La belle ironie. Ces hématomes qui parsemaient son corps, ces quelques filaments de sang qui s'écoulaient de sa bouche, ces cordes entourées à ses poignets. Tout était de sa faute. Jud en avait fait le choix. Le jour où il avait accepté de devenir la marionnette de ses sentiments, il avait bafoué sa nature de pirate. Aujourd'hui, il ne pouvait en vouloir qu'à lui-même. C'était sans doute pour cette raison que, malgré sa situation des plus périlleuses, Jud souriait. Il se riait de sa propre bêtise, de son propre manque de discernement. L'effet boomerang que tous redoute tant, le voilà, flamboyant et étincelant.
Des arômes flottaient dans l'air, des voix lui parvenaient de l'autre côté de la toile. Les indiens vaquaient à leurs occupations. Savaient-ils seulement que l'ennemi était parmi les leurs ? Sans doute. Mais pieds et poings liés, le pirate avait plutôt des airs de déchet inoffensif plutôt que de meurtrier en puissance. Jud n'avait jamais été aussi près d'eux, de ces gens qu'il considérait comme ses adversaires, ses ennemis mortels. Parfois, le vent soufflait sur le tipi et faisait s'en envoler un pan. Alors, Jud pouvait entrapercevoir leur univers fait de couleurs, de rire et de liberté.
Ils étaient heureux, pour la plupart. Leur existence était simple et dénuée d'une quête de luxe ou de puissance. Chacun était soumis au chef de la tribu mais personne ne semblait s'en insurger, la mutinerie ne faisait pas partie de leurs préceptes. Jud peinait à les comprendre. Eux et leur sourire sincère, eux et leurs familles heureuses. Ils vivaient dans un monde différent du sien, à l'opposé du sien. Les heures s'écoulèrent sans que personne ne vienne le voir, sans que quiconque ne s'approche du tipi. On le laisserait pourrir telle une vieille carcasse abandonnée aux charognards. En attendant, il restait témoin auditif d'une tribu joyeuse, pleine de vie alors que lui, se sentait si abattu.
Quelqu'un entra. Nashoba. Il le fixa longuement. C'était cet indien qui avait coincé Jud avec quelques amis et qui l'avaient traîné jusqu'ici. C'était lui aussi que le pirate avait épargné quelques semaines plus tôt, dans le but d'éviter à Cha'kwaina de subir une perte chère à son coeur. Désormais, les deux hommes se fixaient intensément. Jud finit par ricaner, ce qui surprit son adversaire qui s'attendait sans doute plutôt à une pathétique tentative de déclencher sa pitié. C'était bien mal connaître le forban.
- Je croyais que vous les indiens, vous aviez de l'honneur contrairement aux pirates. Détache-moi et affronte-moi en face-à-face, on verra qui s'en sortira.
Le Piccaninny ne lui répondit rien, se contenta de le fixer longuement. Jud savait que ses paroles étaient vaines et inutiles, les indiens allaient lui réserver un petit traitement de faveur ! Après tout, il était un pirate. Et déjà, uniquement pour ça, ils prévoyaient sûrement de l'écorcher vif. Mais en plus de ça, bien qu'il ait épargné Nashoba, il avait tué de nombreux des leurs au cours de son existence. Le coq étant un pirate impulsif, sanguinaire et incontrôlable, ses paumes resteraient souillées de pourpre jusqu'à la fin de sa vie. Nashoba le mira encore quelques longs moments puis secoua la tête, recula de plusieurs pas et sortit du tipi.
Encore une fois, Jud se retrouva seul. Seul avec un lourd silence et l'impression que cette soirée était sa dernière. Demain au petit matin, les indiens feraient une fête et ferait de lui de la charpie. Le pirate baissa la tête. Si tel était son destin, les choses étaient bien étranges. Finir de cette façon alors même qu'il commençait à ressentir de l'affection pour quelqu'un ! Et une indienne qui plus est ! Sans parler du fait qu'il était resté sans nouvelles de sa famille durant si longtemps et que brusquement, sa jeune soeur était de retour dans son existence. Jud peinait à croire que son heure était venue. Pas alors qu'un fil rouge semblait enfin lui indiquer quelle chemin suivre.
- Et merde ...
Le pan de tissu venait de se soulever mais ce n'était plus Nashoba. C'était une indienne, la plus belle des indiennes, la seule indienne qui puisse compter sur Neverland. Jud détourna le regard. Incapable de supporter ses yeux, son visage triste. Leurs adieux avaient finalement été de bien courte durée. Le forban se redressa comme il put et tâcha de rassembler sa fierté brisée malgré les écorchures sur son visage et les coupures sur ses bras et son torse.
- Sors d'ici, Cha.
Son ton se voulait autoritaire mais l'était bien moins qu'il ne l'aurait désirait. Jud ne voulait pas la mettre dans cette situation. Elle allait forcément culpabiliser, il ne le voulait pas. Pas alors qu'elle lui avait appris à être quelqu'un de meilleur. Jud pivota alors lentement le visage et chercha le regard de Cha'kwaina.
- Je sais que, là tout de suite, ça a l'air mal parti. Mais je vais m'en sortir. Sauf que toi, tu ne dois pas t'en mêler. C'est compris ?
Évidemment, ça aurait pu être bien idiot de dire la vérité à l'indienne, bien idiot de lui révéler l'identité du pirate captif au sein de la tribu. Après la scène qui s'était déroulée l'autre jour, les paroles et se baiser volé, elle avait eu bien du mal à trouver une explication valable, Cha'kwaina. Certes, elle aurait pu dire que ce baiser il le lui avait arraché et qu'elle n'avait rien pu pour l'arrêter, mais ça aurait été de prendre les siens pour des imbéciles. Ils l'ont vu de leurs propres yeux, elle ne l'a pas repoussé, la brune et ça, ça ne peut mentir. Tout ce qu'elle a pu faire, la guérisseuse, c'est de leur faire comprendre qu'elle ne le reverrait plus jamais. Parce que après tout, il lui a fait ses adieux, le pirate. Malgré les mots, les explications, certaines personnes ne sont pas dupes. Kimi, elle ne l'est pas, elles ont toujours su se comprendre et se compléter, les cousines. Elle n'a pas eu besoin de mot pour constater que sa cousine avait un lien inexplicable avec le pirate aux yeux clairs. Et c'est également la raison pour laquelle Kimi n'a nullement eu besoin d'ouvrir la bouche pour que sa cousine comprenne l'identité du prisonnier. À ses yeux et l'air sur son visage, elle a aussitôt su, Cha'kwaina. Elle a beau avoir tentée de lui dissimuler la vérité, Kimi, elle n'aurait jamais pu la croire, la brune. Bien sûr, elle a fait comme si tel était le cas, comme si elle l'avait cru sur parole, mais elle a sans doute vu la faille, la cousine. Mais si elle l'a vu, si comme à chaque fois elle a su lire son esprit, elle n'en a rien dit. Qu'importe... elle n'a pas posée davantage de questions, Cha'kwaina, tout ce dont elle avait besoin, c'est de voir Jud de ses propres yeux.
