Ce matin, comme à tous les jours, je me suis levée en même temps que le soleil, puis, après avoir brossé mes longs cheveux et enfilé une tenue plus présentable, je me suis dirigée vers mon petit jardin pour en débuter l’entretien quotidien. Je préfère m’occuper de mes fleurs le matin, puisqu’au début de l’après-midi il commence à faire plus chaud. Une fois ma tâche terminée, j’ai voulu retourner dans ma petite maison afin de me nettoyer un peu, lorsque deux voix sont parvenues à mes oreilles. Curieuse, je relève la tête et commence à regarder autour de moi, afin d’identifier la source du bruit. Finalement, je remarque deux hommes qui marchent tout en discutant dans le chemin qui passe devant mon domicile. Je n’arrive pas à entendre tout ce qu’ils se disent, mais les quelques mots qui parviennent à mes oreilles arrivent à capter mon attention. Je m’approche donc des deux hommes et, lorsque j’arrive à saisir tous leurs propos, je calque ma vitesse sur la leur, puis je commence à les suivre discrètement, tout en écoutant leur conversation.

-Je te le jure, elle était là, à même pas un mètre de moi!Affirme le premier.

-Attends, tu veux raiment me faire croire que tu as vu une petite créature ailée qui ressemblait à une femme et qui volait? Questionne le second.

-Exactement! En plus, ça existe réellement. Je me suis renseignée et il parait que ces petites choses protègent les enfants perdus. Ce n’est pas un secret, je te jure qu’elles existent!

-Alors pourquoi est-ce que je n’en avais jamais… Hé, toi! Oui, toi là-bas, qu’est-ce que tu fais-là?

Et merde! Comme ils m’ont repérée, je n’ai aucun autre choix que de décamper. J’aurais bien voulu rester pour discuter, mais les deux hommes n’avaient pas l’air très sympathiques. Du coup, je fais la première chose logique qui me vient en tête, courir jusqu’à la maison d’Aponie, dans l’espoir qu’elle puisse m’en apprendre plus sur ces petites créatures ailées appelées fées dont j’avais souvent entendu parler, mais jamais dans les détails. Après tout, elle est la meilleure conteuse que je connaisse dans tout le village et, grâce à ses rencontres avec les enfants perdus, elle en sait beaucoup plus que moi sur les secrets que renferme la forêt, alors elle me semble toute désignée pour répondre à mes questions. J’arrive donc chez elle quelques minutes plus tard et je cogne à la porte. Ça ne prend que quelques secondes avant que celle-ci ne s’ouvre et, une fois que c’est fait, je salue rapidement les parents de la jeune indienne avant de me diriger vers la chambre de cette dernière.

-Aponie, réveilles toi! M’exclamé-je en entrant dans la pièce. J’ai une question à te poser! Est-ce que tu connais d’autres créatures qui volent, à part les papillons?

Lorsque ma cousine se réveilla, elle enfouit sa tête sous sa couverture, réflexe parfaitement normal, mais si adorable! En fait, tout d’elle était adorable, de ses longs cheveux bruns ébouriffés à ses grands yeux endormis.  J’aurais pu passer de longues minutes à vous décrire tout ce qui était mignon chez elle, mais je n’en avais pas le temps. J’avais une question très importante à lui poser. Je devais à tout prix savoir de quelle créature ces hommes parlaient! Pour n’importe quel autre personne, cette question pouvait semble futile, mais pour moi qui rêvait d’aventures extraordinaires peuplées de créatures magnifiques et de paysages enchanteurs, savoir que ces petites créatures existaient représentait une sorte d’espoir ainsi qu’une motivation supplémentaire pour arriver à convaincre mes parents de me laisser explorer l’île à ma guise. Car, après tout, si d’aussi belles créatures existaient, ça voulait dire que l’île n’était pas si dangereuse qu’elle en avait l’air, non?

