Ces temps-ci, j’avais souvent bien du mal à trouver le sommeil et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, il y avait, bien évidemment, les changements pour le moins étrange qui survenaient sur l’île ainsi que les phénomènes étranges et inhabituels qui s’y déroulaient. D’ailleurs, ces temps-ci, le moral de plusieurs habitants était au plus bas à cause de la température morne et imprévisible. Les belles journées se faisaient de plus en plus rares et la faune, comme la flore, semblait en pleine rébellion. Seulement, moi, je ne me laissais pas vraiment affectée par ces changements, puisque j’avais naturellement tendance à être d’humeur plutôt légère, mais, je devais l’avouer, il m’arrivait de m’inquiéter de la situation une fois la nuit tombée. Il s’agissait donc de l’une des deux causes de mes troubles du sommeil, la deuxième étant mon propre besoin de liberté et ce sentiment de rébellion qui commençait à s’installer en moi. Ça ne me plaisait pas du tout et, d’ailleurs, à chaque fois que je quittais notre petite habitation sans en demander la permission à mes parents, je me sentais terriblement coupable, mais c’était plus fort que moi. Je devais à tout prix explorer la forêt et tout ce qu’il y avait autour. Je désirais plus que tout en apprendre plus sur le monde dans lequel je vivais et, comme on me refusait ce droit, je commençais à me rendre par moi-même dans la forêt la nuit. Je savais très bien que c’était dangereux, alors je ne m’éloignais jamais trop du campement, mais je me sentais tout de même terriblement coupable envers mes parents. Même en ce moment, alors que j’étais en train de m’éclipser pour me rendre à mon jardin privé qui ne se situait qu’à une vingtaine de mètre de ma maison, je ne me sentais pas fière de moi, mais je ne pouvais pas m’en empêcher.
Je marchais depuis quelques minutes, lorsque je fus enfin face à la petite porte en bois qui permettait de franchir la palissade qui entourait mon jardin. Cette dernière n’était pas très haute, puisqu’elle ne servait qu’à empêcher les petits animaux herbivores de passer. Un humain pouvait donc très facilement l’enjamber, mais je préférais passer par le portail, puisque, de toute façon, tous mes outils se trouvaient juste à côté de celui-ci, dans un petit coffre en bois situé juste à côté d’une petite bassine pleine d’eau, ce qui m’évitait de toujours avoir à faire des allées-retours entre la maison et le jardin. Une fois la porte passée, je m’agenouillai donc tout de suite devant le coffre que j’ouvris pour m’emparer d’une sorte de pic en bois fin, qui me servait à percer la terre autour des racines afin de les aérer un peu, puis je me dirigeai vers un pommier afin de commencer mon travail. Seulement, une fois devant ce dernier, je me dis que l’herbe qui se trouvait à ses pieds semblait confortable. Puis, sans trop réfléchir, je pris place devant l’arbre avant de poser mon dos contre son tronc. Une fois assise, je levai la tête et me mis à observer les étoiles. Elles étaient très nombreuses et, par curiosité plus qu’autre chose, je me mis à les compter à voix basse, désireuse de savoir combien il y en avait. Finalement, à cause de la répétitivité de ma tâche, j’étais sur le point de m’endormir, lorsque j’aperçus du mouvement sur ma droite. J’ouvris donc complètement mes yeux à moitié fermés avant de tourner la tête pour voir ce qui bougeait par-là. Seulement, je m’attendais à voir un petit rongeur ou un oiseau. Enfin… Tout sauf un garçon! D’ailleurs, en le voyant, je sursautai et mon coeur s’affola. « Qui es-tu? Et… Mais qu’est-ce que tu fais là?! » Demandai-je d’une voix légèrement tremblante.
I, I'll get by I, I'll survive When the world's crashin' down When I fall and hit the ground I'll just turn myself around Don't you try to stop me! I, I won't cry
Son regard se perdait par-delà les étoiles, quelque part entre l’invisible et l’indicible. Maurice vola juste devant ses yeux, l’arrachant à ses pensées. L’homme miniature qui avait été assignée en tant que fée pour Brynjár le fixait avec un regard interrogateur. La nuit tombait, la plupart des autres enfants perdus s’étaient rendus dans leur cabane pour dormir. Alors pourquoi lui, ne dormait-il pas ? Au fond de lui, Bryn savait que cette première nuit dans sa propre cabane serait une épreuve. Il avait eu, fut un temps, une cabane à lui au sein de l’Arbre du Pendu. Mais ensuite, le gamin avait été kidnappé par les pirates de Barbe Noire et jeté aux mines. Depuis, plus jamais Brynjár n’avait connu la solitude. Là-bas, dans ces maudits tunnels souterrains, ils dormaient tous ensemble, serrés comme un banc de pingouins pour récupérer de la chaleur dans ce froid mortel.
Et puis le voilà, assis à côté de la fenêtre de sa cabane, incapable de fermer l’œil. Dormir aurait été impossible, pas au beau milieu de tout cet espace vide lui étant entièrement dédié. Et pourtant, l’habitation n’était franchement pas spacieuse ! Très sommaire, très limitée. Aux yeux de Bryn cependant, c’était comme vivre dans un immense château tout seul, en sachant que bien qu’on en ouvrirait toutes les portes et qu’on en découvrirait pièces après pièces, il n’y aurait jamais âme qui vive. Soudain, le jeune garçon se redressa et sauta par la fenêtre. Maurice vola à sa suite. La fée était habituée à le suivre dans ses périples et ne protestait même pas, appréciant cette vie aventureuse.