Évidement, Nashoba ne la laisserait pas entrer, s'il la voyait tourner autour du tipi et les autres indiens non plus. C'est donc dans la discrétion la plus totale qu'elle réussie à y entrer, sans se faire repérer, Cha'kwaina. Ça lui prend quelques secondes seulement, pour repérer l'homme qu'elle cherche. À la vision de ce visage et ce corps ensanglantés, de ces mains et ces pieds liés, elle peut sentir son coeur se serrer, l'indienne, ses entrailles se nouer douloureusement. « Et merde... » Malgré la tristesse qu'elle ressent, la douleur, elle cherche son regard, mais lui se défile, il détourne les yeux. Il souffre, mais se redresse comme il le peut, tentant de se montrer fier, alors qu'il est prisonnier de son peuple à elle, alors que les siens lui ont infligés multiples coups et blessures. « Sors d'ici, Cha. » Comme si elle allait partir et l'abandonner à son triste sort, l'indienne. Comme si elle pouvait lui tourner le dos et oublier ses souffrances. Bien sûr qu'elle ne peut pas, Cha'kwaina ! Elle connait parfaitement les siens et elle sait qu'ils ne le laisseront jamais repartir. Jud, il a tué bon nombre d'indiens et il aurait tué Nashoba et les autres, sans l'intervention de la brune, mais... à ses yeux à elle, il ne mérite pas les souffrances qu'ils lui réserve, ni la mort. Tout le monde à droit à la rédemption, non ? Du moins, selon sa vision à elle, selon ses valeurs. Alors pourquoi Jud et surtout lui ferait exception à la règle ? Elle sait qu'il n'est pas foncièrement mauvais, elle sait qu'il cherche à la protéger, ce qui veut donc dire qu'il est capable de faire le bien. Il n'est pas comme ces pirates dépourvus d'humanité, elle le sait, l'indienne.
Elle reste figée, l'espace de quelques secondes, Cha'kwaina. C'est à une image terrible qu'elle fait face. Elle en est décontenancée, la brune, mais fini tout de même par faire un pas dans sa direction. Il tourne enfin son visage vers elle, cherchant à accrocher son regard. « Je sais que, là tout de suite, ça a l'air mal parti. Mais je vais m'en sortir. Sauf que toi, tu ne dois pas t'en mêler. C'est compris ? » Comment pourrait-elle faire ça ? Qui serait-elle pour l'abandonner ? S'il croit que le message a passé, il se fourvoie, le pirate. Il est pris au piège, le brun, il est en territoire ennemi, alors comment pourrait-il s'en sortir seul ? Il sait se défendre, certes, mais il ne fera pas le poids face à tous les indiens et dans cette condition en plus. Il est hors de question qu'elle l'abandonne, peu importe les répercussions. Cha'kwaina, elle secoue légèrement la tête, tout en s'avançant doucement vers lui. « Ça n'a pas juste l'air mal parti, Jud. Même dans le cas où tu arriverais à te libérer comme par magie, tu ne traverseras jamais le camp, sans aide. » Elle vient se poser devant lui, l'indienne, se mettant à sa hauteur, afin de capter son regard et tout son attention. Elle vient prendre son visage en coupe entre ses mains avec délicatesse, prenant grand soin de ne pas lui faire mal. « Il est hors de question que je t'abandonne. Tu m'entends ? Je ne te laisserai pas tomber. » Le regard de la jeune femme est sérieux. Même si elle le voudrait, elle ne pourrait pas partir. Elle n'abandonne tout simplement pas les gens qu'elle estime et Jud, il en fait partie. Il ne veut pas qu'elle s'en mêle, car il ne veut pas que ça lui retombe dessus, mais Cha'kwaina, elle est prête à prendre ce risque.
Doucement, elle retire ses mains, l'indienne, son regard ne se séparant cependant pas du sien. « Pour le moment, le campement grouille d'indiens... mais à la nuit tombée, lorsque le calme reviendra, je serai là... et je te sortirai d'ici. » Elle étire un faible sourire qui se veut rassurant, Cha'kwaina. Elle aimerait le faire sortir le plus rapidement possible, mais elle sait que ça serait de la folie. Ils seraient rapidement repérés et elle n'aurait plus aucune chance de lui venir en aide, la brune. Elle doit attendre la nuit, ce moment où le calme régnera en maître sur le campement et que les gens seront endormis. Il le faut, même si l'idée ne l'enchante pas. Il le faut, pour lui. Le libérer est la seule option, parce que Cha'kwaina, même si elle sait être très persuasive, elle ne réussira jamais à faire céder Nashoba et les autres. Jamais ils n'accepteront de le libérer, même si elle les supplie... Cet attachement éphémère entre lui et elle s'est transformé en quelque chose de plus puissant et l'indienne, elle en perd entièrement le contrôle.
De tous les indiens, il avait fallu que ça soit elle précisément qui passe le pan de tissu du tipi. Jud n'avait aucune envie qu'elle le voit comme ça. Qu'elle ait pitié du pauvre bougre prit dans les filets de son peuple. Pire encore, qu'elle ressente de la culpabilité à l'idée que comme il le lui avait dit, elle l'ait rendu plus faible. Le pirate aurait voulu qu'elle tourne simplement les talons et qu'elle le laisse se débrouiller seul. C'était sans compter sur cette lueur paniquée dans le regard de Cha'kwaina. La demoiselle semblait réfléchir à toute allure et vu sa remarque, c'était bel et bien le cas.
L'indienne marqua un point cependant, même s'il parvenait à se détacher, traverser tout le village Piccaninny sans se faire repérer, serait la tâche la plus ardue qui soit. Non, il lui fallait un meilleur plan. Le pirate tenta d'y songer mais la présence de Cha le déconcentrait. N'importe qui pouvait entrer à tout moment et la trouver, elle précisément, en ces lieux. Serait-elle réprimandée par son peuple ? La belle s'approcha alors et posa délicatement ses paumes sur le visage de Jud. L'homme ne bougea pas, la laissant faire malgré l'appréhension de la suite. Cha lui promit de ne pas l'abandonner, il ferma les paupières longuement et retint un soupire. Comment allait-il lui faire comprendre que c'était précisément ce qu'il désirait ? Qu'elle l'abandonne !
