« Over here and there, telling their tale. Gaily, they ring while people sing. Songs of good cheer, Christmas is here. »
Depuis un moment déjà Naïla avait quitté la maison d'Aodren. Cela devait peut-être faire un mois? Elle en avait totalement perdu la notion du temps. La vérité c'est qu'elle était comme une louve: impossible à mettre en cage. Dès que la première occasion s'était présentée, elle était sortie prendre un bol d'air, mais tout ne s'était pas passé comme prévu -comme toujours- étant donné que des pirates sont tombés sur elle en pleine nuit de pluie. Elle serait morte si un prénommé Magnus n'était pas intervenu. Elle s'en était sortie en échappant de justesse à un viol, et avec une belle cicatrice à l'épaule à cause de l'épée qu'un des leurs avait planté, retourné, encore et encore. Elle était restée un moment chez son "sauveur" et avait décidé de ne pas abuser de sa gentillesse en regagnant la côté ouest. Là encore, elle avait échappé à des pirates et avait rejoins son meilleur ami Mingan dans un des campements d'indiens. Et une fois encore, elle avait pris la route en retournant à la maison d'Aodren à Blindman's Bluff. Voilà sa nouvelle routine: prendre le large, se loger quelque part quelques temps et repartir.
Passant par la forêt pour plus de discrétion, elle avait escaladé les quelques caisses de l'extérieur pour atteindre la fenêtre de l'étage et de l'ouvrir pour se faufiler en toute discrétion dans la maison. Elle se doutait que depuis son départ, Aodren avait dû: premièrement se demander où elle était passée; deuxièmement fermer à clés en pensant ne plus la revoir. Elle lui devait énormément. Il l'avait épargné et appris des défenses hors paires ! Leur relation avait viré à de l'amitié et un respect mutuel. Rentrant dans un petit saut à pieds joints dans la chambre de l'étage, la seule et également celle d'Aodren, elle referma la fenêtre derrière elle. La première chose qu'elle constata fut le froid intenable qui régnait ici. Depuis quand n'était-il pas ici ? Où était-il allé ? En mission peut-être ? Connaissant la maison par coeur, elle se rendit dans le salon et ralluma le feu de cheminée.
Voilà deux jours qu'elle était là. Aucune nouvelle d'Aodren. Cela commençait à l'inquiéter. Elle n'était sortie qu'une fois, c'était pour aller en ville. Elle avait entendu que Noël arrivait et elle se serait sentie minable de vivre quelques temps encore chez son hôte sans rien lui offrir. Elle avait donc donné les deux tiers de ses économies pour acheter un pistolet d'arçon. En tant que mercenaire ça devait lui être utile et elle avait trouvé à des prix relativement bas les dernières nouveautés. La rangeant soigneusement dans son étui, elle avait regagné la maison. Puis, plus rien à faire. Une journée passa. Elle regarda le froid se déposer sur Neverland par la fenêtre, près du feu. L'herbe avait pris une teinte blanche. Il devait facilement faire près des degrés négatifs. La jeune femme mourrait d'envie de sortir et de s'amuser avec la fine neige. Elle n'était pas bien épaisse, mais suffisante pour s'amuser avec. Au lieu de ça, elle devait rester cloîtrée ici, par pure sécurité.
La voilà endormie dans le canapé, au coin du feu. Ce fut le bruit d'une poignée de porte qui la réveilla. Son premier réflexe fut d'attraper son poignard et de se cacher derrière la porte. La fermant d'un coup de pied, elle se jeta sur l'arrivant, tombant à califourchon sur lui, sur le sol, son arme pointé sous sa gorge. Quand elle remarqua Aodren, son visage se transforma en grimace entre la gêne et l'amusement. Elle rangea son arme et se releva lui tendant sa main pour l'aider.
« Merde. Je suis désolé. Je ne t'ai pas fais mal ? Je ne m'attendais pas à te voir. Je suis là depuis quelques jours sans savoir où tu étais. » expliqua-t-elle en plissant du nez, en souriant.
Quand Aodren entra dans la maison, un silence puissant l'accueillit. A l'intérieur, il n'y avait ni feu ronronnant dans la cheminée ni odeur de repas préparé. Le vide et l'absence, voilà ceux qui l'accueillirent à son arrivée. Le mercenaire haussa vaguement les épaules. Cette situation, il s'y attendait. Naïla avait cet esprit rebelle, cette étincelle sauvage dans le regard. Elle était un peu comme une biche, incapable de rester trop longtemps au même endroit et bondissant d'un endroit à l'autre à une vitesse incroyable. Une biche sachant désormais se défendre correctement cependant puisque l'assassin avait veillé à lui enseigner quelques techniques. Aodren savait combien Neverland pouvait être rude pour une personne en quête de vengeance et sans alliés. La sirène avait finalement cédé à l'appel du danger et était repartie. L'homme espérait simplement qu'elle ne soit pas tombée dans un piège et qu'à l'heure actuelle, elle ne croupisse pas dans une cellule pirate ou pire encore ...
Le triton n'était pas resté très longtemps dans la maison de Blindman's Bluff, préférant largement prendre le large. Durant plusieurs semaines, il avait séjourné dans sa bonne vieille grotte dissimulée aux yeux de tous. Evidemment, le mercenaire avait continué à travailler mais dans un souci de devenir quelqu'un de meilleur pour sa soeur, Aodren avait finalement arrêté de tuer. Sa vie avait pris un nouveau tournant. Désormais, il n'était plus un assassin. Il restait un mercenaire et pouvait être employé pour toutes sortes de tâches allant de la protection d'une personne définie à la surveillance de livraisons hautement précieuses. Cependant, le triton refusait désormais d'échanger une vie contre de l'argent. C'était pour Isis qu'il faisait ça, pour éviter de lui attirer les ennuis qu'il avait fui toute sa vie durant.
