Neverland, dans la cale d'un bateau pirate.
Intrigue 2, Chapitre 1.
Elle s'était faite attraper cette fois.
Au départ, ça avait commencé comme chaque jour de tempête. Un homme qui tombe à l'eau et la sirène qui était là pour lui faire un sort. Lui montrer qu'on ne se faisait pas engloutir par la mer pour espérer refaire surface et préserver un précieux lendemain. Non, la vie s'était finie pour lui. Définitivement. On aurait pu dire que ses paupières s'étaient à jamais scellées sur ses yeux en sombrant dans le terrible et funeste monde de la mort. Mais il en était autrement. L'homme avait bien quitté Neverland, de l'unique manière qu'un pirate pouvait s'en aller de la surface de cet univers créé jadis, un millier d'années auparavant, par un enfant. Il n'était simplement pas mort les yeux clos. Ceux-ci demeuraient figés dans l'effroi jusqu'au dernier jour de sa décomposition s'il ne se faisait pas dévoré par les prédateurs sous-marins avant. Sa dernière vision aura été celle de sa faucheuse aux cheveux d'argent, aux écailles étincelantes et aux yeux de feu. Le Feu de la Haine. La Foudre de Nacre était restée. Bien décidée à ne pas faire qu'une victime, ce jour. La malheureuse aurait été bien plus avisée de faire battre sa nageoire dans l'autre sens.
Le sens du retour au bercail. A force d'exploits meurtriers, la belle sirène nacrée s'était forgée une petite réputation chez les loups de mer. Ils en avaient marre de cette femme des eaux salées qui apparaissait lorsque l'océan les prenait en traître pour les priver d'hommes. Non contente de cela, elle venait même parfois avec du renfort. C'était l'occasion de lui faire cesser ses tueries. Aujourd'hui. Alors qu'elle était totalement seule. Certes, pas sans défense. Mais, au moins
seule.
Ce devait sûrement être leurs raisons.
Il faisait froid. Sombre. L'océan s'agitait. Les vagues s'assaillaient les unes les autres et venaient claquer sans pitié le pont du bâtiment. Le vent hurlait dans les oreilles des boucaniers et dans les voiles qu'ils tentaient de protéger. Les éléments semblaient chercher à les attirer tous par le fond. Certains jours, ils arrivaient à fracasser des épaves dans leur fureur. Les marins se noyaient dans les entrailles de la mer en furie. La sirène aux écailles claires était chez elle. Pourtant...
Terreur.
- Elle d'vient d'jà bleue ! Force-la à l'mettre, bon sang ! On va pas y passer la nuit !
L'homme crache sa glaire par terre. Répugnant déchet humain.
- Mais, elle s'laisse pas faire ! R'gardes ma joue ! Et mon bras ! J'ai cru qu'elle allait m'dévorer comme un pilon d'poulet !
- Arrête de pleurnicher ! Si t'avais plus de c*uilles dans le pantal', ça s'pass'rait autrement. Passe-moi ça ! Bourses molles, va. R'garde un peu comment qu'on s'y prend avec les sirènes un peu trop coriaces !
- L-lui fait pas trop d'mal quand même...
- ... Tu t'plains d'te faire déchiqueter l'membre et après tu chouinasse pour cette bête des enfers ?!
- Bah e-elle a peur... Et c-c'est qu'on a pas été très gentils, gentils avec elle... Puis... Elle est jolie...
- ... Putain... Si j'pouvais t'enlever l'sang de notre famille des veines, j'le f'rai.
Ils n'étaient plus que deux mais c'était quand même trop. L'homme à la carrure de montagne rouvrit la large cage dans laquelle ils avaient enfermée leur captive. Celle-ci s'était recroquevillée et calée au maximum contre le coin le plus éloigné des deux pirates. Au point qu'elle en avait mal au dos. Son corps nu tremblait de froid et sans doute y avait-il de la peur dans ces frémissements glacés. Mais elle était toujours menaçante, les yeux fixés sur ses deux ravisseurs. Celui qui s'approchait maintenant d'elle était plus impressionnant que le second, tout chétif et peu confiant. L'autre était grand, ses muscles étaient très développés, peut-être assez pour briser des rochers à mains nues et la peau de son visage affichait plusieurs cicatrices gagnées au combat. Un bout de sa lèvre supérieure était arrachée. Il n'affichait aucune crainte face à l'hybride et marchait avec assurance dans sa direction. Valone avait conscience qu'elle n'était pas de taille à affronter
ça, surtout dans l'état d'effroi dans lequel elle était plongée, doublé par un prémisse d'hypothermie et triplé par un sentiment d'éreintement. Se débattre avec l'énergie du désespoir dans ce filet l'avait épuisée. Le marin attrapa la princesse par le bras avant qu'elle n'ait le temps de réagir. Il lui fit mal en la serrant avec une poigne de fer. Elle le griffa au visage, manqua de plaquer un ongle dans son œil et l'attrapa à la gorge. Mais il la frappa rudement. Momentanément sonnée, la joue douloureuse et si rouge qu'elle en contrastait visiblement avec le reste de son épiderme diaphane, la sirène se serait écroulée s'il ne la retenait toujours pas fermement par le bras. Valone était terrifiée. Elle voulait se sauver. S'échapper, retrouver la mer et se volatiliser jusqu'au Palais. Dire à son père tout ce qui s'était passé pour qu'il la venge et les tue tous jusqu'au dernier, comme la première fois... Mais c'était impossible. Comment pourrait-elle se sortir de là ? Alors même qu'elle était faite prisonnière dans le ventre nauséabond d'un de ces monstres de bois qui hantaient autant ses cauchemars que ses rêves de carnages vengeurs.