Jud l'écouta sans l'interrompre, surpris de l'entendre lui proposer de patienter jusqu'à la nuit tombée pour s'enfuir. C'était une meilleure option que de fuir dans l'immédiat, Cha avait raison sur ce point. Mais même dans l'obscurité, ils risquaient de se faire rattraper et le pirate refusait de l'embarquer dans ses problèmes. Il tenta alors de capter son attention.
- Cha. Regarde-moi.
Il plongea les yeux dans ceux de l'indienne, tentant d'en appeler à sa raison et pas à sa générosité débordante.
- Si tu m'aides à m'enfuir, tu trahis ton peuple. Ce ne sera pas sans conséquences et ils penseront tout de suite à toi vu ce qu'il s'est passé la dernière fois ... Je m'en tirerai seul, ne t'en fais pas. Ne t'en mêle pas.
Jud l'avait embrassée sous les yeux de ses compagnons de tribu. Elle serait la première à qui on penserait si on devait désigner un coupable pour cette trahison. Le pirate avait pris le parti de lui voler ce baiser, la dernière fois, en sachant que tous les autres le verraient. Désormais, c'était à lui d'en assumer les conséquences. Se défaire de ses liens ne serait pas simple mais l'homme avait un petit atout dans sa manche ! Ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait dans ce genre de cas. En tant que pirate, Jud avait essuyé quelques abordages et il lui était arrivé de se faire capturer. Ligotés et torturés, il en avait vu d'autres que les noeuds des indiens.
- Si tu veux vraiment m'aider, sors d'ici. Assure-toi qu'on te voit en compagnie d'autres indiens et donc quand je m'enfuirai, tu pourras m'aider sans qu'on te soupçonne.
Il fallait la jouer fine car les peaux rouges seraient furieux s'ils comprenaient que Jud avait été libéré par l'une des leurs. L'homme implora du regard Cha'kwaina. C'était le mieux qu'ils puissent faire dans l'immédiat. Elle devait se créer un alibi, s'innocenter au maximum si elle voulait pouvoir l'aider plus tard lorsque le moment serait venu.
- Où se trouve ton tipi ? Si tu joues bien le jeu, je pourrais peut-être m'y réfugier quelques instants, le temps que les recherches se calment et sans qu'ils ne viennent inspecter chez toi.
Jud acquiesça d'un hochement de tête. Un semblant de plan se dessinait dans sa tête. Malgré ses blessures, il se sentait physiquement capable de se relever et de fuir. Depuis tout petit, il ramassait des raclées à longueur de journée et la souffrance n'avait plus le même goût désormais. Recevoir des coups restait désagréable mais tout était relatif selon lui ! Jud avait appris à serrer les dents et à encaisser, à ne plus se focaliser sur les saignements, les picotements ou les brûlures. Tout ça lui passait au-dessus de la tête. Tant qu'on ne lui aurait pas brisé les os, le pirate trouverait toujours de la ressource pour se remettre sur pieds.
- Allez file maintenant.
Il lui adressa un petit sourire. Au final, Cha était tout de même venu le voir. Elle s'était sincèrement inquiétée pour lui et il avait vu à son regard terrifié, qu'en quelques sortes, il commençait à compter pour elle. Jud s'était interdit ce genre de pensées depuis bien longtemps mais l'indienne remettait tous ses principes en question. Elle lui donnait envie de goûter à nouveau aux sentiments humains et à tenter le coup.
« Cha. Regarde-moi. » Elle obéit, la brune. Son regard s'accroche à celui du pirate et elle ne s'en détache pas. Elle garde le silence, tout en l'écoutant parler. « Si tu m'aides à m'enfuir, tu trahis ton peuple. Ce ne sera pas sans conséquences et ils penseront tout de suite à toi vu ce qu'il s'est passé la dernière fois... Je m'en tirerai seul, ne t'en fais pas. Ne t'en mêle pas. » Cha'kwaina, elle aime les siens et jamais elle n'a eu l'intention de les trahir, mais elle sait aussi bien que lui qu'ils verraient cette libération comme une trahison. Elle le sait déjà et même s'il le lui répète, elle n'est pas prête à l'abandonner, peu importe ce qui lui en coûtera. Évidement qu'elle sera la première à qui ils penseront, lorsqu'ils remarqueront la disparation de Jud, mais ça aussi, elle le sait. Malgré sa précipitation, elle a pensée, l'indienne, mais elle serait tout simplement incapable de laisser le pirate à ses souffrances et à une mort certaine. Ça peut paraître fou, mais même si elle ne connait pas encore très bien cet homme, c'est un lien puissant qui s'est formé entre eux. C'est ce même lien qui l'empêche de partir et de l'abandonner, ce même lien que sa tribu ne pourrait comprendre.
« Si tu veux vraiment m'aider, sors d'ici. Aussure-toi qu'on te voit en compagnie d'autres indiens et donc quand je m'enfuierai, tu pourras m'aider sans qu'on te soupçonne. » Ce plan est sans doute le meilleur, vu les conditions, même si elle préférerait le libérer à l'instant. C'est sans doute le mieux pour elle... et puis d'une façon ou d'une autre, ils devront attendre la nuit tombée. Elle acquiesce d'un léger mouvement de tête, afin de lui faire comprendre qu'elle est d'accord avec ce plan. « Où se trouve ton tipi ? Si tu joues bien le jeu, je pourrais peut-être m'y réfugier quelques instants, le temps que les recherches se calment et sans qu'ils ne viennent inspecter chez toi. » Cha'kwaina, elle lui décrit l'emplacement de son tipi avec précision. Heureusement, Lonan avait décidé de construire un tipi un peu en retrait des autres, il serait plus facile à différencier et la présence du pirate passerait plus inaperçue.
