Un maigre sourire s’étira sur ses lèvres. Courir. Se sentir pousser des ailes, les cheveux aux vents, le corps et l’esprit libre. Depuis combien de temps n’avait-elle plus goûté à ce plaisir, pourtant si simple ? Longtemps. Peut-être trop longtemps. Il y avait certaines joies que l’océan ne pouvait pas offrir. La fraîcheur d’une brise, le craquement des
pissenlits sous ses pieds, ou bien la chaleur du soleil… Enfant, elle n’avait jamais profité de ces bonheurs-là. L’orgueil l’en avait toujours empêché. Battre la campagne, rire aux éclats cachés parmi la végétation, c’était s’abaisser aux rangs des enfants perdus, aux rangs des humains. Ephyra avait toujours observé avec dédains ces petits jeux ridicules auxquels s’adonnaient les jeunes de son âge, les voir tirer des satisfactions personnelles de leurs amusements ô combien insignifiants lui avait arraché un sourire méprisant plus d’une fois. La petite sirène s’était considérée trop grande, trop bien pour ces enfantillages. Elle avait voulu grandir, trop vite, bien trop consciente du temps qui lui filait entre les doigts. Le regrettait-elle aujourd’hui ? Peut-être. Mais à quoi bon se perdre dans le regret ? Cette fillette au cœur gonflé de fierté n’était plus qu’une figure abstraite vivant à travers ses souvenirs.
Plus bas, dans la vallée, Andy courait lui aussi. Il avait suffi d’une phrase pour que le garçon s’engage dans cette petite course improvisé, porté par cet enthousiasme si propre aux enfants. Sous leurs yeux innocents, un rien pouvait prendre des allures de
spectaculaire. Doucement, la sirène ralentit son rythme. Le petit blond l’avait d’ores et déjà devancé et elle n’avait ni l’idée, ni l’envie, de pousser ce petit jeu ridicule jusqu’au bout. La jeune femme finit par trottiner jusqu’à reprendre une allure de marche. Ils étaient arrivé à aux frontières de la forêt des quatre saisons. Les bois semblaient, à première vu, désert, mais Ephyra ne se faisait pas d’illusion. Là, profitant du voile épais de la nuit, des ombres bougeaient, le bruit de leurs pas se mêlait aux vents glissant contre les feuilles des arbres. Des enfants perdus. Une présence adulte en ces lieux ne passait jamais longtemps inaperçue. Très vite, certains commencèrent à s’approcher en reconnaissant les traits de leur camarade. Ils sortaient des ténèbres, innocents visages que les rayons lunaires rendaient blancs comme
lait. Curieux, une
minuscule lueur espiègle dansait aux fonds de leurs regards. La sirène resta silencieuse, réagissant à peine à l’agitation que sa présence auprès d’Andy avait provoquée chez les enfants.
La jeune femme ne faisait pas dans la tendresse et encore moins dans le sentimentalisme. Son cœur ne se gonflait d’aucune affection face à ce joyeux spectacle. Si un enfant livré à lui-même en pleine nature avait su lui insuffler une touche de compassion et un sentiment de responsabilité, les marques d’affection du jeune Andy ne laissèrent aucune empreinte. Sa main inerte dans la sienne, Ephyra esquissa un sourire. Quelque chose lui disait qu’elle n’avait pas fini de voir cette frimousse près de la lagune.
« Je suis plutôt de nature vagabonde, mais tu pourras me trouver près des rochers des abandonnés si tu es chanceux. En revanche, je te préviens, la prochaine fois trouves-toi une autre sirène pour jouer les accompagnatrices. » Il n’y avait ni méchanceté, ni reproche dans son ton. Ephyra se contentait d’énoncer un fait. La sirène aurait pu mentir, prétexter un emploi du temps particulièrement chargé pour justifier la sécheresse de ses actions, seulement, c’était bien ça le problème : si elle s’était donné la peine de ramener Andy jusqu’ici, c’était parce qu’elle n’avait rien eu de mieux à faire. Au mieux, peut-être aurait-elle pu profiter de cette soirée pour explorer quelques
cavernes sous-marines du côté des rochers. S’en était affligeant.
« Ne t’inquiète pas pour moi, je n’ai pas l’intention de me faire tuer ce soir. » Couper à travers la forêt des jeux pour atteindre plus vite les eaux, c’était son idée.
« C’est plutôt toi qui devrais faire attention la prochaine fois que tu te retrouves seul et perdu, les pirates et les bêtes sauvages sont peu sensibles à ce genre de minois, tu sais. » Dit-elle en lui pinçant une joue. Imaginer le pire, laisser planer des menaces, elle aussi pouvait se laisser aller à ce petit jeu. Mais la jeune femme ne se faisait pas d’illusion, elle savait à qui elle avait à faire. Ces paroles tomberaient dans l’oreille d’un sourd. Les enfants perdus, fidèles à eux-mêmes, ne changeaient jamais. Les adieux furent brefs. Après avoir accepté les présents de certains enfants perdus sans pour autant leur accordé la moindre valeur, Ephyra salua une dernière fois Andy et s’éloigna en direction de la mer Tic Tac. Ce petit avait au moins eu le mérite de lui offrir un maigre divertissement en brisant le temps d’une virée nocturne son ennui.
FIN DU RP