Il venait de terminer une mission à Blindman's Bluff, consistant à dérober discrètement un objet de valeur à une personne fortunée et à le ramener ensuite à l'auberge, quand il décida de passer chez lui. Cette demeure, il l'avait acquise en assassinant son propriétaire. Aussi, ce n'était pas vraiment chez lui mais Aodren s'y sentait bien et ne voyait aucune raison d'abandonner ce repère particulièrement utile quand il avait besoin de se reposer dans un vrai lit et de se relaxer quelques temps. L'homme gravit les marches et enfonça la clé dans la serrure, il avait en tête que jamais plus Naïla ne reviendrait. Une partie de lui songeait même au fait qu'elle devait probablement être morte à l'heure actuelle ... Soudain ...
- C'est quoi ce bord...
Plaqué violemment au sol, Aodren sentit une lame s'approcher de son cou. Il discerna ensuite les traits de la jeune femme à qui il avait ouvert sa porte en guise de refuge. Naïla ôta aussitôt son arme et se redressa puis tendit la main vers l'homme. Le triton accepta son aide même s'il lui lança un regard profondément noir. Elle lui demanda au passage si elle lui avait fait mal et laissa glisser qu'elle n'avait pas eu de nouvelles depuis des jours. Aodren haussa vaguement les épaules.
- Pas de mal. Je ne savais pas que tu étais encore en vie, je n'étais pas près de Blindman's Bluff ces derniers temps.
Aodren dépoussiéra sa chemise d'un revers de la main puis jeta un regard à la demoiselle. Elle ne paraissait pas abîmée, sans doute était-elle parvenue à se faufiler entre les gouttes. Au fond, le mercenaire était content de la voir en vie et en pleine forme. C'était rassurant de savoir qu'il avait été un mentor plus ou moins acceptable. Le triton fit alors signe à la brune de le suivre et il se dirigea vers le salon, attrapant deux verres et ouvrant la porte d'une armoire à la volée. Il coinça une large bouteille de whisky 60% entre les doigts et en laissant couler quelques minces filets ambrés. Aodren tendit ensuite un verre à la demoiselle et prit le second pour lui-même.
- Alors, raconte-moi. Enfin, si tu en as envie.
Il s'installa confortablement dans le canapé et ôta ses chaussures avant de poser les pieds sur la table basse du salon et de faire basculer la tête en arrière sur le dossier du canapé. Aodren était fatigué et venait là pour se reposer mais la compagnie de Naïla lui permettrait d'écouter le récit de ses aventures. A tous les coups, la jeune femme n'avait pas pu s'éviter quelques représailles de la part des pirates. Ils étaient toujours aux aguets et finiraient tôt ou tard par mettre la main sur elle. Ce jour-là, mieux valait qu'elle soit prête.
« Over here and there, telling their tale. Gaily, they ring while people sing. Songs of good cheer, Christmas is here. »
La jeune sirène avait pu compter sur Aodren quelques temps. Elle n'était peut-être pas une amie à ses yeux, mais elle le considérait comme un mentor et c'était déjà très bien. Il fallait savoir que la jeune femme ne s'ouvrait à personne donc le jeune mercenaire -d'apparence- en avait une sacrée chance. Mais il l'avait aidé. Ce n'était pas comme l'hospitalité de Magnus, ni comme la protection de Mingan. C'était différent ! Il lui apprenait à se battre pour survivre. Il s'agissait de la chose la plus importante pour la jeune femme avec les temps qui couraient. Il était bien beau de savoir se nourrir, s'hydrater, survivre, quand on ne savait pas se battre on courrait à notre perte. Elle en était persuadée. Et grâce à Aodren c'est le désir de se perfectionner qui l'animait. Hors de question de rester sur ses acquis ! Elle voulait pousser ses limites le plus loin possible.
La jeune femme portait ce jour-là une longue chemise blanche avec, par dessus, un long surcot bleu marine sans manches. La couleur lui rappelait un peu l'Océan, mais elle n'avait pas grand chose d'autres à porter. Et puis, en leur temps, il était bien rare de voir une femme se baladait en pantalon dans tout le village. Même si la jeune demoiselle était un peu farouche, les apparences étaient importantes. Mieux valait se fondre dans la masse. Et bien sûr, en ce moment, elle ne quittait pas sa cape doublé de fourrure. Il faisait un froid de canard dehors. Il fallait qu'elle se trouve un endroit où logeait. Avec la neige qui allait bientôt tombé, si elle réussissait à échapper à la mort à cause du froid, elle n'était pas sûre d'échapper à une maladie quelconque. Les médecins n'étaient pas forcément les meilleurs pour les rétablir. Il fallait aussi avouer que Naïla préférait à mille fois une mort en combat, en voulant se défendre, qu'une mort aussi stupide que le fait d'attraper froid et de rendre son dernier souffle. Ça, non !
Se redressant pour aider l'homme à se relever, elle l'observa enlever les saletés de sa chemise. Quelle idiote ! Elle aurait dû réfléchir avant d'attaquer. Qui d'autre aurait pu venir ici ? Mais on était jamais trop prudent, non ?