Jud, il acquiesce d'un mouvement de tête, signe qu'il arrive à se figurer l'emplacement de sa demeure ou qu'il devrait trouver. « Allez file maintenant. » Puis il étire un léger sourire auquel elle répond, avant de disparaître derrière lui. Avant de partir, elle veut d'abord desserrer les cordes qui lient ses poings, ainsi il aura plus de chance de se libérer et personne ne remarquera qu'elle l'a aidé dans cette tâche. « Ça te facilitera la tâche. » Ce n'est pas qu'elle doute de sa capacité à s'évader, mais elle veut être sûr et certaine qu'il parviendra à se libérer. Parce que s'ils ratent leur coup ce soir, ça risque de mal se terminer et ça, ce n'est pas une option, à ses yeux. Il doit se libérer et venir jusqu'à son tipi sans encombre, c'est la seule solution. Une fois les liens desserrer, elle se relève et vient à nouveau se poser devant lui, l'indienne. Elle lui accorde un nouveau sourire qui se veut rassurant et vient effleurer sa joue avec douceur. « Tu n'auras qu'à entrer... ensuite, on trouvera un moyen de te sortir de là... » Lui accordant un dernier regard, elle s'éclipse hors du tipi, faisant bien attention de ne pas se faire repérer. Maintenant, elle doit s'innocenter, tel que Jud lui a dit. Cha'kwaina, elle doit s'entourer d'autres indiens, afin qu'on ne la relie pas à son évasion. C'est hors de question qu'elle s'approche de Kimi, elle pourrait facilement lire en elle et deviner ce qui se trame. Mais Chenoa, Mansi et les autres, ils ne risquent pas de comprendre. C'est la raison pour laquelle c'est d'eux qu'elle s'entoure, la brune. Ensuite, elle pourra aller retrouver le pirate et tenter de le sortir du campement, ce qui ne sera pas chose facile. Mais pour l'instant, tout ce qu'elle doit faire, Cha'kwaina, c'est sembler la plus naturelle possible, afin qu'on ne pense pas qu'elle ait un quelconque rapport dans l'évasion du pirate. L'indienne, elle peut y arriver sans trop de problème.
Son entêtement à vouloir l'aider était-il dû à sa culpabilité ? Jud ignorait pourquoi Cha'kwaina prenait la peine de se mettre dans une situation délicate. Elle ne lui devait rien, rien ne la forçait à mettre son statut au sein de sa tribu en péril pour lui. Le pirate était loin d'être naïf au point de croire que la belle faisait ça par attachement envers lui. Tout au plus, Cha devait se sentir coupable. Jud refusait de croire autre chose. Cependant, il aurait tout fait pour qu'elle quitte ce tipi et qu'elle aille se mettre en sécurité. D'ailleurs, une ébauche de plan lui vint à l'esprit tandis qu'ils discutaient et l'homme l'expliqua brièvement à l'indienne. Heureusement, le visage de Cha trahit le fait qu'elle considérait ses propos. Peut-être allait-elle l'écouter et choisir la voie de la raison ?
Après quelques instants, la brune se leva et disparut dans son dos. Elle ne le libéra pas complètement mais desserra ses liens en lui glissant que ça lui faciliterait la tâche. Jud esquissa un sourire victorieux, Cha n'imaginait même pas à quel point ! En effet, le pirate savait se défaire d'entraves serrées mais cela coûtait de lourdes souffrances physiques. Avec l'aide de la demoiselle, se libérer serait bien plus aisé. Cha'kwaina lui expliqua alors où se situait son tipi. Par chance, il était légèrement en retrait par rapport aux tipis les plus proches. Cela leur permettrait sans doute de parler sans être entendus. Jud acquiesça à nouveau et observa la belle disparaître derrière les pans de tissu.
Tandis que la belle Piccaninny allait exécuter leur plan, Jud n'échappa à ce qu'il craignait. Deux indiens lui rendirent visite. Jamais il ne les avait vu de sa vie mais rien qu'à leur regard haineux, il réalisa qu'il allait passer un sale quart d'heure. Alors que leurs poings s'abattaient sur son visage et dans ses côtes, les indiens injuriaient les pirates et leurs manoeuvres malhonnêtes. Au milieu du tumulte, Jud crut comprendre qu'ils avaient perdus des êtres chers aux mains de loups de mer. Bien sa veine ! Quand ils en eurent terminé, la nuit s'apprêtait à tomber. L'oeil droit du pirate avait triplé de volume, le contour de sa paupière était gonflé et mauve tandis que toute son arcade sourcilière était ouverte et laissait couler des filets pourpres. Chacune de ses respirations lui était douloureuse, Jud ne parvenait à voir son torse mais il y devinait de sales hématomes jaunâtres et à l'intérieur, des côtes fêlées voire brisées. Paradoxalement, un sourire illuminait le visage du pirate lorsqu'il se retrouva enfin seul. Ils s'étaient acharnés sur le haut de son corps et lui avait refait le portrait mais ils n'avaient pratiquement pas touchés ses jambes. Courir lui restait totalement possible.
Durant les quelques minutes qui suivirent, Jud reprit ses esprits. Il lui fallait encore attendre un tout petit peu pour s'assurer que la tribu serait couchée. Déjà, il commença à mouliner des poignets. Peu à peu, les liens se desserrèrent encore davantage. Brutalement, le prisonnier donna des impulsions dans ses entraves. Au bout de trois violents coups de poignet, les cordes étaient relâchées et il put se défaire de ses liens. Jud se redressa péniblement et s'approcha d'un pan du tipi qu'il captura dans la main. Il se frotta le visage sur le tissu, laissant de larges traces rougeâtres sur les peaux de bête dont était fait le tipi. Ensuite, il partit dans la direction opposée. Peut-être que cette ruse lui ferait gagner quelques minutes de répit.
Jud se faufila en silence hors du tipi. Il s'accroupit et rampa presque au milieu des tipis Piccaninny. Parfois, il entendait des voix s'élever aux alentours et s'immobilisait tel foudroyé sur place. Heureusement, personne ne le repéra. Tapi dans l'ombre, le pirate persévéra. Ses genoux frottaient la terre, une odeur de sang et de sueur lui collait à la peau. Rares avaient été les fois où Jud s'était senti aussi menacé. Un seul cri, un seul regard et tout serait fini. Heureusement, le tipi désigné par Cha'kwaina lui apparut alors et l'homme s'y glissa en silence.
Elle n'était pas encore rentrée, il n'y avait ni lumière ni once de vie à l'intérieur. Jud ne se gêna pas pour se laisser tomber sur le lit de la demoiselle. Il ferma les paupières et tenta de respirer tant bien que mal quelques goulées d'air. Dès que son pouls se fut calmé, l'homme se redressa et partit à la recherche d'une bassine d'eau pour pouvoir se décrasser et avoir l'air un minimum présentable ou tout du moins, tolérable. Le pirate trouva de l'eau et s'en aspergea allègrement le visage. Un bruit de tissu se fit entendre dans son dos et il vit la silhouette de Cha apparaître.
- Je suis content de te voir.
