On voit le ciel dans une goutte d'eau Lyra & Aodren
Sa cuisse était moins douloureuse, son corps semblait se calmer et sombrer dans une sorte de léthargie plutôt agréable. Lyra fit mine de s'offusquer de ce qu'Aodren lui révélait mais le triton n'avait pas pour habitude de mâcher ses mots. Lorsqu'ils s'étaient rencontrés, les manières de la demoiselle et sa façon de s'effaroucher de tout, l'avait beaucoup amusé. Désormais, Lyra semblait s'être forgée une carapace. Plutôt une bonne chose pour elle mais regrettable pour Aodren qui appréciait son côté frais. La réflexion de Lyra le plongea dans un mutisme intense. Faire table rase. La chose la plus ardue qu'il puisse être demandée à un individu. Des siècles s'étaient écoulés depuis qu'Aodren avait été un garçon de ferme et pourtant, quelque part au fond de lui, il restait le gamin enjoué qui s'amusait à planter des algues sur les terres de ses parents.
A ses remerciements, elle répliqua en lui affirmant qu'il aurait sans doute fait de même. Aodren prit un instant pour y songer. Aurait-il rendu la pareille à cette jeune femme s'il l'avait trouvée blessée sur une plage ? Le triton se surprit à comprendre que oui. Il se fichait éperdument du sort de la plupart des êtres vivant sur Neverland mais Lyra avait attisé sa curiosité et attiré sa sympathie. Alors oui, Aodren se serait forcément arrêté pour lui porter secours. Cela n'enlevait en rien la dette qu'il avait à son égard pour l'avoir aidé à se sortir de cette misère.
- Bien sûr que je te dois ... mais nous en reparlerons en temps voulu.
Aodren n'aimait pas cette situation, devoir quelque chose à quelqu'un était désagréable selon lui et il préférait largement que ça soit le cas inverse. Cependant quitte à être redevable envers quelqu'un, mieux valait que ça soit envers Lyra. Elle au moins, elle ne chercherait sans doute pas à le manipuler ou à le faire chanter pour obtenir quelque chose. Aodren eut alors l'idée stupide de lui demander ce qui l'avait changée. La jeune femme se lança alors dans un récit plutôt détaillé des mésaventures qui lui étaient arrivées depuis son arrivée à Neverland.
Tandis qu'elle lui contait comment les pirates s'étaient emparés d'elle pour la revendre et le sort qu'elle avait subi en devant s'occuper des besognes d'un autre, le visage d'Aodren se voila légèrement. De toutes les possibilités qu'offraient Neverland, il avait fallu qu'elle tombe dans celle-là. Le triton fut surpris d'entendre son rire. Lyra lui décrivait ce qu'elle avait vécu avec un recul imprévisible. Comme si cette vie d'obéissance et de soumission était celle d'une autre. Aodren fronça les sourcils, peinant à comprendre comment la jeune femme avait pu obtenir tout ce détachement par rapport à sa propre situation.
- Je vois.
Aodren ne répondit rien de plus. Ce récit l'avait laissé sans voix, les réactions de Lyra aussi. Là où bien d'autres auraient été émus du calvaire enduré par l'esclavagisme, la jeune femme le prenait avec philosophie. C'était certes une preuve de caractère mais Aodren peinait à l'envisager. Lui-même n'ayant jamais toléré qu'on le bribe de sa liberté, il ne pouvait se mettre à sa place et comprendre ses ressentis. Au moins, désormais, il savait pourquoi la demoiselle qu'il avait connu autrefois avait changé pour laisser place à une autre plus solide, plus autonome.
Elle lui retourna alors la politesse en désirant en apprendre davantage à son sujet. Sans le vouloir, elle mit totalement les pieds dans le plat. La mort de ses proches n'y était pas pour quelque chose, elle en était la raison toute entière. Aodren ne put réprimer son sourire et haussa vaguement les épaules. Lyra s'était confiée sans frontières, elle lui avait servi un récit décontenançant et avait assumé chacun de ses actes. Sans doute se devait-il de faire de même.
- Tu n'y es pas. Je n'ai pas honte de mon nom, au contraire, je le chéris bien trop pour le partager avec n'importe qui.
Il rompit le contact avec le regard de Lyra. C'était compliqué pour lui de partager sa vie avec elle car Aodren n'en parlait jamais. Au cours des siècles derniers, personne n'avait eu droit à ses confessions sur son passé. Pourtant, le triton était bien décidé à se libérer de ce fardeau et à le partager avec Lyra. Il releva alors le regard et reposa les yeux dans ceux de la demoiselle.
- Je n'ai pas toujours été celui que je suis aujourd'hui. J'étais tellement meilleur auparavant, j'étais presque aussi insouciant que tu pouvais l'être le jour de notre rencontre. Mais comme tu l'as deviné, la mort de mes proches m'a forcé à changer et j'ai dû abandonner tout ce que j'avais jusqu'à mon identité.
Aodren marqua une petite pause, se massant la nuque et cherchant à exprimer au mieux tout ce qu'il avait dans la tête.
- Aujourd'hui, je ne suis plus quelqu'un de bien. Je suis une raclure, une pourriture même. Mais je ne l'ai pas toujours été et c'est important que je me souvienne de ça ...
Pour éviter de sombrer, pour ne pas devenir le monstre qu'il pourrait être, Aodren se devait de continuer à faire vivre ce garçon de ferme. Ce gamin innocent qu'il avait été. Isis, sa demi-soeur, était apparue pour lui rappeler qui il avait été et aujourd'hui, c'était un peu plus facile de se reconnecter avec cette conscience qu'il avait longtemps éteinte. Aodren se redressa et captura les mains de Lyra dans les siennes tout en ne rompant plus ce contact visuel entre eux.
- Je suis désolé de ce qu'il t'est arrivé. Je n'y suis pas forcément pour beaucoup mais tu méritais mieux. Tu méritais largement de rester la jeune femme naïve et insouciante que tu étais.
Il caressa tendrement sa joue puis retira sa main, réalisant que le geste était déplacé. Aodren se laissa retomber contre le dossier du lit et poussa un profond soupir.
- Tu viens de briser le mystère ... j'espère que je continuerai quand même à t'intéresser désormais.
Aodren lui jeta un regard malicieux et s'esclaffa de rire.
Il le chérit trop pour le partager avec n’importe qui. Je me sens subitement assez flattée de l’entendre prononcer ces mots. Alors, je ne suis peut-être pas n’importe qui à ses yeux. Je ne suis pourtant pas si importante, mais je viens de lui sauver la mise, d’un côté, nous sommes à égalité, lui et moi. Il m’a réveillé alors que je me perdais et en retour, je l’ai secouru. Son regard s’égare vers un autre point de la pièce et comme ma bonne éducation me l’avait enseigné autrefois, je me contente de légers passages vers son visage, sans pour autant le fixer. Il parle et je l’écoute avec la plus grande attention, la vie est parfois plus dure avec certaines personnes, Aodren visiblement fait partie de ces gens qui après un drame personnel ont su malgré tout trouver une voie pour reconstruire un semblant de vie ou une vie tout court. Il prétend n’être pas une personne ne bien, il se trompe. J’ai connu ici et dans mon monde des gens mauvais, avec des intentions peu louables et des actes qui méritaient la mort. Je ne crois pas qu’il fasse partie de ce genre de personnages. Ce n’est pas ce qui ressort de lui, en sa présence, je ne me sens pas mal à l’aise, je ne ressens aucune crainte ou déplaisir. Je le trouve, troublant, attachant, mystérieux, mais pas mauvais.
Je suis probablement encore bien naïve sur le sujet, mais je ne me suis que rarement trompé par le passé sur la nature des gens que j’aimais à fréquenter. La piètre opinion qu’il possède de lui, n’est pas à l’image de ce qu’il renvoie aux autres, il ne doit pas se rendre compte de qui il est en réalité. Le triton se redressa, attrapant mes mains dans ses paumes et me forçant par la même à mirer et sombrer dans son regard céladon. Ces paroles, c’est touchant ce qu’il pense de moi, cependant le passé est le passé, l’histoire est écrite et une fois que l’on a gratté les mots qui la compose, il est bien difficile de pouvoir faire marche arrière. Il n’a pas à se sentir désolé de mon aventure, je n’en garde pas une si cruelle expérience, peut-être une amertume face à certains passages. Mais j’ai véritablement eu de la chance de tomber sur Tankred. Je ne parle pas des quelques baffes reçues et non méritées de sa part, mais plus de ce qu’il a fait de moi actuellement. Ses doigts entrèrent en contact avec ma chair et je frissonnais légèrement de cette caresse qui brisait la distance que nous avions mise pour le moment. Un geste tendre, un geste qui ne ressemblait en rien à la description de triton qui voulait ou pensait être. Il s’éloigna aussi vite qu’il était venu, reprenant sa place dans le lit et délaissant mes mains, qui ressentirent encore durant un moment le spectre des mains de cet homme contre les miennes. Mon rire fit écho au sien dans cette chambre d’auberge et il me semblait que cela ressemblait fort à de la complicité. J’appréciais au final bien plus ce triton que je ne l’aurais pensé au départ. J’aimerai et je me promettais de lui faire changer d’avis sur lui à notre prochaine rencontre.
On parla encore pendant un moment, et lorsque le temps pour moi fut à l’endormissement, Aodren voulu me laisser la place qu’il occupait dans mon lit. Je refusais, l’obligeant à rester allongé au moins pour cette nuit. Il y avait suffisamment de place pour deux dans ce grand lit. Elle était loin cette Lyra qui n’aurait jamais songé à dormir dans le même lit d’un homme qui n’était pas son promis. Pourtant, je ne voyais plus les choses de la même manière et cela n’était pas en mal, j’avais toujours certaines barrières, il ne fallait pas croire que j’avais tellement changé, mais j’osais plus, je me faisais plus téméraire. Soupirant, je me tournais vers Aodren qui avait les yeux vers le plafond. « Tu ne devrais pas penser que tu es mauvais. Tu n’es pas une mauvaise personne, si tu l’étais, je ne me sentirais pas à l’aise. Peut-être que tu as plus en toi de ce jeune triton d’autrefois que tu ne le penses… ? » Je baille, prise par le sommeil qui ne va pas tarder. « Merci de m’avoir fait confiance… » Mes paupières se font lourdes et je ne tarde pas à me perdre profondément dans ce songe que Morphée m’a confectionné rien que pour moi. Rêves où Aodren sera surement présent, d’une manière ou d’une autre.
(c) chaotic evil
Spoiler:
relecture et correction ce soir et je pense que tu pourras clôturer ^^
On voit le ciel dans une goutte d'eau Lyra & Aodren
Ce qu'il lui avait offert n'avait aucune valeur. Et pourtant, à ses yeux, c'était l'une des choses les plus chères à son coeur. Son identité, un secret qu'il préservait précautionneusement. Quelque part au fond de lui, Aodren parvenait donc à honorer la mémoire de ses parents bien qu'il soit devenu l'opposé de ce qu'ils auraient souhaité qu'il soit. Lyra écoutait, comprenait. Son visage exprimait l'empathie, elle réalisait presque à quel point le triton lui était reconnaissant de son geste secourable. Leur discussion continua quelques instants, les doigts de l'homme effleurèrent la joue de la demoiselle avant de s'échapper aussi vite. Une ambiance de confiance et de sérénité s'était imposée dans l'air. Aodren n'avait pas l'habitude de se sentir bien en la présence de quelqu'un, son existence étant majoritairement solitaire.
Il voulut céder la place dans le lit à Lyra mais elle refusa et finit par venir s'allonger à ses côtés. Aodren fut terriblement surpris de la voir prendre place à sa droite. Quelques temps auparavant, la jeune femme aurait rougi comme une pivoine et n'aurait pas pu envisager de se glisser sous ces draps. Cette Lyra-là était définitivement envolée. Le mercenaire resta allongé, le regard rivé sur le plafond et l'esprit embrumé de pensées diverses. Son passé venait le titiller maintenant qu'il s'était ouvert à ce sujet. Lyra avait été une oreille attentive et une épaule paradoxalement solide.
D'une voix ensommeillée, Lyra tenta de le convaincre qu'il était plus qu'une raclure. Aodren esquissa un sourire car c'était bien là que se trahissait les restes de sa naïveté. Le jeune fermier candide d'autrefois continuait à exister mais dans un univers tellement enfoui, tellement lointain que plus jamais il ne remettrait le pied à Neverland. Aodren était devenu quelqu'un de sombre, quelqu'un qu'il ne valait mieux pas fréquenter sous peine d'être sans doute influencé dans le mauvais sens. Cependant, Lyra lui prouvait qu'il pouvait être autre chose qu'un monstre. Lui qui cherchait la rédemption, peut-être en était-ce un prémisse ? La belle bailla puis le remercia pour sa confiance. L'assassin l'observa s'endormir. Ses paupières chutèrent, son visage devint plus serein et ses mèches de cheveux tombèrent devant son visage. Les doigts de l'homme vinrent les replacer derrière son oreille et il continua à la regarder durant quelques secondes avant de fermer les paupières à son tour. Quelques instants de sommeil seulement et ensuite, il s'en irait. Avant l'aube, il aurait disparu. Mais cette après-midi avec Lyra resterait quelque part dans son esprit, à un endroit privilégié. Avant de s'endormir à son tour, il passa un bras autour de la jeune femme et chuchota malgré qu'elle se soit déjà endormie :