Les doigts de sa mère entortillent une petite mèche de cheveux de sa fille qui, comme souvent, a le regard un peu dans le vide. Elle a bien vu que depuis qu’elle est rentrée chez eux, son enfant n’est plus comme avant, sa joie de vivre semble l’avoir quittée et être restée Dieu sait où. Elle embrasse la tempe d’Opale qui esquisse un vague sourire ; ce que Neïna souffre de ne pouvoir rien faire pour calmer le chagrin immense qui dévore le coeur de sa dernière fille. Elle n’est pas aveugle, n’est pas née de la dernière pluie et sait qu’il s’agit d’un chagrin d’amour, comment pourrait-il en être autrement ? Opale n’a jamais raconté ce qu’il s’était passé durant cette année loin du royaume, de sa famille et bien que sa mère l’ait à de nombreuses reprises questionnée, les lèvres de la brune sont restées closes. Alors elle a abandonné, si elle désire parler, Opale le fera lorsqu’elle le désirera ou portera son fardeau pendant encore longtemps. La sirène se dégage de l’étreinte maternelle qu’elle juge un peu trop étouffante, cette dernière ne cesse de la couver et ça irrite un peu Opale.
« Je crois que j’ai besoin de sortir un peu. -Sortir ? Mais il fera nuit dans quelques heures, ce n’est pas raisonnable. »
La brune hausse des épaules, la raison n’est plus son amie depuis longtemps. Elle prétend qu’elle ne rentrera pas tard mais elle l’ignore. Opale veut juste s’éloigner de ses parents, de ses soeurs, de son frère. De toute cette famille beaucoup trop heureuse dont le bonheur l’étouffe plus qu’il ne la rassure et l’apaise. Sans laisser le temps à Neïna de dire quoi que ce soit, la sirène s’élance vers le large en nageant le plus vite possible. Opale ne sait pas réellement où elle veut aller. Sur sa plage ? Non, l’envie n’y est pas, elle ne veut pas être assaillie par ses souvenirs, ils ne viendront qu’étayer sa mélancolie beaucoup trop présente dans son existence. Alors elle se laisse porter par le courant, nage en suivant un banc de poissons argentés. L’obscurité s’est faite dans le ciel et dans les eaux, seule la lueur de la Lune éclaire le chemin d’Opale. Quelques requins nagent paisiblement à la recherche de quelconques poissons à se mettre sous la dent. La sirène les évite en zigzagant, les prédateurs ne l’effraient pas et ils sont finalement peu nombreux, les requins véritablement agressifs sans raisons. D’un coup de nageoire, elle remonte à la surface pour flotter à la surface de l’eau, sur le dos et observer ainsi le ciel noir d’encre. Quelques nuages obscurcissent le ciel, dissimulent les étoiles, si bien que la sirène ne sait pas trop où le courant la mènera. Elle retrouvera toujours son chemin, de toute façon. Ses paupières se ferment, qu’il est agréable de se laisser ainsi porter par la houle, laisser les flots décider de sa destination. Peu importe l’endroit où elle atterrira, ce sera toujours mieux que la demeure familiale, entourée de ses parents trop inquiets pour elle et de ses soeurs trop heureuses.
