J’avais fini par me faire à cette idée irrationnelle et saugrenue que j’avais d’une manière surnaturelle quitté le monde auquel j’appartenais pour me retrouver à Neverland. Un monde bien différent du mien et pourtant à bien des égards très semblable. Par chance, j’étais tombée sur des gens qui m’avaient porté secours plus d’une fois. Remise de mes mésaventures, je me laissais vivre comme je pouvais, tentant de trouver une occupation pour pouvoir vivre par moi-même. Je n’allais pouvoir toujours compter sur ce bienveillant Alistair ou sur cette femme qui m’avait logé gracieusement.
Le temps était souvent maussade au pays de l’imaginaire, mais on m’avait assuré que le ciel n’était pas ainsi avant. Eux-mêmes ignoraient les causes de ce dérèglement du climat, d’un côté la fraîcheur et la pluie ne me changeaient guère de mon Angleterre natale. Comme tous les matins depuis mon arrivée, je me levais en même temps que la bergère, l’aidant pour mettre le couvert de ses trois hommes. Après une brève toilette, j’enfilais une tenue simple, ne prenant même plus la peine de me coiffer correctement comme j’aurais pu le faire dans ma vie d’avant. Mon panier en main, je franchis la porte de la petite masure. Après avoir prévenu ma logeuse, je descendis vers la plage et la forêt des dunes pour me rendre à l’endroit de la pêche aux coquillages. C’était un rendez-vous quotidien des enfants des villages avoisinants de la cité de Blindman’s Bluff, une activité simple et réservée aux bambins des familles. Je soupçonnais la femme qui m’accueillait de penser que je n’étais pas bonne dans les corvées autres que celles-ci, pourtant, je faisais tout pour apprendre, je n’étais pas non plus, de celles qui rechignaient devant une tâche. J’avais beau être de noble lignée, les vicissitudes de la vie m’avaient conduite dans cet endroit, où je n’étais plus Lady Spencer, mais simplement Lyra.
Alors que je trouvais sur le sentier pour gagner l’autre côté de la presqu’île, je détournais le visage pour contempler la mer, un océan très vaste m’avait-on raconté. Depuis mon arrivée, la mer me donnait la nausée, pourtant en ce jour, j’avais envie de m’en approcher. Ce n’était pas une plage de sable, plane et sans danger, comme à la crique des crustacés, non, ici les falaises étaient escarpées et on ne pouvait pas longer la plage pour atteindre l’autre côté. Je stoppais mon avancée, mirant l’étendue bleue aux reflets de nacre, songeant à ce qu’elle m’avait arraché, en contrebas, les vagues s’écrasaient avec force contre les hautes roches. Je me penchais avec prudence, mon cœur s’emballant à la vue de la hauteur qui me séparait du sol. Je reculais un peu, les joues rosies et les mains fraîches. Un long soupir s’extrait de mes lippes avant que je décide d’affronter cet élément. Apercevant un passage dans la roche, je m’en approche pour débuter ma descente vers la crique à plusieurs mètres en bas.
Prise entre deux amas de rochers, l’endroit était à couper le souffle, et ce, malgré les vents qui soufflaient et ces vagues qui ne laissaient aucun répit à la terre. Je déposais mon panier, m’approchant du bord, serrant contre moi, le chandail de laine offert par ma logeuse. À moins d’un mètre du liquide salin, je remarquais une forme dans l’eau, mes yeux se plissèrent tentant de voir ce qui se cachait près de ce rocher accablé par les eaux. Une tête d’homme m’apparut, un baigneur très certainement, il disparut et je fus prise par surprise, il n’était pas conçu avec des jambes, mais une nageoire. Un cri de surprise s’échappa de ma bouche, avant de le voir apparaitre un peu plus près de moi, son regard vers le mien. On m’avait dit de prendre garde aux sirènes, qu’elles étaient cruelles et tuaient sans remords. Mais lui, il était un homme…Mais ce que j’ignorais, c’était qu’ils pouvaient gagner la terre. Je restais donc là, droite, devant cette chose qui au fond m’intriguait. Il approchait, encore, toujours plus près, mes orteils effleurés par l’eau, puis je sentis le danger, il se hissa sur le sable et je fis demi-tour, courant vers mon panier et voulant remonter vers la falaise. Il ne pouvait pas me suivre, mais je préférais quitter les lieux le plus rapidement possible.