Il courut, sauta de branches en branches, s’écrasa dans des buissons épineux pour en sortir en riant. Dans sa course, il dérangea même un petit rongeur endormit qui sembla le défier du regard. Bryn prit la fuite, bondissant tel un félin par-dessus les souches d’arbre. Avant même qu’il n’en prenne réellement conscience, le gamin était sur la route du camp Unami. Mauvaise idée. Autant les Piccaninny l’accueilleraient à bras ouverts, lui proposant de danser avec eux autour du feu, d’écouter les histoires des anciens ou de jouer avec les quelques enfants indiens pas encore endormis ... autant les Unami le chasseraient sans ménagement.
C’est avec grande prudence et en silence, tapi dans l’ombre, que le gamin se glissa à l’intérieur du camp. C’était calme, très paisible à vrai dire. Les indiens devaient dormir à poings fermés à cette heure tardive. Ils n’étaient pas très drôles ces Unami ! Bryn pouffa de rire à sa propre constatation et avança d’un pas joyeux parmi leurs tipis. Ces peaux-rouges-là, il ne fallait pas jouer avec leurs nerfs ! Il suffisait de voir leur chef, une sorte de gorille femelle avec des narines aussi large que le museau d’un taureau et la tignasse aussi sauvage que les poils aux aisselles d’un pirate ! Bon, peut-être exagérait-il en la dépeignant de la sorte mais quelle sorte d’enfant perdu serait-il s’il ne faisait que déverser une triste et morne réalité ?
Bryn enjamba machinalement une clôture et arriva dans une sorte de petit jardin, un peu comme un potager. Les indiens devaient y faire pousser des herbes, des plantes ou des fruits. Le jeune garçon n’allait pas tout saccager, il n’était pas du tout comme ça ! Au contraire, il trouvait ça fabuleux que les Unami puissent prendre soin des leurs de la sorte. En même temps, ils ne pouvaient déjà pas voir les autres individus en peinture si en plus ils ne s’aimaient pas entre eux ... bonjour le tableau ! Soudain, une voix l’interpella.
- Je viens pour te manger ! Bouh ouh !
Il leva les mains et serra les doigts pour mimer les serres d’un aigle tout en penchant la tête et en sortant les crocs. Brynjár donna quelques coups de dents tout en avançant vers la jeune fille puis s’arrêta et pouffa de rire. Il avait bien compris, rien qu’à sa voix, qu’elle n’était pas très âgée. Sans doute allait-elle se mettre à hurler et réveiller tous les autres, dans ce cas, Bryn serait forcé de partir en courant ! Mais le garçon perdu s’empressa d’ajouter comme pour argumenter :
- Je suis un garçon perdu, je m’appelle Brynjár. Tu peux m’appeler Bryn si tu veux, t’as l’air sympa. C’est bizarre d’ailleurs parce que tes copains les Unami ...
Le gamin se pencha et mit la main sur le côté de la bouche comme pour confier un secret à la demoiselle.
- Bah ... ils sont aussi marrants que des poulpes géants, si tu vois ce que je veux dire !
Bryn haussa les épaules et tendit la main pour cueillir une pomme qu’il tendit ensuite vers la jeune fille :
Une fois le choc passé par cet intrusion dans mon jardin privé, tout de suite après que je lui ai demandé qui il était et ce qu’il faisait dans le coin, le garçon qui semblait avoir on âge me répondit à sa façon. Au lieu de me répondre de façon formelle et traditionnelle, genre ‘’Enchanté, je m’appelle X et toi?’’, il prit une pose étrange, comme s’il essayait d’imiter un quelconque animal sauvage, probablement un oiseau de proie vu la manière dont il positionnait ses doigts, puis il affirma qu’il venait ici pour me manger. En temps normal, j’aurais tout de suite éclaté de rire face à cette plaisanterie un peu enfantine, mais en ce moment, j’étais beaucoup trop stressée, alors je me contentai de le fixer, un sourcil hausser, l’air de me demander ce qui allait se passer par la suite. Finalement, le garçon repris la parole avec empressement. « Je suis un garçon perdu, je m’appelle Brynjár. Tu peux m’appeler Bryn si tu veux, t’as l’air sympa. C’est bizarre d’ailleurs parce que tes copains les Unami ... » Un enfant perdu? Ici, dans le campement des Unami? Je savais qu’ils venaient souvent rôder dans les parages, puisque ma cousine, la petite Aponie, me racontait souvent des histoires à leur propos. Seulement, je n’en avais jamais rencontré. Enfin… Jusqu’à maintenant!
Le gamin qui se trouvait devant moi semblait à peine plus âgé et, juste à voir la façon dont il parlait et avec le sourire qui ornait presque constamment son visage, je savais que je pouvais lui faire confiance, qu’il n’était pas méchant. D’ailleurs, il avait l’air tout sauf menaçant en ce moment. Il avait placé sa main sur le côté de sa bouche et avait un peu diminué le volume de sa voix, comme s’il voulait me dire un secret, alors j’attendis avec impatience qu’il reprenne la parole, curieuse de voir ce qu’il avait à dire. « Bah ... ils sont aussi marrants que des poulpes géants, si tu vois ce que je veux dire ! » En l’entendant prononcer cette phrase, je ne pus empêcher un sourire de se poser sur mes lèvres. Je ne savais pas à quoi ressemblaient les poulpes géants, ni comment ils étaient niveau caractère, mais je présumais que ce n’était pas un compliment et, si je ne me trompais pas, il n’avait pas tort. Les membres de ma tribu n’étaient pas très réputés pour leur sympathie. Même qu’ils avaient tendances à se montrer assez méfiant et peu amicaux avec les étrangers. Bien sûr, il y avait quelques exceptions, comme, justement, ma cousine, mais ces gens étaient un peu plus rares.
