Franchement, aujourd’hui était loin d’être une journée parfaite niveau température. En fait, le ciel était gris et le soleil se cachait derrière d’épais nuages et il ventait beaucoup, mais, au moins, il ne pleuvait pas. C’était déjà ça, mais la température restait toujours peu propice pour les longues promenades, alors il aurait été beaucoup plus sage de rester sagement au camp des enfants perdus à attendre que ça passe, mais ça, c’était mal me connaître. Car, à vrai dire, je me fichais royalement qu’une tempête éclate pendant que j’étais perdue au beau milieu des bois. De toute façon, j’avais toujours été débrouillarde, donc si une telle chose arrivait, ce ne serait pas la fin du monde et je n’en mourrais pas. Et, de toute façon, j’étais incapable de rester ici à ne rien faire, alors ce n’était pas une tempête, ou plutôt une température grisâtre avec possibilité d’intempérie, qui m’arrêterait! J’avais donc décidé d’aller me promener un peu en ville. Premièrement, car ça faisait déjà un moment que je ne m’y étais pas aventurée et deuxièmement, parce que j’avais envie d’aller me promener un peu et que, j’avais honte de l’avouer, j’étais un peu tannée de toujours explorer les mêmes lieux situés près de notre campement et de la vallée des fées. J’avais donc opté pour Blindman’s Bluff, puisqu’il s’agissait du lieu ayant le moins de points communs avec la forêt et que, comme j’avais besoin de changement, c’était l’endroit idéal, puisque la variété de gens qui l’habitait était très variée.
En me réveillant ce matin, j’avais donc enfilé ma plus belle cape, celle avec le large capuchon qui camoufle presque entièrement mon visage, ainsi qu’une paire de botte dont la semelle était si épaisse que je gagnais un bon cinq centimètre de hauteur en l’enfilant, ce qui me faisait paraitre plus âgé que je ne l’étais. Puis, une fois mon costume enfilé, j’avais pris la route dès l’aube, sans prévenir personne et, après quelques heures de marche, j’étais enfin arrivée en ville. Enfin… Je me trouvais présentement à quelques mètres de l’une des entrées et je contemplais la grandeur des bâtiments qu’elle rassemblait, impressionnée. Pour moi, observer la ville de loin avait toujours satisfait mon immense curiosité, alors normalement, je me tenais à l’écart et je me contentais d’explorer les fermes qui se trouvaient dans les alentours, mais aujourd’hui, j’avais décidé de prendre mon courage à deux mains et d’aller explorer la capitale. J’avançai donc d’un pas décidé jusqu’à l’entrée et, une fois à l’intérieur des limites de la ville, je me mis à suivre les gens. Après quelques minutes, je me retrouvai dans une rue très passante, dont le nombre de boutiques était assez impressionnant. Probablement la rue principale, le centre-ville ou un truc du genre. Curieuse, je m’approchai d’une boutique un peu plus sombre où les gens riaient aux éclats. Seulement, ce fut une grande erreur de ma part, puisqu’en m’approchant, je constatai que ce lieu était particulièrement prisé des pirates.
Effrayée, je m’éloignai rapidement, sans trop réfléchir. Dans ma hâte, je percutai une calèche et ma cape, qui se coinça sous l’une des roues, déchira. Frustrée et attristée par cet événement, je lâchai donc un juron avant que le chauffeur du véhicule ne débarque pour venir me crier après. Il me traitait d’imbécile, d’enfant irresponsable, et je l’écoutais sans broncher, ne sachant pas vraiment comment réagir, mais en agissant de la sorte, je devais l’avoir mis encore plus en colère, puisque ses cris avaient doublé de volume et qu’il me traitait maintenant d’adolescente arrogante. Je ne savais pas vraiment ce que le mot arrogant voulait dire, mais je n’eus pas le temps de me poser la question, puisque je me rendis compte que presque tout le monde s’était arrêté autour de nous, pour observer la scène. Inquiète, je fis la première chose qui me passait par la tête. Je donnai un gros coup de pied dans les parties intimes de l’homme avant de m’emparer du morceau de cape qui était resté coincé dans la roue, puis je me sauvai en sprintant, désireuse de mettre le plus de distance possible entre moi et les pirates. Seulement, dans l’action du moment, je ne m’étais pas rendue compte que personne ne m’avait suivi. Probablement qu’ils n’en avaient rien à foutre d’une gamine impolie comme moi. J’étais donc en sécurité, mais je me retrouvais au milieu de nulle part, perdue dans une ville que je ne connaissais pas. Je tentai donc de retrouver mon chemin, mais après quelques minutes je réalisai que c’était peine perdu. Je fis donc ce que toute fillette de mon âge aurait fait, soit me mettre à pleurer en serrant le morceau de cape déchiré dans mes bras.
