« C'est toujours comme ça : une personne fait une mauvaise action et elle ne veut pas en subir les conséquences. Elle croit que tant que les autres n'en savent rien ça n'est pas un déshonneur.» M. Twain
One-eyed Willy à la tombée de la nuit c'était un peu comme l'ouverture de la foire un dimanche matin. On voyait débarquer sur le port un mélange hétéroclite fait de marins en quête de sensations fortes, de pirates à la recherche d'une bonne rasade de rhum et de pleins d'autres choses, le tout dans une ambiance bruyante et chaotique qui confinait quelque peu à la décadence. Et au milieu de tout ça, Jeremiah observait la foule, un mince sourire aux lèvres. De retour à la maison. Enfin si on pouvait voir cette île comme un foyer. Paradoxalement, le pirate ne restait jamais vraiment longtemps dans son port d'attache, les limites de ce caillou lui semblaient ridiculement étriquées et il finissait toujours par s'y sentir à l'étroit. Mais pour une raison inconnue, il y revenait toujours. Même à présent que sa vie avait pris un tournant radicalement différent.
Quelques membres d'équipage le dépassèrent sur le ponton, l'invitant d'un signe de la main à venir prendre un verre. Le forban leur répondit dans un sourire, il arrivait. Jeremiah ne savait pas encore totalement ce que son arrivée sur le Poséidon allait provoquer. Il n'était même pas encore certain d'avoir pris ses marques à bord du navire, mais restait persuadé que sa décision avait été la bonne. Mais on ne se faisait pas sa place à bord d'un navire comme ça. D'autant plus lorsqu'il s'agissait d'occuper un poste tel que le sien. Il lui faudrait gagner la confiance de ses hommes et cela prendrait du temps et bien plus que ses habituelles belles paroles. Ils n'étaient pas ouvertement hostiles mais il y avait un petit quelque chose au fond de leurs yeux qui montrait qu'ils se méfiaient toujours.
La ville lui ouvrit les bras avec la même familiarité qu'une ancienne maîtresse, le plongeant dans un univers de cris et de chants égrillards. On s'appelait, se tapait dans la main, échangeait quelques pièces de cuivre au dessus d'un jeu de dés. Il y avait quelque chose dans cette cité qui ne dormait jamais. Et Jeremiah aimait bien cela. Mains dans les poches, il avançait d'un bon pas avec un petit quelque chose de léger dans sa démarche, il était de bonne humeur. Les ruelles se succédèrent alors qu'il avançait avec l'aisance de l'habitude en direction de la taverne, oublieux des ombres et des cris.
Mais sa progression fut vite stoppée par la vue d'une silhouette adossée à un mur de pierre, l'air d'attendre quelque chose. Aussi léger qu'il puisse se sentir, Cookson ne baissait jamais sa garde, il y avait toujours une part de lui qui se tenait en alerte, prête à réagir. Il avait causé bien trop d'ennuis et s'était mis beaucoup trop de gens à dos pour qu'il en soit autrement. Il aurait été bien trop bête de passer l'arme à gauche pour s'être montré trop tête en l'air. Mais cet ennuis là était venu pour rester et elle ne repartirait pas avant d'avoir obtenu ce qu'elle était venue chercher. Anne Bonny. Second du Walrus et accessoirement bien décidée à lui faire payer une vieille histoire dont il ne se rappelait pas les détails exactes. Mais la pirate avait bonne mémoire et s'était lancée dans un jeu du chat et de la souris, bien décidée à lui faire payer une énième frasque qu'elle n'avait pas oubliée, elle. Impossible que le hasard l'ai placée sur sa route, elle était à sa recherche et l'avait attendu. « Et bien qui vois-je donc ici ? Lança-t-il faussement enjoué, quelle surprise de se croiser, je ne m'attendais pas à faire une si bonne rencontre ! »
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Dernière édition par Jeremiah O'Leary le Ven 30 Sep 2016 - 20:24, édité 1 fois
I’ve tried to make this life my own, to find myself, I’ve searched alone. To let love go and let it in, I found it burning like a sin. I’ve worked it out, but learned it hard, it’s sad inside and life is out. Till I won’t settle down and watch either way.
Jeremiah & Anne
Le jour était à son déclin, tirant ses couleurs rougeoyantes dans le ciel tandis que le soleil plongeait dans le vaste océan. La nuit allait bercer One-Eyed-Willy de tous ses vices lorsque tous les navires seraient amarrés au port. Puisque l’on ne naviguait pas sans soleil, les pirates en profitaient pour s’adonner à leurs activités favorites lorsqu’ils n’étaient pas mariés. Cela n’était plus le cas pour Anne qui désormais libérée de la mauvaise influence de James s’autorisait à déambuler dans les rues pavées. Les tavernes animées, les bordels pleins, ici l’on faisait ce que l’on voulait sans se soucier de personne et surtout pas Barbe Noire. Depuis qu’il était mort, il lui avait semblé ressentir moins de tensions au sein de leur petite ville pirate et ce n’était pas Anne qui allait s’en plaindre.
Le vent s’engouffrait dans sa veste et ses cheveux à mesure qu’elle évoluait entre les silhouettes, elle n’était pas en taverne, ni avec son équipage car elle avait pour l’heure bien plus intéressant à faire. Tout près du port, les senteurs d’iode persistaient dans le sillage de ces pirates revenant tout juste du large. Le Poséidon venait d’amarrer et c’était justement celui qu’elle avait attendu. Elle détailla ses matelots, un par un qui passaient près d’elle en les saluant d’un hochement de la tête. Il y avait en réalité un heureux élu qui avait la chance de se faire accueillir par Bonny Blood et elle l’attendait de pied ferme. Il ne pouvait que passer par cette rue là pour rejoindre la place centrale jusque derrière et alors lorsqu’elle le vit arriver, elle ne manqua pas de l’interpeller.