Donc, impatiente d’avoir ma réponse, je posai ma question à ma cousine et, aussitôt que j’eus fini de parler, la fillette retira la couverture d’un geste avant de me demander d’être plus discrète. Apparemment, ses parents ne devaient pas entendre parler de ces petites créatures appelées fées. Je ne savais pas vraiment pourquoi et je ne comprenais pas, puisque c’était des adultes qui en avaient parlé ce matin… Alors pourquoi les parents de ma cousine ne pouvaient pas connaître leur existence? Un peu perdue, je me contentai d’observer distraitement Aponie refaire sa tresse, tout en enfilant son manteau et ses grosses bottes de fourrures. Puis, une fois qu’elle eut terminé de se rendre un minimum présentable, nous nous dirigeâmes vers l’extérieur. Les parents de la fillette nous interrompirent quelques secondes pour nous demander de ne pas sortir du campement, ce qui m’arracha un sourire. Comme si je pouvais sortir de mon propre gré!

Quelques minutes plus tard, après avoir marché un moment dans un parfait silence, nous arrivâmes dans un lieu à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes. À ce moment-là, nous nous arrêtâmes et Aponie commença à me débiter tout ce qu’elle savait à propos de ces petites créatures. « Il y a des petits êtres à Neverland. Je ne sais pas à quoi elles ressemblent, je n’en ai malheureusement encore jamais vu, mais elles aiment et aident les enfants perdus. Ils les appellent les fées ! Je crois qu’elles ont des petites elles et d’après Feisty, elle ne sont pas plus grande que ma main ! » En entendant cette brève description, je me mis à rêvasser. J’imaginais de petites créatures pas plus grandes qu’un papillon, virevoltant dans le ciel tandis que des enfants jouaient en rigolant en dessous de ces êtres bienveillants, jusqu’à ce que ma cousine me sorte de mes pensées.

Elle me demanda pourquoi je lui parlais des fées et, avant de lui répondre, je jetai alors un bref coup d’œil autour de nous, afin de m’assurer que nous étions bien seules, puisqu’il semblait important pour la fillette que personne n’entende cette discussion. Une fois que j’étais persuadée que personne ne traînait dans les parages, je pris la parole en chuchotant presque. « C’est que j’ai entendu deux types parler d’elles. En fait, il y en avait un qui affirmait en avoir vu une, mais l’autre ne le croyait pas. C’est normal que deux adultes soient au courant de leur existence? Et si ça l’est, pourquoi tes parents à toi ne doivent pas entendre parler d’elles? » Je pris une pause pour réfléchir. « Est-ce qu’elles vivent avec les enfants perdus? Parce que si c’est le cas, leur campement est introuvable, alors il est impossible que l’adulte en ait vu une, non? »

« Ce n’est pas que mes parents ne doivent pas entendre parler d’elles, c’est qu’ils risquent de se mettre en colère. Depuis la dernière fois que je suis allée en forêt seule, ils sont beaucoup plus sévères. Je n’ai même plus le droit de parler des enfants perdus… Mon père a même dit que si je les revoyais, ou racontais encore des bêtises, ils me puniraient… » Ah oui… L’accident avec les pirates dans la forêt. Mon grand frère, Set, m’en avait parlé récemment. Apparemment, ma cousine s’était faite attaquée et elle aurait pu y laisser sa peau si mon frère ne s’était pas porté à son secours. Il s’agissait d’une bonne raison pour les parents d’Aponie de se fâcher si elle racontait encore ce qu’ils devaient prendre pour des sottises à propos de petites créatures ailées, puisque ces créatures avaient un lien directe avec les enfants perdus qui avaient tendance à attirer la fillette dans la forêt pour jouer. Bon, les escapades de la fillette pour retrouver ses amis un peu particuliers n’avaient rien de bien grave, mais vu les changements survenus sur l’île, de telles aventures devenaient de plus en plus risquées. Il était donc parfaitement naturel pour des parents de s’inquiéter à ce sujet, mais je savais parfaitement à quel point ça pouvait être étouffant pour un enfant de se voir imposer constamment des limites. J’en avais fait l’expérience beaucoup trop souvent.