Au dehors, le vent fait savoir qu’il est roi de ce jour terne et froid. Il souffle, mais ne s’est pas allié à la pluie pour le moment. Certains pourraient voir la chose comme un moment de répit bien mérité. La jolie couturière, elle, ne voit pas la chose ainsi. Elle aime beaucoup la pluie. Elle ne saurait exprimer pourquoi, mais elle adore regarder la pluie tomber, écouter les gouttes rencontrer les vitres des fenêtres. Bien au-delà de la relaxer et de l’aider à se détendre, cela l’aide également à trouver de nouvelles inspiration, de nouvelles idées pour les confections qu’elle pourrait faire, dans sa modeste petit boutique de couturière.
La matinée avait été très calme dans l’ensemble. Quelques clients seulement étaient venus demander des retouches, et elle avait ainsi pu travailler à un ouvrage sur lequel elle était depuis quelques jours déjà. Le vêtement n’était pas très difficile à faire en soit, mais la coupe étant originale, les coutures étaient particulièrement nombreuses, ce qui justifiait le temps passé dessus. Et puis, joviale, elle se disait que si jamais personne ne serait intéressé, elle pourrait toujours l’offrir à l’une de ses petites sœurs. Elles raffolaient des tenues que leur grande sœur pouvait faire pour elles, après tout. Elle avait compensé comme elle avait pu la mort de leur père, et avait toujours fait tout son possible pour les rendre les plus heureuses possibles, depuis.
Arrivée à mi-journée elle laissa sa boutique en charge de sa petite apprentie pour aller acheter de quoi déjeuner pour elles deux. D’un pas souple elle s’était ainsi dirigée vers le marché pour acheter quelques fruits, qui feront bien l’affaire pour aujourd’hui. Elle n’avait pas envie de laisser la boutique trop longtemps, alors elle avait vite refait le chemin en sens inverse pour y retourner. Jusqu’à ce que des larmes la fassent s’arrêter et dévier de son chemin pour aller vers la ruelle d’où provenait la tristesse exprimée à voix haute.
Touchée au cœur elle s’approcha de la petite fille qui tenait un morceau de tissu, et continuait de pleurer à chaudes larmes. Comment pouvait-elle ne pas voir en elle une de ses petites sœurs ? Comment pouvoir ne pas vouloir lui remonter le moral ? Cela lui était impossible. Alors, elle vint s’accroupir près d’elle, et lui tendit un mouchoir en tissu.
« Que font ces vilaines larmes de crocodiles sur un si beau petit visage ? »
Afin de la calmer, elle lui adressa un doux sourire, afin de lui faire comprendre qu’elle serait là pour elle, pour l’aider à chasser ce petit chagrin passager.
Toujours aussi effrayée, mes larmes ne cessaient de couler sur mes joues, tandis que je serrais désespérément le bout de tissus contre mon cœur. Cette cape, c’était la plus jolie que je possédais et je l’avais depuis aussi longtemps que je pouvais m’en souvenir! Elle était d’un vert aussi beau que celui des feuilles des arbres estivaux de la forêt des quatre saisons et les coutures réalisées à partir d’un fil doré étaient si belles qu’elles donnaient des allures princières à la cape. Oui, ce n’était qu’un vêtement, mais je l’adorais et plusieurs de mes plus beaux souvenirs avaient eu lieu alors que je la portais, alors on pouvait dire qu’il s’agissait de ma cape porte-bonheur, en quelque sorte. Et aujourd’hui, je l’avais déchiré. Elle était brisée, détruite, perdue à jamais. Oh, bien sûr, je pourrais la remettre, mais j’aurais l’air ridicule plus qu’autre chose! Du coup, le mieux à faire serait de la ranger dans ma cabane. Sauf que je ne voulais pas qu’elle prenne la poussière sur une étagère! Non, moi je voulais la porter, ma cape!
