Cette fois, ce que mes ventes m'ont rapporté, je le mets de coté. C’est la première fois que je ne dépense pas quasi instantanément tout ce que j'ai gagné. Il faut dire que jusqu'ici, outre mon matériel et mes vivres, je n'avais besoin de rien. Pas que mon projet soit un besoin à proprement parler, plus une envie, un challenge que je me suis fixé, un test, pour voir. Me sédentariser, enfin. L'emplacement que j'ai repéré devrait pouvoir faire l'affaire mais j'ai besoin de matériel supplémentaire. On ne construit pas une maison, pas même une cabane, avec un arc et un couteau. Il me faut de quoi souper, scier, clouer, de la corde, ce genre de choses. Il me faudra des planches aussi lorsque j'aurais monté la charpente mais j'ai le temps pour ça. C’est bien la première fois que je vais construire quelque chose qui ne soit pas destiné à n’être que temporaire et je crains que cette étape ne me prenne un temps fou.
Mais pour l'heure, si je ne compte pas tout dépenser, il est hors de question de repartir de la ville sans m’être offert au moins une pinte. Et pour ça, direction l'Aigrefin. En entrant, je constate que l'endroit semble toujours aussi désert. Comparé à ce qu'il était avant que le soleil décide de jouer les timides tout du moins. Il y a bien là quelques habitués, les inconditionnels qu'on ne saurait déloger, mais on est loin de la foule ordinaire. C’est pas moi que ça va déranger, j'ai jamais été un aficionado des endroits surpeuplés, et moins il y a de monde, moins il y a de bruit et c'est parfait comme ça.
Ma table habituelle, dans un coin, isolée, à l’abri des vas et viens. Une choppe entre les mains. Et me voilà parti à croquer la cabane que je compte me bâtir. Et tout en dessinant grossièrement tout ça, je relève la tête ça et là pour observer les allées et venues. J’aime pas la foule, mais ça m’empêche pas d'avoir ma part de curiosité. Et la silhouette qui entre à l'instant précis où je lève les yeux, je la connais « C'est pas vrai.... » Je suis pas du genre sociable, et encore moins avec les pirates. Mais lui... je sais pas, c’est plus fort que moi, comme une question restée trop longtemps sans réponse. Je le hèle de ma place. Même en creusant au fin fond de mes souvenirs, impossible de mettre la main sur un nom, si tant est qu'il me l'ai dit cette fois là. « Alors comme ça, mon empêcheur de petit déjeuner en rond ne s'est pas noyé ce jour là ! » C’est peu subtile, très peu subtile. Surtout que je n'ai pas pris le temps de m'assurer si les gars qui sont rentrés avec lui l'accompagnent ou ne sont que de passage. Mais j'avais besoin de lui causer. Ne serait ce que pour avoir ce nom qui m’échappe.
«C'est comme les gens qui s'imaginent qu'ils seront plus heureux en allant vivre ailleurs, mais qui apprennent que ça ne marche pas comme ça. Où qu'on aille, on s’emmène avec soi.» N. Gaiman
La nuit. Encore et encore. Une succession de journées qui vous donnaient l'impression de n'en faire plus qu'une, vous laissant prisonnier d'une boucle sans fin. Quelque part dans l'ombre, le responsable de cette situation – s'il y en avait un- devait trouver cela très drôle. Mais c'était loin d'être le cas pour Jeremiah qui se contenta de resserrer son manteau sur ses épaules, l'air sombre. La pèlerine avait connu des jours meilleurs mais le protégeait relativement bien du froid mordant en dépit de son usure évidente. Et le col haut lui donnait l'air d'un étranger sur le départ, plus que d'un vulgaire fuyard. C'était pourtant un peu ce qu'il était. Entre lui et son maître d'équipage, c'était un étrange jeu de piste qui s'était engagé depuis la mésaventure de la réserve indienne. Et si Crochet n'attendait que le moment de lui mettre la main dessus, le maître canonnier du Queen Anne's Revenge s'ingéniait lui à jouer les filles de l'air. Aussi insaisissable que possible. L'heure n'était pas aux plaisanteries. Et s'il pouvait s'épargner un face à face imminent avec son implacable supérieur, Jeremiah avait l'intention de s'y employer de son mieux. Cela ne ferait que repousser l'échéance mais c'était déjà ça de pris. Aussi s'était-il laissé tenter par une sortie impromptue, fuyant le navire pour laisser ses pas le conduire à l'Aigrefin. Mieux valait un verre ici que se retrouver malencontreusement dans le champ de vision de l'homme au crochet, se serait prendre le risque de lui rappeler son existence.
