L'agitation, les odeurs alcoolisées émanant des tavernes, la foule et son joyeux tumulte... Il n'y avait rien de tel qu'une petite descente en ville en soirée. La cité de l'aveugle dégageait une ambiance bien différente du calme de la lagune, ce qui n'était pas pour déplaire à Ephyra. Elle avait quitté les eaux sereines du lagon quelques heures de cela, lassé par le silence des profondeurs, pour se plonger dans l'activité de la ville. Paradoxalement, la surface lui manquait. L'animation de Blindman Bluff en particulier. Les humains avaient beau être des êtres imparfaits dignes du mépris du peuple marin, la sirène devait bien reconnaitre que leur monde regorgeait d'opportunité et de distraction qui ne trouvait pas leur pareil au Royaume. Le temps y marquait son empreinte. La cité évoluait, vivait, s'en était stimulant.

Loin d'être dépaysée, la jeune femme progressait dans ces rues familières, laissant son regard s'attarder sur le spectacle que lui offrait l'amas d'ivrogne qui venait visiblement de jeter l'ancre dans le port. Son allure avait beau être assurée, la jeune femme n'avait aucune idée d'où elle allait. Elle errait, guidé par le hasard de ses pas, sans but précis. Mis à part se faire spectatrice anonyme d'un spectacle ô combien banal, Ephy n'avait aucun plan particulier. Elle finit par s'asseoir sur un banc, un peu à l'écart des rues que certains pourraient qualifier de peu fréquentable. Sa mère la première. Seulement celle-ci ne s'était jamais soucié des activités de sa fille, ce n'était pas aujourd'hui que cela allait changer. Tant mieux. Patiente, elle attendait qu'un événement hasardeux vienne perturber sa monotone soirée.

Déjà l’effervescence qu’elle avait trouvée si vivifiante quelques minutes plus tôt se ternissait sous ses yeux. La routine s'immisçait absolument partout, même derrière les rires et le désordre apparemment. Les mêmes conversations semblaient parvenir jusqu’à ses oreilles : une blague salace ponctuée de rires gras, les cris aigus d'une serveuse un peu trop pressée par un client, les accolades amicales… Chaque visage, chaque personne lui paraissait répondre à un type. Que ce soit dans ce monde ou un autre, ses yeux ne voyaient qu’un inlassable renouvellement de médiocrité et de déjà vu. La serveuse enjouée, le pirate alcoolique, le tavernier avare, la jeune fille prude… Le jeune homme égaré. Le regard de la sirène s’arrêta sur le visage de cet inconnu. Sa figure qui se démarquait de la foule lui était étrangement familière. Ses sourcils se froncèrent. Elle le connaissait, elle en était certaine. Dans le cas contraire son attention ne se serait jamais arrêtée de la sorte sur cet homme. Et combien de fois s’était telle pourtant assise dans un coin en laissant ses yeux se perdre dans la foule sans pour autant remarquer qui que ce soit ?

Puis, doucement, des bribes de souvenirs lui revinrent. Edward. Elle l'aurait presque oublié. Pourtant Ephyra retrouvait dans ses traits un écho de son enfance, d'anciens moments qui lui semblaient si loin maintenant… Depuis combien de temps ne l'avait elle pas vu ? Cela devait bien faire au moins huit bonnes années. Huit années bien vides. Lors de ses escapades, elle s'était souvent demandée s'il continuait de l'attendre à leur point de rendez-vous habituel. Se faire désirer, la sirène avait toujours aimé ça. Mais le revoir ici, ça elle n'y aurait jamais pensé. Finalement, elle l'avait, son événement hasardeux. Un petit sourire au coin des lèvres, Ephyra s'engagea derrière Edward, pressant le pas pour le rattraper. Une fois près de lui, elle porta sans hésitation une main jusqu'à son épaule pour qu'il se retourne. « Eddie ? »

Lui, ici. Maintenant qu'elle y pensait un peu plus, elle avait du mal à y croire. Dans son esprit, Edward était resté cet enfant perdu qui égayait ses journées par sa naïveté ridicule. D'ailleurs, la jeune femme, jusque-là, le croyait encore à l'arbre du pendu. Si elle avait su. Là, dévisageant son ancien camarade de jeu, elle ne pouvait que constater l'impact que ces années avaient eu sur lui. Edward avait grandi. Un adulte, voilà ce qu'il était devenu. Ephyra s'étonnait presque de ne pas avoir été choqué plus tôt par ce changement radical.

Ephyra, ne se présentait pas. Par fierté, elle osait croire que le jeune homme saurait la reconnaitre, qu'il ne l'aurait pas oublié. Enfant, elle avait tout fait pour que cela n'arrive pas, avant de disparaitre, lassé de ce petit jeu. « Je ne m'attendais pas à te trouver dans le coin, qu'est-ce qui t'amène ici ? » Ephyra, ne se présentait pas, tout comme elle ne s'expliquait pas. Elle arrivait comme une fleur, innocente, comme si elle ignorait les huit années qu'elle avait volontairement laissé couler entre elle et Edward.