Il chassa les quelques gouttelettes rosées qui perlaient sur son visage et s'avança vers l'indienne. Jud avait presque envie de la serrer dans ses bras mais vu son état, il risquait non seulement de la souiller de son sang mais aussi de l'écoeurer. Le pirate préféra donc la remercier d'un mouvement de tête respectueux.
- Merci pour ton aide, tu n'y étais pas obligée.
Jud fit quelques pas dans la pièce puis tourna à nouveau la tête vers Cha'kwaina.
- Je ne resterai pas longtemps. Quelques minutes et je file. Ils vont très vite s'apercevoir que je ne suis plus à ma place.
Le temps s'écoule, les minutes s'espacent et ça, à une vitesse d'une lenteur extrême. Elle est là, Cha'kwaina, entourée de quelques amis et elle essaie d'être la plus naturelle que ses capacités lui permette. Son coeur n'est pas à la fête, son esprit est occupé ailleurs. Elle s'inquiète du sort du pirate, la brune, elle a peur que leur plan échoue, mais elle se montre positive, l'indienne. Elle s'empêche de penser au pire, elle se dit que d'ici quelques heures, il sera tiré d'affaire, le loup de mer. Malgré ces pensées, l'inquiétude subsiste dans son esprit. Et si les hommes de sa tribu décidaient de s'en prendre à nouveau à lui ? Et s'ils décidaient de franchir la limite ? Non. Elle ne doit pas y songer, Cha'kwaina, elle ne le peut pas. Elle ne le veut pas. Elle tente de faire le vide et elle fini par y parvenir, la brune. On ne lui pose pas de question, on ne lui demande pas si quelque chose cloche. C'est bon signe, très bon signe. Les hommes et les femmes qui l'entoure ne se doute pas de la tempête qui fait rage dans son esprit. Personne ne remarque l'inquiétude qui la ronge et c'est exactement ce qu'il faut. Si la moindre personne avait des doutes, leur plan tomberait à l'eau et c'est le pirate qui payerait de sa vie. Elle ne se pardonnerait jamais d'être partie, Cha'kwaina, elle ne le pourrait tout simplement pas.
Enfin, le moment semble opportun pour revenir vers le tipi sous lequel elle habitait avec son mari, autrefois. La lune et les étoiles règnent en maître dans le ciel et les indiens disparaissent un à un vers leur demeure. Cha'kwaina, elle attend le moment parfait pour se relever et s'assurer qu'on la voit se diriger vers son tipi. Elle ne veut prendre aucun risque, l'indienne, elle veut qu'on croit en son histoire. Et si les siens viennent à douter d'elle, elle fera face à la musique, la guérisseuse. Elle assumera ses actes comme elle l'a toujours fait. D'un pas nonchalant, elle marche en direction du tipi. Son coeur vient frapper à toute vitesse contre sa poitrine, pourtant elle ne presse pas ses pas. Elle ne veut pas paraître pressée ou soucieuse, Cha'kwaina, elle veut paraître aussi insouciante qu'elle l'est à l'habitude. Malgré les apparences, elle est anxieuse, la brune, elle espère bel et bien retrouver Jud chez elle.
Elle prend une profonde inspiration, avant de soulever un pan du tipi et de se glisser à l'intérieur. C'est une immense vague de soulagement qu'elle ressent, Cha'kwaina, à l'instant où ses yeux se pose sur la silhouette du pirate. « Je suis content de te voir. » Elle aussi est l'est, l'indienne, mais elle se désole de voir dans quel état il se trouve, Jud. Son visage était déjà dans un piteux état, il y a quelques heures de ça et maintenant, c'est bien pire. C'est un pincement au coeur qu'elle ressent, tout en remarquant le résultat des coups que les siens lui ont infligés. Cha'kwaina, elle fait un pas ou deux dans sa direction. « Et moi soulagée de voir que tu es toujours de ce monde. » Elle étire un semblant de sourire, la brune. Elle déteste voir les gens souffrir et elle sait très bien qu'il a mal, le pirate. « Merci pour ton aide, tu n'y étais pas obligée. » Elle n'y était pas obligée, l'indienne, mais jamais elle n'aurait pu l'abandonner. Pas seulement pour sa conscience, mais également parce que cet homme, elle tient à lui un peu plus à chaque fois où son regard croise le sien. Elle n'abandonne pas les gens qu'elle apprécie, Cha'kwaina, c'est sa nature. Le brun fait quelques pas dans la pièce et elle l'observe, sans le quitter de ses iris sombres.
« Je n'aurais pas pu me résoudre à t'abandonner. » On abandonne pas les gens auxquels on tient, sinon à quoi rimerait la vie ? Cet homme, elle ne le connait pas beaucoup, mais assez pour ne pas l'oublier, assez pour vouloir son bien, assez pour tenir à lui. Beaucoup ne comprendraient pas cet attachement, pourtant il y a bien une chimie entre eux. « Je ne resterai pas longtemps. Quelques minutes et je file. Ils vont très vite s'apercevoir que je ne suis plus à ma place. » La brune, elle s'approche à nouveau de lui et vient saisir doucement sa main, l'incitant à la suivre jusqu'au lit où elle l'invite à s'asseoir. « En temps venu, je te guiderai vers la sortie la plus sure. Mais pour l'instant, prend le temps de souffler un peu et laisse-moi m'occuper de ça. » Sur ses derniers mots, ses doigts viennent effleurer avec douceur son arcade sourcilière, prenant bien soin de ne pas toucher la plaie, d'où le sang continue de s'écouler. Il aura besoin de quelques points, le pirate et heureusement, elle est en mesure de l'aider, l'indienne. Sans attendre la moindre réponse de sa part, elle disparaît, la brune, avant de réapparaître quelques instants plus tard, une besace entre les mains et un petit récipient d'eau et un linge dans l'autre. Elle vient se poser à ses côtés, Cha'kwaina et son regard s'accroche au sien. « Tu n'as pas peur des aiguilles, au moins ? » Elle esquisse un sourire, avant de venir nettoyer sa blessure à l'aide du linge et de l'eau claire. Elle connait des hommes encore plus imposants que lui qui craignent qu'une petite aiguille ne vienne transpercer leur chair, alors elle préfère demander, la brune.