« Il faut croire que j'ai gagné quelques jours de plus. »
Cette phrase sonnait si étrange. C'était comme-ci elle attendait la mort et que l'offrande de quelques jours supplémentaires ne lui faisaient rien. Comme-ci le fait que ses jours soient comptés était devenu tout simplement normal. Naïla ne se leurrait pas. Les recherches ne cesseront pas avant que sa tête ne soit plantée en haut d'une épée. Elle pouvait être déterminée, les pirates l'étaient tout autant.
Le suivant sur le canapé, elle le remercia en attrapant un verre de whisky qu'elle porta à ses lèvres. Le liquide en feu dans sa gorge lui fit arracher une grimace. Gardant le verre entre ses doigts, elle s'amusa à faire tournoyer le contenu par de légers mouvements de poignée. Par où commencer? Après quelques instants, elle releva son regard vers Aodren, assise en tailleur sur le grand canapé pour elle seule.
« Et bien, tu me connais, j'ai voulu sortir quelques heures et je n'ai pas pu empêcher une mauvaise rencontre avec plusieurs d'entre eux. J'ai cru que j'allais y passer. Ils n'ont pas été clément. L'un d'entre eux m'a planté et retourné encore et encore son épée dans l'épaule jusqu'à ce que je perde connaissance. » déclara-t-elle en tirant légèrement sur le morceau de tissu pour lui dévoiler la cicatrice. « Elle est un peu plus jolie à voir. C'est déjà ça ! Quoi qu'il en soit, ça a marché. Je crois qu'ils ont tenté de s'amuser un peu, si tu vois ce que je veux dire. Mais un fermier m'a recueilli chez lui. Je ne sais pas comment il s'est débrouillé pour les faire partir, mais il était sans doute très doué en combat. J'ai logé chez lui quelques semaines avant de décider de revenir ici. Je n'aime pas profiter de l'hospitalité des gens. Tu me connais. J'ai donc peiné à revenir jusqu'au côté ouest de l'île. Je suis allée quelques jours dans un camp d'indiens chez un ami qui m'est cher. Et me revoilà ici. Ce n'est pas une histoire bien intéressante, vois-tu ! » Elle haussa les épaules avant de se relever soudainement. « Oh, mais attends, pendant que j'y pense ! »
Elle déposa doucement son verre sur la table et se rendit dans la cuisine. Peu de temps après, la revoilà planté devant lui. Naïla prit place doucement sur l'accoudoir du fauteuil où Aodren était assis et lui tendit un papier journal qui contenait le pistolet d'arçon qu'elle lui avait acheté.
« Je t'ai acheté ça en guise de remerciement pour l'hospitalité et pour les conseils que tu m'as donnée. Je pense que sans ça, je ne serai plus de ce monde depuis bien longtemps. Je me suis dit que ça te serait utile ! » dit-elle en lui adressant l'un de ses rares sourires.
Elle était de retour, la petite tornade. Elle balayait tout sur son passage, propulsant même Aodren au sol mais ce n'était finalement pas étonnant. Naïla avait une vie mouvementée et rares avaient été les occasions où ils avaient pu se poser et discuter paisiblement. Entre leur rencontre où l'assassin avait failli la tuer, leurs entraînements au combat et aujourd'hui l'attaque surprise de la demoiselle ... leur quotidien était surchargé. D'ailleurs, la jeune femme se redressa et lui tendit une main pour l'aider à faire de même. L'homme accepta et fronça les sourcils en entendant la réplique de la sirène. Elle parlait comme une condamnée à mort ayant gagné un sursis de quelques jours. La corde ne lui était toujours pas passée autour du cou et Aodren n'était pas prêt à la laisser tomber. Naïla avait encore de belles années devant elle.
- Avec moi dans les parages, quelques années tu veux dire.
Il esquissa un sourire et se dirigea au salon où il leur servit un bon whisky. La belle n'était pas habituée à la douce sensation chaude de l'alcool brûlant la trachée. Elle se trahit par une légère grimace qui fit sourire Aodren. Naïla était un condensé de candeur et de brutalité. Une tueuse de pirate usant de ses charmes pour les amadouer et en même temps, une jeune femme faisant la mine en sentant l'alcool lui réchauffer le coeur. C'était cette dualité chez elle qui avait intrigué Aodren. Elle n'était ni foncièrement mauvaise, ni foncièrement innocente. Ni honnête, ni malhonnête. C'était précisément pour ça que la sirène était une protégée idéale pour lui. Sur bien des points, ils étaient semblables.
Naïla finit par lui raconter son périple, le regard plongé dans celui du mercenaire. Il fit tourner le verre entre ses doigts en l'écoutant. La jeune femme parvenait à lui raconter des expériences qui en aurait traumatisé plus d'un, avec un air détaché. Cette capacité à prendre du recul le fascinait. Le triton ne put s'empêcher de continuer à fixer l'endroit où la chair de la brunette avait été meurtrie et où une cicatrice ornait désormais sa peau. C'était malheureusement les risques à mener une vie comme la leur. Son corps à lui, était parsemé de stigmates certains plus grands que d'autres, souvenirs de telle ou telle victime ou adversaire. Aodren aurait espéré mieux pour Naïla mais la sirène semblait embarquée dans une existence proche de la sienne.