Honnêtement, je n’avais jamais compris comment ils pouvaient se montrer si méfiants. Pour moi, la vie n’était qu’un jeu, une aventure un peu trop courte à mon goût. D’ailleurs, je trouvais la vie tellement courte que les émotions négatives ne valaient pas la peine d’être vécues. L’important, c’était de s’amuser et de vivre ses rêves, tant que ça ne nuisait pas aux autres et le garçon qui se tenait face à moi semblait partager un minimum ma vision de la vie. « Je sais, généralement ils ne sont pas très chaleureux avec les inconnus. » Répondis-je finalement en rigolant pendant que le garçon cueillait une pomme. Je les réservais normalement à mon frère et à ses amis, puisqu’il adorait ces fruits et qu’ils étaient faciles à transporter lors de leurs expéditions, mais je laissai quand même le garçon perdu, Brynjàr, en prendre une. De toute façon, les récoltes étaient abondantes cette année, ce qui était plutôt étonnant vu les températures de l’île. Seulement, je m’attendais à ce qu’il s’empresse de la dévorer, vu qu’il avait probablement marché longtemps pour se rendre ici, mais, contrairement à ce que je croyais, il se contenta de tendre la main tout en me demandant si j’en voulais un peu.
« Non c’est bon, je n’ai pas vraiment faim. Je te la laisse. De toute façon tu dois avoir faim après cette marche, non? » J’esquissai un sourire malicieux avant de reprendre la parole. « À moins que tu ne préfères me manger! » En prononçant cette dernière phrase, je faisais bien sûr référence aux premiers mots qu’il m’avait dits lorsqu’il m’avait aperçu et, fière de ma propre plaisanterie, j’éclatai de rire, ce qui me permis par le fait même d’évacuer tout le stress que j’avais ressentis lorsqu’il m’avait surpris. Puis, une fois mon fou rire passé, je repris la parole pour me présenter convenablement, puisque je ne l’avais toujours pas fait. Je replaçai donc une mèche de cheveux derrière mes oreilles avant de planter mon regard dans celui de l’enfant perdu, pour lui montrer que je n’étais pas une froussarde et que je lui faisais confiance. « Moi c’est Ayanna, ça veut dire innocence dans notre langue. Mais tout le monde m’appelle Aya, c’est plus court donc moins compliqué! »Je lui adressai alors un sourire gêné avant de baisser le regard quelques secondes. « C’est quoi un poulpe géant? » N’étant jamais réellement sortie du camp, je ne savais même pas à quoi ça ressemblait et j’étais curieuse d’en savoir plus.
I, I'll get by I, I'll survive When the world's crashin' down When I fall and hit the ground I'll just turn myself around Don't you try to stop me! I, I won't cry
Un sourcil haussé sur son visage à la peau halée, une bouche qui n’exprimait aucun amusement. Brynjár avait peut-être mal imité le prédateur ? Le garçon perdu se contenta donc d’enchaîner en se présentant. Bizarrement, pour une Unami, la jeune fille ne réagit pas du tout comme il s’y attendait. Elle ne cria pas, ne courut pas appeler les siens pour les prévenir qu’un imprudent s’était glissé sur leur territoire. Elle ne chercha ni à l’humilier, ni à le chasser, ni à le malmener. Étrange. Bryn continua donc sur sa lancée en critiquant ouvertement la majorité des membres de sa tribu. La comparaison avec le poulpe géant parvint même à faire sourire l’indienne. Cela fit sourire le gamin aussi du coup, fier de sa blague.
Elle reconnut sans trop de mal que sa tribu n’était pas accueillante et qu’ils manquaient de sympathie envers les inconnus. C’était le moins qu’on puisse dire. Brynjár ne comprenait pas cette animosité envers le monde extérieur ! Il existait tellement de gens amusants, bizarres, intrigants, mystérieux, effrayants. Ne pas apprendre à les connaître, c’était passer à côté d’un tas d’aventures. Le gamin se contenta donc d’acquiescer à ce qu’elle venait de dire et d’hausser les épaules, l’air battu.
S’emparant d’une pomme, il en proposa à la demoiselle qui refusa. Tant pis, ça en ferait plus pour lui. Le fruit avait l’air juteux et plutôt bon, restait à voir si c’était le cas ! L’enfant perdu croqua à pleines dents, appréciant grandement le goût du végétal. Il esquissa un sourire et répondit en hochant positivement de la tête à la question de la brunette. C’est vrai qu’il avait mis du temps pour venir jusque-là mais Bryn adorait se balader, surtout de nuit. Il avait l’impression de braver des interdits. Alors qu’en fait, les enfants perdus n’avaient aucun interdit. Si ce n’est grandir, peut-être.
- Je vais commencer par la pomme et si après j’ai toujours un creux ...