Tout son corps brûle, tire, lance. Les filets pourpres coulent de son arcade à sa paupière, forçant celle-ci à chuter sous le poids. Du bout des doigts, il essuie le liquide chaud qui s'entêterait à couler encore quelques instants plus tard. Ses muscles sont fatigués, son corps voudrait s'allonger et se reposer mais il a encore du chemin avant d'être en sécurité. Ici, il est en territoire ennemi. L'adversaire mortel, il se trouve partout autour de lui. Dans chacun des tipis qui l'entourent mais en même temps, Jud sait que sa seule opportunité de survie se trouve elle aussi à proximité. De longs cheveux noirs, une peau magnifiquement halée et une tendance à l'envoûtement. Voilà comment il aurait pu décrire cette fameuse ultime chance de s'en sortir. Cha'kwaina. L'indienne. La seule, l'unique. Jud, il n'en connait aucune autre et à vrai dire, il ne voudrait en connaître aucune. Elle est la seule qui compte.
Un bout de tissu se souleva et entra alors la demoiselle. En la voyant, un infime rictus se dessina sur les lèvres fendues de Jud. Elle avait donc suivi le plan. Cha semblait douter de la résistance du pirate, elle sous-estimait grandement sa capacité à encaisser les coups. Jud en avait reçu des poings, des pieds, des coudes et des fronts dans la tronche. C'était même presque monnaie courante depuis sa plus tendre enfance ! Son père avait pris les devants et lui avaient succédés les autres pirates. Que les indiens s'y mettent aussi n'était finalement qu'une suite logique. Cependant, le souci était bien réel chez la jeune femme. Elle n'aurait pas pu l'abandonner. L'homme se massa maladroitement la nuque. Etait-il seulement prêt à entendre ce genre de chose ? Lui qui ne comptait pour personne et pour qui personne ne comptait ...
Cha vint lui prendre la main et l'emmena vers le lit où ils prirent place. Elle voulait s'occuper de ses blessures, Jud s'apprêtait à protester mais son corps lui rappela la douleur lancinante dans chaque parcelle de son être. A contrecoeur, l'homme se laissa faire. Son regard suivit l'indienne lorsqu'elle se leva et qu'elle disparut dans la pénombre pour aller chercher le nécessaire. Elle avait ce pouvoir sur lui de laisser un vide derrière elle à chaque fois qu'elle quittait son champ de vision. Jud n'avait jamais été un homme romantique, fleur bleue ou même sentimentale. Cha'kwaina différait cependant des autres femmes car il se surprenait à désirer passer du temps avec elle, à vouloir apprendre à la connaître et pas seulement partager ses draps.
- Je suis terrifié, ça se voit pas ?
Il tenta d'étirer un sourire mais ressentit l'effet d'une pique d'acier dans la joue et s'abstint. La jeune femme se mit à nettoyer les plaies silencieusement. Jud s'amusait de la voir si délicate envers lui, c'était tellement à mille lieux de son quotidien. Lorsqu'il se blessait lors d'un abordage ou d'une rixe entre forbans, on lui calait du rhum dans le gosier, un chiffon dans le bec et on lui triturait le bras avec une aiguille sans même lui demander s'il pouvait encaisser. Cha voulait faire les choses biens, sans doute vivait-elle dans un monde où les gens ont encore le choix d'opter pour la solution indolore.
- Tu peux y aller. J'ai vu pire ... tes amis s'en sont assurés.
Jud regretta presque aussitôt. Le but de ses paroles n'était pas de culpabiliser Cha bien au contraire ! L'homme tendit la main et prit une paume de l'indienne dans la sienne. Sous ses phalanges abîmées et rougeâtres, celles de la belle paraissaient frêles, propres et intactes. Le pirate chercha le regard de la demoiselle tandis qu'elle s'entêtait à panser ses plaies.
- Pourquoi es-tu si différente d'eux ?
Il s'était souvent posé la question. Qu'est-ce qui faisait qu'elle était unique ? Qu'elle était partout dans son esprit quand il fermait les yeux. Jud ne s'en plaignait pas car il y avait bien pire comme vision nocturne que ce charmant minois. Le pirate chercha ses mots, tentant de retourner les choses dans son esprit mais c'était le chaos entre ses propres songeries.
- Viens avec moi.
Jud marqua une pause, cherchant une réaction spontanée dans le regard de Cha'kwaina mais n'y décela rien. Rien de suffisamment fort pour le stopper.
- Tu leur ressembles pas, ils te méritent pas et moi, j'ai envie de te connaître. On peut partir tous les deux.
Une optique qui lui plaisait un peu plus à mesure que les mots s'échappaient de ses lèvres. Cependant la réaction de l'indienne risquait fortement de moins lui plaire ...
Elle a toujours détestée voir les gens ou les bêtes souffrir, l'indienne, c'est quelque chose qu'elle supporte avec difficulté, surtout lorsque ladite personne lui importe. Il y a encore peu de temps, elle n'aurait pas pu croire qu'un pirate se trouverait sous son tipi, qu'elle devrait panser ses plaies et que le voir souffrir lui nouerait les tripes de la sorte. Mais Cha'kwaina, elle tient à Jud, sinon elle n'en serait pas là. Elle tient à lui et qu'il soit un pirate ne change rien à ce qu'elle éprouve à son égard. D'ailleurs, elle ne pourrait pas mettre de mots justes sur ce qu'elle ressent pour lui, la brune. Ça va au-delà de l'attirance physique, c'est une attraction qui ne s'explique pas, il faut y être pour comprendre, il faut le ressentir. C'est la raison pour laquelle les siens ne pourraient pas comprendre. Qu'il soit un pirate importe peu, ce n'est pas selon ça qu'elle le juge, l'indienne, contrairement aux autres. Elle le juge pour qui il est, pour l'humain qu'il est, face à elle. Il aurait pu l'ignorer ce soir-là, mais il ne l'a pas fait et il lui a peut-être même sauvé la vie. Il ne lui devait rien du tout et ça compte pour beaucoup, à ses yeux.
Il a de nombreuses blessures, le pirate et la grande majorité devront guérir d'elles-mêmes, mais elle s'entêtera à panser toutes celles qu'elle pourra, la brune. « Je suis terrifié, ça se voit pas ? » Sur cette plaisanterie, il tente un sourire, Jud, mais il se ravise rapidement, sans doute happé par la douleur. À nouveau, elle a un pincement au coeur, Cha'kwaina, elle déteste vraiment le voir souffrir et malheureusement, elle n'y peut pas grand chose. Elle esquisse cependant un sourire à ses paroles, tout en continuant de nettoyer ses plaies, en silence. « Tu peux y aller. J'ai vu pire... tes amis s'en sont assurés. » Sourire qui se volatilise, elle grimace légèrement sous cette réplique et Jud, il semble déjà s'en vouloir d'avoir prononcé ses paroles. Sa main saisit doucement la sienne et Cha'kwaina, elle plonge son regard dans le sien. En réalité, ses paroles sont totalement légitimes... Ses amis se sont amusés à le faire souffrir, c'est bien vrai et en rien elle ne cautionne leurs gestes, ça il le sait bien. Elle est infiniment navrée des gestes que les siens ont posés à son égard et ça aussi, il le sait, Jud.