Son expression s'était pincée lorsqu'il avait bien vite réalisé qu'elle n'était pas là ce soir là, rangeant cette information dans un coin de son esprit où il stockait la plupart des réflexions susceptibles d'occasionner des problème. La petite tavernière constituait un sujet qui allait finir par attirer des ennuis à tout le monde et à elle en premier lieu. Et sur la sellette comme il l'était, Jeremiah rechignait à entraîner certaines personnes dans sa chute. Elle pour commencer. C'est donc d'une humeur enchanteresse qu'il avait établit ses quartiers dans la taverne, profitant de la soirée qui s'offrait à lui alors que la bise se levait dehors, annonciatrice de chute de neige prochaine. Maudit temps qui commençait lui aussi à perdre la tête. Quelque chose sur cette île était en train de tourner au grand n'importe quoi et il ne doutait pas que ça leur retomberait dessus sous peu.
C'est une exclamation surprise qui le tira de ses pensée moroses et Jeremiah leva un regard inquisiteur, parcourant la salle pour en déterminer l'origine. La vision d'un regard familier et de cheveux roux lui arracha une expression stupéfaite. Voilà quelqu'un qu'il ne pensait pas recroiser de si tôt. Pas du tout même. Neverland n'était guère étendu et on finissait par revoir régulièrement les mêmes personnes mais après l'avoir vu sombrer, le forban s'était demandé s'il n'avait pas tout simplement péri. Il s'était rendu compte qu'il n'avait jamais vraiment su qui il était et que tout à leur méfiance respective, aucun des deux n'avait dévoilé son identité à l'époque. Et puis les jours s'étaient enchaînés et il avait fini par ranger ses questions dans un coin de sa mémoire. Pour une fois réellement curieux en dépit de son humeur austère, le pirate délaissa ses projets pour venir à sa rencontre alors qu'il lui faisait signe. Arrivé à sa hauteur, il posa une main sur la table dans un sourire narquois.
« Ainsi donc je retrouve mon mystérieux guide, répondit-il, j'avais fini par croire qu'on ne se recroiserait plus, la dernière fois que nous nous sommes vus nous sombrions tous les deux au fond de cette rivière n'est-ce pas ? Je vois qu'elle a fini par nous recracher sans trop de casse ?»
Quelqu’un a dit un jour : le monde est petit. Et je ne crois pas que cette expression ait pût avoir plus de sens qu’aujourd’hui. Ce gars-là rencontré au milieu de nul part, qui aurait pût se douter qu'il franchirait la porte de cette taverne un soir où j'y suis-Surtout après les événements qui avaient conduit, à notre séparation ce jour-là. Si je ne sais toujours pas comment j'ai put éviter la noyade, il me semblait jusque là bien improbable que le pirate ait put en faire de même. Quoi que... ces petites bêtes là sont coriaces et il ne faut jamais présumer de rien en ce qui les concerne.
Et puisque c’est sur le ton cynique de la plaisanterie que je l'ai hélé, c'est sur un ton similaire qu'il vient me répondre. Je l'ai appelé empêcheur de petit déjeuner en rond, il me surnomme son mystérieux guide. Et tout en l'écoutant, je lui fais signe de s'asseoir en face de moi. Quittes à discuter, autant faire les choses comme il faut. Je ne compte pas fraterniser avec lui mais puis qu'il ne m'est pas hostile, je ne vois pas de raisons de ne pas me comporter en être civilisé. Je garde cependant un œil sur l'entrée, si l'un de mes vieux frères se pointait et me trouvait là à tailler le bout de gras avec un pirates comme si nous étions bons amis, j'aurais quelques explications à donner.
Je ne pousse cependant pas le vice jusqu'a lui offrir à boire. Il est entré ici de son plein gré, il devait de toutes façons avoir pour projet de s'alcooliser, il peut donc se payer son rhum tout seul, comme un grand garçon. En revanche, il me faut lui servir une réponse et ma question. Mes questions. «Sans trop de casse en effet. Une bonne partie de mes affaires ont été perdues et éparpillées aux quatre vents durant notre fuite ou emportées par le courant, mais, et c'est là l'essentiel, je suis toujours en un seul morceau. »
J’ai nerveusement porté la main à mon cou pour y chercher la médaille de Lizzie et y crisper mes doigts. Si j'avais dû la perdre dans ma course ou ce bain forcé ... n'y pensons plus. En revanche cette réponse souleva autre chose «Et Vos amis dites moi ? Ont-ils ré-embarqué sur le même navire que vous après ça ? Ou peut-être sont-ils encore là-bas. » Je me permets de ponctuer ma question d'un petit ricanement moqueur. Pas à son intention, mais envers ces gars qui bien qu’en supériorité numérique, avaient perdu leur combat contre ce pirate et moi
«C'est comme les gens qui s'imaginent qu'ils seront plus heureux en allant vivre ailleurs, mais qui apprennent que ça ne marche pas comme ça. Où qu'on aille, on s’emmène avec soi.» N. Gaiman
Peut-être se faisait-il des idées mais même s'ils n'étaient encore que des étranger l'un pour l'autre, Jeremiah avait le sentiment qu'un peu de la méfiance des débuts avait fini par se diluer avec le temps. Les mésaventures rapprochaient-elles autant que ce que l'on pouvait dire ? Peut-être. En attendant, il répondit à l'invitation que lui lança implicitement son vis a vis et s'installa à la table sans se faire prier. Il avait décidément toujours l'art de s'imposer là où il arrivait mais l'occasion était décidément trop belle de revenir sur cette drôle d'histoire. Il s'était toujours demandé dans un coin de son esprit ce qu'était devenu l'homme après leur chute brutale dans la rivière. Sans compter qu'il n'avait jamais réellement su qui il était. Et dans sa curiosité naturelle, le pirate avait toujours espéré trouver une réponse à sa question.