Tandis qu’elle se moquait de ce qu’il lui avait dit, Bryn ricana aussi de son côté. Enfin, la demoiselle décida de se présenter. Elle n’était plus du tout apeurée comme elle avait pu l’être au début de leur rencontre. Désormais, l’indienne soutenait son regard et s’adressait à lui avec confiance. Brynjár préférait largement ça ! Il ne cherchait ni à l’intimider ni à la faire fuir. Elle semblait l’avoir compris. Son nom était donc Ayanna, innocence. Effectivement, le nom était de rigueur. Le garçon acquiesça sans rien ajouter.
Sa question suivante le fit bondir sur place, il faillit en avaler de travers le bout de pomme qu’il avait croqué. Ayanna ignorait ce qu’était un poulpe géant ! Mais comment était-ce possible ? Bryn écarquilla les yeux et poussa un profond soupir. Il s’assit directement sur l’herbe et indiqua à la jeune fille de faire de même, c’était bien plus agréable de discuter installés confortablement que de rester maladroitement sur leurs deux pieds. Bryn se lança alors dans une description un brin fantaisiste d’un poulpe géant.
- C’est un monstre qui vit dans le fond de l’océan. Il est énorme, certains peuvent faire deux fois la taille de ton camp entier. Leur peau est visqueuse et il paraît qu’ils puent le poisson pourri. Et aussi ... ils ont de très longs bras qu’ils abattent partout autour d’eux. BAM.BAM.BAM.
Bryn l’imita en tendant les bras et en les agitant dans tous les sens comme s’il s’agissait de deux choses inanimées. Le gamin finit par se calmer et reprendre ses esprits, il croqua à nouveau dans le fruit et reprit :
- Je n’en ai jamais vu de mes propres yeux mais il paraît que ce sont des créatures très dangereuses. Mon copain Joe, il dit qu’il en a vu un attraper tout un navire de pirates et l’engloutir d’un trait. Il pouvait entendre les hurlements de ces maudits pirates. Ça devait être incroyable !
Bryn en restait rêveur. Pour sa part, il n’avait que cette magistrale imagination pour se peindre un poulpe géant dans la tête. Ayanna, pour sa part, elle devait être soit très peu imaginative soit très peu renseignée sur le monde du dehors. L’indienne intriguait beaucoup Brynjár.
- Mais ... les autres enfants perdus ne t’en ont jamais parlé ? Tes amis ne se sont jamais moqués de toi en t’insultant de vieux poulpe géant qui pue des pieds ?
Cela lui paraissait inconcevable tant à l’Arbre, c’était monnaie courante !
Tandis que je parlais du manque de sympathie de mon peuple, je pouvais clairement voir que l’enfant perdu qui se trouvait devant moi, Brynjär, trouvait mes propos étranges. Comme s’il ne pouvait pas concevoir le fait qu’un individu puisse se montrer si hostile envers les autres. En un sens je le comprenais, car j’avais moi-même bien du mal à m’habituer au caractère farouche des membres de ma tribu, mais d’un autre côté, entendre des choses si négatives à propos des gens que je côtoyais tous les jours m’attristait, car, au fond, aucun d’eux n’était vraiment méchant. Néanmoins, je ne pouvais pas nier qu’ils étaient très méfiants envers les inconnus, mais c’était dommage. D’ailleurs, je trouvais ça tellement dommage, puisqu’ils manquaient de belles opportunités d’aventure et de nouvelles rencontres en agissant de la sorte. C’était d’ailleurs pour cette raison que j’avais décidé de ne pas agir de la sorte moi-même.
Lorsque je dis au garçon perdu qu’il pouvait prendre la pomme s’il le voulait, il sembla presque content que je refuse et il le montra en croquant à pleine dent dans le fruit. Puis, tout de suite après sa première bouchée, il esquissa un sourire contagieux. J’étais contente qu’il apprécie son goûter, puisque je l’avais moi-même fait poussé. Pour moi, il s’agissait donc d’un compliment sur mes capacités à jardiner. Bref, Brynjär hocha simplement la tête pour répondre à ma question, puis il répondit à ma plaisanterie par l’affirmative, ce qui me fit rire. Bien sûr, je savais qu’il ne me mangerait pas réellement, mais si mes parents l’avaient entendu dire une telle chose, ils l’auraient probablement puni pour avoir dit des sottises. Généralement, les membres de m’a tribu n’avaient pas vraiment d’humour, mais ce n’était pas mon cas. J’étais tellement différente de ma tribu, que parfois, il m’arrivait de penser que j’aurais fait une meilleure Picaninny…
Tandis qu’il mangeait, je me présentai brièvement, sans trop rentrer dans les détails. Je ne mentionnai donc que mon prénom et sa signification qui était, selon moi, très représentative de mon caractère. Devant cette information, Brynjär, qui était le premier enfant perdu que je rencontrais, hocha à nouveau la tête sans rien ajouter, ce qui me permit d’enchaîner tout de suite avec la question que je me posais depuis déjà quelques minutes. À savoir, qu’est-ce qu’était un poulpe géant? Seulement, lorsque j’eus fini de poser, le garçon eu une réaction plutôt surprenante. Il fit un bond, si bien qu’il manqua presque de s’étouffer avec le fruit qu’il mangeait. Inquiète, je m’apprêtai à lui demander si tout allait bien, lorsqu’il se calma un peu en poussant un long soupire. Puis il prit place dans l’herbe en me faisant signe de faire comme lui, ce que je fis sans poser de question. De toute façon, c’était beaucoup plus confortable ainsi.
