Are you, are you Coming to the tree? Where I told you to run So we’d both be free Strange things did happen here No stranger would it be If we met at midnight In the hanging tree The Hanging Tree HUNGER GAMES
« Tu m’avais presque supplié de le faire, alors je ne suis pas sûre que ce soit un crime.» Il avait murmuré ses paroles avec une légère ironie dans la voix, fixant de ses yeux bruns la jeune sirène.
« Mais je ne l’aurais pas fait. Tu le sais. » Comme un constat. Oui bien sûr elle avait eu peur. Il l’avait senti. Son cœur battant à travers le pouls de son poignet comme un oiseau affolé. Mais il était persuadé qu’au fond d’elle, elle le connaissait mieux qu’elle ne le prétendait. Que lui avoir sauvé la vie quelques semaines plutôt n’avait pas de sens s’il la lui arrachait ensuite. Que venant de sa part, ça n’avait pas de sens. Qu’il était juste comme elle, un oiseau brisé.
« N’est-ce pas ? » Il l’avait rajouté presque malgré lui. Il voulait qu’il la croie. Peut-être cherchait-il aussi à s’en convaincre. Sous le coup de la colère et de la frustration, il aurait été si facile de juste la lâcher. L’île avait peut-être décidé, par un tour de passe-passe dont elle avait le secret, de lui ôter son libre arbitre l’espace d’une seconde d’obscurité, de le protéger d’un acte qu’il aurait regretté jusqu’à son dernier souffle.
Mais tout cela avait-il une quelconque importance ? Ils étaient piégés sur ce fichu banc de sable et la seule façon de s’en sortir révulsait le garçon qui s’était à présent éloigné au maximum des bouillons ardents. Là, au creux de la roche, avec le son étouffé des vagues à quelques mètres, il put enfin recommencer à respirer. Naïla ne tarda pas à le rejoindre, sous sa forme de sirène cependant. Etrangement, si ces êtres lui avaient causé du tord, il la préférait sous cette forme plutôt que face à sa nudité exposée. Raygon se garda pourtant bien de fixer sa longue nageoire qui avait pris forme à la base de son bassin. Cette hybridation lui rappelait de trop mauvais souvenirs, et que la magie de l’île avait engendré des êtres aussi merveilleux qu’ils pouvaient être vicieux et dangereux.
Il hocha donc la tête à ses paroles, et se permit même de rajouter un commentaire qui se voulait plus poli que réellement sincère.
« J’ai rarement vu des couleurs d’écailles comme les tiennes, je suppose que ça te vas bien. Est-ce que… cela a une importance chez les sirènes, ou c’est comme une couleur de cheveux pour les humains ? »
A vrai dire, si tout jeune il avait adoré en apprendre encore et encore sur les sirènes, depuis son conflit avec les habitants marins, il avait occulté tout ce qui se rapprochait de près ou de loin aux naïades.
Il fit une grimace quand la jeune femme pointa du doigt sa peur de l’eau. Il aurait presque préféré qu’elle se croit responsable. Presque. Ça lui aurait permis d’avoir l’air moins poule mouillée. Mais après tout, la peur n’était-elle pas un système d’alerte puissant ? Un souvenir des douleurs passées pour empêcher à son propriétaire d’en tester de nouveau le goût amer ?
« Vu comment tu t’occupes des pirates, la manière forte doit être plutôt radicale. » Le jeune colibri tenta un sourire, en vain. Le son de l’écume moussant le sable lui faisait l’effet d’un animal énorme se délectant d’avance de sa chair fraiche, bavant son envie sur ses gencives de grains. Agrippant ses grandes jambes d’oiseau, il la ramena contre son torse, se balançant lentement d’avant en arrière de manière saccadée. Son épaule le faisait souffrir et il lui était quasi impossible d’utiliser son bras. La douleur ne faisait qu’ajouter à sa psychose tout en l’empêchant de rester tout à fait immobile.
