L’odeur iodée de la mer, les cris bestiaux des oiseaux, le mouvement répétitif des vagues percutant la coque du bateau. Ses doigts posés sur le papier, ses yeux tentant de déchiffrer ces sigles qui ne lui indiquaient rien. Jud baissa la tête et se massa les tempes, tout son corps était tendu, ne pas parvenir à atteindre son but le rendait fou. Il aurait tellement voulu savoir ce que cette bulle surmontée d’un barre verticale vers le haut voulait dire … Les sons, les syllabes, tout se mélangeaient. Le pirate tenta de se rappeler de ce qu’Adelaide lui avait enseigné. Quelque part au fond de sa mémoire, il entendait encore la voix de la jeune femme lui dicter des sonorités. Elle avait tenté généreusement de lui apprendre les bases mais même celles-ci s’avéraient être une montagne à ses yeux.
La porte s’ouvrit si brusquement que Jud eut à peine le temps de jeter le livre sur le côté, celui-ci chutant de la table et allant rouler sous le lit. Un autre pirate de l’équipage entra et s’affala sur le lit, s’endormant presque aussitôt. Lire était futile pour un loup de mer, à quoi serviraient des bouquins en temps d’abordage ? Seuls les capitaines ou les tacticiens n’auraient écopé d’aucun jugement s’ils avaient été vu en train de lire. Eux, se devaient d’être un minimum cultivés. Qui établirait les stratégies d’attaque si personne n’avait la moindre capacité intellectuelle ? Quoi qu’il en soit, Jud n’était qu’un humble coq et donc, plutôt censé s’occuper de la nourriture et de ses entraînements au combat.
L’homme se leva et quitta le Jolly Roger où il ne trouverait jamais le calme et la concentration pour s’atteler à sa tâche. Ses pas l’emmenèrent en ville, il savait déjà où il voulait se rendre mais il lui faudrait probablement attendre. Adelaide devait avoir d’autres choses à faire que de s’occuper des pirates en quête de savoir. Dans le doute, le loup de mer prit la direction de la libraire où il avait rencontré pour la première fois la jeune femme. Adelaide était une dame de la haute société, une femme éduquée et apparemment plutôt aisée. Jud n’avait même pas réellement compris pourquoi la blonde s’était proposée de l’aider à se débrouiller avec ses livres. Les riches marchands ou habitants de Blindman’s Bluff ne fréquentaient pas souvent la piraterie, de peur de se faire dépouiller ou intimider sans doute.
Quand Jud passa la porte de l’établissement, il sentit une puissante odeur de vieux livres lui assaillir les narines. Les lieux étaient plongés dans l’obscurité, la lumière naturelle du soleil filtrait par les vétustes fenêtres. L’une d’entre elles, d’ailleurs, tenait à peine dans ses gonds et vibrait à chaque coup de vent un peu trop puissant. Il régnait dans cette pièce une harmonie parfaite, on aurait pu se croire dans la tanière d’un lutin. Jud n’aurait pas pu être plus mal à sa place, un simple regard à l’accueil reçu le lui certifia.
Les quelques personnes présentes étaient des habitants plutôt aisés ou des férus de littérature. Jud n’avait rien d’un poète, ni d’un musicien et clairement rien d’un riche propriétaire. Il avait heureusement pris un bain et enfilé une chemise blanche plutôt propre sinon, les regards auraient sans doute étaient encore plus lourds. Il avança doit vers un banc disposé plus loin, reculé de tous ces gens qui chuchotaient à voix basse. Le pirate passa d’abord dans une allée où étaient rangés les bouquins à propos des légendes de l’île. Il avait une réelle motivation à se rendre dans cet endroit où il n’était pas le bienvenu ! Ce n’était pas par plaisir que Jud venait supporter les regards noirs et attiser l’appréhension.
Encore une fois, Jud resta de longues minutes attablé, la tête entre les mains, à essayer de déchiffrer ces lignes de lettres qui lui échappaient. Au bout de vingt minutes perdues, le pirate redressa la tête et repoussa négligemment le bouquin. La porte de l’établissement s’ouvrit alors et une demoiselle pas totalement inconnue entra. Jud ne lui adressa aucun signe de la main ou de la tête, ne souhaitant pas l’importuner dès qu’elle passa le pas de la porte. Il la laisserait s’occuper des autres et peut-être quand elle aurait du temps, Adelaide viendrait jusqu’à lui. En attendant, le pirate se re-concentra. Jamais personne ne lui avait dit que ça serait facile mais au moins, il donnerait tout ce qu’il avait.
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