La jeune femme repartit soudain et revint avec un cadeau qu'elle déposa entre les mains de son mentor. Aodren arqua un sourcil et leva les yeux vers Naïla. Le paquet était constitué d'un papier journal et le triton crut comprendre rien qu'à la sensation entre ses paumes, à la fraîcheur se dégageant de l'objet et à son poids, de quoi il en retournait. L'homme perdit contenance quelques instants. C'était la première fois depuis des années que quelqu'un lui offrait un cadeau. Le mercenaire balbutia à voix basse :
- Merci ...
Ses doigts défirent le paquet et il découvrit un magnifique pistolet d'arçon. L'arme était froide, légère, facilement maniable. Aodren la prit en main et la pointa vers le vase en face de lui, fermant automatiquement un oeil pour plus de précision. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Naïla avait su trouver le cadeau idéal pour lui. Le mercenaire releva les yeux vers elle.
- C'est un cadeau qui me servira beaucoup. Mais j'espère que tu ne t'es pas mise dans une mauvaise situation financière pour moi ?
Il esquissa un sourire malicieux. Sa protégée avait sa tête à prix et Aodren était bien décidé à lui enseigner un maximum de choses pour qu'elle reste en vie. Cependant, le triton n'était pas du genre à donner des ordres ou à imposer des règles. Il avait toujours fonctionné en solitaire et la hiérarchie le répugnait au plus haut point. Il avait craint pour la vie de la demoiselle et aurait préféré qu'elle reste en sécurité mais il ne lui en ferait pas part. Naïla était bien assez grande pour faire ses propres choix.
- Tu te crées des contacts aux quatre coins de l'île, si je comprends bien. Le fermier, l'indien. C'est parfait. Quand tu seras dans le besoin, tu auras des amis vers qui te tourner.
Aodren tentait de donner autant de pistes que possible à Naïla pour qu'elle s'en tire. Jusqu'ici, son travail avait porté ses fruits puisqu'elle était parvenue à rester en vie.
- N'empêche que la prochaine fois ... j'aimerais que tu n'aies plus besoin d'un fermier bien sympathique pour te sauver la mise. Je voudrais que t'apprennes à te sortir de tes galères parce que t'auras pas forcément toujours autant de chance.
Le triton se leva et alla remplir à nouveau leurs verres. Lui aussi, avait frôlé la mort des tas de fois et en était sorti in extremis. Cette bonne étoile qui veillait sur eux, elle finirait par s'user. Et ce jour-là, ils ne pourraient plus compter que sur leurs compétences. Naïla devait s'améliorer encore, elle était loin d'être au niveau.
- Et puisque tu m'as fait un cadeau, je me dois de t'en faire un à mon tour.
Il ricana et alla ouvrir une armoire dans le hall. Aodren revint ensuite et posa un chapeau sur la tête de Naïla. Celui-ci ne lui allait pas vraiment très bien, c'était de base un chapeau destiné à une femme plus âgée mais la leçon à en tirer était évidente
- Tes cheveux sont reconnaissables. Avec un chapeau, tu dissimules ta chevelure et tu caches ton visage. Si tu avais eu moins de poitrine, je t'aurais même proposé de te donner des vêtements pour te déguiser en homme mais je crois qu'on peut faire une croix là-dessus.
Aodren pouffa de rire. Certaines femmes parvenaient à duper leur entourage et à se faire passer pour des hommes ! Cependant, ce n'était pas donné à toutes les morphologies et peut-être était-ce mieux comme ça ...
« Over here and there, telling their tale. Gaily, they ring while people sing. Songs of good cheer, Christmas is here. »
Si il y avait bien quelque chose que la jeune Vairë a compris de toutes ses épreuves c'est que l'on ne peut compter sur personne. Enfin, cela dépendait. Une aide était la plupart du temps temporaire. Les gens n'étaient que de passages dans les vies d'autrui. Ils venaient, ils repartaient, parfois revenaient encore une fois. Mais tout se finissait toujours pas une seule chose: la mort. Le mieux est de compter que sur soi-même, car ce sont ses réelles capacités qui pourront la sortir de n'importe quelle situations totalement dingues et suicidaires. Mais ses stratégies, elle les devait essentiellement à Aoden. Mercenaire, il en avait en stock ! De toutes les sortes. Logique, moins de raisonnement, pied, tête, roulades... Autant dire qu'elle avait été servie.
Il y avait souvent une seule chose qui la sortait de ses terribles situations: son sens aigu de l'observation. Elle faisait attention à tout et à rien à la fois. De la démarche d'un homme à son minuscule grain de beauté caché derrière une oreille. Enfin, ce n'était qu'une image pour donner vie à cette idée. Disons qu'elle faisait attention aux petits détails, car c'est essentiellement ça qui pouvait la sortir de mauvaises postures. Et puis, il y avait un élément très important dans l'anticipation: les pieds. Ils montraient généralement là où l'opposant allait attaqué. C'était un élément-clé primordial lors d'un combat !
Quoi qu'il en soit, elle observa, assise sur l'accoudoir, Aodren ouvrir son cadeau. Elle ne put s'empêcher de lâcher un sourire. Il semblait tout émoustiller face à son présent. On aurait dit un enfant qui avait reçu un cadeau sans raison particulière. Il semblait ne pas en avoir l'habitude. En vérité, elle ne savait pas énormément de choses sur lui, seulement des théories. Peut-être n'avait-il pas de famille, ni d'amis pour le lui en offrir ? Un mercenaire n'avait pas forcément les meilleurs conditions de vie.