« La même chose de mon côté. A part la perte de quelques effets personnels je n'ai rien à déclarer. J'ai tendance à considérer que nous nous en sortons à très bon compte. »
D'un geste de la main, tout en parlant, il fit signe à l'une des serveuses de lui apporter à boire, une pièce de cuivre entre les doigts en guise de sa bonne foi. Depuis sa dernière mésaventure à l'Aigrefin, Jeremiah se montrait d'une probité à toute épreuve qui lui avait valu à quelques reprises les réflexions narquoise de ses camarades d'équipage qui se demandaient d'où pouvait venir ce soudain regain de bonne foi en totale opposition avec sa réputation de pirate. Ca ne durerait pas mais s'il tenait à ne pas finir banni de la plupart des débits de boisson de l'île, il était bien inspiré de ne pas agrandir le puis de ses dettes déjà largement conséquent. Sans compter que la présence menaçante du propriétaire en arrière plan suffisait à décourager toute envie de boire à crédit. Le bougre visait encore sacrément bien en dépit son âge.
Bien malgré lui, un ricanement lui échappa à la question du rouquin. Ses camarades ? Il en avait recroisé un par hasard, au détour d'un quai, qui lui avait lancé le regard mauvais de celui qui n'a pas fini de régler ses comptes. Mais personne n'avait encore osé s'approcher. L'ombre menaçante du Quartier-maître du Queen Anne's revenge flottait sur Jeremiah telle un nuage de mauvais augure depuis qu'il avait tourné son attention sur lui et par extension, personne n'osait trop traîner dans son sillage de peur que l'intérêt de Crochet ne se porte subitement sur eux. Et comme un petit poisson prisonnier du filet, le forban tournait sans fin, désespérant d'échapper aux humeurs du terrible maître d'équipage. Il avait des préoccupations plus grave à gérer en somme.
« Disons qu'ils sont arrivés au terme de leur contrat ? Ce genre d'homme de main ne reste jamais que temporairement à bord d'un navire avant de se faire engager ailleurs. Ils ne sont pas vraiment dignes de confiance. Ni suffisamment malins pour donner envie qu'on les garde trop longtemps. C'est de la main-d’œuvre facile à remplacer. »
Il n'avait pas caché son peu de crédit, préférant s'entourer d'hommes plus fiables et ne souhaitant pas avoir sous ses ordres des subalternes susceptibles de lui planter un couteau dans le dos durant son sommeil. Au propre comme au figuré hélas.
« Je vous trouve bien curieux l'ami ! Renchérit-il, si vous craigniez de les voir revenir, tranquillisez vous, je crains qu'ils ne focalisent leur attention sur moi maintenant. Et si vous espériez qu'une place se libère dans l'équipage, je suis au regret de vous souffler que le Queen Anne est loin d'être un environnement sécurisant ces temps derniers. »
C’est pas que la réponse m’intéresse vraiment, après tout, de savoir ce qu’il est advenu de ces crétins là m’importe peu. C’est plutôt par curiosité. Histoire de voir si ce combat en plein bois de bon matin et tout le bordel qui s’en est suivit a servit à quelque chose ou si au final, ils ont refait copain copain. Et le choix qu'il fait quant aux mots qu'il emploi dans sa réponse me tire la large rictus amusé. Au terme de leur contrat hein ? M'est d'avis qu'ils se balancent au bout d'une corde quelque part ou qu'ils nourrissent les poissons. Personne ne me fera croire à une quelconque clémence parmi ces gens là. Personne. Et puisqu'il le dit lui même, qu'ils étaient faciles à remplacer, je ne vois pas l’intérêt d'aller m'imaginer qu'ils ont pu trouver du travail ailleurs. Qui les pleurerait de toutes façons.