Dernière édition par Lyra Spencer le Ven 29 Jan 2016 - 18:54, édité 1 fois
I'm going under, drowning in you. I'm falling forever. I've got to break through. I'm going under. Blurring and stirring the truth and the lies. So I don't know what's real and what's not, always confusing the thoughts in my head. So I can't trust myself anymore.
I'm dying again
Les bras étendus sur la roche de la grotte, la nuque coincée contre un rebord, Aodren avait les paupières closes et la nageoire étendue de tout son long sous l’eau. Il ne dormait pas, il ne rêvait pas. Il était juste occupé à effacer de sa mémoire les visages de ceux qu’il avait éliminés. Faire d’eux de simples noms sur une liste, sur un vulgaire bout de papier. Ne pas leur laisser la moindre place dans sa tête, dans son cœur et surtout dans son amertume. Chacun de ces morts, s’il leur en laissait l’occasion, aurait pu devenir un monstre envahissant ses pensées. Aodren n’en était malgré tout pas à son coup d’essai ! Avec les années, il avait appris à manier cet art sombre. Aussi, de temps à autre, quand il sentait que les fantômes du passé se faisaient menaçants, le triton prenait une grande inspiration et les chassait de ses souvenirs. Noyant leurs traits dans les millions d’autres qu’il apercevait chaque jour. Il parvenait si bien à les étouffer sous d’autres visages anodins qu’au final, les détails de leur physionomie disparaissaient. Ils ne devenaient plus qu’une vague silhouette comme enroulée dans le brouillard.
Se redressant, l’homme se tira de l’eau à la force des bras et s’avança quelque peu sur le rebord de roche. Il lui fallut attendre quelques instants pour que ses jambes se matérialisent. Toute la magie de Neverland à l’œuvre en cet instant privilégié. Aodren se dirigea alors vers l’un des sacs de tissu qu’il gardait précieusement dans son antre. Il y déposa les pièces d’or qu’on lui avait payées en contrepartie de son dernier boulot. À peine cela fut fait que déjà, le triton replongea aussitôt. Il s’immergea totalement cette fois et quitta sa grotte bien cachée dans la roche pour aller voguer vers d’autres étendues d’eau.
Il jeta son dévolu sur une crique pas si éloignée que ça de Blindman’s Bluff. Parfois, quand il venait se détendre là, il pouvait entendre l’un ou l’autre rire lui parvenir d’en haut. C’était assez agréable, ça avait un côté humain qu’Aodren ne détestait pas autant qu’il voulait le faire croire à tous. Ses paumes se posèrent sur la roche froide et l’homme se laissa happer par ses pensées durant un instant. L’île se comportait de façon étrange ces derniers temps, les éléments paraissaient furieux. Cela l’inquiétait. Aodren était puissant contre les êtres humains, il se sentait fort comparé à eux ! Mais jamais il n’aurait la bêtise de se croire supérieur à la nature elle-même. Son immortalité ne le protégerait pas de ce qui l’attendait s’il se pensait au-dessus de ça.
Un reflet au fond de l’eau attira son regard, Aodren replongea aussitôt. Le fond de la crique était assez riche en découvertes. En effet, relativement peu de sirènes ou de tritons venaient se baigner dans le coin ! Et pour cause, Blindman’s Bluff n’était pas si loin que ça ... et tous savaient que les pirates rôdaient aussi fortement là-bas que les rats et les chats de gouttières. Ce n’était pas qu’Aodren se fichait de tout, bien au contraire. Mais il était de ceux qui prônaient que la meilleure cachette se trouvait sous le nez de celui qui cherche. L’assassin remarqua cependant du mouvement à la surface. Sa théorie s’avèrerait peut-être fausse au final !
Il distingua une silhouette, svelte et gracile. De longs cheveux plutôt clairs, une robe victime du vent qui s’amusait avec ses pans. Aodren nagea lentement dans sa direction. Elle l’avait vu, elle était désormais détentrice d’une information qu’il ne voulait laisser filtrer. Le triton émergea mais déjà, la jeune femme rebroussait chemin. Elle ne semblait pas avoir envie de discuter avec Aodren. Peut-être n’avait-elle pas tort. L’homme se traîna dans le sable et dut attendre un instant pour retrouver ses jambes, instant dont la belle profita pour récupérer son panier en courant et filer vers la falaise. Aodren se redressa vivement et couru à sa suite. Il l’attrapa par le bras et la fit se retourner. Sa nudité ne lui posait aucun problème, bien au contraire. Si les sirènes étaient connues pour charmer les pirates, les tritons pouvaient tout aussi bien tenter d’enivrer les habitantes.