« Je t'en prie ! Considères mon présent comme une avance de Noël et comme gage de ma gratitude envers tout ce que tu as pu faire pour moi.» s'exprima-t-elle avec un fin sourire aux lèvres avant de reprendre d'un air ironique et faussement sérieux. « Je suis totalement ruinée. Je ne sais pas comment je vais faire pour avoir des vivres pendant au moins trois mois. » exagéra-t-elle.
Bon, il était vrai que ce n'était pas donné à tout le monde d'offrir une arme. Elle en aurait donné sa main à couper rien que pour le remercier. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu autant d'estime et de gratitude pour quelqu'un. Elle le respectait. C'était un mentor, mais également un ami. Peut être n'était-ce pas réciproque, mais en cas de problème, elle, elle serait là pour l'épauler.
Puis, il déclara que des contacts étaient nécessaires et utiles, mais qu'elle n'aurait pas toujours sa bonne étoile sur qui compter. En vérité, si elle s'en sortait, ses contacts ne seraient que temporaires. Mingan était un indien, il vieillirait. Magnus, un simple natif -du moins, elle ne se doutait pas encore qu'il s'agissait d'un pirate- donc il vieillirait aussi. Aodren vieillirait aussi. Du moins, elle le croyait également. Naïla se mit donc à parler sans prendre de pincettes, comme-ci elle s'adressait à un simple humain.
« Des amis, oui. Mais pour combien de temps ? Ils sont humains. Toi aussi tu es humain. Vous allez tous vieillir et moi je vais me retrouver seule dans quelques décennies. Vous serez tous morts...» dit-elle avec une pointe de regret dans la voix.
Les secondes passèrent et Aodren revint avec un chapeau en guise de présent qu'il posa sur sa tête. Un éclat de rire d'une rareté chez elle franchit ses lèvres. En effet, le devant du chapeau tomba devant son visage l'empêchant de voir. Elle le replaça un peu mieux, et le regarda en souriant. Son cadeau lui faisait plaisir. Cela montrait qu'il ne voulait pas la voir morte. C'était forcément quelque chose !
« Merci, Aodren. Il me sera très utile. En revanche, je ne m'attendais pas à ce que tu aies observer ma poitrine pour savoir si oui ou non je pourrai me déguiser en homme! » s'exclama-t-elle d'un air faussement outré.
Elle appuya sur le chapeau pour mieux le positionner sur son crâne et revint s'asseoir sur le canapé, buvant doucement le contenu de son verre. L'alcool lui donnait chaud rapidement et elle n'était pas forcément très résistante à ce liquide de feu. Les jambes en tailleur, veillant à bien positionner sa robe, elle prit la parole d'une voix sérieuse.
« J'ai énormément réfléchi, tu sais. Et voilà, je suis prête à arrêter mes bêtises de "Je pars à droite et à gauche". J'ai envie de me poser quelque part et de vivre une vie normale. Je suis prête à raccrocher avec les pirates, mais il me faudrait quelques temps en étant invisible sur Neverland pour espérer m'en sortir. J'aurai besoin de ton aide pour cela, Aodren. Je sais que tu en as déjà tellement fait pour moi et je comprendrais si tu devais refuser ma requête. Si tu ne peux pas m'héberger un moment je trouverai une autre solution avec mes contacts, tu sais ! »dit-elle assez gênée de sa demande.
Noël. Cela le fit sourire. De très lointains souvenirs, datant de plusieurs siècles auparavant, lui remontèrent en mémoire. Quelque part dans l'océan, une famille de paysans avait autrefois fêté Noël tous ensemble. Leur fils, Aodren, tout petit à l'époque, s'exaltait d'un rien. Qu'on lui offre un caillou bizarrement ciselé ou un jouet fait d'algues et de pâtes, il aurait été aussi heureux. Ces bribes du passé étaient les dernières traces de Noël chez lui. Depuis, le triton s'était souvent retiré en solitaire durant ces périodes difficiles. Il voyait les autres déambuler en ville, en famille. Ce n'était jamais de son goût. Aodren préférait alors se replier comme le solitaire qu'il était. L'eau l'avalait et il disparaissait pour quelques jours dans sa grotte ou qu'importe l'endroit où Noël ne le rattraperait pas.
Pourtant cette année, Naïla lui avait fait un cadeau. Aodren ne pouvait que la remercier grandement pour celui-ci. D'ailleurs, la jeune femme n'hésita pas à tourner ses inquiétudes pour ses économies en dérision. Le triton lui fit un signe de la main pour lui dire d'arrêter l'ironie. Un récit bien sombre s'en suivit. Naïla avait encore échappé à des sévices de justesse et le mercenaire aurait préféré qu'elle s'en tire seule et plus facilement. Malheureusement, elle en vint à regretter ces contacts humains. Elle le considérait, lui, comme un terrestre et pas comme une créature hybride. Aodren ne lui avait jamais révélé la vérité et à l'entendre, là, lui dire qu'un jour elle le perdrait lui aussi, il eut envie de la contredire. Ses lèvres remuèrent, s'entrouvrirent puis se refermèrent. Ce ne serait pas rendre service à Naïla que de la baigner de l'illusion qu'elle ne serait jamais seule. Aodren vivait une vie tumultueuse et extrêmement dangereuse. Le temps ne pouvait rien contre lui mais les armes, oui. Mieux valait pour la jeune femme qu'elle ignore sa véritable nature pour être mieux préparée à sa mort imminente.