- Arrête de t'débattre ou j'te casse les os ! Une voix tonitruante et dur, celui à qui elle appartenait avait déjà tué lui aussi. Mets-ça, espèce de garce ! M'oblige pas à t'faire encore plus mal !
Il la plaque au sol et la force à se couvrir d'une peau tannée. Jamais elle n'avait portée quoique ce soit venant du monde des humains, si ce n'est une simple robe bleue comme ses yeux lorsqu'elle venait marcher sur l'île pour protéger son corps du soleil. Le contact de cette couverture la révulsait. Plus encore, la révulsait le corps de cette chose immonde plaqué contre elle qui l'empêchait d'effectuer le moindre mouvement. Le poids de ce monstre était douloureux. Insupportable. Elle se mit à hurler avec toute la détresse de son âme. Un son inhumain, strident, suraiguë. Le plus chétif des deux se plaqua les mains contre les oreilles tandis que l'autre fit un bond en arrière pour revenir sous peu lui cloitre la bouche avec une de ses mains puissante et se servir autant de ses bras que de ses jambes pour l'immobiliser.
- Bordel mais j'vais lui tordre le cou à cette chieuse des mers !
- Arrête ! Fais pas ça ! Tu sais c'que l'capitaine a dit !
- Ouais ! J'sais c'que l'capitaine a dit ! Mais putain ça m'f'rait du bien d'lui casser les vertèbres, tiens !
Il la lâche avec toute la brusquerie dont il était capable dans sa retenue limité pour retourner expressément sur le pont rejoindre les autres matelots et reprendre son poste sur le navire. Valone heurta fortement le sol en freinant sa chute de ses avant-bras puis éjecta la peau de bête et retourna se réfugier dans le coin de sa prison. Le corps plus endoloris qu'auparavant.
- ... Tu... Tu d'vrai l'mettre... Ça tient chaud. Et tu risques de... de mourir de froid sinon.
Il avait pitié d'elle ?! Cette espèce de sac d'os rachitique, misérable et ignoblement laid !? Cela ressemblait à une moquerie de mauvais genre. La Princesse des océans se tourna vers le timide marin pour le regarder avec toute la véhémence et le mépris qu'elle ressentait à l'égard des êtres comme lui. C'était comme une lame qui réduirait son intérieur tout entier en lambeaux de chairs sanguinolentes. Si elle le pouvait, elle lui sauterait à la gorge, serrerait sa trachée par toute la force de sa colère et lui cracherait au visage la menace qu'elle avait en bouche. Son père viendrait la venger. Tous les tuer, les uns après les autres. Si jamais il lui arrivait quelque chose. Si jamais elle venait à périr entre leurs mains. Il serait impitoyable pour la mémoire de sa fille unique et leur ferait regretter leur acte inconsidéré. Un acte fou. On ne capture ni ne blesse la progéniture Thelxiope sans qu'il y ait représailles. Sévères représailles.
Sachant qu'elle n'aurait pas le temps de l'attraper avant qu'il ne recule aussi vivement qu'une anguille, elle ne tenta aucun geste mais le fixa au point que, elle l'espérait, il en ferait d'atroces cauchemars une fois endormi dans sa couche. S'il arrivait à s'endormir. La glotte du malheureux déglutie et il s'empressa soudain de rejoindre son frère ou son cousin en haut des marches. Désormais, elle était vraiment seule. Après quelques brèves minutes, la Princesse se mit à fondre en larmes. A bout de nerfs. Cet endroit était lugubre. Neverland était de plus en plus effrayant à mesure que le temps passait mais en cet instant, c'était pire que tout. Les bras croisés sous sa poitrine comme si elle cherchait à se protéger de la barbarie dont elle venait de faire l'objet mais aussi du froid qui la gagnait, elle resta à genoux dans le fond de sa prison. Elle avait peur de ces lieux. Elle avait peur du lendemain. Elle avait peur de ce qui allait lui arriver.