De la même manière, je ne peux prendre sa réflexion autrement que pour ce qu'elle est. Une accusation. Curieux moi ? Allons bon. Oui probablement.En revanche je manque de m’étouffer à son insinuation et je m'empresse de couper court à ses idées. « Moi ? Rejoindre votre équipage ? Ooooh certainement pas. En aucune façon je ne voudrais avoir quoi que ce soit à faire avec... » vous autres ? Non je ne peux décidément pas lui dire ça alors que je suis en train de converser avec lui comme avec une de ces vagues connaissances dont on a perdu la trace et qu'on retrouve soudainement pour partager tout un tas de nouvelles. Et me voilà parti dans un fou rire franc qui me force à m'avachir sur ma chaise. L'idée même que je un jour évoluer sous un pavillon noir m'est à la fois la plus répugnante des pensées et la plus hilarante.
Aussi il me faut un certain temps pour reprendre un peu moins calme et mon souffle avant de revenir me pencher sur la table pour le fixer droit dans les yeux l'air le plus sérieux du monde. « Non. Sachez que vous êtes un des très rares parmi ces marins écœurants que je n'ai pas envie de frapper. Quoi que l'idée m'avait effleuré lors de notre rencontre. Non. La vue même de vos semblable me donne la nausée. Alors ne vous en faites pas pour moi, je ne comptais pas monter sur votre coquille de noix, sécurisée ou non. ». Je penche légèrement la tête de coté, affichant brièvement un air amusé avant de poursuivre. « En revanche... si l'envie vous prend de vous recycler, sachez qu'outre quelques sangliers un peu hargneux que vous pourriez vous mettre de nouveau à dos... Je serais ravi de vous compter parmi la concurrence. Chasser me rapporte de quoi payer mon rhum, une chambre digne de ce nom à l'occasion, et tout ce dont j'ai besoin quand je ne peux pas me le procurer dehors. Et le tout avec toute la saveur que peuvent avoir les choses durement et légalement gagnées. » Je ne sais pas vraiment pourquoi je lui retourne son invitation. Mais je l'ai dit, il est curieusement un des rares pirates que je n'ai pas envie d’étrangler à vue.
«C'est comme les gens qui s'imaginent qu'ils seront plus heureux en allant vivre ailleurs, mais qui apprennent que ça ne marche pas comme ça. Où qu'on aille, on s’emmène avec soi.» N. Gaiman
A la vue de son expression indignée à la simple idée de se faire pirate, Jeremiah retint un éclat de rire. Ce que ne fit pas son vis a vis qui eut l'air de trouver l'idée très drôle et ne se priva pas de montrer son hilarité. C'était évidemment une boutade puisqu'il s'était bien rendu compte que l'homme ne portait pas les pirates dans son cœur. Ce qui était un euphémisme puisqu'il s'était montré résolument réfractaire le jour de leur rencontre. Comment le lui reprocher ? Les forbans n'avaient pas bonne réputation, quelque soit le monde dans lequel ils évoluaient. Il n'avait qu'à imaginer les regards épouvantés de sa mère lorsqu'il avait émis l'idée de prendre la mer. Il avait à l'époque mis ça sur le compte de la disparition de son dévoyé de père et de son forban de demi-frère mais aveuglé par l'envie de faire aussi bien que Black Jack Murphy, il ne s'était jamais véritablement posé la question. Au lieu de ça il avait abandonné cette idée sans pouvoir accéder au précieux piédestal et ne serait jamais que Cookson aux yeux de ses camarades. Le fils du cuistot. Le fils d'une plaisanterie idiote. Rien à voir avec les illusions qui l'avaient bercé toute son enfance. Le regrettait-il ? Pas vraiment. Il avait l'impression à présent que toutes ces années il n'avait fait que courir après un fantôme. Et regretter cette histoire aurait pu laisser penser qu'il s'attachait au passé. Hors, Jeremiah n'aurait pas changé ce qu'il était devenu, même s'il en avait eut le choix. Il haussa une épaule faussement défaitiste en réponse.