Aodren se leva ensuite pour aller lui chercher un chapeau qu'il balança sur sa tête. La naïade éclata de rire, ce qui le prit de court. Rares avaient été les fois où il l'avait entendu rire aussi naturellement. C'était plutôt agréable à entendre. La sirène releva le commentaire qu'il s'était autorisé sur sa poitrine. Aodren esquissa un sourire et secoua la tête en signe de dénégation.
- Ne me sous-estime pas. Si je suis encore en vie aujourd'hui, c'est aussi grâce à mon sens de l'observation !
Et il fallait bien l'avouer, Naïla était loin d'être laide ! Lors de leur rencontre, l'homme n'avait pas pu résister à observer la demoiselle en tant que femme et pas en tant qu'adversaire. La sirène enchaîna, lui servant un discourt de rédemption qui faisait plaisir à entendre. Elle disait chercher le calme et le renouveau. Aodren la soupçonnait de se remettre dans des histoires foireuses d'ici quelques jours seulement ! Mais ce n'était pas de sa faute, les ennuis semblaient venir à elle. La sirène les avait bien cherchés cependant ...
- Mon offre de séjourner ici tient toujours. Je passe pas mal de temps ici et surtout l'hiver vu qu'il fait de plus en plus froid dehors. Mais que tu sois là ne me dérange pas.
Aodren haussa les épaules. La maison était grande, bien assez pour deux personnes en tous cas. Et Naïla avait besoin d'un refuge, elle était comme sa protégée, il n'aurait pas pu la mettre dehors et lui dire de se débrouiller. Ce n'était pas dans ses plans en tous cas. Le triton ignorait cependant si la demoiselle avait des idées pour le futur. Savait-elle comment gérer ses prochaines actions ?
- Que comptes-tu faire pour améliorer ta situation ? Je veux dire, concrètement, à part faire profil bas et prier pour ne pas croiser des pirates revanchards à chaque coin de rue ...
L'homme porta la main à sa barbe naissante. Cela faisait quelques jours qu'aucun rasoir n'avoir touché sa peau et quelques poils commençaient à se dresser sur ses joues et son menton. Aodren devrait résoudre ça dès qu'il en aurait le temps. Le mercenaire réfléchit à ce que pourrait faire Naïla pour mieux se fondre dans la masse. Quelques solutions sommaires lui vinrent à l'esprit.
- Il y a des stratagèmes vieux comme le monde que tu pourrais utiliser. Changer de couleur de cheveux ou encore feindre une grossesse.
Les mercenaires étaient amenés à inventer toutes sortes de scénarios pour se glisser n'importe où. Aodren avait déjà vu des femmes assassins feindre d'être enceinte pour mieux atteindre leur cible. A tord, personne ne soupçonne jamais les ventres ronds. Le triton songeait aussi à un autre endroit où Naïla serait peut-être aussi en sécurité.
- Ou tu pourrais te cacher sous l'océan. Là-bas au moins, les pirates n'auraient aucune chance de te retrouver.
Lors de leur rencontre, elle avait mentionné le fait que sa situation là-bas était compliquée. Aodren pouvait le concevoir mais était-ce aussi compliqué que sa situation terrestre ?
« Over here and there, telling their tale. Gaily, they ring while people sing. Songs of good cheer, Christmas is here. »
Cela faisait pas mal de temps que Naïla n'avait pas fêté Noël. Sa famille n'avait jamais été très fêtarde. A l'âge de douze ans, ils lui avaient même dit que les cadeaux ne serviraient à rien, qu'elle était bien trop grande pour ce genre d'enfantillages. La jolie brune avait pourtant vu en Noël (et encore aujourd'hui d'ailleurs) une moyen de se réunir avec les personnes qui nous étaient chers à notre coeur, ceux qu'on appréciait. Mais elle n'avait plus le pouvoir de le fêter avec sa famille, et puis ils ne comprenaient pas le sens de cette fête pour elle. C'était un peu comme un vent d'espoir, un vent qui disait "tout n'est pas si mauvais dans le monde". Et cette année, elle avait bien l'occasion de le fêter avec Aodren, qu'il le veuille ou non. Si elle était encore là pour Noël s'était grâce à lui.
« J'ignore quel jour nous sommes, je te l'avoue. Mais si tu veux bien me dire quand le réveillon de Noël a lieu, je te promet de préparer une superbe table et les quelques plats que j'ai appris à faire depuis mon arrivée sur l'île. Je ne suis pas une chef cuisinière en herbe, mais ni une piètre non plus. Du moins pas au point de t'empoisonner, ne t'inquiète pas. » déclara-t-elle en ricanant légèrement.
Ignorant l'origine d'Aodren, elle ignorait aussi ses goûts culinaires. Par chance, ils devaient sans doute tout deux apprécier le poisson plus que la viande. Pour Naïla, la viande n'était pas réellement son fort, mais ses papilles se réveillaient déjà en imaginant un saumon bien cuit accompagné de petites herbes. Il manquait plus que l'accord d'Aodren. Elle espérait qu'il soit là ce jour-là. Puis quand la conversation mena à ses formes de femme, elle ne put s'empêcher de lâcher un « Bien. » d'un ton totalement détaché et indifférent, puis de remonter légèrement le col de sa robe, comme pour cacher au maximum ses "atouts féminins" avant de lui offrir un doux sourire provocateur qui relevait plus de la taquinerie qu'autre chose.