Le soleil vient lécher la peau de la sirène, lui ouvrir les yeux pour tomber sur le bleu azur. Elle prend une profonde inspiration, plonge dans l’eau quelques instants avant de ressortir pour regarder autour d’elle. L’océan à perte de vue d’un côté et de l’autre, les berges lointaines de Neverland. L’envie lui picote les veines, celle de s’éloigner vers le grand large, à l’opposé de l’île ; de se perdre pour de bon. Elle n’en fait rien et docilement, commence à s’approcher de Neverland. Où est-elle ? Elle reconnait les environs de Cannibal Cove et son coeur se serre ; la dernière fois qu’elle a traversé cet endroit, c’était pour échapper à sa prison dorée. Elle continue d’avance, accélère sa nage jusqu’à se retrouver à Crocodile Creek. Elle n’est jamais venue dans cet endroit mais les lieux ne lui plaisent pas ; il y a quelque chose dans ces eaux qui ne la rassurent pas. Opale se hisse sur un rocher, sa nageoire se transformant en deux jambes et elle scrute les environs. L’endroit semble être rempli de prédateur et l’eau douce ne lui permettra pas de récupérer sa nageoire. Peut-être est-il plus prudent de continuer à pied en regagnant la berge, passant de rocher en rocher. Dans des bonds légers, elle saute sans rencontrer de grandes difficultés. Il vaudrait mieux qu’elle regagne l’océan, mais quelque chose l’attire. Une odeur. Une odeur acre, violente, qui la prend aux tripes : celle du sang. S’agit-il de celui d’un animal blessé ? Cela risque d’attirer les alligators affamés. Elle hésite quelques instants avant de s’avancer dans la végétation, à la recherche de la créature blessée. C’est un homme, allongé face contre terre. En quelques pas, Opale est près de lui, elle s’agenouille et le retourne vivement. Son coeur s’arrête.
C’est lui.
Son corps est ensanglanté, son visage tuméfié mais comment ne pourrait-elle pas le reconnaitre ? Que fait-il ici ? Et dans un tel état ! Ses doigts effleurent doucement le visage de Seth, inconscient. Que faire ? Elle ne peut définitivement pas le laisser seul, il risque de se faire dévorer ! Mais s’il découvre qu’elle est vivante… Oh est-ce véritablement si important ? Le plus important n’est-il pas de le tirer d’ici ? Mais Seth est bien trop lourd pour elle, elle est incapable de le porter. Le plus simple serait de rejoindre l’eau, là où son corps ne sera plus un poids difficile à transporter. L’éloigner des prédateurs tapis dans les fougères. Opale glisse ses mains sour les bras de l’homme pour le tirer de toutes ses forces. A plusieurs reprises, elle manque de glisser mais parvient à regagner l’eau tout en trimballant le corps lourd de Seth. L’eau n’étant pas salée, sa nageoire n’apparait pas mais Opale est de toute façon plus dégourdie dans les eaux que sur terre. Elle nage en maintenant Seth contre elle, rapidement, jusqu’à trouver un endroit que les carnivores semblent avoir délaissé. Elle le tire hors de l’eau, le dépose sur l’herbe et observe ses blessures. Elle ne sait que faire. L’art de la guérison lui est inconnu et la sirène se sent bien inutile… Délicatement, elle caresse quelques mèches de cheveux. Le mieux est d’attendre qu’il reprenne connaissance et s’assurer que rien ne viendra le déranger. Lorsque ses paupières trembleront, elle se dépêchera de se cacher, de regagner l’eau et il ne saura rien.
La douleur s'était tue. Silence complet. Tout hurlement, tout gémissement s'était envolé. Ne restait alors plus qu'une goutte d'euphorie, d'extase. Son utopie, il la touchait du bout des doigts. Neverland n'existait plus, Seth portait le deuil de son démon d'avarice. Tout ça n'avait plus d'importance. La douleur de l'abandon, la crainte de revivre à nouveau ce jour où la porte s'était ouverte, lui laissant alors la vision d'une chambre vide. Elle était partie. Ce jour-là, elle n'avait pas emmené de partie de lui avec elle. Au contraire, elle avait juste emmené tout le reste. Opale. Monstre d'égoïsme, sorcière aux lèvres venimeuses. Elle n'avait eu aucun égard pour lui en s'ôtant la vie, en s'arrachant à ce monde qu'il s'efforçait de modeler pour elle.
Et pour la première fois depuis son départ, depuis sa mort, Seth ne ressentait plus rien. Ô, il l'avait aimée. D'un amour brute, malsain, sale et obsessionnel. Il l'avait aimée à ne plus pouvoir en dormir la nuit et à ne plus pouvoir dessiner autre chose que ses yeux, ses lèvres, ses courbes, ses mains. Elle avait vampirisé sa vie et lui, naïvement, il en avait redemandé. En trépassant, Opale était parvenue à parachever une oeuvre dont Seth n'avait même pas conscience de l'existence. Depuis ce fameux jour, l'homme n'était plus. Son inspiration était malmenée, les muses se ressemblaient toutes, son art était devenu mélancolique.