« Pourquoi es-tu si différente d'eux ? » Elle n'est pas si différente, l'indienne. Elle est tout simplement plus douce et dans une quête perpétuelle de paix. Elle voit les belles choses là où les siens ne voient rien de bon. Au final, peut-être qu'elle l'est différente, Cha'kwaina, d'ailleurs c'est ce que son défunt mari lui répétait et pourtant, elle n'a jamais compris pourquoi. Elle hausse légèrement les épaules, sans le quitter des ses iris sombres. « Je ne suis pas si différente. » Certains autres indiens sont comme elle, certains sont plus ouverts au monde extérieur... mais la grande majorité des siens abhorrent les pirates, ce qui est plutôt justifié, qu'elle le désire ou non. Pirates et indiens sont ennemis, ça n'a rien de nouveau et même si elle est toujours en quête d'harmonie, il y a certaines choses qu'elle ne pourra jamais changer, Cha'kwaina. Les pirates tuent les indiens, les indiens tuent les pirates... c'est comme ça, malheureusement. La seule chose qu'elle peut changer, c'est sa propre vision, ses propres pensées et elle le fait, avec lui. À ses yeux, il n'est pas un pirate, il est un homme, tout simplement. L'homme qui a cette forte attraction sur elle, ce pouvoir...
Durant un instant, il semble chercher ses mots, Jud, ses paroles, alors qu'elle s'est arrêtée de panser ses plaies, l'espace de leur échange verbale. « Viens avec moi. » Ses yeux d'un bleu glacier cherchent à déceler le moindre signe dans son regard, mais elle reste de marbre, l'indienne. Pourtant, dans son esprit, elle retourne et retourne sans cesse les paroles de l'homme. Elle est comme pétrifiée par ses mots, Cha'kwaina, elle se demande même si elle a bien entendue. « Tu leur ressembles pas, ils te méritent pas et moi, j'ai envie de te connaître. On peut partir tous les deux. » Elle a bien entendue, la guérisseuse. Jud, il lui demande de partir avec lui... Elle sent son coeur se serrer douloureusement dans sa poitrine. Voilà des paroles qu'elle n'aurait pas imaginer entendre, la brune. Voilà des paroles auxquelles elle ne sait pas quoi répondre. Pourtant, elle ne rejette pas ses mots, elle ne lui lance pas un non catégorique au visage, elle réfléchie. C'est quelque chose d'énorme qu'il lui demande, ça impliquerait tellement de choses. Si elle partait ce soir et qu'elle ne revenait pas, la tribu entière comprendrait qu'elle a filée avec lui et très rapidement elle serait reniée par les siens. Elle le sait parfaitement, l'indienne et pourtant, elle réfléchie. Parce qu'elle n'a pas envie de le blesser, mais aussi parce que ses paroles viennent remuer quelque chose au fond d'elle. Elle aussi a envie de le connaître, parce qu'il y a cette forte attraction entre eux, cette chimie... Mais ça serait de la pure folie. En partant, elle devrait sacrifier sa famille pour lui, ses amis, sa vie entière et pour quoi ? Elle ne sait pas.
Cha'kwaina, elle reste de nouveau figée, durant un instant puis enfin elle entrouvre les lèvres. « Jud... Je... peut-être que je ne leur ressemble pas, mais ma famille est ici... et si je partais, ce soir... surtout... ils sauraient que j'ai quelque chose à voir avec ton évasion et ils me renieraient, sans chercher à comprendre davantage. » Son regard ne quitte toujours pas le sien, c'est un léger voile de tristesse qu'il peut y lire, alors qu'elle vient poser sa paume avec douceur, contre sa joue. « J'ai envie de te connaître, moi aussi. J'en ai besoin, même... et ça peut se faire, sans que j'abandonne ma famille. Je peux sortir de la réserve, quand je le désire, on peut se voir là où tu le veux. » Puis elle esquisse un sourire, la brune, ses iris ne délaissant pas les siens. Elle ressent le besoin de le connaître davantage, de passer du temps avec lui, pas seulement une rencontre fugace. Elle a besoin de savoir qui il est, au-delà de ce qu'elle voit maintenant. Mais elle ne peut pas abandonner les siens, Cha'kwaina. Si elle partait, son chef ne la laisserait certainement pas revenir. Elle ne peut pas prendre cette chance, pas maintenant. Le lien entre eux est encore éphémère, même s'il se renforce à chaque regard qu'ils échange et ça, elle le sait. L'indienne, elle le sait si bien qu'elle n'ose pas penser à ce que son défunt mari penserait, s'il les voyait. Il serait déçu qu'elle considère autant sa demande... mais aujourd'hui, il n'est plus là, Lonan et elle doit continuer à vivre, la brune, il le faut. Et l'homme qui se trouve devant elle ce soir, fait jaillir des émotions qu'elle n'a pas ressentie depuis des années. Voilà pourquoi elle a si peur de le décevoir, en prononçant ces mots.
Cha, elle n'a même pas conscience de sa différence. Elle ne réalise pas qu'elle est tellement plus gentille et tolérante que les autres. Jud, il est incapable de s'expliquer pourquoi la belle indienne l'intrigue à ce point. Il ne cherche même pas à le comprendre, il sait simplement qu'il n'a plus envie de l'oublier. Alors, sans prévenir, le pirate proposa à la demoiselle de tout abandonner. Leur vie, leurs proches, leurs préceptes. Tout laisser tomber et tout recommencer. Ailleurs, rien que tous les deux. Et durant quelques instants, Jud eut l'impression que le regard de Cha'kwain trahissait une approbation. Sauf que ... sauf que la seconde suivante, il lut l'hésitation et enfin la peur dans ses yeux. La belle n'était pas encore prête à tout jeter pour le suivre. Comment lui en vouloir ? Ils ne s'étaient finalement croisés que trois fois et ça n'avait jamais été dans des conditions faciles.
Incapable de dissimuler sa déception, Jud baissa la tête. Sentant la main de Cha venir se poser sur sa joue dans un geste tendre. Elle avait raison. Partir maintenant avec lui, ce serait faire une croix définitive sur sa famille et sur ses proches. Il ne pouvait pas lui demander ça ! Le forban acquiesça lentement du menton sans ajouter un mot. Que dire de plus ? Cha'kwaina lui proposait une alternative, des rencontres éphémères à l'abri des regards. Jud ne réagit pas. Pour elle, il accepterait de jouer aux ombres dans la forêt mais les secrets mortels finissaient toujours par le lasser. Le pirate ne savait pas combien de temps leur bonne entente supporterait leurs divergences. Tôt ou tard, leur vie respective les rattraperait et ils finiraient par se haïr. C'était tout ce qu'il désirait éviter.