« Jeremiah… » Le salua t-elle d’un bref mouvement de la tête.
Il s’arrêta près d’elle lorsqu’elle eu réussi à capter son attention, aussitôt la langue du pirate se délia dans ses effusions d’un profond non-attachement pour elle qui étaient tout à fait réciproques à condition qu’il accepte de perdre. Les mots avaient souvent bien plus d’impacts que les gestes même si elle n’était pas la meilleure personne pour bavarder tranquillement. Elle ressentait le ton de sa voix comme des petits pics venant désagréablement trouer sa peau gorgée de soleil. Pas de toute, il n’était pas content de la voir. Tombait-elle mal ? Pauvre petite chose, il n’était pas au bout de ses peines, autant qu’il le comprenne vite.
Anne étira un large sourire, elle ne prit pas la peine de lui répondre et préféra le dévisager sans la moindre gêne en le détaillant de bas en haut. Il avait le teint frais mais semblait quelque peu éreinté par la journée qui venait de se passer. La pirate se demandait quel genre de bizutage il avait écopé jusque là mais ce n’était sans doute pas fini. Ce serait lent et douloureux, sans que ce soit méchant mais c’était là le prix à payer pour l’avoir roulé dans la farine et l’avoir prise pour une idiote. Dans tous les cas quoi qu’il se soit déjà passé il ne semblait pas faire le lien avec elle. Or sa présence ici n’était pas un hasard car elle l’avait attendu, pour voir dans quel état il rentrait et se délecter de la vision de ses marques de fatigue ou dans l’attente d’une mine exaspérée afin qu’elle puisse pleinement s’en satisfaire. Cela semblait en bonne voie…
« Je l’espère bien que tu es content de me voir ! » Fit finalement Anne sur le même ton ironique dont il avait usé.
Habituellement, Anne était bien plus agressive avec lui, mais les choses tendaient à changer et ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’il ne rembourse la totalité de sa dette en trimant comme il ne l’avait jamais fait. Elle avait longtemps attendu ce jour et il n’était pas sans savoir qu’elle cherchait par tous les moyens à le faire plier. Cela avait fini par la fatiguer, elle qui haïssait les échecs, elle en était parfois venue à le menacer violemment. Pas étonnant qu’il ne saute pas de joie en la voyant là.
« Alors cannonier ? La reprise de service se passe bien ? Ils sont sympa sur l’Poséidon hein ?»
Elle lui mettait déjà la puce à l’oreille, au courant de sa position et de l’équipage qu’il servait désormais. Elle ne cherchait pas à lui faire la pression mais avait envie qu’il devine qu’elle connaissait bon nombre de matelots à bord de son navire puisqu’il était allié au sien. L’entente était de mise entre eux, à commencer par Tankred, son frère de sang qui, elle le savait, ne disait jamais non à un peu de distraction. Au départ elle n’avait pas souhaité le lui dire mais qu’il finisse par savoir que le bizutage qu’il subissait était à cause d’elle était beaucoup trop amusant pour laisser passer cette occasion et jubiler ouvertement.
« C'est toujours comme ça : une personne fait une mauvaise action et elle ne veut pas en subir les conséquences. Elle croit que tant que les autres n'en savent rien ça n'est pas un déshonneur.» M. Twain
Plus d'échappatoire possible à présent. Jeremiah avait fait mine de croire en l'intervention de la providence mais tous les deux savaient qu'il n'en était rien. Tout était calculé. Même s'il y avait une part de jeu et de mensonge qui transparaissait sous le ton léger qu'ils avaient chois d'adopter. Leur rencontre dans ce coin de ruelle sombre avait été soigneusement orchestrée. Tout était question d'attitude. Et si Jeremiah continuait d'avoir l'air imperturbable, il savait bien qu'elle n'était pas dupe et lui non plus. Mais les habitudes avaient la vie dure et les masques restaient difficiles à ôter. Même si la plupart des gens étaient capables de voir au travers ou d'en apercevoir les contours. Mais le petit sourire que lui arracha sa réponse n'avait tout de même rien de fabriqué. Car il savait en retour l'agacement qu'il avait pu provoquer chez la pirate par le passé. Et il fallait parfois accepter un peu de réciprocité. Il n'aurait pu échapper éternellement aux conséquences de ses actes. Même s'il se plaisait souvent à le croire.
« Autant que tu es ravie de me voir en retour. » Répondit-il en restant sibyllin
Autrement dit, pas vraiment. Même si c'était parfois tout de même drôle de jouer un peu. Tant que ça restait sans effet. Mais la question qui suivit suffit à lui mettre la puce à l'oreille et le forban haussa un sourcil interrogateur. Il était de notoriété publique qu'il venait d'intégrer le Poséidon. Les liens qu'il entretenait avec les membres de l'équipage, c'était une autre histoire. Au début, ça lui avait paru anecdotique. Un petit détail par-ci par-là qui l'avait interpellé avant qu'il le mette de côté en se disant qu'il exagérait probablement. Mais les faits commençaient étrangement à s'accumuler. C'était comme un lent mais constant travail de sape. Une instruction qui n'était pas totalement passée, du matériel qui disparaissait, ses affaires qui finissaient par s'évaporer mystérieusement puis réapparaître au gré du hasard. Et ça prenait de plus en plus d'ampleur. Des mésaventures de plus en plus flagrantes qui commençaient à le faire douter du fait que tout ceci ne soit du qu'au seul hasard. Cookson n'avait rien dit jusqu'à présent, avait mis ça sur le compte de son arrivée récente et du fait qu'il ne connaissait pas encore totalement ses hommes. Il n'avait pas voulu céder à sa paranoïa latente mais la question de la rousse n'avait pas manqué de mettre ses sens en alerte.