En pensant au fait que je ne pourrais plus jamais la remettre, mes larmes redoublèrent. Maintenant, je ne pleurais plus du tout à cause des pirates ou à cause du fait que j’étais perdue. Ces détails ne m’importaient peu. D’ailleurs, j’avais eu tort de pleurer pour des trucs aussi insignifiant. Ça arrivait à n’importe quel enfant perdu de se perdre et, chaque fois que ça arrivait, notre fée arrivait à notre secours! Je n’avais donc pas à pleurer pour ça. De toute façon, ce n’était pas vraiment mon genre de laisser aller mes émotions. Normalement, je contenais toute ma tristesse à l’intérieur, jusqu’à temps que je l’oublie ou qu’elle sorte en colère que je déversais ensuite sur des arbres ou sur des oreillers. Même que, parfois, lorsque j’avais accumulé beaucoup d’émotions négatives, je me rendais chez ce Picaninny que je détestais et je lui faisais un mauvais coup un peu plus méchant qu’habituellement. Mais cette fois-ci, ma tristesse sortait autrement. C’était tout nouveau pour moi et ça m’effrayait.
Du coup, lorsqu’une jolie dame aux magnifiques cheveux blonds surgit dans mon champ de vision, je sursautai, puisque j’étais déjà un peu sur les nerfs. Puis, une fois l’effet de surprise passé, je m’apprêtai à détaler, lorsque je remarquai son grand sourire. Il était si joli et elle avait l’air si sincère! En plus, ses yeux étaient emplis d’une douceur et d’une compassion si grande que c’était pratiquement impossible que ce regard soit adressé à une inconnue. Peut-être que je lui rappelais quelqu’un? Sa fille, peut-être? Non, elle n’avait pas l’air assez vieille pour être maman… Bref, pour des raisons évidentes, je décidai de lui faire confiance. Alors, lorsqu’elle me demanda pourquoi je pleurais, au lieu de faire la brave en niant tout, je me contentai de lui avouer ce qui s’était passé. « Je… J’ai vu des pirates et… Et il y avait ce drôle de monsieur avec sa calèche. Ma cape s’est coincée dans une des roues. Elle s’est déchirée… Et je crois que je suis perdue. » Avouai-je en reniflant un peu avant d’essuyer grossièrement mes larmes.
Il ne lui semblait pas avoir déjà vu cette enfant dans les parages, mais elle n’y fit pas véritablement cas. Après tout, bien que sa vie sociale ai été fort mouvementé dès lors qu’elle était devenue une jeune adulte, elle s’était un peu coupée du monde depuis que son père avait été exécuté. Et ce n’était franchement pas plus mal. Avec le recul elle s’était rendu compte que ce n’était pas plus mal, et que toutes ces civilités étaient vraiment beaucoup de vent pour trop peu d’actes. Il ne s’agissait que de sauvegarder les apparences, montrer le meilleur de soi-même, et s’inventer une vie parfaite lorsqu’elle ne l’est pas, simplement pour sauvegarder les apparences. Non, sa vie n’était pas belle. Son père était mort, et oui, elle était dévastée depuis. Elle n’avait pas envie de prétendre le contraire.
Depuis elle avait cherché un sens à sa vie, elle avait voulu faire quelque chose de bien, répondre à certaines valeurs qui n’étaient pas toujours forcément celles de sa mère. Quelque part, c’était peut-être u acte égoïste que d’aider cet enfant. En l’aidant, elle s’aidait elle-même, elle se trouvait une utilité alors qu’elle pensait ne plus en avoir. Bien sûr, même à l’époque où son père était encore en vie, elle l’aurait fait. Pourtant, elle avait l’impression d’être différente. Elle se sentait différente depuis sa mort.