« C’est un monstre qui vit dans le fond de l’océan. Il est énorme, certains peuvent faire deux fois la taille de ton camp entier. Leur peau est visqueuse et il paraît qu’ils puent le poisson pourri. Et aussi ... ils ont de très longs bras qu’ils abattent partout autour d’eux. BAM.BAM.BAM. » Lorsqu’il termina sa description un peu loufoque, le gamin tandis les bras devant lui, puis les agita dans tous les sens, ce qui m’arrache un petit cri de surprise, puis, lorsque je réalisai ce qu’il était en train de faire, ou plutôt, ce qu’il était en train d’imiter, j’éclatai d’un rire légèrement nerveux. Je n’étais pas habituée à un tel niveau de spontanéité et j’avais un peu honte de m’être emportée ainsi alors qu’il ne s’agissait que d’une blague. « Je n’en ai jamais vu de mes propres yeux mais il paraît que ce sont des créatures très dangereuses. Mon copain Joe, il dit qu’il en a vu un attraper tout un navire de pirates et l’engloutir d’un trait. Il pouvait entendre les hurlements de ces maudits pirates. Ça devait être incroyable ! »
Je n’imaginais que trop bien cette créature effroyable emporter un bateau de pirate sous l’eau! Bon, je n’avais jamais vu de bateau de pirate non plus, mais grâce aux récits de ma cousine Aponie, j’avais réussis à me créer une image mentale qui me semblait plutôt juste ou, au moins, conforme à tout ce que j’avais entendu sur le sujet. « Mais ... les autres enfants perdus ne t’en ont jamais parlé ? Tes amis ne se sont jamais moqués de toi en t’insultant de vieux poulpe géant qui pue des pieds ? » Lorsqu’il me posa ces dernières questions, je ne savais pas trop comment réagir, mais finalement, je décidai de simplement lui avouer la vérité. « Non, à vrai dire, je n’ai même pas le droit de quitter le campement depuis l’accident de ma sœur. Elle a failli mourir, alors mes parents me surprotègent de peur qu’il m’arrive la même chose qu’à elle. Mais je connais une sirène qui me raconte beaucoup de choses sur l’île! Et ma cousine, Aponie, me parle souvent de ses rencontres avec ses amis enfants perdus! »
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Quelle étrange discussion ! Si on lui avait dit un peu plus tôt dans la journée qu’il finirait par discuter bien tranquillement avec une Unami, il n’y aurait pas cru. Et pourtant, c’était bien le cas. Sagement assis, il expliquait à la jeune demoiselle ce qu’était un poulpe géant. Elle ignorait beaucoup de choses visiblement et ça ne manqua pas de surprendre le gamin perdu. C’est alors qu’elle lui révéla l’impensable : elle n’avait pas le droit de quitter le camp ! Brynjár se plaqua les deux mains sur la bouche, comme si Ayanna venait de proférer la plus dégradante des insultes à son égard. Le gamin en écarquilla les yeux. Priver un être de sa liberté, voilà à quoi devait ressembler la chose la plus triste au monde. Apparemment, il y avait des raisons derrière cet emprisonnement mais tout de même ... quelle tristesse !
- C’est horrible !
Le fait que sa sœur ait failli mourir était horrible aussi mais Brynjár n’avait pas tout à fait le même sens de la réalité qu’Ayanna. La mort faisait partie de la vie et les enfants perdus le savaient parfaitement bien. Il arrivait que l’un des leurs ne rentre pas à l’Arbre et dans ce cas-là, on le pleurait et on lui souhaitait une longue route là où il allait. Cependant, Bryn ne pouvait concevoir toute une vie passée au même endroit. Et cette demoiselle en face de lui, ce n’était plus un bébé ! Elle avait dû passer des années et des années sur le même territoire. La folie devait sans doute la guetter. Brynjár ne s’imaginait pas coincé dans un même endroit. Il avait été prisonnier des pirates et jeté dans les mines durant quelques années et cela restait le souvenir le plus traumatisant de sa vie.
- Et tu n’as jamais eu envie de désobéir à tes parents et d’aller voir Neverland de tes propres yeux ?
Bryn n’en avait pas lui, des parents. Il ignorait donc tout de ce qu’on ressentait lorsqu’on enfreignait leurs lois. Les siens étaient des gens dont il avait tout oublié, dont il ne savait rien et ne voulait rien savoir. Ayanna était une indienne cependant et les indiens vivaient très différemment des enfants perdus. Les Piccaninny expliquaient souvent aux enfants de la forêt l’importance d’une famille soudée, unie dans l’adversité. Mais aux yeux de Brynjár, sa famille, c’était les autres enfants perdus ! Ils se serraient les coudes et en attaquer un, c’était tous les attaquer.
- Tu ne pourras pas vivre entre les murs du camp Unami toute ta vie !
Le garçon avait dit ça sans animosité, ce n’était qu’une simple constatation. Lui, il avait exploré de nombreux recoins de l’île de Neverland. Et bien que certains indiens passaient le trois quart de leur existence dans leur camp, arrivait bien un moment dans la vie d’une personne où ses pieds devaient outrepasser les limites de son chez soi. L’enfant perdu finit par pousser un soupir et se redresser légèrement pour se grandir et se donner un peu plus d’importance.