- Je comprends.
Il posa à son tour la main sur le visage de Cha, caressant sa peau douce et chaude. Quelques mèches de ses cheveux noirs s'étaient glissées sous son pouce. Jud pencha la tête et s'approcha lentement, tâchant de faire l'exact opposé de leur dernier baiser. Il ne voulait plus la prendre par surprise, cette fois, Cha'kwaina devrait y mettre du sien. Le pirate voulait la sentir aussi impliquée que lui l'était avant de s'autoriser à faire un pas de place. L'homme s'arrêta donc à quelques centimètres de la bouche de la jeune femme et esquissa un sourire espiègle, glissant les doigts dans sa nuque pour la caresser du bout des phalanges.
- Je peux t'embrasser au moins ?
L'indienne avait évidement le droit de refuser. Jud ne lui en tiendrait pas rigueur, après tout, peut-être se fourvoyait-il sur les sentiments de la belle à son égard ? Peut-être ne ressentait-elle pour lui qu'une profonde affection ? Une once de sympathie et de reconnaissance ? Si tel était le cas, l'homme voulait être mis au courant dès à présent pour éviter de s'impliquer.
Il y a peu de choses qu'elle déteste dans la vie, Cha'kwaina, mais s'il y a une chose qu'elle déteste plus que tout, c'est bien de décevoir les gens qu'elle aime. C'est pourquoi elle retourne plusieurs fois la demande du pirate dans sa tête, avant d'arriver à formuler une réponse convenable. Elle ne veut pas le décevoir, mais elle sait qu'elle le fera. D'ailleurs, l'air sur son visage le lui confirme, bien qu'il baisse la tête, afin de cacher sa déception, le brun. Cependant, elle ne prononce pas un non formel, l'indienne, lui disant qu'ils pourraient toujours se voir, même si elle ne partait pas avec lui, ce soir. Parce qu'elle ne veut pas mettre une croix sur lui, Cha'kwaina, au point où ils en sont, elle ne le pourrait pas. Ce lien qui était éphémère entre eux, commence à se solidifier et elle s'en rend compte, elle serait idiote de l'ignorer. Sous ses paroles, il ne réagit pas de suite, Jud. Ce n'est pas ce qu'il veut et elle peut le comprendre, mais pour l'instant, c'est la meilleure alternative qu'elle peut lui offrir. Ensuite, ils verront où ses rencontres pourront les mener. « Je comprends. » À son tour, c'est lui qui vient poser sa paume sur son visage, venant caresser sa peau avec douceur. Elle lui sourit tendrement, l'indienne, alors qu'il approche tranquillement son visage du sien. Puis c'est lui qui sourit maintenant, un air espiègle s'étant glissé sur son beau visage blessé, alors qu'il glisse ses doigts contre la nuque de la brune, lui procurant quelques frissons, au passage.
« Je peux t'embrasser au moins ? » Voilà qu'il lui demande, cette fois. Ce baiser, il ne veut pas le lui voler, comme la toute première fois, ce qui la fait sourire davantage, Cha'kwaina. Et après, il ose dire qu'il n'est qu'une raclure... si c'était le cas, il ne prendrait pas le temps de lui demander et surtout, il ne se serait pas attaché à elle de la sorte, Jud. Sans prononcer un seul mot, elle vient poser ses lèvres contre les siennes, avec douceur et tendrement, elle vient l'embrasser, alors qu'une de ses mains se faufile dans les cheveux courts de l'homme. L'indienne, elle y va avec douceur, bien qu'elle est déjà très douce de nature, elle ne désire pas le faire souffrir davantage. Son visage et son corps sont dans un piteux état, c'est pourquoi elle se montre hésitante. Pourtant, elle sent le désire grimper en elle, la peau rouge, désire qu'elle contient depuis leur deuxième rencontre, sans vraiment s'en être rendu compte. À vrai dire, elle n'a plus l'habitude de ce genre de contact, Cha'kwaina. Depuis la mort de Lonan, jamais elle ne s'est suffisamment rapprochée d'un homme, l'indienne. Au cours des dernières années, la peur de s'attacher de nouveau a tenu son emprise sur elle et voilà qu'elle a baissée sa garde, sans crier gare. Elle croit dur comme fer aux esprits, Cha'kwaina, elle croit qu'après la mort, l'âme continue d'errer sur terre et donc, ça ne fait aucun doute, son mari est spectateur de cet échange, sans pouvoir intervenir. Elle sait combien il aurait désapprouvé ce rapprochement avec le pirate, l'ennemi juré et c'est une pensée qu'elle tente de chasser de son esprit. Lonan, il ne fait plus partie de ce monde et malgré tout l'amour qu'elle lui porte encore et tout le respect qu'elle a envers sa mémoire, elle a le droit de continuer à vivre. Jud est un pirate, mais il n'est pas l'ennemi et elle ne peut pas contrôler ce qu'elle éprouve à son égard, Cha'kwaina. Maintenant, elle ressent plus que de la curiosité et de l'attirance physique pour lui et elle ne l'a pas cherché, l'indienne.
Contre sa poitrine, son coeur bat à vivre allure, un étrange mélange de désire et de stress qu'elle n'a pas éprouvé depuis longtemps. Puis elle s'arrête doucement, l'indienne et éloigne légèrement son visage du sien, afin de contempler son regard d'un bleu incroyablement pâle. Du bout des doigts, elle vient caresser ce visage avec douceur, soucieuse de le faire souffrir davantage. Ce que lui ont fait les siens est terrible, même si elle a conscience que lui aussi a fait des choses horribles, dont voler la vie d'un des siens, un homme qu'elle a connue toute sa vie. Elle devrait lui en vouloir pour ça, mais elle en est incapable, Cha'kwaina, surtout en sachant qu'il n'est pas le premier a avoir donné l'assaut. Au final, il n'a fait que se défendre, Jud, elle le sait, Kimi le lui a dit. « Je suis profondément désolée pour ce qu'ils t'ont fait subir. » Un simple murmure qu'elle prononce, avant d'unir à nouveau ses lèvres aux siennes avec douceur. Dans tout son corps, c'est d'agréables décharges électriques qu'elle reçoit, la brune.