« La reprise se passe à merveille, répondit-il en ricanant, aussi bien qu'on pourrait attendre d'un nouvel équipage. Pourquoi ? On s'inquiète sur mon prochain baptême du feu ? Ou alors c'est la curiosité ? »
Il était définitivement aux aguets maintenant, dardant des regards méfiants dans la ruelle, tentant de prévenir une arrivée inopinée ou toute autre surprise du jour. Il n'était pas certain de ce qu'elle avait en réserve pour lui et une vengeance de son cru ne l'aurait pas étonné. Ca ne voulait pas dire qu'il tenait à l'affronter ce soir. Mais Jeremiah avait l'impression qu'il ne pourrait pas s'en sortir par l'une de ses habituelles pirouettes. Aussi redoubla-t-il de vigilance même s'il affectait un air léger et amusé. Il aurait du s'en douter après tout. Cette vieille histoire finirait bien par revenir le hanter. Mais le pirate avait une drôle d'impression, le sentiment que la rousse entretenait une rancune qui trouvait ses racines dans quelque chose de plus profond que de banales affrontements sans conséquences. D'où cela provenait-il ? Impossible de s'en rappeler. Il avait beau fouiller sa mémoire à la recherche de réponseS, rien ne lui revenait. Et il finissait invariablement par mettre ça sur le compte d'une imagination trop fertile.
« Attention à ta réputation, encore un peu et on racontera partout que tu t'inquiète pour moi » Railla-t-il
I’ve tried to make this life my own, to find myself, I’ve searched alone. To let love go and let it in, I found it burning like a sin. I’ve worked it out, but learned it hard, it’s sad inside and life is out. Till I won’t settle down and watch either way.
Jeremiah & Anne
Rien à déclarer, bien sûr, il ne serait pas allé si facilement dans les confessions à propos du bizutage et surtout devant quelqu’un qu’il n’appréciait pas. Plus il mettrait de temps à s’en rendre compte plus ça allait lui taper sur le système et elle avait grand hâte de le voir craquer. Savoir la machine en marche l’empêchait de lui faire la peau en place publique et de l’humilier comme elle l’aurait fait si elle n’avait pas commencé sa petite vengeance. Que la ville soit sous tension ou pas, elle ne ressentait pas l’envie de lui sauter à la gorge. Ainsi pour dire, la pirate n’avait pas le réflexe de porter sa main sur sa garde puisqu’il était déjà en train de payer le prix pour l’avoir prise pour une idiote. La pirate gardait ses positions, adossée et les bras croisés, dévisageant son interlocuteur dans la moindre gêne.
Soit, Anne était impatiente mais visiblement il n’avait pas l’air de comprendre ce qu’il se passait en ce moment dans sa vie et c’était bien dommage. Tant pis, il finirait par le savoir et elle lui avait déjà semé quelques indices malgré elle. Anne fit le choix de laisser mariner le tout et se terra donc dans le silence après ces quelques aveux d’aucune utilité avant qu’il n’enchaine sur la réputation de la jeune femme. S’en souciait-il ? Non, bien sûr que non, ce n’était que par pure moquerie qu’il déblatérait là-dessus toujours dans ce même jeu installé entre eux. Rien qu’au ton qu’il employait elle savait qu’il n’avait pas le moindre respect à son égard cet avorton et elle allait se faire un plaisir de le lui apprendre.
Anne étira un large sourire. Elle se foutait pas mal de ce que l’on pouvait penser d’elle, il n’y avait qu’à voir son allure pour comprendre qu’elle n’avait jamais construit sa vie sur le regard des autres. Toute sa vie elle a été libre de ses choix, alors ce n’était pas l’avis des autres qui allaient l’empêcher de lui causer ou de le menacer et si cela venait à lui porter préjudice elle avait bien des moyens pour étouffer les rumeurs. Quoi qu’il en soit il n’y avait pas vraiment grand-chose à craindre puisque leurs deux capitaines étaient dans une optique de bonne entente contre le fléau que devenait Crochet.
« T’es pas sans savoir que le Walrus et le Poséidon travaillent ensemble Jeremiah, ce qui fait techniquement de nous des alliés…Y’a pas de réputation qui tienne mais ça me touche que tu t’en soucies.» Déclara t-elle avec un sourire faussement joyeux.
Cette comédie semblait durer depuis la nuit des temps. Il n’avait rien fait de foncièrement grave mais pour des raisons qu’elle ignorait, qui étaient trop enfouies et oubliées, elle n’avait pas l’intention de le laisser s’en sortir sans avoir payé. Elle aurait pu le tuer afin d’épancher sa frustration mais elle ne le faisait pas et là aussi elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi elle ne se lançait pas dans la facilité. En réalité, et surtout à force, cela avait fini par la divertir et elle en serait presque nostalgique de savoir qu’elle allait enfin lui rendre la monnaie de sa pièce pour ensuite qu’ils reviennent à une relation pour le moins sous tension sans comprendre pourquoi.
« Mais si tu préfères que je te fasse la peau, on peut toujours s’arranger ! » Railla t-elle de la même façon qu’il l’avait fait.
Anne étouffa un rire avant de se ressaisir. Quoi qu’il arrive il semblerait que cette rivalité soit ancrée entre eux et même en ayant eu sa vengeance fatalement elle serait amenée à en vouloir une autre ou venir le provoquer par quelque manière que ce soit. Elle ne voulait pas épiloguer sur les raisons de sa question, car elle n’avait pas de comptes à lui rendre et si elle avait eu envie de la poser elle l’avait posée et puis c’est tout.
