que vous vous lavez le visage avec de la bave de bigorneau pour vous faire pousser des poils? T'as dû en mettre beaucoup non?»
« Je bricole aussi... Des mécanismes... des horloges cassées... » Une chose est certaine, le jeune homme n’est pas loquace. De cette simple question, j’attendais beaucoup plus de détails et une réponse plus longue. J’étire un sourire, je pense que je vais devoir me contenter de cette simple réponse pour le moment. Mais je chercherai à en savoir plus sur ce mystérieux Finnighan. Après tout, il ne doit pas travailler sur un navire pour la première fois et pour que mon charpentier ait fait appel à lui, c’est qu’il commence à se faire un nom. Trouver des ragots ou des cancans à son sujet ne devrait pas être difficile. « Est-ce que le prénom de Salomon vous dit quelque chose? » Je fronce des sourcils en redressant le regard vers le jeune génie du bois. Comment peut-il connaître ce nom ? Est-ce qu’il le connait ? Mes muscles se tendent légèrement, je n’aime pas les surprises de ce genre. Allez savoir pourquoi, je reste toujours vigilant et surtout méfiant : il n’y a pas trente-six mille solutions sur sa connaissance de ce nom. « Pourquoi est-ce que tu l’demandes ? Qu’est-ce tu lui veux, à Salomon ?! » Le regard du jeune charpentier semble changer : « J’le connais, mais… toi, comment tu l’connais ?! »
Quelques années plus tôt…
Les deux mômes reviennent. Comme quoi, suffit de leur faire une promesse pour qu’ils soient intéressés. Des enfants, ça veut toujours quelque chose alors si je peux les aider, de façon à pouvoir sortir de mon piège, alors je le ferai. Les pirates ont plusieurs paroles, mais les Vikings une seule. « Moi c'est Salomon, et lui c'est Colibri! » C’est quoi ces noms ? « T'es un pirate dit ? Hein? Est-ce que c'est vrai que vous vous lavez le visage avec de la bave de bigorneau pour vous faire pousser des poils? T'as dû en mettre beaucoup non? » Je roule des yeux. « T’es un rigolo toi ! » J’étire un sourire, m’installant aussi confortablement que je le peux dans ce cordage qui commence à me brûler le derrière, à force de remuer dedans. « J’suis pas un vrai pirate ! J’suis un viking moi ! J’suis pas sur c’t’île d’puis très longtemps ! » Souvent, lorsque je le dis, je n’éveille que de la curiosité, mais éphémère. Par contre, toutes les fois où je l’ai dis à des enfants, j’ai eu droit à une kyrielle de questions. Comme si ma venue étrangère était pour eux, une information capitale et effectivement, cela semble plaire au fameux Salomon qui me demande ce qu’est un Viking. « Un guerrier du froid ! J’suis un combattant digne d’Thor, d’Odin et d’Tyr, mes dieux ! J’viens d’la Norvège ! Enfin, j’viens surtout d’une légende, il paraît ! » Salomon s’assoit sur le sol et je le pointe du doigt : « Non, sortez-moi d’là avant d’prendre vos aises ! J’commence à avoir l’séant en feu là ! » Je récolte uniquement des rires et je soupire, saleté de mômes. « J’suis d’venu pirate, mais, j’en suis pas un vrai ! Alors pouvez bien m’libérer ? Et j’ferai c’qu’il faut pour vous aider, si b’soin ! J’peux… vous d’barrasser d’quelqu’un qui vous embête ou… j’sais pas moi ! Mais sortez-moi de ce filet, fichtre ! »
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Immédiatement, Rayon sentit le regard du maitre charpentier changer. Son apparente impassibilité vacilla. Il le connaissait. Il connaissait Salomon. On n'avait ce regard là, légèrement brumeux, que lorsque l'on fouillait les tréfonds de sa mémoire et qu'on en retirait une image vaporeuse. A travers ces yeux glaciers, le jeune homme aurait presque pu le voir. Quelques années de moins, les cheveux constamment en bataille comme si on les avait semé au hasard. Cette bouille malicieuse de gamin effronté. Cette bouille, qu'il aurait suivi aux quatre coins de Neverland et plus loin encore. Salomon...
Raygon fut tiré de ses pensées par le ton soudain abrupte de Tankred, presque sur la défensive. Il ne savait si cela signifiait quelque chose. Ou plutôt, si cela signifiait une bonne chose. Défendait-il les intérêts de son ami, ou bien était-il au courant de sa disparition jusqu'à en être impliqué? Jusque là si prudent quand à la recherche de son ami, Raygon savait qu'il pouvait faire capoter des années de recherches méticuleuses sur les disparitions des enfants à cet instant. Et en même temps, il n'avait jamais été aussi prêt de découvrir la vérité. En tout cas, personne avant Tankred n'avait réagit au nom de Salomon. Mais peut-être ne le connaissait-il que d'avant... et alors ... « J'étais son ami... il y a des années de ça... » Devait-il aller plus loin? Quelque chose lui disait qu'il pouvait faire confiance au géant nordique, quelque chose, de familier.
« Nous étions tous les deux des enfants perdus. On m'appelait Colibri,... là bas. » Le garçon mesura sa voix, tentant d'y retenir toute la peine et la nostalgie qui s'y terrait. Peu de gens connaissait son passé à l'Arbre. Les seuls tenaient de son passé. Et il était de plus en plus sûr que Tankred en avait fait parti.
Quelques années plus tôt à l’arbre du pendu…
La pêche a été bonne. Colibri peut le voir à la façon dont Sal' se trémousse. Cette prise est la meilleure qu'ils aient faite depuis le fourmilier des plaines de Toot. Un animal comac qu'ils se sont fait une joie de rapporter au camp vivant et qui a foutu la pagaille pendant toute une soirée sur le campement. Mais ce... viking... c'est dix mille fois mieux qu'un sac à puce entouré de carapace. Pour Salomon c'est le Graal et il ne tarde pas à contaminer Raygon. Oui, ce guerrier du Nord l'intrigue. Pour lui rien était plus au nord que l'Irlande et le froid dont il parle lui est inconnu. Il prend la parole, coupant Sal'.
« C'est comment là d'où tu viens? Le Nord Beige? Est-ce que c'est tout blanc comme l'hiver à l'Arbre? » Salomon sourit, se contente de se mettre en tailleur quand le guerrier leur hurle de les relâcher. A ses yeux c'est un gros ours grognon qui peut leur apprendre beaucoup plus qu'il ne leur veut du mal. D'un sourire goguenard il fouille son sac et en sort un couteau à la lame si émoussée qu'elle ressemble à un caillou à peine taillé. De sa petite main potelée il l'a glisse entre les mailles du filet.
« Tiens! Pour te libérer. M'enfin... le temps que tu y arrives, on peut te poser d'autres questions! Comment tu es arrivé à Neverland? Est-ce que tes dieux t'ont suivi? »