- Je pense que tu devrais explorer ! Il y a tellement de belles choses à voir et d’aventures à vivre !
Encore fallait-il que l’aventure lui donne envie ...
Je rigolai en l’entendant s’exclamer à quel point ma situation était horrible. À le voir agir, j’avais l’impression que, pour lui, le fait que je ne puisse me promener à ma guise sur l’île était un véritable cauchemar. Pour lui, c’était peut-être le cas, mais pour moi, ce n’était pas si pire, bien sûr, j’avais extrêmement envie d’aller me promener un peu, explorer l’île, découvrir de nouvelles choses, mais en même temps, j’aimais ma famille et, même si je leur en voulais parfois de me priver de ma liberté, je n’étais pas prête à partir à l’aventure seule, sachant que je courrais le risque de ne jamais revenir. Je ne voulais pas infliger à mes parents la douleur de ‘’perdre’’ un autre enfant. Seulement, je savais très bien que je ne survivrais pas si je devais passer toute ma vie au campement. Même si désobéir à mes parents me faisait beaucoup de peine, le fait de ne pas pouvoir faire tout ce que je voulais m’attristait tout autant. D’ailleurs, c’était pour cette raison que je n’étais pas encore partie. Parce que si je ne tenais pas autant à ma famille, je me serais déjà sauvée depuis bien longtemps!
« Et tu n’as jamais eu envie de désobéir à tes parents et d’aller voir Neverland de tes propres yeux ? » Je ne pus m’empêcher de sourire en entendant sa question, puisque j’étais justement en train d’y réfléchir. Du coup, je pus répondre automatiquement, sans même prendre la peine de réfléchir à mes mots. « Oui. J’y pense toujours, même que j’en rêve parfois! Mais je ne peux pas. Je ne veux pas abandonner ma famille. Si jamais je partais sans jamais revenir… Ils ne s’en remettraient pas et je ne veux pas leur faire du mal! »Je me demandais si c’était la même chose pour les enfants perdus. Parfois, lorsque l’un d’entre-deux disparaissait, comment réagissaient-ils? Étaient-ils tristes ou encore, étaient-ils trop insouciants pour s’en préoccuper? Pour moi, le fait qu’ils passent à autre chose facilement était pratiquement inconcevable. Perdre quelqu’un devait bien être la plus grande douleur qu’un être humain pouvait ressortir, alors j’étais pratiquement certaines qu’ils se préoccupaient de leurs camarades décédés, mais pourtant, je n’avais jamais vu ou même entendu parler d’un enfant perdu triste.
« Tu ne pourras pas vivre entre les murs du camp Unami toute ta vie ! » En l’entendant ces paroles, je me sentis devenir émotive. Je savais très bien que je ne pourrais pas passer ma vie ici, que mon désir d’aventure finirait par l’emporter, mais je n’aimais pas penser à ça. Je n’aimais pas m’imaginer quitter ma famille et ces lieux que je connaissais presque par cœur. Heureusement, je n’eus pas le temps de rester triste bien longtemps, puisque Brynjär se leva d’un bond pour reprendre la parole. « Je pense que tu devrais explorer ! Il y a tellement de belles choses à voir et d’aventures à vivre ! » Son ton enthousiaste et confiant me redonna le sourire. Je laissai même s’échapper un petit rire. Je le trouvais marrant, comme ça. Debout, l’air fier de lui, comme s’il venait d’annoncer la meilleure idée du siècle. « Tu sais quoi? Tu as raison! » M’exclamai-je ne me relevant. « Je ne peux pas rester ici toute ma vie. Je sais qu’un jour je partirai, alors pourquoi pas maintenant! Enfin… Peut-être pas maintenant, maintenant, mais bientôt. Je pourrais remonter le fleuve avec Eileena, pour aller voir la plage! Je pourrais m’enfuir avec Nokomi, pour aller explorer toute la forêt! Je pourrais même m’enfuir avec toi pour aller voir… Quelque chose!»
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La question de Brynjár avait cette empreinte enfantine, un discourt d’enfant perdu pur et dur. Il lui lançait ça comme si quitter ses racines, sa tribu, ses repères et ses proches n’était qu’une banalité. Lui et son esprit sauvage ne pouvaient que difficilement comprendre pourquoi une jeune fille comme Ayanna se priverait de tout Neverland par simple crainte de décevoir. Cependant, une toute petite partie de lui pouvait comprendre la peur de faire du mal à ceux qu’on aime. Bryn avait déjà ressenti cette impression de trahison lorsqu’un enfant perdu quittait l’Arbre pour s’en retourner à une vie et embrasser un avenir d’adulte. Cela le révoltait, le répugnait, le rendait triste et maussade. C’était peut-être ce mélange de sentiments désagréables qu’Ayanna refusait d’imposer à sa famille.
Elle ne se cachait pas d’y avoir pensé ! Fuir, s’en aller courir de par les immenses plaines verdoyantes et gambader dans les forêts luxuriantes de l’île. L’indienne, elle en avait rêvé. Mais ses désirs ne se concrétiseraient pas dans l’immédiat visiblement. Cela attristait Brynjár qui perdit le sourire un instant face à une demoiselle piégée tel un oisillon en cage. Mais il n’était pas dans la nature du gamin perdu de rester longtemps triste. Il récupéra son aplomb et rappela sans hésiter à Ayanna que ce camp qu’elle chérissait tant ne pourrait être son unique connaissance à tout jamais. Cela sembla la perturber un court moment. Quand il reprit la parole, l’encourageant à prendre son envol, l’indienne sortit enfin de sa coquille.