- Ne fuyez pas comme ça ! Je vous ai fait peur ?
Aodren lui adressa un large sourire qu’il savait séduisant. Ces créatures des fonds marins avaient été créées pour enjôler ... alors parfois, ils en profitaient.
Mes pas vont sur la première marche du pic rocheux, lorsque je sens une main sur mon avant-bras, la force de l’homme me faisant me retourner vers celui qui peu de temps avant se trouvait dans l’eau. Impossible…Comment une sirène ou ce qu’il était pouvait…Mon regard se pose plus bas pour voir ses jambes et…Mon visage s’empourpre immédiatement. Il est nu…complètement nu et son regard céladon plonge dans le mien sans que je puisse m’en détourner.
Aodren : Ne fuyez pas comme ça ! Je vous ai fait peur ?
Son sourire me provoque une vive et brutale douleur dans le ventre, comme si j’étais contrainte de ne mirer que lui. Je voudrais pouvoir détourner mes iris de son faciès, mais il m’est impossible de le faire. « Je…oui, un peu » Les mots me manquent, je suis prise entre la beauté de ce visage, sa nudité qui me trouble bien plus encore et le fait qu’il soit une créature des océans. Les paysans m’avaient mis en garde contre eux, ils n’étaient pas amicaux, pour la plupart. Ils tuaient les humains qui osaient s’approcher trop d’eux et de leur territoire aquatique. « Vous…allez me tuer ? » C’était sorti comme ça, instinctivement, il n’avait pourtant pas le visage d’un tueur, nulle cruauté sur ses traits fins, peut-être ce pli léger entre ses deux sourcils me permettait de comprendre qu’il avait été contrarié d’avoir été surpris ou…pourquoi était-il sorti de l’eau. Il sourit de nouveau et je l’aurais volontiers imité si je m’étais sentie à l’aise à cet instant. «Si je vous ai dérangé, je m’en excuse. Je voulais juste voir la mer… » Sa main est toujours sur mon bras, comme s’il s’assurait que je n’allais pas prendre la fuite. J’évitais de songer à sa nudité, préférant me perdre sur son visage constellé de taches de rousseur et sur ses deux billes vertes qui miraient avec insistance mon visage, scrutant les moindres réactions de mon être. Il parle et je suis comme enivrée de sa voix, observant ces lippes qui remuent pour me délivrer un message. Pourquoi ai-je tant envie de l’embrasser, je ne le connais même pas, c’est troublant, j’ai la sensation de ne pas être moi-même en cet instant. Toutes mes inhibitions s’envolent, alors qu’il semble chanter ses paroles. Je murmure presque mon prénom d’une voix suave et envoutée. « Lyra »
Spoiler:
Navrée pour cette courte réponse...je ne voulais pas trop m'avancer
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I'm dying again
Elle fuyait. Elle le fuyait. La jeune femme s’éloignait, sa chevelure malmenée par le vent. Quelques mèches claires dansant sur la brise tandis que les pans de sa robe s’envolaient pour dévoiler des chevilles frêles. Déjà, son pied se posa sur la première marche. Elle voudrait s’en aller pour de bon, plier le souvenir de cette rencontre dans le fond de son panier et s’en retourner à sa vie quotidienne. Mais Aodren, lui, il n’a pas envie qu’elle parte tout de suite. Le triton, désormais pourvu de jambes, la rattrapa avec aisance et s’empara de son bras pour la retenir. Quand elle se détourna, la belle inconnue ne mit qu’un instant à s’apercevoir de la tenue d’Adam de l’homme et son visage rougit subitement.
Cela l’amusa. Mais pas plus que ne le fit sourire sa réponse suivante. Elle lui avoua avoir eu un peu peur. Tous les habitants de Neverland étaient habitués aux sirènes et aux tritons, tous sauf les pirates évidemment ! Car pour leur part, lorsque les loups de mer croisaient la route des enfants de Neptune, ils finissaient souvent dans l’abysse des profondeurs océaniques. Est-ce que cela signifiait que la jeune femme était une pirate ? Aodren en doutait fortement. Elle n’en avait ni l’allure, ni le langage ni la bassesse d’esprit. Au contraire, quelque chose d’élégant se dégageait de ses traits fins et de son port de tête. Le triton lui esquissa un sourire, tâchant de faire opérer ce don de charme que la nature avait offert aux êtres de l’eau.
- En voilà une drôle de question ...
Le triton se mordit la lèvre inférieure. Allait-il la tuer ? Devait-il se cramponner à ce bras fragile et la tirer de toutes ses forces à l’eau ? Il lui aurait été si simple d’emmener la belle rejoindre les objets délaissés au fond de la crique. Personne n’en aurait jamais rien su ! Et puis, de toute façon, Neverland n’était pas qu’un havre de paix. La mort rôdait à chaque coin de rue pour les imprudents. Et cette charmante personne en faisait amplement partie. Les doigts d’Aodren caressèrent la joue de la jeune femme dans un geste tendre.
- Ne t’en fais pas, tu ne m’as pas dérangé et je ne te tuerai pas.
Il pencha légèrement la tête pour pouvoir l’observer. Pour une humaine, elle avait un certain charme. Aodren trouvait les femmes particulièrement belles mais les sirènes l’étaient encore plus ! Et tant d’humaines gâchaient leur beauté dans des lieux sordides où des tas d’hommes les usaient et les abîmaient à longueur de journée. Chez les sirènes, ce genre de choses était bien plus rare. Son peuple d’origine avait une mentalité bien différente de celle des êtres terrestres. Aodren susurra à la demoiselle :
- Comment t’appelles-tu jeune imprudente ?
Elle lui murmura un prénom, son prénom, Lyra. Aodren acquiesça. Il ne l’avait jamais vue, n’en avait jamais entendu parler. Sans doute ne devait-elle pas fréquenter les lieux de perdition où le triton effectuait la plupart de ses attaques. L’homme ajouta :
- Je m’appelle Malo. Et puisque tu voulais voir la mer, je ne voudrais pas t’en priver !
Impossible pour lui de donner son véritable nom, ultime barrière qu’il possédait face à l’exposition. Aodren, de toute façon, était mort depuis longtemps. Aodren était un jeune garçon naïf dont les parents s’étaient fait dévorer par un monstre marin. Désormais, il était un fantôme errant en quête de but. Le triton fit glisser sa main sur le bras de la demoiselle pour lui prendre la paume. Il lui fit faire quelques pas, l’emmenant vers l’étendue d’eau. Aodren garda la main de Lyra dans la sienne.
- Je suis le premier triton que tu croises, n’est-ce pas ?
À sa façon de le regarder, à cette expression surprise lorsqu’il lui était apparu entièrement nu mais aussi à cette insouciance débordante dont elle avait fait preuve en osant tourner le dos à un triton. Tout cela faisait qu’inévitablement, Aodren devait être le tout premier de son espèce dont elle croisait la route. Pauvre jeune femme, tombée sur le pire de tous en guise de premier contact avec l’ensemble ...
Aodren : Ne t’en fais pas, tu ne m’as pas dérangé et je ne te tuerai pas.
Un long frisson parcouru mon échine, je n’étais pas certaine que sa phrase était sincère. Son regard probablement, cette manière bien trop douce de l’avoir dite, il y avait une chose qui clochait, j’en aurai mis ma main à couper. Je me méfiais de lui, pourtant, j’étais incapable de m’échapper, après tout, il était charmant, envoutant et…j’aurais pu le suivre au bout du monde. Non ! Je ne devais pas…il était une créature de la mer ! Ils étaient cruels, de vrais tueurs. Lyra souvient toi de ça…il n’est pas charmant, il est dangereux Je donnais mon prénom lorsqu’il me le demanda, un sourire charmeur après, j’obtenais le sien en retour.
Aodren : Je m’appelle Malo. Et puisque tu voulais voir la mer, je ne voudrais pas t’en priver !
Malo…c'était joli. Une lueur passa dans ses yeux céladon, tout de même…comment un être qui possédait une telle beauté pouvait-il être ces créatures sanguinaires qu'on m'avait décrites. Je sentis ses longs doigts parcourir ma chair, descendant jusqu'à mon poignet, puis à ma main. Envoutée, je laissais ce geste pourtant s'accomplir, malgré la sensualité et l'intimité qu'il représentait pour moi, Lyra Spencer, fille d'un Lord Anglais et représentante de la bonne société de Grande-Bretagne. Avec une infinie douceur, ce qui m'obligea à me montrer sur mes gardes, en pensée tout du moins, il m'entraîna vers la plage que j'avais failli quitter un peu plutôt. Il était nu…rien que l'idée qu'il ne porte rien et qu'il se balade comme si ce n'était pas le cas, me rendais plus que mal à l'aise. J'étais…curieuse oui, après tout, je n'avais jamais vu un homme nu de ma vie…mais non…j'étais une dame…un Lady, il était hors de question que mes pensées impures viennent pervertir mes manières et mon regard.