L’enfant l’attendrissait, ça, c’était indéniable. Elle avait écouté sa folle aventure, et se dit une nouvelle fois que cela ressemblerait bien à sa jeune sœur que de vivre une pareille aventure pour finalement se retrouver dans ce genre de situation ! Elle tira doucement un morceau de tissu de la poche de sa veste et lui tendit afin qu’elle essuie ses larmes avec. Son gros chagrin était légitime, mais pas insurmontable, et elle allait prendre les problèmes dans l’ordre !
« Essuie ton jolie petit visage, nous allons tâcher de nous occuper de tout ça, d’accord ? Je vais t’aider à retrouver le chemin de ta maison, et si tu veux avant ça nous pouvons passer à ma boutique pour que je m’occupe de ta cape. Je suis couturière alors je suis sûre que je peux arranger ça en quelques coups d’aiguille ! »
Elle se redresse et tend sa main vers l’enfant. Quoi qu’elle veuille faire Gaïana sera là pour s’assurer qu’elle ne reste pas seule tant qu’elle n’a pas retrouvé le chemin de sa maison. Elle est ainsi. Elle tient parole, elle tient aux autres. Elle est peut-être trop gentille, dans le fond.
Depuis que j’avais relevé mon visage pour essuyer mes larmes, je n’arrêtais pas de jeter des regards furtifs aux alentours, de peur que les pirates m’aient poursuivie. Ça ne semblait pas être le cas, mais je restais quand même sur mes gardes. Bien sûr, je n’avais pas peur des pirates. J’étais courageuse et il n’y avait pas grand-chose qui me faisait peur, mais récemment, Brynjàr m’avait raconté son histoire et ça m’avait marqué. Je ne savais pas si c’était à cause de ce qu’il avait enduré pendant toutes ces journées où il avait été retenu en captivité par les pirates ou à cause de l’émotion que j’avais ressenti dans sa voix et de la compassion que j’avais alors éprouvé pour lui. Tout ce que je savais, c’était que tantôt, j’avais eu affreusement peur lorsque j’avais aperçu ces pirates et je me sentais toujours un peu nerveuse, mais c’était de moins en moins pire, puisque la simple présence de cette jolie demoiselle me rassurait.
Je fis donc ce qu’elle me dit. J’essuyai mes larmes un peu moins brusquement et, lorsque mes yeux furent complètement secs, je levai le regard vers l’étrangère pour me concentrer d’avantage sur ce qu’elle me disait. À cause de mon court moment d’inattention, je n’avais pas compris tous les mots qu’elle avait prononcés, mais j’en avais saisi l’essentiel. « Je vais t’aider à retrouver le chemin de ta maison, et si tu veux avant ça nous pouvons passer à ma boutique pour que je m’occupe de ta cape. Je suis couturière alors je suis sûre que je peux arranger ça en quelques coups d’aiguille ! » Bon, elle ne pouvait pas vraiment m’aider à retrouver le chemin du camp des enfants perdus, mais elle pourrait m’aider à quitter la ville et elle réparerait ma cape. C’était un geste assez simple et probablement un travail minime pour cette jolie couturière vu la qualité et la beauté des vêtements qu’elle portait, mais j’appréciais énormément. Ce n’était pas tout le monde qui aurait proposé son aide à une gamine pleurnicharde perdue dans une ruelle quelconque.
« Tu peux vraiment arranger ma cape? » Demandai-je avant de saisir la main qu’elle me tendait. Je ne savais pas trop où elle allait m’amener, mais ça m’était égal. Tout ce qui comptait, c’était de m’éloigner du centre-ville et de tous les pirates qui s’y tenaient. De toute façon, une jolie dame comme elle ne pouvait pas me faire de mal. Je lui faisais entièrement confiance, ce qui était parfaitement normal, puisqu’elle avait été tellement douce et gentille avec moi! Je la suivis donc sans protester dans le dédale de rues et de ruelles qui composaient le grand village des habitants. En chemin, nous passâmes devant une tonne de bâtiments différents, donc certains m’intriguaient, dont un où la vitrine exposait de nombreuses sucreries toutes plus appétissantes les unes que les autres. Puis, après avoir marché un moment, nous nous arrêtèrent enfin devant une porte. Avant d’entrer, je m’arrêtai quelques secondes à l’extérieur. « Je m’appelle Sawyer, et toi? » Demandai-je, attendant sa réponse pour entrer