Bref, je me sortis de mes pensées pour me concentrer à nouveau sur ce que racontait ma cousine. Je n’avais pas compris un petit bout de phrase de ce qu’elle m’avait dit, mais j’arrivais tout de même à saisir l’idée d’ensemble, aptitude que j’avais développée après plusieurs années. En fait, j’étais tellement lunatique que j’avais développé plusieurs techniques pour réussir à tenir une conversation normale tout en étant perdue dans mes pensées. Je réussis donc à comprendre que les enfants perdus étaient pratiquement les seuls à croire à l’existence des fées et à pouvoir les voir. Ainsi, il était fort peu probable que l’un des chasseurs ait pu en apercevoir une, mais ce n’était pas impossible si la fée en question avait voulu s’amuser un peu. « C’est probablement le cas… Ma mère aussi me racontait des histoires sur ces créatures. Elle me disait toujours qu’elles étaient comme des enfants, joueuses et malicieuses, mais d’une grande bonté! Est-ce que c’est vrai? Est-ce que t’es amis t’ont parlé de leur caractère? » Demandai-je, toujours à voix basse. Je n’attendis pas que ma cousine réponde à ma question, ou plutôt à mes questions, préférant réfléchir un peu à la dernière phrase qu’elle avait prononcée, juste avant que je ne reprenne la parole. Elle avait parlé de partir à la recherche d’une fée. C’était risqué et nous n’avions toutes les deux pas le droit, mais… Pourquoi pas?

Je détournai donc le regard à mon tour, pour observer la forêt. La tentation était grande, presque autant que les risques et les dangers. « Et… Et si on y allait? Si on partait à la recherche des fées? On a qu’à ne pas trop s’éloigner et rien ne nous arrivera, non? Puis, comme tu l’as dit, ça pourrait être marrant! Alors pourquoi ne pas faire un truc fou et insensé pour une fois? » Proposai-je, des étoiles dans les yeux. Je savais à quel point c’était risqué et je savais que nous aurions de grands ennuis si quelqu’un l’apprenait, mais j’en avais envie. Je n’étais jamais sortie du campement toute seule, sans mon frère ou Cheveyo et, pour une fois, j’avais envie de le faire. J’avais envie de défier l’autorité et ce, peu importe les risques encourus.

Moi aussi, j’avais vraiment hâte que les enfants répondent à la question de ma cousine, car je sais qu’elle me dira tout de suite leur réponse et je suis tout autant curieuse d’en savoir plus sur ces créatures, d’où mon envie folle de partir à leur rechercher. Même si, pour ça, il fallait sortir du camp, comme l’avait si bien précisée Aponie. Ce serait une première pour moi. Enfin… Une première en pleine journée, puisqu’il m’était parfois arrivée de quitter le campement en douce pendant la nuit pour aller rejoindre mon amie Eileena, mais ça, c’était différent. Premièrement, parce que je ne m’éloignais jamais trop et deuxièmement, parce que j’allais retrouver une amie qui pourrait me défendre ou, au moins, aller prévenir quelqu’un si jamais quelque chose tournait mal. Par contre, j’avais été un peu plus chanceuse que ma cousine, vu que moi, il ne m’était jamais arrivé. Je n’avais jamais croisé ni pirate, ni bête sauvage. Et, puisque la petite indienne n’avait été malchanceuse qu’une fois, je me disais que ce genre d’événement était plutôt rare et que, par le fait même, ça ne nous arriverait pas, comme le fit remarquer Aponie. « Non, c’est vrai normalement, il ne nous arrivera rien.. » Là-dessus, elle avait raison et je pouvais voir à son air qu’elle réfléchissait sérieusement à ma proposition, aussi folle soit-elle. Seulement, je ne m’attendais pas à ce qu’elle me réponde positivement à cause de la menace de ses parents, alors, lorsqu’elle m’annonça qu’elle était d’accord pour partir en expédition, je ne pus retenir un petit cri de victoire. C’était assez immature et peu responsable de ma part, mais ça m’était égal. En ce moment, je ne pensais ni aux risques, ni aux dangers. Tout ce que je voyais, c’était l’aventure extraordinaire qui nous attendait, moi et ma cousine.