« Je me dis parfois que tout ça c'est un peu comme une grande balance, répondit-il, le monde irait un peu moins droit sans nous pirates pour rétablir l'équilibre . C'est un cercle sans fin je suppose. Il faut toujours quelqu'un pour ce rôle non ? Je mentirais si je dis que je regrette la voie que je me suis choisi. Elle n'est pas la plus aisée mais aujourd'hui je ne referais pas l'histoire si j'en avais l'occasion. »
Il était rare qu'il aborde ce genre de sujet avec autant de sincérité, plus familier de l'humour que des discussions sérieuses. Bien que considérant la situation actuelle, il ait de moins en moins envie de rire. C'était un peu comme sa dernière arme, un brin de légèreté pour éclairer une atmosphère rendue lourde et pesante à mesure que le temps passait. Avec la nuit éternelle, personne n'avait envie de rire, encore moins de faire des plaisanteries. A son tour d'éclater de rire lorsqu'il lui retourna la question. Tout arrêter ? Raccrocher le tablier pour reprendre une vie plus sereine ? Il y avait pensé sans trop s'y attarder, comme on le ferait d'une idée peu sérieuse et fantaisiste. Il avait la mer en lui un peu comme si l'eau salée s'était mélangée à son sang à force de se trouver à son contact, il n'aurait jamais pu s'en défaire.
« Je note le compliment en tout cas et je jure de ne le révéler à personne, répondit-il en riant, pour tout dire et ça va probablement vous sembler étrange mais la mer fait trop partie de moi pour que je m'en sépare maintenant. C'est ma plus fidèle compagne et je l'ai épousée il y a longtemps de ça. Se sont des relations qui sont faites pour durer. Peut-être sur mes vieux jours ? Aujourd'hui je ferais plus figure de poisson hors de l'eau. Un peu comme vous sur un navire je suppose ? Mais nous formerions un duo atypique n'est-ce pas ? Notre mésaventure le prouve ! »
Là où moi je me perds dans une proposition ridicule, lui il me répond avec une certaine philosophie qui me surprend. Je n'aurais jamais cru un pirate capable d'un tel raisonnement. C'est une nouveauté ça. Quoi que venant de lui, j'ai comme l'impression que ça ne devrait pas être si étonnant. Il est à part, un peu comme un une brebis au milieu des chèvres. Métaphore bizarrement choisie pourtant c'est l'impression qu'il donne. Il ne ressemble en rien aux autres de ses semblables que j'ai pu croiser au court de ces années passées ici. Que ce soit en tant qu'adulte ou .. avant. Je suppose qu'il n'a pas tort. Enfin pas tout à fait. Il faut des prédateurs, n'en déplaise aux proies, pour que ce monde tourne rond, et on peut voir les pirates dans ce rôle. Quoi que j'ai connu des indiens plus féroces que certains moussaillons de pacotilles, mais c'est un détails et puisque la migraine me vient comme j'essaye de trouver une autre métaphore digne de ce nom, je décide rapidement de m'en tenir à sa version à lui. Ce qui dit quant au chemin suivi, à l'histoire à réécrire en revanche... Combien de fois moi je me suis fait la réflexion inverse ? Il y a tant de choses sur lesquelles j'aimerais revenir, tant de choses que j'aimerais pouvoir effacer, modifier, améliorer mais sur lesquelles je dois malheureusement compter pour meubler chacune de mes nuits de cauchemars tous aussi sympathiques les uns que les autres.
J'esquisse un sourire quand il éclate de rire. Je ne sais pas vraiment s'il se moque de moi, de ma proposition, ou s'il trouve simplement l'idée des plus hilarante. La réponse est à mi chemin entre les deux certainement. Idée ridicule et stupide de ma part il faut bien l'avouer. Pour prendre la mer avec ces vauriens, c'est bien qu'il appréciait la vie qu'ils avaient à lui offrir. On ne devient pas pirate par nécessité on le devient par choix. Enfin c'est comme ça que j'ai toujours vu les choses, je suis peut être à des lieux de la vérité. Nouveau rictus quand il relève le... compliment que je lui fais. Je ne suis pas sûr de l'avoir pensé comme tel mais je suppose qu'il peut le voir ainsi en effet. Et comme il enchaîne, m'expliquant son refus alors qu'il n'en était nul besoin, je me perds dans mes pensée. J'ai eu moi aussi le genre de relation dont il parle. D'un certain point de vue du moins. J'étais attaché à ma vie à l’arbre comme lui à la sienne sur les mers. Mais le destin m'a imposé un obstacle qui m'a fait perdre ce lien et je.. un soupire, un regard à ma choppe où surnage un fond de bière que j’engloutis sans plus de cérémonie. Le passé c'est le passé. Ma devise pour éviter de me morfondre de trop.
Et c'est une main solidement ancrée à mon médaillon que je hèle la serveuse pour commander deux autres choppes. J'avais dit qu'il devrait se payer sa bière seul mais cette petite conversation m'a fait changer d'avis. Alors lorsque l'on nous sert et que j'ai laissé les quelques pièces que je dois à la brunette non sans avoir rougit à son sourire, je lève mon verre à ce pirate hors normes qui me fait face. « Trinquons dans ce cas. A la mer et à la terre. A ces liens trop difficiles à rompre et à ce que nous sommes. » puisses tu ne jamais avoir à renoncer à cela comme je l'ai fait, pirate. Mais ces mots là je les garde pour moi. Il n'a pas à savoir. Puis j'ajoute en ricanant un « Et à nos improbables reconversions. » Improbable c'est le mot, pour lui comme pour moi.
