J’avais passé la nuit au palais. Je n’avais aucune envie de rester chez moi et je me changeais les idées avec l’organisation du bal. Ce n’était encore qu’un projet embryonnaire, mais j’arrivais peu à peu à me décider. Étant considérée presque comme leur fille, parfois, je me permettais d’y passer la nuit. Et plus de temps, je passais avec Égéon, moins le malaise se faisait sentir. Mon grand-père savait où j’étais, alors si quelqu’un voulait me voir, il lui dirait que j’étais au palais. Il ne cachait jamais rien à personne. Il serait facile de me retracer. J’étais dans une pièce très peu utilisée et qui était très calme. En fait c'était un endroit un peu abandonné depuis la défaite de la reine sanglante. Elle n'était pas dans le palais à proprement parlé, mais très proche. Peu de sirènes ou de tritons passaient par là. Égéon savait que c’était l’endroit que je préférais. Certains trouvaient cela étrange que j’apprécie cette pièce sans attrait, mais elle m’avait beaucoup apporté de bonheur dans le temps. Autant l’utiliser à ma guise pour les préparatifs. Il me fallait un thème, quelque chose qui marquerait les esprits et qui serait significatif pour tout le monde. Je ne pouvais pas choisir quelque chose qui était du commun des mortels, puisque certains les détestaient. Je devais donc me creuser les méninges afin de trouver la thématique parfaite. Notre peuple avait subi un règne négatif et même si cela faisait un siècle que tout avait changé, il en restait des traces. Cela devait être un bal qui allait rapprocher tout le monde et leur remettre de la joie dans le cœur. Un qui rappellerait notre force et qui nous rappellerait de nous unir dans l’adversité. Pourquoi était-ce si difficile de trouver? J’avais bien pensé aux mille et une nuits, mais c’était beaucoup trop humain. Je me frustrais moi-même. J’étais énervée de ne trouver aucun sujet qui me plaisait. Aucun thème qui ferait dire wow. Je fermai les yeux afin de mieux réfléchir. Je n’étais pas d’humeur à être interrompue ni à être distraite de mon devoir. Allez quoi… J’allais bien trouver quelque chose… Un petit rien… Ureka! J’avais enfin l’idée du siècle. Il y avait bien des légendes où l’on disait que le dieu des Océans, Poséidon, je crois… avait comme symbole le trident. Une sorte de fourchette à trois piques que l’on m’avait décrite. Pourquoi ne pas faire le bal sur le thème de Poséidon. Rappelez nos origines, nos légendes. Unis dans nos légendes. Il me restait tout de même, le reste à faire et trouver Valone pour qu’elle m’aide avec tout ça. Bien que j’aie avancé un peu, je restais d’une humeur imprévisible. Si l’on me dérangeait dans mes réflexions, je ne serais pas contente, à moins que ce soit le roi, la reine ou Égéon. J’entendis du bruit s’approcher de moi, alors sans hésiter et sans voir de qui il s’agissait, je dis : «J’avais demandé à être seule. Prière de ne pas me déranger.»
Il parait qu’à la surface, les rats se faufilent partout. Qu'ils sont capables de s’introduire dans les garde manger les mieux gardés, d’y dérober les denrées les mieux empaquetées et de disparaître avec leur butin. J’ai entendu des gars parler de rats qui volaient des œufs dans des poulaillers, les faisant rouler ou tirant un de leurs compagnons sur le dos tandis qu’il porte le fruit de leurs rapines. Diaboliquement futé pour un rongeur n’est ce pas ? Ici, sous la surface, nous n’avons pas ce genre de créatures. Pas de nuisibles dévalisant les placards et autres entrepôts, à part…. les types comme moi. Et là je vous vois froncer les sourcils, ce type se traite lui-même de nuisible ? Non, mais je sais ce que mes semblables pensent de la branche dans laquelle j’exerce, inutile de me voiler la face. Seulement heureusement pour moi, s’il est facile de cataloguer un rat pour ce qu’il est, il est bien plus difficile de me coller une étiquette de voleur rien qu’en posant le regard sur moi. Quoi, vous pensiez vraiment que j’irais crier ça sur tous les toits ? Allons, allons, un peu de sérieux. Si certains savent que j’ai tendance à jouer les Don Juan, le reste je fais en sorte que ça reste entre vous et moi.
Ainsi donc, contrairement à un rat qui se serait fait recaler manu militari, je n’ai pas franchement de mal à passer les portes du palais. Choisir la bonne entrée, le bon garde, celui qui serait le plus réceptif à mes sourires. C’est un petit jeu que j’affectionne autant que j’y excelle. Quoi mon égo ? Vous pensiez que je le rangerais un jour ? C’était mal me connaître. La question légitime en revanche aurait été la suivante. Pourquoi venir ici ? Et bien même si vous ne vous la posiez pas, voici la réponse. Parce qu’il est entre ces murs bien plus de jeunes sirènes à séduire que dans tout le reste des mers, et que si par bonheur l’une d’elle s’avère faire partie du personnel de quelqu’un d’important.. hum qui sait, je pourrais joindre l’utile à l’agréable en délestant quelques petites noblesse d’un peu de leurs biens. Petite noblesse oui. Je ne suis pas encore assez sot pour m’attaquer à du vrai sang bleu. Je tiens à ce que ma tête reste sur mes épaules le plus longtemps possible.
Seulement, ce petit plan bien rodé avait une faille. De toutes les sirène de ce monde, il a fallut que je tombe sur la seule que je n’avais pas envie de croiser. Ce petit brin de femme qui s’avère être ma fille semble de bonne humeur qui plus est. Et rien que pour ça… rhoooo qui pourrait résister à l’envie de l’agacer un peu ? Je peux dire adieu à mes projets pour le moment mais l’occasion est trop belle et puis.. si elle a ses entrées au palais… jouer la carte du père qui veut faire amande honorable peut m’être utile même si l’occasion est trop belle de simplement la faire tourner en bourrique. Ignorant sa mise en garde, je me rapproche d’un habile coup de nageoire pour me placer devant elle, un sourire faussement gêné aux lèvres. « Seule? Mais j’espérais te trouver seule justement. Il faut qu'on parle toi et moi. La dernière fois… » Oui je sais… j’ai choisi de lui servir mes yeux d’alvin battu pour l’amadouer… c’est moche et après ? Tant que ça marche. « Je m’en suis voulu tu sais. Pas.. pour ce qu’il s’est passé entre ta mère et moi. Le passé est le passé, on ne peut pas revenir sur ce qui a été fait. Je suis un salaud, que veux tu on ne se refait pas. Seulement.. j’aimerais faire amende honorable, me racheter auprès de toi, si toutes fois tu veux bien me laisser cette chance. » Je doute qu’elle gobe tout ça mais si elle pouvait ne serait-ce que croire une’ infime partie de mon discours.. après tout je viens de "m’introduire ici à mes risques et périls dans le seul but de la voir".