Mais enfin, enfin, sa vie prenait fin. Cette foutue existence et tout ce qu'elle amenait avec elle. Tout était fini. Seth en ressentait un soulagement proche du nirvana. Adieu les douleurs, adieu les remords et la culpabilité. Adieu le malaise de n'être pas un homme normal mais d'être un aliéné sans cesse en quête d'une beauté illusoire. Adieu.
Quelque part, loin, très loin dans le brouillard, ses mains sont posées sur son corps. Elle le touche, Opale. Pour la première fois depuis longtemps, leurs corps se retrouvent. Seth en est conscient tout en n'en sachant rien. Il était bien trop éloigné de cette réalité, ancré dans un monde de silence, de paix et de calme. De volutes de fumées, d'absence de vie et de couleurs.
Brusquement, son flanc devint douloureux. Comme une épée qu'on lui entasse dans la chair. Ensuite, ce fut son bras, son épaule, ses mains, son autre épaule. Tout son corps. Ses yeux s'ouvrirent brutalement, l'arrachant à son nirvana, son utopie. Il ne mourra pas aujourd'hui. La tristesse s'empare de lui. Seth, il regrette. L'homme était incapable de se redresser, de bouger, de parler. Tout n'était que souffrance, son sang finirait par l'étouffer. L'artiste se demandait pourquoi, pourquoi l'avoir ramené alors qu'il n'en avait aucune envie. Pas sans Opale. Cette succube qui hantait aujourd'hui encore chacun de ses rêves.
- Je peux crever en paix !
Hurler. Beugler à la gueule d'une Neverland qui s'en contre-fout. C'est tout ce qu'il peut faire. Seth se redressa, péniblement, lamentablement. Ses os sont brisés, son égo est piétiné. Il ne lui reste qu'un vague amas de tissus sanguinolents en guise de vêtements. Autour de lui, rien. Personne. Le vide, le calme, le silence. Encore une fois. Sauf que la douleur, elle, elle est bien présente.
- Tu me manques Opale.
Seth baissa la tête, laissant son sang lui couler de l'arcade et glisser sur sa paupière. La goutte dégringola sur sa joue, se percha sur le bout de son menton et s'échoua sur la terre humide du marais. Opale, elle s'en fout elle aussi. Elle est morte. Elle ne reviendra pas, elle ne l'écoutera pas. Alors à quoi bon ? Seth replia les genoux contre le torse, se recroquevilla sur lui-même. Cette saleté de pirate l'a mis dans cet état mais au final, elle n'a fait que faire ressortir tout ce qu'il y avait à l'intérieur. Elle a fait imploser ses barrières. Dans son état, Seth, il est incapable de retenir ses émotions. Elles suintent, elles prennent la fuite. Elles en profitent, les traîtresses. Alors il reste là, à l'abri dans ce marais où personne ne viendra le chercher. Où personne ne peut plus l'atteindre.
Lentement, délicatement, les fins doigts de la sirène caressent les cheveux mouillés de Seth, glissent avec tendresse sur son visage inconscient. Il est sale, maculé de sang dont l’odeur forte enserre la gorge et retourne l’estomac d’Opale mais qu’importe. Les blessures ne semblent pas su grave que ça, il n’y a pas d’énormes plaies ouvertes desquelles pourrait s’écouler un sang vermeil qui viendrait se répandre sur le sol humide. La jeune femme relève les yeux vers le ciel qui s’est obscurci ; il n’y a plus un seul rayon de soleil pour venir éclairer Crocodile Creek, ce qui rend l’endroit un peu plus étrange qu’il ne l’est déjà. La Lune et les étoiles ne sont pas voilées cette nuit là et Opale a une pensée pour sa mère qui doit probablement se faire un sang d’encre pour sa fille. Si une partie de la brune ressent un peu de culpabilité d’être ainsi partie, l’autre n’en a que faire ; surtout maintenant qu’elle tient près de Seth. Ce qu’elle voudrait être en mesure de prendre soin de lui ! De soigner ses blessures, faire disparaître la douleur qui doit traverser son pauvre corps malmené mais Opale n’en a pas les connaissances. Peut-être aurait-elle dû s’intéresser un peu plus à l’art de la guérison auprès de sa soeur aînée mais cela lui semblait bien ennuyeux, à l’époque et aujourd’hui, elle regrette un peu. Délicatement, elle décolle un pan de la chemise déchiré de son aimé, observe les blessures avec une moue désespérée. Que lui est-il arrivé ? Contre qui a-t-il bien pu se battre pour se retrouver dans un tel état physique ? Tellement de questions tournent dans l’esprit de la sirène lorsqu’elle voit les paupières de l’homme frémir, sa poitrine qui se soulève plus rapidement. Il s’éveille. Elle redépose Seth sur le sol et, d’un pas rapide, se précipite vers l’eau afin de venir se dissimuler derrière un large rocher.
Son coeur est arrêté. Sa respiration, elle la retient au maximum afin de faire bouger le moins possible l’eau autour d’elle. A-t-il eu le temps de la voir ? Elle ne le croit pas, Opale s’est éloignée avant que ses yeux ne s’ouvrent, elle en est sûre et certaine. Soudain, la voix de Seth éclate dans la nuit silencieuse et le coeur de la sirène se brise un peu plus. Ce ton empli de tristesse, de douleur, elle ne le supporte pas. Ses yeux commencent à se remplir de larmes qui, lentement, se mettent à dégouliner le long des joues de la brune. Sa tête vient s’appuyer contre la pierre froide, ses bras se croisent contre sa poitrine ; ce qu’elle voudrait pouvoir accourir vers lui et apaiser sa douleur mais elle ne le peut. Le jour où elle a décidé de partir, elle a également décidé de faire une croix sur son coeur… Mais l’a-t-elle réellement fait ? Rien n’est moins sûr. Il vaudrait mieux qu’elle s’en aille, qu’elle ne tente pas trop le diable en restant si près de celui qu’elle a perdu. Opale va le faire, elle va plonger et nager le plus loin possible, rejoindre l’océan et plus jamais elle ne se rapprochera de la terre… Plus jamais. La sirène est sur le point de s’enfoncer dans l’eau mais à nouveau, la voix de Seth lui parvient, plus douce cette fois-ci.
« Tu me manques Opale. »
La brune se fige, ne sait plus quoi faire. Son rythme cardiaque s’est brusquement emballé ; il ne l’a pas oubliée. Elle qui pensait qu’il aurait aisément pu rayer l’existence de la sirène, ce n’était pas le cas. Elle serre ses poings avec force, et maintenant ? Opale ne peut plus décemment partir. Elle n’y arrive pas. La sirène est incapable de s’éloigner. Après tout ! Il est dans un état si pitoyable qu’il la prendra peut-être pour une hallucination et c’est sûrement le mieux. Lentement, Opale regagne la berge pour s’échapper de l’eau, s’avancer vers Seth, recroquevillé sur lui. Dieu que cette vision lui déchire le coeur, lui arrache encore une fois des larmes. Elle s’agenouille à ses côtés, passe une main sur sa joue.
« Seth. » Murmure-t-elle d’une voix serrée.
Doucement, elle glisse ses bras autour du corps de l’homme, l’attire contre elle pour le serrer entre ses bras. La sirène se fiche du sang qui vient tâcher sa peau nue, elle vient effacer la trainée qui a dégouliné le long du visage de Seth puis se penche pour déposer un baiser sur son front blême. A la manière d’une mère, elle berce son aimé avec une infinie tendresse, fredonnant doucement une vieille berceuse qui parvenait à calmer les songes agités de sa plus jeune soeur. Opale ne sait pas trop si elle fait une erreur ou pas. Ira-t-il réellement jusqu’à la tuer, s’il se rendait compte de sa grotesque supercherie ? De toute façon, il est trop tard pour faire demi-tour, trop tard pour repartir. Si tel est son destin, alors elle l’accepte.
Tout est calme. Comme si Neverland respectait sa peine et sa douleur. Seth s'est recroquevillé sur lui-même, réfugié dans un coin de sa tête. Opale lui manque terriblement. Sa peau douce, son sourire tendre, son regard qu'il s'évertuait à traduire sur papier mais auquel aucun dessin ne pourrait rendre justice. Dans ces moments de faiblesse, dans ces instants où Seth se sentait funambule entre la vie et la mort, Opale resurgissait des méandres de son passé. La sirène avait été bien plus qu'une simple muse. Elle avait été son encrage dans cet univers incongru, son point de repère à Neverland. Elle lui avait offert l'inspiration mais aussi l'affection et même l'amour.
Souvent, il lui arrivait de regretter. S'il ne l'avait pas tant contrariée à la maintenir hors de portée de tous, elle n'aurait pas succombé. S'il avait été plus indulgent, moins égoïste, Opale serait encore de ce monde. Peut-être vivrait-elle heureuse à ses côtés. Peut-être auraient-ils pu construire quelque chose ? Toutes des hypothèses bien creuses, bien vaines sans la présence de sa douce sirène. Seth entendit un bruissement d'eau, proche et pourtant si lointain dans son esprit. Alors c'était comme ça que s'achèverait son existence ? Dévoré par un crocodile ? Sans doute ne méritait-il pas beaucoup mieux. Après tout, qu'avait-il fait de bien dans son existence ?
Pourtant, ce ne fut pas la déchirure bestiale des crocs acérés qu'il ressentit mais la caresse chaude et tendre d'une main féminine contre sa joue. La voix d'Opale lui parvint. Seth redressa aussitôt la tête, découvrant les divins traits de sa sirène. Elle était là, devant lui. Nue au clair de lune. Agenouillée à ses côtés, elle vint l'entourer de ses bras et le berça tendrement. Ses lèvres se perdirent sur son front tandis qu'elle lui caressait la peau. Seth nageait en pleine illusion, il le savait. Malgré tout, c'était si jouissif de retrouver les bras de son Opale qu'il n'aurait voulu que ce délire ne s'arrête pour rien au monde.
- Opale.
Il esquissa un sourire et redressa la tête, glissa une main dans le cou de la demoiselle et attira lentement son visage contre le sien. Front contre front, Seth resta un long moment à l'observer en souriant. Rien n'avait changé chez elle. Figée dans sa jeunesse, elle était telle une photographie dont le papier ne vieillirait jamais. L'homme caressa son bras, sa nuque, ses côtes. Il n'osait parler trop fort de peur de faire s'écrouler ce beau mirage qu'il avait sous les yeux.
- Je m'en veux, tu sais. Je t'ai privée de ta liberté pendant bien trop longtemps ... je ne sais pas ce qui cloche chez moi. Je te voulais pour moi, pour moi seul.
Seth s'approcha encore un peu plus, ses lèvres vinrent trouver celles d'Opale. La bouche de la demoiselle lui semblait si réelle contre la sienne. Le contact frais de ses lèvres à peine sorties de l'eau contre les siennes, la chaleur de sa langue, tout paraissait si vivace. Seth glissa les doigts dans les cheveux de la brune et les caressa longuement en prolongeant leur baiser, pressant son corps contre celui de la sirène. Lorsqu'il cessa de l'embrasser, il l'enlaça et la pressa contre son coeur. Il voulait profiter de ces retrouvailles éphémères. Son sourire avait disparu, laissant place à une mine bien plus sérieuse désormais. Son regard se posa sur celui de la sirène et il posa une main sur sa joue.
- Pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi t'es partie ?
Il refusait de prononcer le mot morte. Dans sa tête, elle ne l'était pas. C'était une fatalité à laquelle il ne se résoudrait jamais. Seth réalisa qu'il la salissait de son sang et fut gêné quelques instants. Sa muse si parfaite se voyait souillée de ses erreurs. L'homme se recula légèrement et tenta de se justifier pitoyablement.
- Je n'aurais pas dû faire tout ça. Si tu avais été là, tu m'aurais probablement dit de garder mon sang-froid.
Seth haussa les épaules, ce n'était plus la peine de ressasser son absence. Désormais, Opale était là. Elle lui paraissait plus réelle que dans n'importe lequel de ses rêves. Peut-être ses blessures étaient-elles plus profondes que ce qu'il croyait. Mais avant de la perdre à nouveau, avant de risquer de ne plus jamais revoir ce beau visage, Seth se devait de lui poser une ultime question. Une interrogation qui l'empêchait encore aujourd'hui de s'endormir la nuit.
- Est-ce que tu m'en veux pour ce que je t'ai fait ? Est-ce que tu es partie en me détestant ?
Il chercha à nouveau son regard, prenant ses mains dans les siennes et caressant machinalement ses longs doigts fins et trempés. Opale avait désormais l'opportunité d'élucider un mystère qui planait au-dessus de sa tête telle une épée de Damocles depuis des mois. Allait-elle faire tomber le couperet ou serait-elle source de soulagement ?
A peine eut-elle prononcé son prénom que les yeux de Seth s’ouvrent, il se redresse un peu et Opale s’empresse de le prendre entre ses bras. Ses gestes sont doux, tendres, emplis d’une délicatesse infinie tant elle craint de le faire souffrir. Il est dans un tel état… Et si elle ne s’était pas rendue dans cette crique ? Si elle avait continu son chemin sans s’arrêter ? Qui dit qu’un crocodile ne serait pas venu mettre fin aux souffrances de l’artiste ? Cette simple pensée vient serrer le coeur de la sirène qui ravale ses larmes tout en caressant avec tendresse le visage blessé de son amour. Sa voix lui semble si douce quant à son sourire… Quand bien même ce n’est qu’une esquisse, il fait naitre une douce chaleur dans le creux de son ventre, une de celle qu’elle n’a pas ressenti depuis bien des mois. Ses doigts qui effleurent sa peau, sentir son souffle sur sa bouche… Que cette grisante sensation lui a manqué. Comme elle souhaiterait que cet instant ne prenne jamais fin… Cela ne fait qu’empirer lorsque leurs lèvres se rencontrent, que son coeur semble éclater dans sa poitrine et qu’elle se laisse submerger par toutes ses émotions. Opale prie pour que son supplice prenne fin le plus vite possible mais en même temps, elle espère qu’au moment où elle ouvrira les yeux , elle se retrouvera dans sa chambre, auprès de lui. Cette chambre qu’elle n’aurait pas dû quitter.
« Pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi t'es partie ? »
Les yeux de la sirène se baissent, elle fixe le sol durant quelques instants avec un visage triste. Ses aveux lui ont brisé le coeur, il lui faut faire un immense effort pour ne pas éclater en sanglots mais elle tient bon. Elle pourra laisser couleur les larmes lorsqu’elle rejoindra l’océan, qu’elle quittera Seth une bonne fois pour toute. Après tout, n’est-ce pas l’occasion rêvée de lui dire adieu ? De l’absoudre de ses erreurs et l’aider à faire son deuil, à l’oublier.
« Ma liberté me manquait trop… Je ne suis pas un objet précieux que l’on met dans une vitrine à l’abri du monde. Je n’en pouvais plus d’être enfermée entre ces murs, j’étouffais, Seth… » Murmure-t-elle doucement.
Elle le sent qui se recule, qui se détache un peu d’elle et regard le sang qui macule la peau pâle de la sirène. Il se justifie mais Opale ne répond pas, qui est-elle pour le juger ? Elle, la vile menteuse, celle qui a si violemment brisé le coeur de celui qu’elle aime plus que tout. Elle n’a aucun droit de lui dire ce qu’il doit faire ou ne pas faire. La brune n’a jamais aimé mentir, tromper les gens et elle va devoir vivre le restant de ses jours avec cette terrible culpabilité. Peut-être aurait-elle dû rester près de lui, prendre sur elle pour supporter l’enfermement mais d’un autre côté… Elle repense à la joie qui émanait de sa famille lorsqu’elle est rentrée et juste ça lui rappelle qu’elle a fait le bon choix. Pas pour elle mais pour eux.
« Est-ce que tu m'en veux pour ce que je t'ai fait ? Est-ce que tu es partie en me détestant ? »
Les mains de Seth prennent les siennes, les serrent doucement. Le coeur d’Opale bat à la chamade et lentement, très lentement, elle secoue la tête de droit à gauche en signe de négation.
« Oh Seth, je t’ai pardonné il y a bien longtemps… Commence-t-elle avec un sourire empli de tristesse. Je n’ai jamais pu te détester, j’ai essayé fut un temps mais je n’y suis jamais parvenu… J’ai décidé de partir malgré tout l’amour que je peux te porter. C’est plutôt à moi de te demander pardon, pardon d’être partie sans même t’avoir laissé le moindre mot, la moindre explication… »
Les yeux bruns de la sirène se sont remplis de larmes qui commencent lentement à glisse le long de ses joues blêmes. Ce qu’elle est malheureuse, à ce moment précis, ce qu’elle aimerait pouvoir lui dire que non, elle n’est pas morte et qu’elle n’est pas une vision de l’esprit confus causé par les multiples blessures de Seth. Sauf qu’Opale ne le peut pas, elle l’a promis, c’était la condition de sa libération, ne plus jamais entrer dans la vie de l’artiste. Seulement c’est si dur ! C’est au tour de la sirène de se pencher sur lui afin de poser ses lèvres contres les siennes avec amour. Le baiser est long, et a un goût d’adieu mais n’est-ce pas le cas ? C’est probablement le dernier qu’ils partageront, le dernier tout court pour Opale. Elle sait qu’elle ne pourra jamais aimer qui que ce soit d’autre, que son coeur est scellé, personne ne sera capable de s’y insinuer pour prendre la place de Seth. Elle chérira son amour pour l’éternité. Opale se recule légèrement, laissent leurs lèvres se frôler encore quelques instants avant de prendre l’une des mains de Seth pour la poser tout contre son coeur.
« Tu seras toujours là, je te porterai dans mon coeur pour l’éternité… Mais toi… Elle appuie son front contre celui de l’artiste. Tu dois m’oublier ou faire de moi juste un souvenir. Ne laisse pas l’amertume te dévorer, faire de toi un homme cruel. Vis, par pitié, sois heureux… Sois heureux sans moi. »
A nouveau, les larmes dégoulinent le long de ses joues. Elle ne savait pas qu’il était possible de ressentir autant de souffrance… Opale croyait avoir atteint le paroxysme le jour où elle s’est enfuie mais elle se rend brutalement compte qu’elle en était loin, très loin. Alors la sirène se serre contre celui qu’elle aime, tout contre lui en sachant qu’il faudra bientôt mettre fin à cette ultime étreinte. Seth ne peut pas rester ici, il est blessé et il faut que quelqu’un s’occupe des blessures, ce dont Opale n’est hélas pas capable. La brune se détache à contre-coeur, porte ses mains à son cou et rapidement, vient détacher son collier auquel pend sa perle. Délicatement, la sirène dépose le bijou dans la paume de la main de Seth et esquisse un sourire.
« Garde-la aussi longtemps que tu en auras besoin… Et le jour où seras prêt à m’oublier, retourne-la à l’océan. Opale referme la main de l’artiste. Maintenant, il te faut quitter cet endroit et je vais t’aider ; tu as besoin de soins. »