Aodren : Je suis le premier triton que tu croises, n’est-ce pas ?
Pour toute réponse, je me contente au final de secouer la tête. Un petit rictus ennuyé sur le visage. Sa main tenait toujours la mienne et je sentais qu'au moindre geste de recule, sa paume se refermerait sur la mienne pour m'empêcher de fuir à nouveau. Je sentais cette pression, ce danger flottant autour de moi, pourtant, c'était…inexplicable, je me savais en danger, mais je ne voulais pas m'en sortir, poussé par ce regard vert, ce visage fin et bienveillant en cet instant. Il n'avait pourtant pas chanté, je croyais que lorsqu'Ulysse avait été enchanté par les sirènes, elles l'avaient eues par le chant. Mais…pourquoi, je pense à cela…je suis là, debout marchant vers l'océan, où cet homme va probablement me noyer et je pense à la mythologie grecque. Autant me suicider toute seule, je serais certes moins ridicule. Je tentais de soustraire ma main à la sienne et ma crainte se confirma, lorsque sa force me retint prisonnière. Je stoppais la marche lente vers le liquide salin pour faire face à cet Apollon. « Malo ? Je pense que vous l'avez deviné, mais je ne suis pas d'ici, en effet, vous êtes le premier….Triton…que je rencontre… » Ma voix n'est pas assurée, je cherche mes mots, alors qu'en temps ordinaire j'ai beaucoup plus de facilité à m'exprimer. « …Et pour tout dire, vous me faites peur…et…vous êtes nu et cela…enfin ce n'est pas correct, ça non…Et vous me tenez par la main…ce qui n'est pas correct non plus…seuls les proches font ce genre de choses…loin de moi l'idée de vous offusquer….C'est juste que j'ai plus l'impression que vous voulez m'entraîner dans les fonds marins pour me tuer que de tenir une conversation agréable… »
Je suis trop bavarde, j'en dis souvent bien trop et même maintenant dans une situation qui se veut véritablement tendue, j'arrive encore à parler au lieu d'agir. Après tout, si je me sens menacée pourquoi est-ce que je ne prends pas la fuite ? Au lieu de tergiverser, j'agis. Non…Oui…Il me regarde, sondant mon iris foncés comme pour y lire une chose que seule moi connaîtrais. La phrase sort sur le coup de l'impulsion, comme si ce n'était pas moi, comme si j'étais la spectatrice d'une action sans en avoir les ficelles. « Je pourrais me noyer dans vos yeux, comme on se noie dans la mer »
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I'm dying again
Elle avançait docilement, laissant la paume de ce Malo imaginaire lui tenir la sienne. Ils avançaient, leurs deux silhouettes s’approchant presque dangereusement du bord. L’eau glapissait en bas, s’écrasant contre la roche dans un rythme mélodieux. La demoiselle exerça une certaine pression, comme pour récupérer sa main. Aodren ne la lui rendit pas. Il avait envie d’en apprendre plus, de jouer encore un peu, de découvrir ce que cachait cette curiosité humaine tellement proche de la naïveté, de l’insouciance mortelle. Le triton sentait la crainte chez la belle. Et pour cause, quelques pas de plus et ils s’enfonceraient tous les deux dans les eaux sombres. Elle disparaîtrait à jamais de la surface de la terre. Y aurait-il seulement quelqu’un pour la pleurer ? Aodren n’en avait aucune idée.
Lyra se tourna alors vers lui pour le regarder de face, s’adresser à lui yeux dans les yeux. Elle n’était pas d’ici, la bonne blague. Aodren aurait pu le dire rien qu’à sa façon de le regarder. Les gens n’agissaient pas comme elle le faisait avec les tritons ! Les enfants perdus, peut-être, adoptaient ce genre de comportements aussi naïfs puisqu’ils se savaient en sécurité. Tous les autres, tous les adultes, se savaient en danger. L’homme acquiesça d’un hochement de tête. Lyra était une perle exotique, un morceau de souvenir d’ailleurs arraché à la mémoire collective. Désormais, elle le fascinait.
Mais elle ne lui laissa pas le temps de la questionner. Dommage, Aodren, il aurait voulu savoir comment c’était de l’autre côté. Là où le temps s’écoule, là où les tritons n’existent pas. Ne s’ennuient-ils donc pas à mourir ? Seuls dans leur banale vie usuelle, avec les créatures fantasques et grandiloquentes de leurs fantasmes condamnées à rester prisonnières de la cage de leur imagination infertile ? Aodren était lui-même l’enfant d’un vœu. Un être créé de toute pièce par l’Imagination elle-même, la belle, la pure. Mais voilà que Lyra cédait à la panique. Elle lui reprochait de l’effrayer, elle lui reprochait aussi sa nudité et sa façon de la forcer à se sentir en danger. Cela le fit sourire.
- Si je t’ai mise mal à l’aise, je m’en excuse.
Aussitôt, ses doigts libérèrent ceux de Lyra et il leva les mains en signe de paix.
- Mon attitude s’est montrée trop familière à ton goût, je le conçois. Ce que tu ne peux me reprocher toutefois est ma nudité ! Le tissu ne peut se matérialiser sur mon corps comme par enchantement et c’est toi qui est venue me déranger durant une baignade.
L’homme esquissa un sourire joueur. Au fond, ça l’amusait Aodren d’afficher son corps nu sous le regard de Lyra. Il n’avait clairement aucun complexe et appréciait de voir le rouge monter aux joues de la belle, de la savoir perturbée par son anatomie masculine. Le triton devait avouer prendre un plaisir perfide à cette petite manipulation mais il ne ferait pas de mal à Lyra. Assassin était son métier, certes mais le meurtre ne relevait pas de la pulsion animale chez lui. Aodren était plutôt tombé dans un cercle vicieux, facile et corruptible. Rien de plus. Cependant, jouer avec la demoiselle l’amusait énormément. Il aimait la sentir dérangée, attirée, tiraillée et tout cela à la fois.
- Je m’en voudrais que tu te noies où que ce soit ... tu sembles pourtant persuadée que c’est là mon but. Il n’en est rien.
Aodren lui adressa un nouveau sourire, cette fois moins moqueur. Les pirates avaient colporté toutes sortes de rumeurs sur les êtres de l’océan. Certes, les sirènes et les tritons avaient tués des tas de pirates de par les années ! Et oui, il était arrivé qu’ils tuent aussi des habitants lambda. Cela ne voulait pas dire qu’ils étaient avides de meurtres. Cela signifiait simplement que leur peuple, à l’instar de tous les autres, avait largement de quoi se défendre en cas d’attaque.
- Avais-tu déjà vu un homme nu, auparavant ?
Le triton la testait. Le fait qu’elle soit si surprise et mal à l’aise face à son corps lui faisait fortement songer que Lyra en connaissait bien peu au sujet des choses de l’amour. Beaucoup d’autres femmes auraient profité du corps gracieusement offert à la vue par l’enfant de Neptune mais elle, elle jouait les interdites. C’était à la fois attachant et risible. Aodren finit par pouffer de rire.
- Tu regrettes d’être venue à Neverland ?
Venue. Comme si c’était un choix ... comme si, Lyra, quelqu’un lui avait demandé son avis. Non, Neveland s’imposait. Pour certains, c’était une bénédiction. Pour d’autres, en revanche ...
À la suite de ma remarque sur sa nudité et ses manières, il me lâcha la main et je l’en remerciais du regard vivement. Cependant, il n’en restait pas moins nu. Que je l’ai dérangé, je voulais bien l’admettre, j’avais été surprise tout autant que lui et cela l’avait à ce point contrarié, je comprenais qu’il soit venu me demander ce que je faisais près de l’eau. Mais je ne lui avais pourtant rien dérobé, pas plus que je lui voulais du mal. Mes intentions étaient pures et innocentes, je le jure. Les mots qui parlaient avec envie de son regard me firent monter le rouge aux joues, du moins encore plus que je ne les avais avant cela. Ses paroles furent rassurantes cependant. Il ne voulait pas me faire de mal et bien que je continuais de me méfier, au fond je savais que s’il le voulait, il aurait déjà exécuté son dessein. Il semblait s’amuser de ma condition, ce petit sourire en premier qu’il avait devant mes demandes de jeune femme bien éduquée et puis cette façon de ne pas se cacher à moi.
Aodren : Avais-tu déjà vu un homme nu, auparavant ?