« Je n’ai pas juste peur de l’eau Naïla. J’ai failli me noyer plus jeune. Je suis terrifié par l’eau. Même toi qui est une sirène, tu ne la maitrise pas. Mais avant toute chose..., continua t-il en grimaçant, il faut que tu arranges mon bras. »
Ce ne devait pas être une luxation sévère, il en aurait souffert le martyr et n’aurait pu articuler deux mots. Mais l’angle étrange de son épaule, légèrement saillante ne lui inspirait pas confiance non plus. Prudemment il la toucha de sa main valide, s’arrachant un cri de douleur aigu.
« Il va falloir que tu me tires le bras dans son axe originel et sans attendre pendant que les muscles sont encore chauds. »
Penser pratico pratique, et par ordre de priorité, voilà ce qui permettait à Raygon de garder la tête haute pour le moment. Il lança un regard lourd à la jeune femme en serrant les dents. Ça n’allait pas être une partie de plaisir !
« ARE YOU, ARE YOU COMING TO THE TREE? WHERE I TOLD YOU TO RUN SO WE’D BOTH BE FREE STRANGE THINGS DID HAPPEN HERE NO STRANGER WOULD IT BE IF WE MET AT MIDNIGHT IN THE HANGING TREE. »
Naïla observa le doute qui se laissait dans son regard. Doutait-il du fait qu'il ne l'aurait pas lâcher ou bien doutait-il qu'elle le croit ? Telle était la question. La jeune femme était persuadée qu'il n'aurait pas hésité à la tuer. Ou bien si c'était le cas il l'aurait sans doute mutilée, blessée très gravement. Ce regard, elle le connaissait. C'était son propre regard. Elle revoyait encore son reflet d'y il y a quelques jours après son arrivée sur l'île. Son visage avait été ravagé à cette époque d'une lourde tristesse et elle avait eu le regard tellement sombre qu'elle aurait pu effrayer n'importe qui sur son passage. C'était le regard d'une haine profonde. Il avait une haine profonde envers les sirène et les tritons. Elle en était persuadée: il l'aurait tué. Par chance il n'était pas aussi mauvais qu'elle lors de son naufrage ici. Il avait des bons côtés; elle, n'avait été qu'une âme perdue, abandonnée, sans sens de la raison. Sa raison avait pris le dessus en haut de cette falaise. C'est pourquoi il ne l'avait pas lâché immédiatement. Après tout on le disait très bien "le coeur à ses raisons que la raison ne connait point". Une sorte de duel entre son coeur guidé par son instinct et ses peurs et sa raison guidée par ses codes de conduite et d'honneur. Voilà pourquoi il avait sans doute hésité à la lâcher un peu plus tôt. Son "n'est-ce pas?" sonnait comme un appel de détresse. Comme-ci il voulait être sûr de ne pas être un monstre. Du moins la jeune femme le percevait comme ça.
« On a tous sa propre histoire et on gère tous nos démons d'une façon différente. »
Telle fut sa réponse. Ce n'était pas une réponse développée qu'il attendait à son interrogation, plutôt un oui ou un non. Mais il y avait implicitement une demande d'avis. Naïla le ressentait comme ça. Il n'avait pas besoin de savoir si la jeune femme avait confiance en lui à ce moment là, mais plutôt qu'il n'était pas quelqu'un de mauvais malgré ça. Il voulait seulement se rassurer. Du moins c'est ce qu'elle imaginait.
La jolie brune le rejoignit quelques minutes plus tard sous sa véritable forme dans la fosse. Elle était un peu gênée de se retrouver ainsi devant lui et tentait de cacher au maximum sa nageoire pour ne pas les rendre tous les deux mal à l'aise. Afin d'échapper à son regard dévisageant, elle observa silencieusement là où ils étaient avant qu'il ne lui pose une question surprenante. La couleur de sa nageoire ? A vrai dire elle ne savait pas trop le lien que ça avait. Elle se racla alors la gorge en réfléchissant, le regardant.