Valone ne voulait qu'une chose dans l'immédiat : rentrer parmi les siens.
- Père, venez à mon secours, je vous en prie...
***
Plusieurs heures étaient passées. Combien, elle ne saurait le dire mais malgré son état de fatigue, la sirène n'avait pas fermé l’œil sinon juste pour somnoler légèrement. Le moindre bruit la rendait tendu ou la faisait sursauter. Des bruits de pas. Les craquements du vieux bois. Des objets lourds qui roulaient à l'étage du dessus. Des éclats de voix soudaines. Des tintements de métaux qui s'entrechoquaient. Tout lui était inconnu ici. C'était un monde étranger où la sécurité n'existait pas. Au contraire, le danger était partout. Même ces barreaux de fer qui l’empêchaient de s'enfuir étaient ses ennemis. Si seulement elle pouvait sortir de là pendant qu'ils dormaient tous... Elle n'aurait plus qu'à plonger par-dessus bord pour être sauve. Ça puait. La peau, que le froid l'avait obligée à poser sur ses épaules avec un haut-le-cœur, puait. Même sous ses blancs cheveux humides qui séchaient bien trop vite à son goût. Valone n'aimait pas avoir la peau séchée, même si son épiderme "humaine" s'adaptait confortablement à la vie de plein air. Ça ne lui plaisait pas. Ces
jambes non plus, ne lui plaisaient pas. Rien ne lui plaisait dans la culture et le mode de vie, l'environnement ou la morphologie même du corps des humains. Enfin,
pratiquement rien.
Soudain, sa solitude coupa court. Il y eu de l'agitation au-dessus, de nombreuses voix s'élevèrent sans qu'elle ne comprenne un traitre mot de ce que ses ravisseurs disaient. Que se passait-il ?! Était-ce l'heure de son trépas ? ou bien de sa torture ? Avaient-ils finalement décidé de ce qu'ils allaient lui faire subir ? La peur la paralysa. Elle se recroquevilla un peu plus sur elle-même tout en fixant le plafond avec angoisse. Son tressaillement fut si fort lorsqu'ils ouvrirent brusquement la porte qui menait à la cale où ils la détenaient que son corps en fit un demi-bond. Retournant dans la partie la plus éloignée des pirates qui surgissaient en trombe dans la pièce confinée, Valone se débarrassa aussitôt de l'unique "habit" qui la recouvrait. Ce serait heurter sa fierté que de laisser ces erreurs du Pays Imaginaire la voir capituler en portant cette
chose devant eux. S'immobilisant à genoux, l'hybride observa la scène qui se profilait de l'autre côté des barreaux. Ils avaient procédé à une autre capture. C'était une femme, physiquement jeune, qui ne se laissait pas faire non plus.
- C'est qu'elle a du mordant l'indienne ! On va la mettre avec l'autre, elles d'vraient bien s'entendre !
Sur ces mots, ils la jetèrent dans la cellule sans ménagement. La porte claqua quand elle se ferma et les rats des mers s'en retirèrent avec des ricanements répugnants. Valone ne bougeait pas et ne disait rien.
"L'indienne" avait-il dit... Qu'est-ce que c'était que ça ? Une indienne ? La sirène observait celle qui partageait désormais sa cellule avec circonspection. La jeune femme avait l'air d'être dans le même état de crainte et de colère qu'elle. Il y avait de la sauvagerie dans ses yeux. Des états d'esprits qui lui étaient on ne peut plus familiers. Ces hommes ne devaient pas l'avoir ménagée non plus là-haut. A quoi s'attendre d'autre avec des pirates ? Sauf que Val' se serait bien passé d'avoir une "copine" de prison. Naturellement méfiante envers les humains, la Princesse jaugeait l'inconnue et se tenait à l'écart comme si le moindre contact avec cette fille allait l'infester. Néanmoins, une pointe de curiosité planait. Pourquoi l'avaient-ils enlevée, elle aussi ? Avait-elle fait quelque chose de répréhensible à leurs yeux ? ou aimaient-ils simplement collectionner les jeunes femmes sous la coque de leurs épaves ? La créature des fonds marins n'aimait pas cette présence étrangère terrienne si près d'elle. Pourtant, cela valait mieux que d'être complètement seule dans un endroit aussi sinistre, surtout quand la peur ne cessait de rôder à chaque nouvelle minute passée.
Un silence de plomb s'installa entre les deux captives.