«C'est comme les gens qui s'imaginent qu'ils seront plus heureux en allant vivre ailleurs, mais qui apprennent que ça ne marche pas comme ça. Où qu'on aille, on s’emmène avec soi.» N. Gaiman
Le moment qui suivit lui laissa comme une drôle d'impression et Jeremiah eut le sentiment qu'il venait de se passer quelque chose dont il n'avait pas saisie la teneur. Il n'était pas forcément le plus attentif ou le plus perspicace mais il y avait toujours eut quelque chose de lointain chez son camarade d'un soir. Des secondes fugitives où son esprit avait l'air de voguer dans d'autres contrées. Peut-être était-ce là l'origine de sa si grande réserve ? Il y avait chez lui quelque chose qui était toujours sur ses gardes, prêt à bondir. Et encore une fois, leur conversation improvisée lui arracha une pensée amusée. Le destin s'était ingénié à faire se croiser leurs routes et voilà qu'ils discutaient comme s'ils n'appartenaient pas à deux mondes bien différents l'un de l'autre. Le rouquin n'avait jamais caché son aversion pour les pirates et Jeremiah lui était dans un sens reconnaissant de son honnêteté à ce propos. Mais s'ils n'avaient rien pour se comprendre sur le papier, la réalité leur avait prouvé le contraire et il n'était pas fâché de ça. On déposa une seconde choppe devant lui qu'il accepta d'un signe de tête de remerciement dans la direction de l'homme. Il avait eut l'air d'émerger de sa drôle de phase et porta un toast avec un rien de positivité qui n'était pas là quelques minutes auparavant.
« Aux liens et aux reconversions improbables ! » Approuva-t-il
Une phrase qui résonna chez lui un peu plus qu'il ne l'aurait voulu. Combien de temps mènerait-il cette vie ? Neverland serait éternelle au point de le laisser voguer sur les flots pour l'éternité ? Ne se lasserait-il jamais de cette vie de forban ? Cette éventualité lui paraissait improbable mais qui savait vraiment ?
« Qui sait si on ne me trouvera pas à la retraite un de ces jours ? Si on me retrouve dans quelques années, vieux et ridé à raconter des histoires d'aventures aux gamins du port, je voudrais bien vous offrir ma tournée ! Je crois aux changements de voies mais certains peuvent se montrer véritablement radicaux ! »
Il n'était pas certain qu'il raccrocherait jamais. Tourner le dos à la mer, ranger le sabre et les canons pour couler des vieux jours dans un petit coin calme de Blindman's Bluff. Est ce que ce destin serait le sien ? Et avec le tour sinistre que prenaient les choses, il ne savait même pas s'il en aurait un de destin à vrai dire. Pas avec l'obscurité éternelle et ces murmures de fin du monde qui commençaient à apparaître un peu partout. Il était d'avis que les habitants de Neverland avaient l'imagination trop fertile mais ne pouvait passer à côté des commérages. Ce ne serait pas la première fois qu'ils céderaient à l'appel irrésistible du ragot.
« Si nous sommes encore là dans quelques années. Je n'ai jamais entendu autant de rumeurs de fin des temps que depuis que la nuit est tombée. Étonnant n'est-ce pas comme chacun s'accorde à dire ça ? »
d'avance pardon pour ce pavé probablement illisible tant je me suis perdue moi même en l’écrivant...