« Je crois que c’est la première fois que je fais un truc aussi fou de toute ma vie! » M’exclamai-je avant de me lancer à la suite de ma cousine qui avait attrapé ma main pour me guider à travers les fourrés. Nous étions toutes les deux nerveuses et nous guettions sans cesse les alentours, veillant ainsi à ce que personne ne nous surprenne en plein délit. Puis, finalement, après quelques minutes de course, ma cousine s’arrêta et je fis de même. Nous étions dans la forêt, mais à une distance raisonnable du campement, ce qui me rassura. Après tout, il s’agissait de l’une de mes premières expéditions en forêt et je ne voulais pas me perdre! « Par contre je n’ai pas vraiment d’idée où on peut les trouver… Les enfants perdus ne veulent pas m’emmener à leur cachette si je ne deviens pas comme eux et arrête de grandir » Je me retournai vers ma cousine lorsque je l’entendis prononcer cette dernière phrase. Je ne savais même pas que les jeunes indiens pouvaient décider d’arrêter de vieillir pour devenir des enfants perdus. Ça semblait amusant, mais malgré tout, je ne voulais pas qu’Aponie en arrive là, puisque, si elle décidait de rester enfant éternellement, elle serait bannie de la tribu. Je ne pourrais donc plus la voir, ce qui m’attristerait énormément. « Si on trouve des enfants perdus peut-être qu’ils nous aideront… Je sais pas trop » Ça, c’était une bonne idée! Si les enfants perdus savaient où se trouvaient les fées, ils pourraient forcément nous aider à en trouver une! Et un gamin perdu me semblait beaucoup plus facile à trouver qu’une petite créature ailée! « Tu as raison! On devrait essayer de trouver l’un de tes amis pour qu’il nous aide! » J’adressai un grand sourire à ma cousine avant de reprendre la parole. « Mais… Tu sais, ce sont de bons amis, je sais que tu les adores, mais je ne crois pas que tu devrais devenir comme eux. Être enfant c’est génial, mais être adulte a autant de côté positifs. Puis je ne voudrais pas te perdre. »

Je ne sais pas pourquoi j’avais posé cette question, surtout à un moment aussi inopportun. Probablement parce que j’avais peur de perdre ma cousine. Parce que j’avais souvent entendu des histoires où des enfants de la tribu disparaissaient pour ne plus jamais revenir, pour ne plus jamais grandir. Parce que je ne voulais pas que la même chose arrive à Aponie. Je n’avais rien contre son amitié avec ces enfants, mais j’avais peut-être peur qu’elle ne finisse par les apprécier trop au point de les rejoindre? Au point de quitter sa famille pour aller vivre avec eux?

Néanmoins, mes craintes furent rapidement apaisées, puisque, dès que je posai la question, ma cousine se retourna vers moi puis, après m’avoir jeté un regard interrogateur, elle me fit un long câlin, geste auquel je n’avais pas eu droit –du moins, de sa part-, depuis un moment déjà. Finalement, elle me dit qu’elle ne voulait pas me perdre elle aussi avant de se détacher. « Tu sais, j’y ai déjà pensé, de rejoindre les enfants perdus, mais maman me raconte tous les soirs des histoires et ça me manquerait trop. Mais parfois, j’ai envie de faire ce que je veux quand je veux. »

Je fus touchée que ma cousine me fasse assez confiance pour me confier tout ça et j’étais heureuse qu’elle apprécie assez sa famille pour vouloir rester près d’eux. En fait, suite à ce qu’elle venait de dire, je réalisai une chose. Dans le fond, nous étions identiques. Nous rêvions tous les deux de grandes aventures et de liberté, mais nous n’osions pas nous lancer par amour pour notre famille. Je m’apprêtai à répliquer, lorsqu’une voix enfantine n’appartenant pas à Aponie retentit, semblant venir du ciel. « DES INDIENS !! ENCERCLES-LES !!»

À la fois curieuse et surprise, je levai rapidement la tête pour fouiller les branches d’arbre du regard, à la recherche de l’individu à qui appartenait la voix. Après quelques secondes, je l’aperçus, caché parmi les feuilles et je n’eus qu’une seule envie, celle de la rejoindre. « On joue avec eux ? C’est drôle, tu vas voir ! Il faut courir et ils ne finissent pas t’attraper et t’attacher à un arbre. Mais ne t’inquiète pas, ils nous libèrent après ! On pourra leur poser des questions sur les fées après ? » J’éclatai de rire en l’entendant me demander si on pouvait jouer avec eux.

Pour toute réponse, je me contentai de hurler : « Tous aux abris! » Puis je m’emparai de la petite main de ma cousine pour la guider avant de me mette à courir en sens inverse. J’entendis alors l’enfant quitter son nid pour se lancer à notre poursuite. Je me retournai alors et je lui adressai une grimace, geste qui me surprit moi-même. Aponie avait raison. C’était plutôt marrant! J’avais carrément l’impression de retomber en enfance, à l’époque où je jouais à chat avec ma sœur et mes frères.

Coucou!: