Can nobody hear me ? I've got a lot of things on my mind. Can you hear it to ?
Retourner la terre, une ultime fois. Drogon s’essuya le front après tous ces efforts. Il balança sa pelle négligemment et resta un instant debout, silencieux. Tête basse, paupières clauses. En ce genre de cas, quand il devait enterrer quelqu’un qui n’avait personne pour le pleurer, Drogon se sentait obligé de lui accorder une minute. C’était une sorte de petit rituel, uniquement pour déplorer la perte d’une vie humaine. Des morts, il en voyait des tas au fil des semaines mais l’homme, peut-être doté d’un trop bon fond, ne parvenait à se blinder totalement face au trépas. Son amertume pour l’humanité en générale n’atteignait pas ce point de non-retour où la mort des autres ne signifiait plus rien. Drogon finit par redresser la tête, passer une main maladroite dans ses cheveux digne du plumage d’un corbeau et puis, s’en aller.
Le fossoyeur s’arrêta devant la porte de chez lui, cette humble demeure qu’il avait entièrement construite lui-même. Il n’en était pas peu fier le bougre ! Drogon se pencha par-dessus un seau rempli d’eau claire et s’y lava les mains avant de s’asperger allègrement le visage du liquide frais. Il retroussa rapidement les manches de sa chemise noire sur ses avant-bras et se dirigea d’un bon pas vers le bâtiment bancal à l’arrière de la maisonnette. L’homme y avait construit ce qu’il appelait son « laboratoire » sauf qu’actuellement, les lieux faisaient plutôt office d’infirmerie. Quelle saugrenue idée avait-il eu de la ramener chez lui, cette inconnue ? À tous les coups, cette blonde beauté allait lui attirer des ennuis.
Il se revoyait, avançant dans les rues de Blindman’s Bluff quelques jours plus tôt. Les badauds chuchotaient, retenaient des exclamations d’horreur, jetaient des regards dans une petite ruelle. Pourtant, personne n’agissait. Drogon s’était avancé à son tour et là, il avait découvert la scène. De longs cheveux blonds étalés sur les pavés froids du coupe-gorge, des effluves de sang flottant dans l’air, des tâches rougeâtres imbibant le tissu des vêtements de la jeune femme. Ses paupières closes, son visage pâle, sa flaque pourpre sous ce corps gracile. Elle aurait dû y rester. Sans lui, elle y serait restée. Mais le fossoyeur avait refusé de meubler son cimetière d’une aussi jeune personne de plus. Alors, sans se soucier de tous les problèmes dans lesquels il sautait à pieds joints, l’homme avait soulevé ce corps mutilé à moitié dans la tombe et l’avait emmené.
À présent, Drogon l’avait sauvée. Ce n’avait pas été une mince affaire ! La jeune femme avait été sévèrement battue, on s’était acharné sur elle. Énerver les mauvaises personnes, jouer avec le feu, qui sait ce qu’elle avait bien pu faire. Le fossoyeur n’avait aucune compétence en matière de médecine, simplement quelques bases qu’on lui avait apprises par-ci par-là. Il avait toutefois préféré s’occuper en personne de la survivante. Pourquoi ? Pour éviter que qui que ce soit ne sache qu’elle était là. Il aurait été si facile pour les brutes ayant attaqué la belle de revenir sur les lieux et d’achever le travail ! Drogon avait donc pris soin d’elle, dans le plus grand des secrets.
Pourtant, quand il ouvrit la porte, ce ne fut pas une demoiselle endormie qu’il trouva. Non, c’était une blonde debout sur ses deux pieds qui lâcha un cri de douleur et qui lui beugla des remontrances. Drogon fronça les sourcils. Évanouie, il aurait pu croire à un doux agneau alors qu’éveillée, elle lui rappelait plutôt une louve féroce. Quoi qu’il en soit, elle avait rouvert une plaie et dans son égocentrisme exacerbé, la blonde préférait s’en occuper seule. Comme si elle le pouvait ! Comme si son faible corps était en état. Drogon lui jeta un regard sombre, tout simplement car il était quelqu’un de plutôt froid de nature.
- Ne dis pas de bêtises. Tu as encaissé plusieurs coups de couteau, c’est un miracle que tu puisses te tenir sur tes deux pieds à cet instant. Va plutôt t’asseoir, tu veux ?
Drogon se permettait déjà de la tutoyer. Premièrement car il n’était pas le genre d’homme à s’embarrasser des formalités. Deuxième car la belle n’était clairement pas une dame de la haute société vu son franc-parler et sa situation mortuaire. Troisième car durant la convalescence de la blonde, Drogon l’avait soignée et avait pris soin d’elle. Il se sentait protecteur envers elle, comme s’ils se connaissaient déjà.
- Tu devrais te reposer encore un peu. Rien ne presse dehors, tout le monde te croit morte de toute façon ...
Quand le fossoyeur emmène une corps inerte, en général, c’est plutôt mauvais signe ...