La jeune femme n'était pas très douée pour se faire des amis, mais avec Aodren cela c'était fait si naturellement qu'elle n'avait même pas eu le temps de s'en rendre compte et de se poser des questions qu'en à la façon de faire. Mais au moins, elle avait une épaule sur laquelle compter si elle en avait besoin et cela valait tout l'or du monde à ses yeux. Comme quoi s'ouvrir aux autres n'étaient finalement pas aussi terrible qu'elle ne l'eut cru.
Levant la tête à cause du chapeau qu'il lui avait offert qui lui cachait une partie de la vision, elle dut le retirer et le poser délicatement sur la petite table pour pouvoir récupérer la totalité de sa vue. Son cadeau était utile et génial. Elle en était vraiment heureuse. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu de présent. C'était une drôle de sensation. Mais elle ne put y penser plus longuement que la conversation dériva sur les stratagèmes qui lui permettront de s'en sortir. Elle ne savait pas vraiment quoi choisir. Elle tenait à sa chevelure, bien trop pour faire un quelconque changement. Elle aurait pu les couper ou autre, mais elle n'en avait pas nécessairement envie. La grossesse aurait pu être une bonne alternative, mais elle ne voyait pas en quoi cela pourrait l'aider. Si ils en avait après elle, cela ne changerait rien.
« L'Océan est une solution impossible pour moi. Je... » Elle se racla la gorge. « J'y suis recherchée pour une tentative de meurtre que je n'ai jamais commis. Et toutes les preuves vont contre moi.»
Se mordillant la lèvre inférieure, fixant la table d'un air absent et pensive, elle se mit à réfléchir. Une solution. Il devait bien exister une solution. Après quelques secondes, elle releva la tête vers lui et dit d'un ton détaché, sans la moindre once d'hésitation, de perplexité ou de stress quelques mots.
« Il faut que je me cache là où ils s'attendront le moins à me voir. Il faut que je me cache parmi eux. » Elle s'humecta les lèvres avant d'enchaîner, se sentant obligée de se justifier. Tournant son buste vers lui, elle reprit. « Ils me cherchent cacher quelque part et ne connaissent pas vraiment mon visage. Si j'effectue quelques changements physiques, que je m'habille comme eux, je pourrai travailler dans leur village. Avec tout ce que j'ai fais ils ne me pensent pas capable d'y retourner. Ca risque d'être difficile de travailler avec mes propres démons, mais je peux y arriver. J'en ai vu un certain nombre pour savoir leur comportement, pour me fondre dans la masse. Tu en dis quoi ? »
Naïla avait besoin de l'accord d'Aodren, un accord d'un homme qui semblait avoir de l'expérience et qui lui dirait qu'elle n'est pas folle, que son plan pourrait marcher. Même si au fond la jeune femme avait peur de se retrouver parmi eux. Dès qu'elle voyait un pirate, elle voyait leur rire après avoir assassinée sa meilleure amie. Gardes tes amis non-loin de toi, mais tes ennemis encore plus près, disait-on.
Aodren ne put s'empêcher de sourire quand Naïla lui proposa un repas cuisiné par ses soins pour l'occasion de Noël. Le triton devait bien avouer que la perspective de vivre une nouvelle fois ces festivités, le réjouissait. Ce serait peut-être un peu étrange car cela faisait longtemps que l'homme n'avait plus joué à ce petit jeu ... mais pourquoi pas ! Après tout, la vie était faite pour être partagée et Noël avait été inventé pour réunir et rassembler. Il ricana à son tour et céda.
- Parfait, je compte sur toi pour ne pas m'empoisonner alors.
C'était sa façon à lui d'accepter l'offre de Naïla de fêter Noël ensemble. Aodren chercha alors à parler de sa situation à la jeune femme. Elle avait tout un tas de stratagèmes ingénieux pour se cacher mais il était vrai que l'océan restait l'endroit le plus sûr. Après tout, aucun pirate n'irait la chercher là-bas. Cependant, si la chose avait été si simple, Naïla y serait déjà partie depuis longtemps. Quelque chose devait la retenir, quelque chose d'assez grave pour prendre le risque de mourir à chaque coin de rue. Et en effet, le mystère fut levé.
Aodren soupira lourdement. Si Naïla ne pouvait trouver refuge sous l'eau, alors elle devrait improviser à la surface. Son histoire avait l'air bien lourde et visiblement, très compliquée. Le triton n'était pas le genre d'homme à s'immiscer dans la vie des autres. C'est pourquoi il ne posa aucune question. Ne chercha même pas à savoir cette affaire qu'elle subissait sans être coupable. Non, ce n'était pas ses affaires à lui. Cela ne regardait qu'elle. Si un jour Naïla ressentait le besoin de se confier à ce propos, Aodren l'écouterait mais jusque-là, l'homme n'interfèrerait pas dans son passé.
- C'est une idée horriblement ...
Il se pinça les lèvres, regrettant amèrement d'avoir à avouer ça.
- ... ingénieuse !
C'était en effet le meilleur moyen de passer inaperçu. Qui irait chercher une tueuse de pirate parmi les pirates ? Naïla avait raison, c'était là qu'elle devait aller ! Juste sous leur nez. Et là-bas, elle serait en relative sécurité. Aodren devait le reconnaître, elle avait eu un bon raisonnement. Sauf que le danger serait extrême. Si un seul pirate grillait sa couverture, elle serait encerclée en moins d'une seconde. Le droit à l'erreur était infime. Le triton craignait qu'elle se retrouve dans une situation de ce genre. Une situation dont elle ne se tirerait pas.
- Par contre, tu devras être très fine. Changer de langage, de comportement, ou tout du moins, t'adapter à la piraterie.
Si elle voulait que son mensonge tienne la route, elle devrait devenir une pirate. Si elle ne commençait pas à utiliser des expressions de forbans, si elle ne prenait pas l'habitude d'aller boire un peu d'alcool à la taverne ... alors, personne ne goberait son histoire de petite nouvelle dans le milieu.
- Il va falloir que tu apprennes à être un loup de mer. Et ça commence par le langage. Je peux te donner quelques conseils mais au final, je suis quand même pas pirate ... c'est sûrement pas moi le mieux placé pour t'aider, à ce stade.
Aodren avait côtoyé pas mal de forbans dans le cadre de son job de mercenaire. De là à pouvoir donner des cours de piraterie ... peut-être pas. Cependant, il offrirait ses connaissances en la matière à Naïla si elle le désirait. Après tout, il restait son mentor autoproclamé.
- Ce qui est sûr, c'est que ta capacité à te jouer des gens et tes quelques connaissances en matière de combat au corps-à-corps te seront utiles si un jour tu veux intégrer un équipage !
Le triton esquissa un sourire malicieux.
- Décidément, je t'aurai été bien utile !
Il ricana, incapable de ne pas fanfaronner un petit peu.
« Over here and there, telling their tale. Gaily, they ring while people sing. Songs of good cheer, Christmas is here. »
Son esprit quitta les festivités dont ils avaient parlé précédemment. Sa mission était une mission suicide. Jamais elle n'y arriverait. Ou peut-être que si, mais elle ignorait comment. Intégrer le coeur de la vie des pirates, de ses ennemis jurés, n'était pas une situation qui lui imprégnait particulièrement de la joie. Et même si elle montrait des allures froides et déterminées, intérieurement elle paniquait. Aodren avait raison, il fallait qu'elle se montre fine. Un seul pas de travers et elle se retrouverait la gorge tranchée ou pire encore. Ils ne la jetteraient pas par dessus bord, ça serait inutile. Donc son châtiment serait la torture, la pendaison ou une épée dans l'abdomen. Et étonnamment ce n'était pas dans ses projets de tenter cette voie là. Elle était intolérante à la douleur. Enfin, elle avait vécu de dures épreuves, mais son corps n'était pas assez musclé et entraîné pour subir d'infâmes torture. Son destin était entre ses mains et plus que jamais elle allait être seule. Elle n'avait personne sur qui compter dans la piraterie, personne pour prendre sa défense, pour la soutenir. Naïla avait toujours voulu être solitaire et indépendante, mais aujourd'hui elle s'ouvrait au monde et au moment où cela arrivait il fallait qu'elle retourne à sa vie d’antan. Elle n'était pas prête, moralement et physiquement.
« Je pourrai toujours revenir, ici ? J'ai besoin de quelqu'un qui me fasse revenir sur terre, qui me montre que malgré les fréquentations je ne vais pas devenir comme eux. »
La seconde crainte de la jolie sirène était d'adopter leur mode de vie, leur langage, leur comportement et de se perdre ainsi elle-même. Elle avait peur qu'en les fréquentant trop, elle finisse par oublier qui elle était réellement et qu'elle intègre réellement et de bon coeur la piraterie. Ce qu'elle ne pouvait se résoudre de faire. Naïla s'était pendant tant d'année réfugier sous le masque de la garce sans coeur pour finalement ne plus faire de différences entre ce masque et son visage. Et si ça recommençait avec eux ?
Chassant ses préoccupations de son esprit, elle releva son petit regard noisette vers Aodren. Il y avait pleins de choses qu'elle devait voir, des situations qu'elle devait imaginer vivre pour être sûr que si elles se produisaient elle pourrait tout de même s'en sortir. Cela débutait avec le langage, le métier, ses tenues, l'art de combattre, les lieux à fréquenter et tant d'autres. Des choses qu'elle ignorait et surtout des points qu'il fallait absolument aborder. Elle finit d'une traite le verre qu'on lui avait servi sentant la brûlure du liquide le long de sa trachée qui la fit légèrement froncer des sourcils.
« J'ai pu apprendre quelques jurons de piraterie lors de mes rencontres avec eux, mais je doute que cela suffise. J'aurai également besoin de ton aide pour trouver une tenue. Quel genre de vêtements porte une pirate ? » Elle passa sa main sur son visage fatigué par toutes ses épreuves qui l'attendaient. « Il faut aussi que je trouve où travailler sinon ma présence au village serait quelque peu remise en doute. Et, même si tu m'as déjà énormément appris en combat -ce dont je te remercie-, il reste l'art du combat à l'épée à voir. Est-ce que tu t'y connais ? Parce que je doute qu'une femme avait son arc et ses flèches passe inaperçu. » expliqua-t-elle en se mordillant la lèvre inférieure.
Elle n'y arriverait jamais. Voilà ce qu'elle se disait en fixant la table d'un air absent avant de rajouter (toujours dans la même position) ne sachant pas si elle parlait à elle même ou bien à eux deux en même temps.
« J'ai rencontré quelqu'un dans le village des pirates y travaillant. Il n'en est pas un, j'ignore aussi si il y travaille à pleins temps, mais si c'est le cas son aide pourrait m'être précieuse pour trouver une occupation. »