Cette soudaine envie de quitter sa zone de confort, de fuir vers l’inconnu, cela enchanta Brynjár. Il était content de la voir comme ça, curieuse, vivant à fond. Le jeune garçon acquiesça farouchement de la tête et ajouta à ce qu’elle venait de dire :
- Je pourrais t’emmener jouer avec les sirènes ! Tu verras, c’est très drôle !
Le garçon avait énormément d’affection pour les femmes et les hommes de la mer, à vrai dire, il les préférait aux terrestres. La plupart des gens sur l’île de Neverland étaient bien trop compliqués, bien trop adultes. Tandis que dans l’eau, ça grouillait de vie et d’ondes positives. De plus, Bryn avait été sauvé des mines par une sirène ! Autrement dit, il était inévitable qu’il ait pour cette espèce une affection toute particulière. Revenant sur ce qu’Ayanna avait dit, il tendit une main vers elle en souriant.
- Tu me suis ?
C’était le temps de l’exaltation, de l’aventure aveugle, de la folie passagère. Dès que les premières lueurs de l’aube surviendraient, Ayanna risquait de se questionner, de remettre en doute cette apparition nocturne qu’était Brynjár. S’ils partaient tout de suite, s’ils fuyaient loin du camp Unami pour quelques heures seulement, alors l’indienne et le gamin pourraient vivre, s’amuser librement. Sans penser aux conséquences.
Impatient, Brynjár fit un pas vers Ayanna et lui prit la main. Il n’y voyait aucune ambiguïté, enroulé dans sa candeur. Il ignorait, à vrai dire, que le simple fait que deux paumes se touchent puisse représenter quoi que ce soit de gênant pour quelqu’un. Lui, il trépignait simplement à l’idée d’initier Ayanna à la vie à l’extérieur des murs du camp Unami.
Je terminai mon petit discours, des étoiles plein les yeux. Juste le fait d’évoquer autant de possibilités d’aventures me donnait l’eau à la bouche. Je rêvais déjà d’arbres gigantesques au feuillage tellement épais qu’il cachait entièrement le soleil, de petits lapins rigolos qui bondissaient dans les buissons, de bêtes féroces au pelage soyeux, de poissons exotiques de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et d’une plage au sable si blanc qu’il nous éblouit lorsqu’on le regarde trop longtemps… Déjà excitée par toutes ces perspectives, j’observais Brynjàr avec un immense sourire. Je sentais l’adrénaline qui commençais à faire son effet face à l’inconnu et à la rébellion. Je la sentais bouillir dans mes veines, m’insufflant une énergie nouvelle, une détermination et une motivation sans borne. Mais malgré tout, je savais que ça ne durerait pas longtemps. Si je ne partais pas tout de suite, j’allais me dégonfler et retourner dormir, tout simplement. Je proposai donc à Brynjàr de partir à l’aventure tout de suite, sur un coup de tête. Partir pour l’inconnu sans même se retourner, sans même réfléchir à ce que nous faisions.
L’idée sembla nous plaire, puisque le garçon perdu hocha vivement de la tête avant de tout de suite me proposer une idée aussi folle que tentante. « Je pourrais t’emmener jouer avec les sirènes ! Tu verras, c’est très drôle ! » L’idée d’aller voir des sirènes me plut énormément. J’avais envie d’aller rencontrer les amies d’Eileena, de voir enfin cette immense étendue d’eau dont j’avais si souvent entendu parler qu’était la mer. J’avais envie de sentir le sable glisser sous mes pieds, de sentir la brise marine secouer mes cheveux et de plonger dans cette eau froide et salée, d’en tester le goût sur ma peau. Je voulais vivre une vraie aventure, le genre que les chasseurs racontent le soir dans les tavernes. Je voulais vivre une expérience nouvelle dont je me souviendrais toute ma vie. Encore plus que tout, j’avais envie de me sentir vivante, de quitter enfin le campement des Unamis. De faire quelque chose de fou et d’insensé, pour une fois!
Je décidai donc d’accepter l’offre de Bryn, mais je ne dis rien pour autant. Je n’avais même pas la force de parler! Tout ce que je pouvais faire, c’était sourire idiotement. Je n’avais qu’une envie, m’enfuir en courant et éclater de rire comme une folle sans jamais m’arrêter. Je rêvais d’aventure depuis mon enfance et, pour une fois, je sentais que je me rapprochais de ce rêve que je considérais auparavant comme version utopique et improbable de ma réalité. Je jetai donc un bref coup d’œil à la main que Brynjà me tendait. « Tu me suis? » Demanda-t-il, presque autant euphorique que moi. J’aurais voulu répondre, j’aurais voulu hocher la tête, prendre sa main et m’enfuir avec lui, mais j’étais pétrifiée sur place. Je sentais mon empressement, mon désir de liberté s’envoler, remplacé par la crainte de l’inconnue. Néanmoins, l’enfant perdu réussit à me rassurer d’un seul geste. Il s’empara de ma main et ce simple contact me rassura. Pour moi, il ne s’agissait pas d’un geste amoureux, mais plutôt d’un geste amical qui m’inspirait la confiance, comme lorsque mon frère posait la main sur mon épaule et me regardait droit dans les yeux pour me redonner confiance.