I saw you
Feat. Jeremiah
Improbables. Tant l'idée que nous puissions un jour tourner le dos à ce que nous sommes que cette conversation en elle même. Et pourtant, comme je trinque avec lui, je me surprends à penser que si l'un est possible, l'autre n'est finalement pas si impensable que cela. Qui aurait pu croire qu'un jour, moi, je me retrouverais à échanger quelques mots et une bière avec un pirate plutôt que des coups ou des insultes. Et si j’évite en temps normal la moindre introspection, de peur de sombrer dans une nostalgie que je préférerais m’épargner, cette fois je n'y coupe pas. Et voilà que bien malgré moi mon esprit vagabonde et s'aventure à faire la liste de toutes ces petites choses que je n'aurais jamais envisagées à une certaine époque et qui font l'homme que je suis aujourd'hui. Un homme pour commencer. Tandis que ma main revient saisir, comme un réflexe, un geste rassurant qui est devenu inconscient avec le temps, ce médaillon à mon cou. Non jamais je n'aurais pu penser vieillir un jour mais jamais non plus je n'aurais envisagé ma vie sans elle. C'est un choix qu'on a fait à ma place. Choix suivant, ne nous attardons pas là dessus. Choix suivant disais je, mon arc, mes flèches, ce que je fais de mieux. La seule chose que je sais faire pour être honnête. Chasser, dépecer, ça n'a rien de nouveau. Le faire plus que mon estomac ou la nécessité me le dicte et dans la simple optique de revendre le tout, ça en revanche, c'est autre chose. Et pourtant c'est ma vie aujourd'hui. Nouveau choix, si c'en est un, vivre seul. Mes doigts poursuivent leur jeu sur la petite pièce de métal comme j'essaye de me convaincre encore une fois que cette vie me convient. Mais plus le temps passe moins j'arrive à m'en persuader. Allons, passons encore à autre chose. L'alcool, le tabac. Voila des choix que j'ai fait sciemment. Cette bière dans ma chope, cette pipe que j'allumerais quand la dite chope sera vide, ce sont des détails mais je les ai choisi. Personne ne m'a obligé à avaler ma première gorgée de cette ale probablement médiocre quoi que j'ai que peu d'objet de comparaison ou à tirer ma première bouffée de tabac. Où voulais je en venir en laissant ainsi mes pensées se perdre.. a oui... à tout ce chemin parcouru qui m'a mené à ce que je suis et à celui qui me mènera probablement là où je m'y attends le moins.
Quoi que si j'ai une seule certitude, c'est que jamais au grand jamais je ne voguerais sous pavillon noir. Marin, un jour peut etre qui sait. Pirate... plutôt m'achever aujourd'hui quoi qu'il en dise. Les changements radicaux, je connais, je viens d'en faire le tour en plongeant dans mes souvenirs. Mais celui ci serait bien pire que ça. Et une fois encore, je laisse mon esprit s’égarer. Et lui.. avait-il prévu d'en arriver là ? Bah il m'en a dit ce qu'il voulait en dire, le reste ne me regarde pas. Et pourtant.. j'y songe encore sans plus pouvoir m'en empêcher, tentant de comparer sa vie à la mienne. Une petite voix, ma conscience peut être, me souffle alors qu'il me reste encore bien trop d'imagination pour mon propre bien et l'idée même me tire un sourire distrait. C'est probablement vrai mais dois je vraiment voir ça comme une tare ? D'autant que la tournure que prend cette conversation vient titiller cette même imagination qu'une part de moi voudrait brider. Cette fichue nuit et les rumeurs de fin du monde. Voila ce qu'il vient lancer entre deux gorgées en guide de sujet. A la bonne heure.. ainsi les pirates aussi craignent cette situation. Moi qui pensait que cette obscurité constante les arrangeait pour le mieux. N'est il pas plus aisé de commettre rapines et autres méfaits dans l'ombre qu'en plein jour ? Quoi qu'il est vrai que je ne suis pas navigateur mais que je suppose que sans la moindre clarté il est dangereux de naviguer trop loin et trop longtemps. « En voilà un excellent sujet. » qu eje laisse échappé, distrait, le regard dans le vide à la recherche d'une réponse parfaite à lui apporter. Il le dit lui même, chacun y va de son opinion sur la question et je ne veux pas paraître ignorant en donnant un avis qui lui paraîtrait absurde.
Je cherche l'inspiration dans ma bière. En vain. Peut être la fumée rendra elle cette imagination dont je parlais plus fertile. Car c'est bien de cela dont il s'agit. D'imagination. Personne ne peux prédire ce qu'il se passera si cette nuit persiste. Nous ne pouvons qu'imaginer. De mon sac, je sors une petite blague à tabac en cuir et une pipe grossière taillée il y a quelques années. Soir d'ennui probablement. Et tout en m'occupant les doigts avec tout ça, je me lance dans ma propre version de cet avenir sans soleil. « La fin du monde, j'en doute. Le monde ne s’arrête pas à cette île et je veux croire que si le soleil a oublié le chemin à parcourir jusqu'ici, il brille encore ailleurs. Peut être payons nous le prix de toutes ces années à vivre aux crochets de cet endroit, peut être pas. Si on y réfléchis bien... » Je marque une pause le temps de craquer une allumette et de venir allumer mon tabac, creusant mes joues pour tirer dessus, puis je reprends après avoir laissé échapper une première bouffée de cette fumée acre qui m'aurait répugné il y a quelques années encore « .. si on y réfléchis bien disais je, cette île a tant apporté à tout ce petit monde jusqu'ici. » Geste de ma part pour designer tout le beau monde amassé dans la taverne, nouvelle bouffée de tabac. « On en a tous profité mais tout a une fin, tout n'est que cycles. » Je marque une pause pour le regarder du coin de l’œil et m'assurer que je ne l'ai pas perdu ni ne suis passé pour un fou. « Les saisons ont toujours été.. particulières... à Neverland. Je suis inquiet comme tout le monde, mais je mentirais si je disais que je suis réellement surpris que le jour et la nuit ait put se détraquer à leur tour. Cette île fait un peu ce qu’elle veut, j'en ai peur. Le jour reviendra. Quand, j'en sais rien, mais il reviendra... je crois... j’espère... » Et voila mon spleen qui refait surface...
