Un mois passe lentement lorsque le froid rampe dans les bois. Plus de trente jours et trente nuits qui s’égrènent tranquillement alors que le vent siffle, s’insinuant dans chaque orifice de ta demeure, tamisant peu à peu le feu qui brûle dans l’âtre par son souffle glacé. Malgré tes bonnes résolutions d’utiliser la chambre – de finalement vivre dans la maison de la Forêt des Larcins comme le véritable propriétaire des lieux, d’oublier le fantôme de ta mère et cette impression constante de n’être qu’un intrus sous ton propre toit –, le froid est tel que tu ne trouves le sommeil qu’en t’allongeant près des flammes, sur ton lit de fortune dont la paille devient dure à cause du manque de chaleur. Les nuits sont sombres et froides.
someone worth waiting for
Gràinne & Gabriel
the worst part of life is waiting. the best part of life is having someone worth waiting for.Tes songes sont constamment interrompus par la fraîche qui s’insinue sous tes draps, te réveillant brusquement pour constater que ton feu s’est mourus dans l’âtre.
Sa chaleur te manque. Tu te languis d’elle, de ses lèvres, de son visage, de son regard, son corps et de sa voix. Mais surtout de son rire.
Depuis son départ pour la mère, tu as fait tous les efforts nécessaires pour ne pas retomber dans tes vieilles habitudes, pour ne pas redevenir l’homme misérable que tu as été pour près de dix années avant qu’elle ne revienne… avant que tu ne la retrouves, suspendue dix pieds dans les airs, empêtrée dans le filet d’un chasseur.
Combien de fois avais-tu imaginé vos retrouvailles ? Combien de fois avais-tu espéré, en entendant une branche craquer dans la forêt, en entendant une flèche siffler, en apercevant une chevelure flamboyante dans la foule à One Eyed Will, en sentant une main dans ta poche au marché, en entendant des voix dans les bois… combien de fois avais-tu espéré que Gràinne O’Malley soit enfin de retour pour se frotter à toi, pour te faire vivre mille rebondissements ? Tu as rêvé de son visage et de sa chevelure de feu quasiment toutes les nuits pendant une décennie. Et pendant dix ans, tu n’es parvenu à faire guérir ton cœur d’aucune façon. La chaleur des femmes, la brûlure de l’alcool, les poudres de fée, le travail acharné, les sensations fortes, les aventures effrénées sur l’île… rien n’est parvenu à effacer le vide laissé par le départ de Grace.
Elle a été ton premier amour… Cette jeune fille fougueuse et impétueuse, indomptable et sauvage, assoiffée de liberté, avide de vivre sans restriction aucune. C’est d’ailleurs ce qui l’avait attirée vers toi ; cette envie d’agir comme elle le voulait, et pas comme on le lui dictait. Et vous aviez profité de chaque instant passé ensemble pendant quelques temps avant qu’elle ne disparaisse.
C’est que tu l’avais embrassée. Mais elle ne te voyait pas comme ça. Tu étais son ami, elle te faisait confiance, et tu avais trahi cet accord tacite et silencieux qui existait entre vous. Cet accord de n’être qu’amis, de ne jamais dépasser les limites qui pourraient mettre votre amitié en péril. Ton baiser avait brisé le charme. Il l’avait forcée à reconsidérer la façon dont elle te voyait, à réfléchir à vous deux. Toi, tu avais su dès le premier regard que ce feu follet avait volé ton cœur. Même si tu étais jeune et que tu avais mis un bon moment à le comprendre réellement, Gràinne avait volé ton cœur et ta tête dès votre première rencontre. Plusieurs années étaient passées avant que vos chemins ne se croisent de nouveau. Lorsqu’elle avait finalement remis les pieds dans la forêt au creux de laquelle se niche ta maison, elle t’avait surpris dans les bras d’une autre femme. Elle avait cru arriver trop tard, peut-être. Quoi qu’il en soit, sous le choc, elle avait pris ses jambes à son cou et tu avais cru ne plus jamais la revoir.
Mais elle était revenue. Bien qu’elle n’ait pas mis les pieds dans la Forêt des Larcins avec l’objectif de te retrouver ce jour-là, tu aimes croire que le destin a voulu que vos chemins se croisent de nouveau. Tu l’as emmenée chez toi, tu l’as soignée, tu l’as aimée comme si jamais elle n’était partie, comme si la vie n’avait jamais séparé vos corps et vos âmes. Il a été difficile de la laisser partir, mais tu ne veux pas qu’elle se sente obligée de devenir quelqu’un d’autre, de changer pour toi. Être une pirate, c’est ce qu’elle a toujours voulu, c’est le rêve qui a dicté chacun de ses pas. Elle aime sa vie et les aventures qu’elle vit quotidiennement sur la Terreur du Sud. Qui es-tu pour lui demander de lâcher son équipage, de laisser tomber ce qui fait bouillir le sang dans ses veines ? Ce rêve grandissait en elle alors même qu’elle n’était qu’une adolescente.
Toutes ces années, il aurait suffit que tu viennes flâner sur le port pour la retrouver. Mais tu t’y es refusé. C’est vers le port que ton père s’en est allé lorsqu’il vous a quitté, ta mère et toi. Jamais tu ne lui as pardonné cet abandon. Encore aujourd’hui, le port est probablement l’endroit de One Eyed Willy que tu détestes le plus. Et pourtant, depuis que Gràinne est revenue dans ta vie, tu as visité le port tous les jours dans l’espoir de votre la Terreur du Sud au loin. Aujourd’hui ne fait pas exception. L’air est frais et mordant, la neige crisse sous tes pas alors que tu traverses les rues de la ville, et tu espères très fort que cette journée est la bonne, qu’aujourd’hui, Gràinne sera de retour.
@Gràinne O'Malley