J’y suis presque. J’ai obtenu une rencontre avec le maître d’équipage du Royal Fortune, afin de pouvoir bientôt devenir pirate. Même si je ne suis que simple moussaillon, ça n’a aucune importance parce que plus je serai proche de cet homme et plus rapidement je vais pouvoir assouvir ma vengeance. Le chemin est long et difficile, je ne le pensais pas, à croire qu’il semble ressentir la menace qui pèse sur son crâne et qu’il ne recrute aucun nouveau membre de l’équipage. Quoi qu’il en soit, j’y suis presque maintenant. Assis sur le pont, j’observe le Poséidon revenir au port, suscitant une sorte d’excitation pour de nombreux marins à quai. C’est un beau pavillon, il n’y a aucun doute là-dessus et même la flotte fortune – qui contient trois navires – fait pâle figure à côté. Le Capitaine de cette montagne de mer doit se sentir tout puissant, quasi intouchable. Un pirate dans toute sa splendeur ! À cette pensée, mon poing et mes mâchoires se contractent. Si j’avais écouté mon père… Je soupire, sautant du tonneau pour m’éloigner et éviter le bain de foule qui va débouler du navire pour courir dans les bordels et tavernes après des jours de mers. Les Hommes, si faibles… Je traverse le port avant de passer par la rue commerçante pour regagner ma modeste demeure qui n’a eu qu’un seul visiteur depuis que j’y suis, ma tante. J’observe un petit garçon voler dans le sac en toile d’une femme qui regarder les étalages d’un vendeur, un léger sourire aux lèvres. Il y a bien longtemps que je ne suis plus justicier des autres, simplement pour moi-même et Cleo. Alors que je vais tourner entre deux bâtiments, mon regard tombe sur une jeune femme qui sort d’une boutique plus loin. Je fronce des sourcils tout en observant son profil, sentant mon cœur battre soudainement la chamade. Pourquoi est-ce que j’ai l’impression de reconnaître cette jeune femme ? Sans m’en rendre compte, mes pas m’ont mené jusqu’à elle qui enlace un jeune adolescent avant de se redresser pour partir. Je la suis alors qu’elle sort de la cité pour rejoindre le Bac du Trépas.
« Hey ! » Elle se retourne et je m’approche d’elle, me plantant juste devant elle en baissant les yeux sur son visage. Mes sourcils se froncent tandis que je l’observe, l’air certainement pas agréable. J’ai une barbe longue de plusieurs semaines, le visage sale et je ne suis pas le plus propre de la ville. Je ne ressemble plus à l’homme que j’étais, à Erëvan l’ébéniste. « Qui êtes-vous ? J’ai l’impression de vous connaître… » Elle aussi semble me regarder d’une étrange manière, comme si elle me connaissait, mais elle ne doit pas me reconnaître. Est-ce une sirène ? Ou une habitante de Lawless Island ? Si je n’étais pas aussi stupide, il me suffirait d’écouter ce cœur qui tambourine avec force. Aucune autre femme ne l’excite ainsi, pourquoi elle ? La dernière à le rendre ainsi, c’était Cleo… Et avant Cleo, c’était… Non, elle est morte. Pourtant, son visage et ses yeux verts… « Anara ? »
Je viens de raccompagner le fils d’une personne de la maison du gouverneur. Un garçon que j’ai vu naître et que j’ai aidé bien des fois en plus de mon rôle pour Luis et ses enfants. Il est maintenant en âge de vivre sa vie, il a 17 ans et pense que le monde doit se faire au-delà des mers, je ne peux que lui souhaiter bonne fortune. L’océan, je le connais bien mieux que lui et je sais quels dangers l’attendent. Je l’encercle affectueusement, avant de lui dire adieux. Je tourne le dos à ce jeune adulte, allant vers le bac, repartir vers ma cité et ma vie tout simplement. Je n’ai jamais aimé One Eyed. On y croise que des hommes violents et qui n’ont aucune valeur morale. Sans parler bien entendu de l’odeur qui me fait bien souvent plisser le nez. Alors que j’arrive sur le bac, une voix m’interpelle et bien que je ne connaisse pas la voix, du moins me semble-t-il, je me tourne vers l’individu. Il n’a pas l’air commode et je glisse ma main sous ma cape pour m’assurer que mon poignard s’y trouve toujours, au cas où…Il me toise un long moment et je croise son regard le confrontant avant d’y lire une chose que j’avais oubliée, enfouie bien loin dans mon cœur et ma vie pour qu’elle ne réapparaisse jamais de crainte d’ouvrir une faille bien trop douloureuse. Je ne sais pas qui il est, mais…De ses lèves cachées par une barbe de plusieurs jours qui lui barre le visage comme un foulard savamment placé, j’entends mon prénom. Dans sa bouche, cela sonne comme une décharge électrique, mon prénom, je veux dire. J’ôte ma capuche, m’approchant pour le mirer d’encore plus près, me permettant même de toucher son bras. « Tu…ils…ils ont dit que tu étais mort… » Mes yeux se remplissent instantanément de liquide salin, Maëa a toujours été là dans mon âme et mon cœur, je l’avais juste caché pour ne pas souffrir en sachant qu’il n’était plus vivant. Ma main va à son visage, le caressant, en regardant ses traits encore et encore pour m’assurer qu’il était bien celui que je crois qu’il était. Je clos mes paupières, m’éloignant de lui, il a l’air…si différent. « Pardon de cette proximité…Je ne devrais pas… »