« Je suis étonnée que tu n’aies pas choisit Crochet, entre sournois le courant aurait dû bien passer entre vous non ? »
« C'est toujours comme ça : une personne fait une mauvaise action et elle ne veut pas en subir les conséquences. Elle croit que tant que les autres n'en savent rien ça n'est pas un déshonneur.» M. Twain
Échange d'amabilités entre eux. C'était un jeu qui s'éternisait depuis un moment déjà et reprenait à chaque fois qu'ils se croisaient. Une conversation dont les véritables enjeux nécessitaient que vous voyiez au travers de ces simples phrases anodines pour en saisir le contexte sous-jacent. Jeremiah n'était pas encore parvenu à déterminer si la présence de la pirate rousse, toujours là où il ne l'attendait pas, l'irritait ou pas. Rien de grave ou de particulièrement dangereux pour lui, mais le forban pressentait sous le vernis de la plaisanterie qu'elle représentait un obstacle dont il se serait peut-être un peu passé. Mais Jeremiah n'en avait jamais rien laissé paraître, sachant parfaitement qu'il agaçait la rouquine autant qu'elle pouvait le faire en retour. Donnant-donnant.
« Je viens d'arriver, ça me chagrinerait que l'aventure s'arrête en si bon chemin, répondit-il d'un haussement d'épaule, je sais bien que tu es dans les petits papiers du Cap'taine Delendar et que Tank' t'aime bien mais si tu pouvais m'accorder quelques mois avant de me faire passer l'arme à gauche, se serait généreux de ta part. »
Neverland était un univers à part, si petit que tous étaient au courant de tout en un temps record. A sa propre échelle, le petit monde des pirates était lui-même un microcosme où il était quasiment impossible de cacher quoi que ce soit. Tous étaient liés d'une façon ou d'une autre et à force d'aller d'un équipage à un autre, quelques uns des forbans de l'île avaient fini par constituer un drôle de jeu d'échange où anciens équipiers pouvaient devenir ennemis du jour au lendemain. Le jeu des alliances était ainsi fait, il n'y avait pas vraiment de place pour une loyauté à long terme. Quoique certains liens refusaient parfois de mourir, subsistant parfois, comme des spectres hantant certains regards lorsqu'ils se faisaient lointains. Colère et rancœur en tête. Mais Jeremiah n'était jamais véritablement parvenu à laisser ça, même s'il préférait jouer de masques et de mensonges pour affecter son habituelle attitude débonnaire.
Ca valait aussi pour les autres, pas seulement pour Bonny Blood qui pouvait se targuer de n'avoir pas éveillé en lui plus terrible qu'une petite rancœur latente, difficile à effacer. D'autres avaient fait pire. Et sa question se chargea de raviver ça. Il n'avait rien dit lorsque le Queen Anne était parti en flamme dans la rade, une impassibilité de façade couvrant l'humeur orageuse qui s'était saisie de lui en voyant la grande dame partir en fumée. Onze années de sa vie réduites en cendres qui étaient allées rejoindre le fond de l'eau et habillaient maintenant les eaux du port d'une rancœur tenace. Crochet avait mit le feu à bien plus qu'un simple amas de planches et de voiles. Il avait détruit tout le reste. Et s'il n'avait rien d'un enfant de cœur, Jeremiah s'était rendu compte que les dissensions étaient bien plus profondes entre eux. Leurs visions respectives étaient trop différentes et lui trop attaché à sa liberté pour courber l'échine devant un maître. Alors Cookson s'en était allé voir ailleurs si les eaux étaient plus bleues. Le Poséidon lui avait ouvert ses portes et il s'était laissé convaincre, même si le navire, tout grandiose qu'il soit n'était pas encore parvenu à remplacer la Dame de ses pensées.
« Crochet cherchait des petits soldats obéissants. Je suis fidèle à mon capitaine mais n'ai d'autre maître que l'océan. » Répliqua-t-il acide
Le masque retomba immédiatement. Ca n'avait duré que quelques secondes furtives. Un éclair vite éteint, la colère qui transparaît sous la surface. Il était réellement furieux après le Capitaine Crochet. Même s'il s'était bien gardé de le dire. Mentir était devenu une question de survie, ancrée en lui depuis des années. Il était bien jeune lorsqu'il avait du apprendre à le faire, payant le prix de sa jeunesse stupide et la naïveté du gamin fraîchement débarqué à Nassau, des rêves de gloire plein la tête, courant après l'ombre d'un demi-frère qui n'était rien d'autre qu'un fantôme à présent. Black Jack Murphy était probablement mort à cette heure et Nassau plus qu'un lointain souvenir à demi disparu de sa mémoire. Il y pensait parfois, tentant désespérément de se rappeler des détails qui commençaient à s'effriter inéluctablement. S'il repris bien vite sa contenance, le pirate s'était penché vers elle, un sourire en coin accroché aux lèvres.
« Sournois j'le suis, pas d'erreur. Mais Crochet c'est une autre affaire.Tu ne me fera pas croire que Bonny Blood n'a pas eut l'occasion de croiser le boucher ? Il ferait passer Davy Jones pour un enfant de cœur. J'nai pas de moral, pour sûr. Mais de l'instinct de survie j'en ai à revendre. Mais la moral c'est très surfait pour nous autres pirates, tu trouves pas ?»
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Jeremiah & Anne
Les pirates avaient beau se tirer dans les pates, pour la plupart d’entre eux ils avaient la même conviction, les mêmes principes, la même fidélité à l’océan. Tous avaient envie de prendre la mer parce que c’était la seule façon que l’on avait d’exploiter le peu de liberté que l’on pouvait s’octroyer dans un monde où il faut constamment rendre des comptes. Lorsque Jeremiah lui-même lui avait rappelé qu’il n’avait qu’aucun maitre que l’océan, il eu bien vite fait de lui rappeler indirectement qu’ils n’étaient pas si différents que cela. Anne baissa un moment les yeux, quelque peu pensive à l’idée qu’elle-même avait eu du mal à se faire un place par ici et qu’elle avait souvent été sur le point de corrompre ses principes, suivre quelqu’un qu’elle n’aimait pas juste pour sentir le vent iodé dans ses cheveux et se dire que c’était la meilleure chose qu’elle avait pu faire pour être au plus proche de son élément. Elle avait eu quelques cas similaires par le passé, elle le savait mais ne s’en souvenait plus car ça appartenait à une vie bien trop floue pour qu’elle puisse prendre exemple. En quoi c’était important ? Elle était devenue pirate pour oublier le passé, ça elle en était certaine, alors pourquoi se plaindre de ne pas avoir souvenir de certains épisodes de sa vie ? Anne continuait de croire que certaines questions jamais ne trouveraient leurs réponses, c’était frustrant mais c’était comme ça. Il n’y avait que leurs bonnes vieilles manières de voir le monde qui restaient et pourvu que l’on reste sur ce même chemin. Jeremiah semblait aussi le voir de cette manière sauf excepté suivre Crochet et cela lui arrachait la langue que de dire qu’il avait raison.