Je relevai donc le regard pour le planter dans celui du garçon. Je sentais déjà l’euphorie qui m’avait habité quelques secondes plus tôt revenir en force. Le désir d’aventure pulsait dans mes veines et je n’avais qu’une envie, m’enfuir en courant. Je lâchai donc la main de mon nouvel ami avant de lui adresser un sourire espiègle, puis je débutai une course folle contre le vent, en direction des limites de mon jardin privé. Une fois face à la clôture, je l’escaladai maladroitement. Une fois arrivée en équilibre précaire au sommet, je me retournai vers Bryn. « Alors, tu viens? » Demandai-je en lui jetant un regard moqueur avant de me laisser retomber de l’autre côté, atterrissant ainsi à l’orée de la forêt. Je me concentrai alors sur le ciel, observant les milliers d’étoiles qui brillaient dans la nuit. Perdue dans ma contemplation, je n’entendis pas l’enfant perdu escalader la clôture. Je ne réalisai qu’il m’avait bel et bien suivit qu’une fois qu’il fut à mes côtés. Je me retournai alors vers lui, un sourire toujours collé aux lèvres pour demander :« Par où est-ce qu’on va? »
I, I'll get by I, I'll survive When the world's crashin' down When I fall and hit the ground I'll just turn myself around Don't you try to stop me! I, I won't cry
Une lueur nouvelle brillait dans ses yeux. Ayanna, elle redécouvrait la vie. Brynjár adorait voir cette euphorie dans le regard de quelqu’un ! C’était un peu comme assister à une danse autour du feu chez les indiens. Durant une seconde cependant, le gamin la sentit fébrile. Sans doute toutes ces informations nouvelles devaient la perturber. Il lui prit la main, fixant ses iris dans l’obscurité. L’indienne retrouva peu à peu son courage, s’anima telle une braise devenant flamme. Leurs paumes se séparèrent et la jeune fille se mit à courir. Une seconde, Bryn ne vit que de longues mèches brunes voler au vent et s’échapper vers le lointain. La seconde suivante, Ayanna escaladait tant bien que mal la clôture du jardin et atterrissait de l’autre côté. De quelques mots, elle l’encouragea à la suivre.
Il n’en fallut pas plus pour que Brynjár ne s’élance à sa poursuite en ricanant. Il étouffait son amusement sous ses mains car rire trop fort aurait pu réveiller les Unami au sommeil le plus léger. Ils arrivèrent donc à l’orée de la forêt. Il leur fallait encore persévérer un petit peu pour dépasser les protections des indiens. Ayanna s’impatienta et demanda à son nouvel ami par où ils devaient aller. L’enfant perdu pouffa de rire et lui indiqua une direction du doigt tout en déclarant, fier de lui :
- C’est par là !
Pour atteindre la petite crique dont Brynjár avait le secret, en bon cartographe qu’il était, ils devaient contourner les derniers tipis Unami. Sur la pointe des pieds, l’enfant fit signe à la jeune fille de le suivre. Ils marchèrent à pas de loup, le garçon étouffant son amusement en se mordant les joues. C’était tellement drôle de jouer à l’ombre humaine parmi le camp Unami. D’autant plus que les enjeux étaient élevés ! Si les indiens sortaient et le découvrait avec l’une des leurs, ils se mettraient en colère et chasseraient Brynjár à coups de calumets de la paix.
Heureusement, ils ne se firent pas surprendre et bientôt, eurent dépassé les frontières Unami. Bryn se retourna vers Ayanna. Ils étaient à présents dans une partie du bois des esprits. Les peaux-rouges avaient un énorme respect pour ces lieux où reposaient leurs ancêtres. Le gamin connaissait une petite crique, non loin de là, où une ou deux sirènes venaient parfois se relaxer. Elles aussi, avaient besoin de paix et de solitude parfois. Brynjár descendit entre deux gros rochers et tendit la main à Ayanna pour l’aider à faire de même. Il capta son regard et sentit qu’elle avait besoin d’être rassurée.
- Ne t’en fais pas, on va bien rigoler ! Les sirènes aiment bien les enfants.
Ils descendirent encore sur deux ou trois gros rochers avant d’arriver face à un creux à peine assez grand pour laisser leur frêle corps de jeunes gens passer. Bryn se tourna alors vers Ayanna, l’indienne devrait lui faire confiance sur ce coup-là.
- Pour arriver dans la crique, il faut se laisser glisser par cette brèche. Tu ne risques rien, je l’ai déjà fait des dizaines de fois !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Brynjár se baissa et se laissa lentement glisser le long des parois rocheuses lisses. Il explosa de rire car cette descente lui fit l’effet d’une glissade en toboggan. Arrivant dans la crique, il se retourna et mit les mains en porte-voix de chaque côté de sa bouche pour se faire entendre d’Ayanna.
- Tu peux descendre !
Bryn se retourna et observa la crique. On aurait dit un abri entièrement rocheux avec une seule sortie, un tunnel. En face de lui, une étroite étendue d’eau formant un cercle. Pour le moment, aucune sirène ne faisait acte de présence mais Brynjár savait qu’à tout moment, l’une d’elles pouvait débarquer et jouer avec eux. Et puis en attendant, ils pouvaient toujours se baigner !