«C'est comme les gens qui s'imaginent qu'ils seront plus heureux en allant vivre ailleurs, mais qui apprennent que ça ne marche pas comme ça. Où qu'on aille, on s’emmène avec soi.» N. Gaiman
L'espace de quelques instants, Jeremiah l'a perdu. Il s'en ai rendu compte à l'air pensif qui s'est emparé de l'homme et à son regard lointain qui laissait supposé qu'il se remémorait de vieilles histoires. Il y avait toujours eut un petit côté nostalgique chez lui, comme s'il n'avait pas vraiment les deux pieds dans le présent. Jeremiah qui vivait au jour le jour ne partageait pas cet état mais pouvait le comprendre. Bien qu'il s'était évertué à fuir le passé du mieux qu'il pouvait, quitte à fermer les yeux sur tout ce qui était susceptible de le retenir un peu trop en arrière. Ca l'avait rendu insaisissable, intangible, comme si on ne pouvait jamais vraiment lui mettre la main dessus avant qu'il se volatilise. Ca avait ses avantages, mais aussi ses limites. Il l'avait appris à ses dépends, toutes les fois où on lui avait reproché de ne se préoccuper de rien et de tout prendre à la légère. Oh pourtant il y avait bien des choses sur lesquelles Cookson posait un regard plus sérieux. Il avait juste horreur de s'y appesantir. Il le laissa à ses réflexions, préférant ne pas chercher à le faire parler à ce propos. Personne ne prenait jamais bien que l'on se montre trop curieux sur des sujets très personnels. Lui le premier.
La conversation s'était orientée vers un sujet bien plus au goût du jour. Depuis que le soleil s'était couché pour ne plus revenir, la nuit éternelle était sur toutes les lèvres, lui le premier. Et chacun se fendait de sa petite hypothèse pour expliquer le phénomène, de la plus terrible à la plus fantaisiste. Jeremiah avait sa petite idée sur le sujet mais aucune des justifications qui lui venait à l'esprit n'était encourageante. Il était loin de se sentir aussi tranquille que son compagnon du soir sur le sujet. Une petite voix lui soufflait que Neverland n'avait plus rien de la mère nourricière qui les avait accueillis toutes ces années et qu'elle s'était faite vengeresse depuis quelques mois pour leur faire payer leurs terribles actions.
« Je fais partie du camp des pessimistes je l'avoue, répondit-il avec un sourire de connivence, nous n'aurions pas pu tirer profit éternellement de cette bonne vieille île sans qu'elle nous le fasse payer un jour. »
Leurs regards se croisèrent par dessus leurs verres et le pirate se sentie lui-même pris de nostalgie. Regrettait-il ce qu'il avait fait ? Pas vraiment. Il se disait juste qu'il aurait du faire en sorte que ça dure encore et ne pas brûler la chandelle par les deux bouts comme ils l'avaient tous fait. C'était peut-être pour cela que la fin semblait se profiler si brutalement maintenant. Ils s'étaient crus invincibles, l'île se chargeait de leur rappeler que ça n'était pas le cas. Ils étaient loin d'être immortels et ça Jeremiah avait eut tendance à l'oublier. « Je pense qu'elle s'est chargée de nous rappeler qui commandait réellement ici bas. Nous avons joué au plus fort en oubliant qu'au final c'est toujours elle qui aura le dernier mot. Peut-être que ça nous servira de leçon et nous rendra plus humbles ? »
Il en doutait. Parce que les choses ne changeraient pas si facilement. Parce qu'ils étaient guidés bien malgré eux par des archétypes qui dictaient chacun de leurs gestes. Et parce que certains ici bas étaient trop bornés pour accepter de voir qu'ils étaient dans l'erreur. Le pirate espérait juste qu'il s'agissait d'un coup de semonce et pas d'un dernier baroud d'honneur avant la fin. « Mais je doute que tout le monde retienne cette leçon, murmura-t-il, n'avez vous pas l'impression que nos rôles respectifs dictent notre comportement bien malgré nous ? Il y a des choses qui ne peuvent évoluer sur cette île, c'est elle qui mène la danse. »
fiche codée par shirosaki
Spoiler:
Aucun problème à ça, j'ai trouvé que ça allait bien au personnage