Anne releva les yeux, interpellée par le mouvement de Jeremiah lorsqu’il se pencha un peu plus vers elle pour lui adresser d’autres mots qui cette fois ci eurent le mérite de lui arracher un large sourire. Pour une fois elle ne se moquait pas de lui, parce qu’elle était tout à fait d’accord avec ce qu’il disait et la manière dont il l’avait avancée l’avait clairement amusée. En même temps elle n’avait pas aimé la manière dont il l’avait roulée dans la farine, autant cela faisait parti de tout comportement pirate et c’était peut être pour ça qu’elle ne cherchait pas à lui faire la morale mais bien à se venger en bonne et due forme. Quoi qu’il en soit c’était bien trouvé et elle songeait à lui reprendre quelques mots pour justifier de sa manière d’agir lorsqu’il se rendrait compte que son arrivée sur le Poséidon ne s’était pas faite comme tout marin normal.
« Aye, c’est pas faux. »Répondit elle assez naturellement
Dans tous les cas ils avaient en commun qu’ils ne faisaient pas d’éloges concernant Crochet et à l’avenir cela l’aiderait sans doute à considérer Jeremiah autrement que comme quelqu’un qui manquait de passer dans sa liste de personnes à abattre s’il faisait trop de magouilles avec elle. C’était un bon point, à ajouter à cela que ce soir là elle se voyait sur un pied d’égalité, puisqu’il payait sa dette, c’était peut-être pour cette raison qu’elle était bien moins agressive. D’un signe de tête, elle lui proposa d’entrer dans la taverne dont elle était adossée contre le mur.
« J’assumerai pas d’avoir un débat philosophique avec toi si j’bois pas un minimum. »
Elle n’avait pas prévu tel écart mais après tout il était là et elle avait soif, pourquoi ne pas continuer leur conversation autour d’une mousse. La pirate n’attendit pas de connaitre sa réponse que déjà elle avait décroisé les bras pour s’engouffrer dans la taverne. Etant sur un passage très fréquenté, il y avait du monde et elle était grande mais il suffisait de la connaitre un minimum pour savoir les coins où l’on ne risquait pas de se prendre une pinte en pleine tronche dans une bataille d’ivrognes. Anne aimait tout particulièrement cet endroit assez typique qui lui rappelait quelque chose qui se relatait à ses origines et lui donnait l’impression d’être chez elle. Sans doute le bois foncé, et l’accent du patron qui lui rappelait de douces mélodies qu’elle avait entendu il y a bien longtemps et qu’elle se prenait à fredonner encore.
Anne se frayait un chemin entre les silhouettes agitées par l’alcool, descendit quelques marches pour se retrouver dans une salle un peu plus basse et trouva un coin où ils pourraient continuer de parler sans avoir besoin de se hurler aux oreilles pour se comprendre.
« Va pas penser que je fais une trève. » Déclara Anne tout en prenant place à son aise tout en adressant un large sourire moqueur à Jeremiah. « Tout se paye un jour ou l’autre, mais chaque chose en son temps. »
Une serveuse leur déposa un pichet de bière et des pintes en bois qu’Anne s’empressa de remplir.
« Pour l’moment c’est ton avis qui m’intéresse, j’essaye de savoir c’que manigance Crochet et j’dois dire que tu tombes à pic. Qu’est ce que t’en penses ? »
« C'est toujours comme ça : une personne fait une mauvaise action et elle ne veut pas en subir les conséquences. Elle croit que tant que les autres n'en savent rien ça n'est pas un déshonneur.» M. Twain
La conversation sembla prendre un tour nouveau et la mention de Crochet eut tôt fait d'éveiller l'intérêt de la rouquine. Bien qu'elle n'en souffla mot sur l'instant. Ce n'était pas étonnant après tout. Qui ne cherchait pas à en savoir plus sur le terrible capitaine ? Chacun avait ses propres raisons, certains même auraient probablement rêvé de lui faire passer l'arme à gauche. Jeremiah quant à lui aspirait uniquement à se tenir le plus éloigné possible de l'homme au crochet. Sa désertion ne jouait pas en sa faveur et il se demandait encore parfois si son erreur ne finirait pas par le rattraper un jour, s'il avait le malheur de baisser sa garde. Les intentions d'Anne Bonny était plus floues. Et il n'aurait pas la naïveté de lui demander directement. A la fois parce qu'elle se garderait bien de dévoiler ses plans et parce qu'il avait toujours considéré qu'en savoir le moins possible était un bon moyen de protéger ses arrières.
La taverne eut l'air de leur ouvrir les bras comme à une vieille connaissance et le duo s'y engouffra. Jeremiah aimait cet endroit. La chaos qui y régnait avait quelque chose de bien vivant. Une bulle hors du temps où se tramaient des complots et où les cartes s'échangeaient en même temps que les choppes de bière et les insultes. Lorsqu'une bonne vieille bagarre générale ne venait pas balayer le tout. Installé à l'écart, il remercia la petite serveuse d'un clin d'oeil avant de se saisir de sa propre choppe.
« Bonny Blood proposer une trêve ? Aucun risque que je crois une chose pareille, répliqua-t-il en ricanant, quant à payer mes dettes, va falloir voir avec la liste de mes créanciers. Elle est déjà bien longue. »
Fini la plaisanterie, la pirate ne passa pas par quatre chemins et fidèle à son franc-parler, posa la question qui l'amenait ici. Ainsi donc elle voulait en savoir plus ? Jeremiah se demandait bien jusqu'à quel point il pourrait lui répondre. Il n'avait pas été dans les petits papiers de Crochet, l'homme n'avait jamais véritablement dévoilé ses plans, trop secret pour ça. Bien qu'il ai sous-entendu la fin de Barbe Noire et que lui, trop aveugle n'ai rien vu venir. Que cherchai-il ? Ce que cherchait la plupart des hommes une fois qu'ils y avaient goûté. Comment il comptait s'y prendre, c'était un mystère.
« J'étais pas vraiment au courant de ses plans si c'est ce qui t'intéresse, répondit-il placidement, ce qu'il cherche ? La même chose que tous les autres à mon avis. Le pouvoir. Sinon pourquoi se débarrasser de Barbe Noire ? J'suis pas vraiment au courant de ce qu'il prépare mais ce que je sais c'est qu'il n'aura aucun scrupule pour y parvenir. Les gens craignaient Barbe Noire, ils imaginent même pas ce qui les attend avec lui. »
Nouvelle gorgée de sa bière. La taverne était bondée ce soir là et il y faisait rudement chaud. Plus qu'à l'accoutumée. Le pirate se perdit quelques secondes dans la contemplation des lieux, sentant que son esprit se laissait distraire, une certaine légèreté s'installant qui n'était pas là avant. Un ricanement le pris. Voilà-t-il pas qu'il complotait avec la rouquine ? Étonnant. Comme pour mimer un accord imaginaire il leva son verre dans sa direction d'un air de connivence. Trop brusquement puisqu'une partie du contenu se renversa sur la table. Oups.
« Pourquoi ça t'intéresse ? T'as peur de la concurrence ? »
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Jeremiah & Anne
Jeremiah avait ce culot qui avait don de l’agacer, aussi peut être ne valait il mieux pas creuser la conversation sur ce qu’il lui devait au risque qu’elle ne s’emporte et ne puisse pas avoir les informations qu’elle avait soudainement eu envie d’avoir de lui en profitant du fait qu’il ne soit pas ami avec Crochet. Es témoignages étaient précieux, et Anne mettait – pour une fois – sa fierté de côté pour faire ce qui lui paraissait le plus raisonnable à ce moment là. Elle préférait rester sur les conclusions qu’il y avait un temps pour chaque chose et ne préféra pas répondre à sa pique qui pourtant lui avait fait serrer les mâchoires.
Anne écouta attentivement les déclarations de Jeremiah, ainsi qu’elle aurait pu le prévoir il n’avait pas grand-chose à lui apporter mais puisqu’elle n’avait pas connu Crochet d’assez près, elle préférait demander l’avis de ceux qui l’avaient côtoyé par ci et par là afin de pouvoir lui dresser un portrait assez fidèle et tenter de comprendre le personnage. Ce n’était pas chose évidente pourtant, Crochet laissait planer bien plus de mystères autour de lui que ce qu’elle n’avait pu penser. Peut être qu’il avait raison et que Barbe Noire n’était qu’un avant gout de ce qu’il pouvait se passer sur Neverland, dans quel cas elle avait tout intérêt à creuser plus profondément ses recherches afin de protéger son équipage d’éventuelles bavures. Les membres du Walrus ne s’aventuraient pas trop dans le centre de One-Eyed-Willy sur les ordres de Silver, excepté elle, parce qu’elle avait un devoir assez particulier mais avait déjà été prise pour cible. Notamment avant de croiser Haran et ce joaillier avec qui le combat avait été si violent qu’elle avait dû se cloitrer bien une semaine pour se remettre de ses blessures. Alors même si elle n’avançait pas beaucoup, elle gardait les déclarations de Jeremiah dans un coin de sa tête. Ce dernier lui posa une question qui la fit arquer un sourcil avant d’étirer un fin sourire. Elle n’avait rien de très concret à lui répondre, du moins rien de quoi l’étonner :
« Parce que Silver et Crochet sont pas copains et que tout le monde qui est contre lui devrait chercher à anticiper. »
Anne termina sa phrase avec un hoquet qu’elle n’avait pu retenir. Elle se sentait bien plus légère, plus détendue qu’elle l’aurait pu l’être en sa compagnie et le fait de ne pas manger en même temps qu’elle buvait semblait amplifier ces effets là qui se faisaient pour le moment assez discrets.
« Toi aussi tu devrais faire pareil, t’es un déserteur et j’crois pas qu’il aime bien ça. » Lança t-elle avec un fin sourire sur les lèvres satisfait de le savoir dans la merde jusqu’au cou.
C’était peut être le seul avantage de cette histoire de le savoir avec l’ombre d’un canon braqué sur sa tronche. Même si elle ne lui en voulait pas au point de le vouloir mort, c’était tout de même assez ironique comme situation.
Tout en venant s’appuyer contre le dossier du banc pour rester concentrée, La pirate s’abreuva encore, appréciant la bière brune toujours plus qu’aucune autre. Parler de vigilance ainsi, c’était le faire avec de grands mots car en étant sur le Poséidon Jeremiah avait le capitaine Delendar aussi qui cherchait sans aucune doute à mettre des distances pour prévoir les coups. Mais ce à quoi elle pensait plus précisément, c’était que personne n’était à l’abri d’attaques plus personnelles et surtout en ces temps de doute où les règlements de compte semblaient être à l’ordre du jour. C’était la pagaille depuis la mort de Barbe Noire et Anne faisait constamment attention à ses arrières.
Elle fronça soudainement les sourcils, trouvant que les effets de l’alcool montaient déjà bien trop vite alors qu’elle n’avait bu que quelques gorgées. Se penchant vers sa choppe, elle renifla les effluves comme si elle s’était attendue à percevoir autre chose que le houblon fermenté. D’accord elle était brune, mais quand même, Anne pensait avoir bien plus de capacités que cela à tenir l’alcool avec tout ce qu’elle emmagasine de rhum au cours d’une journée. D’autant plus qu’elle n’était pas plus fatiguée qu’à l’accoutumée et donc pas plus sensible en théorie.
« Damnú air…. » Jura t-elle en gaélique dans un réflexe qui lui était propre.
Anne se leva dans l’empressement pour aller sur la table à côté et voler la corbeille où il restait quelques tranches de pain, pour éponger avant qu’elle ne perde total contrôle d’elle-même et que cela la rende vulnérable aux yeux de tous. Elle mâchouilla un morceau de pain, et restait droite, le temps de se ressaisir et ne pas se laisser emporter par les effets qui pourtant montaient crescendo alors que son cœur déjà tambourinait plus vite. Le champ de vision semblait déjà doucement tanguer et lorsqu’elle leva les yeux vers Jeremiah, elle s’emporta dans un fou-rire qu’elle n’aurait pu retenir mais qu’elle essayait encore de dissimuler en se penchant sur un côté de la table. Ce qu’elle trouvait drôle ? Elle l’ignorait et tenta vite de se calmer et se redressa.
« Les tavernes coupent tellement l’alcool avec de l’eau que quand t’en bois du vrai, tu finis torché avec deux gorgées. »
« C'est toujours comme ça : une personne fait une mauvaise action et elle ne veut pas en subir les conséquences. Elle croit que tant que les autres n'en savent rien ça n'est pas un déshonneur.» M. Twain
Rien d'étonnant au final. Il l'avait un peu provoquée mais savait plus ou moins que ce qui l'animait vis a vis de Crochet était de la méfiance pure. Que pouvait-on ressentir d'autre après tout ? C'était le cas de bien des gens à Neverland, bien qu'une bonne partie tente de se faire désespérément discrète et s'abstienne de se montrer trop bavarde à l'endroit du terrible capitaine. Mais pour eux c'était une toute autre affaire. Ils avaient bien plus à perdre dans l'histoire qu'un habitant lambda de l'île ou un marin sans importance. Mais ils n'iraient pas beaucoup plus loin ce soir là, Jeremiah n'ayant pas grand chose de plus à dire à ce sujet. Les plans de Crochet étaient connus de lui seul et il s'était bien gardé de se montrer bavard à ce propos. Quoique ce fut, on pouvait bien parier que ça n'entraînerait rien de bon pour eux, c'était certain.
« J'ai passé des semaines entières à me faire tout petit, répondit-il soudainement plus bavard qu'à l'accoutumé à ce sujet, j'ai suffisamment vu les bas-fonds de Neverland. Et il n'y a pas beaucoup d'endroits sur cette île où je peux me cacher de lui,s'il a décidé d'exercer sa petite vendetta sur moi. Advienne que pourra. »
Il aurait préféré éviter de finir embroché sur sa lame mais il ne pourrait pas se planquer éternellement. Jeremiah avait donc décidé de sortir de sa cachette pour se montrer de nouveau. Ca ne rimait à rien de fuir dans un monde aussi étriqué, vous finissiez toujours pas revenir à votre point de départ. Enfin, s'il avait pu repousser l’affrontement ad vitam æternam, ça l'aurait bien arrangé. Il avait encore deux ou trois petites choses à boucler avant.
Ses lèvres se pincèrent d'amusement. La situation avait de quoi être drôle. Voilà-t-il pas qu'il se retrouvait attablé avec celle-là même qui aurait bien rêvé de l'écorcher vif et qu'il échangeaient leurs messes basses autour d'une bière, comme si de rien n’était. Tout du moins en apparence. Bien que le masque de la rouquine eut l'air de se fissurer un peu ce soir. Aux vues de sa soudaine agitation, il y avait de quoi se poser des questions. Mais si Jeremiah avait relevé que quelque chose ne tournait pas rond, il n'alla pas plus loin, incapable d'en trouver la raison. Lorsqu'Anne étouffa un rire tant bien que mal, la situation commença à devenir vraiment bizarre. On ne parlait pas du ricanement moqueur qu'elle lui réservait habituellement mais bien d'un rire. Ce qui avait quelque chose de saugrenu compte tenu de la situation. Mais étrangement, il trouvait ça très drôle et se permis quant à lui et éclat de rire bien sonore et pas du tout dissimulé.
« Parle pour toi, rétorqua-t-il, ici ça va parfaitement bien ! »
Comme pour lui donner tort, sa choppe lui échappa pour de bon et son contenu alla rejoindre le sol. Jeremiah eut un sourire faussement penaud. Ca commençait à bien faire là. Il se saisit du pichet, non sans devoir maîtriser son geste maladroit et inspecta son contenu d'un œil méfiant. Il avait passé l'âge de s'enivrer comme un gamin et n'était plus un perdreau de l'année que diable ! Mais le breuvage ne lui révéla rien de particulier et il le reposa en grommelant. Voilà qui allait encore alimenter les ragots. Si on se mettait à raconter partout que Cookson et Bonny Blood s'en étaient pris une à la taverne avant même d'avoir fini leur verre !
« J'sais pas toi mais j'ai pas encore bu suffisamment pour plus savoir me resservir » ronchonna-t-il
I’ve tried to make this life my own, to find myself, I’ve searched alone. To let love go and let it in, I found it burning like a sin. I’ve worked it out, but learned it hard, it’s sad inside and life is out. Till I won’t settle down and watch either way.
Jeremiah & Anne
Anne avait rangé dans un coin de sa tête ces quelques petites premières précisions que Jeremiah lui avait apportées au sujet de Crochet. Et si les effusions de bière commençaient à faire un bon effet sur son organisme, elle n’en avait pas moins les idées encore assez claires pour réfléchir à ce qu’elle devait faire dès lors, qui aller voir. Jeremiah ne croyait pas si bien dire en se montrant quelque peu fataliste sur son sort car si Crochet allait s’en prendre à lui, elle était la première à savoir que ceux qu’il avait plumés allaient certainement profiter du mouvement de foule pour réclamer ce qu’il leur devait ou ce qu’il leur avait promis. Avoir Crochet au cul, d’accord mais Crochet plus une armée, elle n’était pas sure qu’il puisse seulement songer à se cacher. Dommage pour lui songea t-elle quelque peu détachée.
Mais le sujet principal venait quelque peu de dévier, alors qu’Anne avait trouvé que l’alcool était particulièrement fort ce soir là, elle remarqua également que Jeremiah qui pourtant était réputé grand poivrot avait quelque peu du mal aussi. Il voulu d’ailleurs faire preuve d’agilité et au lieu de cela, il transforma le sol de la taverne en un océan mousseux. Anne se mit à rire, non pas de moquerie mais parce qu’elle était amusée par la situation de voir qu’au final ils commençaient tous les deux à être au plus mal.
« Aye, t’es aussi délicat qu’une baleine ! Si c’est une de tes qualités en temps normal je veux bien t’croire que ça va bien ! »Envoya t-elle sur un ton mesquin
Elle ignorait si c’était réellement une bonne idée, parce que plus elle se sentait sa raison se déchirer sous l’ivresse, moins elle serait capable de tenir une conversation correcte ou même de se souvenir de ce qu’il avait dit concernant Crochet. Il n’y avait certes pas grand-chose mais comprendre a qui il en voulait et pourquoi pouvait potentiellement s’avérer utile. Jeremiah ne lui avait rien apporté de plus, mais elle en avait pas fini, elle avait d’autres questions. Bien sûr, lorsqu’il avoua ne pas avoir assez bu pour ne pas savoir se resservir, elle le prit au mot. L’alcool appelle l’alcool, l’abîme appelle l’abîme ainsi ce fut dans un réflexe bien plus qu’évident que la jeune femme l’incita à faire en conséquence de ses provocations et envisager d’aggraver leur état. Sur le moment, bien qu’elle avait trouvé cela étrange, Anne avait remis cette soudaine montée d’alcoolémie sur le fait qu’elle était à jeun et que ce serait très vite redescendu.
« Ouaip, vas-y ressers donc, le temps que j’cherche mon papier… »
Anne poussa sa choppe sur la table d’une manière un peu bourru pour qu'il la remplisse aussi avant de se mettre en quête de ce foutu papier. Il y avait dessus la liste de choses qu’elle devait essayer de savoir concernant Crochet, ce qu’elle recherchait exactement. C’était quelques notes éparses, des idées qu’elle ne voulait pas oublier et qui étaient fort utiles dans ce genre de moments de faiblesse. Anne fouilla dans sa besace, puis dans sa veste, puis de nouveau dans sa besace.
« Foutu papier ! » Grommela t-elle
La pirate se rendit compte que c’était à cause de son chapeau qui faisait de l’ombre qu’elle ne voyait rien, alors elle le retira et le lança de côté sans la moindre considération avant de se remettre à fouiller pendant quelques longues secondes. Finalement elle ne parvint tout de même pas à mettre la main dessus, imaginant l’avoir égaré sur le Walrus dans sa cabine. De toute façon chercher comme ça, ça ne faisait qu’amplifier le tournis qui commençait doucement à la faire plonger dans un état avancé d’ivresse alors elle faisait bien d’essayer de s’arrêter pour se concentrer. La jeune femme avait l’impression d’être une petite adolescente qui buvait dans les dos de ses parents et qui en réalité ne supportait pas l’alcool. Dire qu’il y a de cela quelques longues années elle avait déjà été dans cet état là sans avoir trop forcé. Mais Anne ne voulait pas perdre la face et attrapa sa chope pour en descendre de nouveau quelques gorgées. Aussitôt qu’elle reposa sa choppe elle le regretta, car une nouvelle fois l’alcool semblait agir plus vite que la normale et a bien regarder les autres aux alentours ils étaient les deux seuls crétins à ne pas pouvoir le supporter. Il ne lui semblait pas avoir entendu que la taverne servait des alcools beaucoup plus forts qu’en temps normal…
« Donc oui…Crochet.. »
Anne voulu se baisser un peu plus pour que seul Jeremiah entende ses paroles mais quelque chose au loin attira son attention. Un homme entra dans la taverne, un capitaine, un grand capitaine même mais que l’on avait pas vu depuis plusieurs mois. Il était revenu à port, l’allure grotesque, le visage écarlate à cause du soleil. Il n’avait plus de cheveux sur la tête mais sa barbe atteignait son nombril. Lui qu’elle avait trouvé si beau auparavant n’avait même plus ce charisme qu’on lui avait souvent vanté. Anne secoua le bras de Jeremiah pour qu’il se retourne et regarde le capitaine qu’il connaissait sans doute. Aussitôt Anne éclata de rire, ne pouvant dissimuler cette fois ci que cela vint à interrompre bon nombre conversation des groupes qui se tenaient autour. La jeune femme tapa du poing sur la table en riant de plus belle lorsque l’homme en question se retourna pour se rendre compte qu’il était cible de moqueries. Mais Anne ne pouvait s’arrêter, elle sentait que c’était à cause de son état pitoyable. Visiblement touché dans son orgueil de ces rires à son égard, grimaçant de rage en jetant un regard noir sur Anne. Quand il commença à se diriger dans leur direction, l'irlandaise posa sa main devant sa bouche comme pour étouffer ses rires. Ils allaient avoir des comptes à rendre sans aucun doute, voir de belles engueulades ou peut être même des menaces ?