Cette question, je m’empourprais davantage, si cela était possible. Non, il était le premier, j’avais bien entendu vu des hommes sur le bateau torse nu et j’avais aperçu également rapidement Tankred le pirate qui était venu à mon secours, mais jamais un homme dénudé n’avait été aussi proche de moi. Et bien que cela me troublait de toutes les manières qu’on puisse être troublée, je finissais par trouver de la curiosité dans cette rencontre. Je dodelinais de la tête, afin de lui répondre que non, il était bien le premier, je n’allais évidemment pas entrer dans les détails. Cela ne le regardait pas le moins du monde et même si nous avions été proches, cette conversation sur la nudité était loin d‘être convenable et correcte. Voyant mon trouble, il finit par me poser une autre question. Regretter d’être ici ? Je fronçais les sourcils formant un « V » sur mon front. Où diable voulait-il en venir avec cette question ? Je ne le connaissais pas et j’allais m’épancher sur ma vie ? Mais d’un côté, il demandait juste et je n’allais pas risquer de le contrarier. « Regretter n’est pas le mot que j’aurais employé…Je veux dire…j’ai tout perdu, ma famille, ma vie, mon rang, tout ce que j’ai été un jour pour me retrouver ici, perdue, dans un lieu où des êtres comme vous vivent, alors que cela ne devrait pas ? Croyez-vous que… » Mais je me rends compte bien vite que mon ton est bien trop puissant, que mes sentiments prennent le dessus parce que cela me fait mal. « Pardonnez-moi…Malo. C’est juste que, c’est encore récent et que je n’arrive pas encore à me faire à l’idée de ne jamais retourner d’où je viens. J’ai perdu ma famille, l’homme que je devais épouser dans une tempête, j’ai dérivé pendant des jours, pensant que ma dernière heure était venue, j’ai vu des gens autour de moi perdre la vie et je me demande encore pourquoi moi, j’ai été épargnée. Je perds peu à peu les souvenirs de mes proches, comme si un maléfice prenait leur visage, je n’arrive pas à pleurer leur perte, comme je suis censée le faire…Et je suis là ! » Je m’éloigne de lui, me laissant prendre par la vague de sentiments qui m’assaille. Je lève un bras pour le montrer, encore nu et devant moi, un triton, une sirène, un être de légende qui n’est pas normale de rencontrer et encore moi de lui tenir la conversation. « …je suis là, oui ! À parler à un triton complètement nu devant moi ! À me dire que tout cela n’est qu’un cauchemar qui prendra fin à un moment ! Que je suis certainement morte en réalité et que…je…je… » Je ne termine pas ma phrase, tant de colère, de rage, d’incompréhension, un tas de sentiments qui se mélangent avec force en moi.
Je vois bien qu’il ne comprend pas, peut-être qu’au final tout cela l’amuse. Je me tourne enfin vers lui, vers son visage évitant toujours de l’observer. « Est-ce que vous êtes vraiment là ? Êtes-vous réel ? Comment savoir, comment être certaine ? Vous ne comprenez pas ? Pourquoi tenterais-je de vivre, alors que je ne suis pas certaine d’être vivante ! » je soupire, croisant mes bras devant ma poitrine et méditant sur ce que je viens de dire, quelle importance pour lui, il n’en a que faire, je ne sais même pas pourquoi je lui ai dit tout ça.
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I'm dying again
La jeune femme s’empourpra. Evidemment qu’il était le premier à se montrer nu sous ses yeux. Cela plaisait à Aodren, il était peut-être malicieux à cet instant mais le regard perturbé de la belle valait le coup. Cependant sa question suivante mit le feu aux poudres, la jeune femme se lança dans une explication qui le perturba. Elle osa même parler des « êtres comme lui » qui ne devraient pas exister. Le triton fronça à son tour les sourcils. Il n’eut pas le temps de répliquer que déjà, elle s’excusait et lui expliquait par quels tourments elle était passée. Aodren ne put s’empêcher de ressentir de la compassion pour Lyra. Elle avait perdu beaucoup, vécu énormément pour en arriver là. Ce n’était pas aussi simple d’arriver à Neverland que d’y naître.
- C’est l’île. Elle se nourrit de votre mémoire, de vos souvenirs. Tâchez d’écrire sur un bout de papier ce dont vous tenez à garder trace.
Pourquoi lui octroyait-il un conseil ? Lui, le triton solitaire. Peut-être parce qu’avec ses manières de jeune pucelle, elle l’avait interpellé. Il ressentait pour elle une sorte de compassion teintée d’une envie de la voir retrouver un semblant de sourire. Les difficultés, il connaissait et ce n’était pas toujours simple de s’en sortir. Mais la voilà qui s’écarte tout à coup. Lyra perdait pied, elle se laissait envahir par sa colère et son désarroi. Aodren était presque triste d’assister à ça. Il était peut-être assassin de carrière mais voir d’autres personnes meurtries autour de lui, des gens innocents et bienveillants, ça ne l’amusait en rien.
La jeune femme part à la dérive, s’ils avaient été en mer, l’équipage aurait hurlé « une femme à la mer ! ». C’était le cas, elle perdait totalement le contrôle. La voilà qui s’interrogeait sur la vie, la mort, son existence ou son trépas. Elle ne discernait plus rien de la faute d’un triton. De sa faute à lui. De sa faute et de la faute de ses attributs masculins à l’air libre qui la décontenançaient. Aodren poussa un soupir. Il s’approcha assez rapidement pour éviter qu’elle n’ait le temps de fuir. Sa paume attrapa la nuque de la demoiselle tandis qu’il l’attira contre lui, ses lèvres touchèrent celles de Lyra dans un baiser fougueux tandis que l’une de ses mains agrippaient les courbes du fessier de la belle. Le triton prolongea le baiser un instant de plus avant de la lâcher en souriant.
- Tu voulais une preuve que tu es en vie, la voilà. Si tu étais morte, tu n’aurais pas pu ressentir tout ça, n’est-ce pas ? Maintenant ressaisis-toi et retourne parmi les tiens avant que je n’éprouve l’envie de te faire connaître plus que le goût de mes lèvres !
Aodren pouffa de rire. Il n’aimait pas la voir aussi tourmentée, aussi perdue. D’ailleurs, le triton ne voulait pas perdre son temps, pourtant infini, à écouter une autre personne se lamenter et baisser les bras. L’humanité était fragile, faible et éphémère. Ils n’avaient pas le temps de pleurer ou de se plaindre car chaque seconde perdue à cela était un instant de moins dépensé à vivre cette existence si courte. Aodren jeta un regard joueur à la demoiselle et s’éloigna de plusieurs pas, se redirigeant vers l’eau lentement. Cette rencontre, pour le moins atypique, aurait eu le mérite de donner à sa journée un tournant inattendu ! Et il fallait bien avouer que les lèvres plutôt chastes de la demoiselle avaient un goût de victoire.
Alors que mon esprit s’embrouille totalement dans les méandres de pensées maussades, je constate qu’il vient de briser l’espace entre nous, je n’ai pas le temps de réagir, que sa bouche rencontre la mienne dans un baiser puissant que je suis incapable de repousser. Dire que je n’en avais pas envie serait mentir, je suis attirée par lui depuis qu’il est sorti de l’élément liquide pour me retenir alors que je désirais prendre la fuite. Ses lèvres bougent sur les miennes, danse sensuelle faisant écho aux sensations ressenties par ce contact pourtant non désiré. Je sens ses mains sur mon corps, l’une maintenant ma nuque pour renforcer son geste et l’autre sur la courbe de mes fesses. J’ai beau ne pas être dénudée comme il peut l’être je ne me sens pas moins nue en cet instant. Il finit par quitter mes lèvres, alors que je reprends un peu consistance. Mes jambes flageolent encore de l’union de nos lippes. Doux poison que celui qu’il vient de m’offrir dans ce baiser, je le sens descendre le long de mon échine, attaquant le maintien de mes jambes que je sens chanceler. Aodren : Tu voulais une preuve que tu es en vie, la voilà. Si tu étais morte, tu n’aurais pas pu ressentir tout ça, n’est-ce pas ? Maintenant, ressaisis-toi et retourne parmi les tiens avant que je n’éprouve l’envie de te faire connaître plus que le goût de mes lèvres ! Il rit et j’ai bien ouïe ses paroles, cependant elles ne me choquent plus autant qu’il y a encore quelques minutes, avant même qu’il n’ose franchir l’espace privé qui était le mien. Je suis bien incapable de lui répondre, de dire quoi que ce soit, trop imprégnée de l’état où il venait de me mettre. Il replonge dans l’eau, ses jambes se transformant en queue de poisson. Je reste là un moment, avant que l’endroit ne redevienne complètement calme. Doucement, je laisse la fébrilité de mes jambes prendre le dessus et je m’assois, repliant mes genoux sur ma poitrine et réfléchissant après coup aux paroles de l’Être des mers. Si j’étais morte, ce baiser ne me ferait pas autant d’effet, si j’étais dans un rêve non plus. Tout est vrai, il était vrai…je reste là, plusieurs minutes, avant de récupérer mon panier et de remonter vers le haut de la falaise, me promettant de revenir à cet endroit, pour peut-être en apprendre davantage sur cet homme poisson.