« Et bien, je l'ignore. Et... hum, merci je suppose ? » dit-elle à sa compliment, tentant de lâcher un léger sourire pour détendre l'atmosphère, bien qu'elle avait sans doute l'air d'une idiote qui ne savait pas trop se sociabiliser. Elle tenta donc de faire un effort et se mit à lui parler, d'un air nostalgique. « Quand j'étais plus jeune, je pensais que les couleurs avaient un lien avec notre personnalité. Tu sais des fois on dit que les couleurs ont des significations qui leurs sont propres ? Et bien j'ai toujours pensé que le orange révélait une personnalité joyeuse et optimiste. Mais aujourd'hui je ne pense plus que ce soit le cas. Tu sais à quel point on est imaginatif et naïf plus jeune ! Je dirai plutôt que c'est tout bonnement génétique, ou bien le hasard ? Je ne me suis jamais réellement penchée la dessus. » Elle marqua une pause en remarquant qu'elle parlait trop. C'était dur de se forcer à s'ouvrir et de ne pas le faire trop non plus. « Excuses-moi, j'ai un peu trop parlé. »
S'ouvrir aux autres était encore tout nouveau pour elle. Elle n'était pas sûre de trop savoir le faire. Elle se contenta alors de la lâcher de regard. Puis il rompit finalement le silence pour lui demander une aide particulière qui provoqua un froncement de sourcils à la jolie brune. Son regard vagua entre son bras et lui et elle se mordit la lèvre. Elle n'était pas sûre d'y arriver. Elle n'était pas médecin. Prenant appui avec ses bras sur le rebord, elle s'assit dessus, laissant ses jambes dans l'eau pour garder sa forme de sirène. Elle aurait peiné à faire ça dans l'eau. Posant sa main sur son épaule, elle le regarda dans les yeux, légèrement angoissée.
« Je ne sais pas comment m'y prendre je n'ai jamais fais ç...» Elle fit un mouvement avec son épaule qui remit son bras en place, arrachant à Raygon un gémissement qui la fit paniquée elle même qui lâcha son épaule et leva les deux mains en l'air pas peur de faire une bêtise ou de lui faire mal. « Mon dieu, je suis navrée ! Vraiment désolé ! Je ne t'ai pas fais mal ? Ca a marché ? Pitié dis moi que je ne t'ai pas fais plus mal qu'avant ! » enchaîna-t-elle à une vitesse folle, prise au dépourvue et de panique.
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Elle ne le croyait pas. Et comment lui en vouloir lorsque lui-même émettait de sérieux doutes sur ses propres actions. Avec le recul il pensait qu'il ne l'aurait pas lâchée, mais ce n'était qu'une hypothèse d'un cerveau reposé. Sur le moment, et avec la haine et le dégoût qui nourrissaient chacun de ses muscles, peut-être bien que oui, la raison n'aurait pas eu son mot à dire et ses pulsions meurtrières l'auraient poussé à commettre un manquement au sixième commandement. Il se contenta donc d’acquiescer à ses sages paroles. Sentant une mauvaise fièvre gagner du terrain sur sa lucidité, il essuya son front, passant ses tempes en fermant les yeux.
Entendre la voix de Naïla lui permettait de garder contact avec la réalité et il concentra un maximum de ses neurones sur ce qu'elle lui contait. En effet, la jeune sirène était à présent loin de l'optimiste et de la gaieté même. Ce qui fit sourire le garçon tout en se gardant bien d'émettre le moindre commentaire. A coup sûr elle l'aurait renvoyé dans ses filets en lui donnant les 10 bonnes raisons pour lesquelles les papillons et les ciels bleus ne faisaient plus partis de son horizon depuis longtemps. Et peut-être même ferait-il parti de la 10e raison.
« Non pas du tout. Si j'avais un mal de crâne, il viendrait plus de la chute qu'on vient de faire plutôt que de toi. Tu n'as rien de cassé ? »
Se rendant compte qu'il ne lui avait même pas posé la question de son état, il laissa son regard fouiller minutieusement ce demi corps qu'il connaissait, et l'autre moitié qu'il découvrait. C'était un examen clinique, sans arrière pensé et il fut rassuré de ne lui trouver que des égratignures plus ou moins superficielles. Sans doute les sirènes avaient-elles des os plus solides que ceux des humains.
Son bras pourtant, se rappela à lui alors qu'il tentait de prendre appui sur les roches proches. La crispation de ses muscles et son incapacité à tendre son bras lui firent prendre conscience de l'urgence de la situation. Il la laissa s'approcher alors qu'il lui exposait la situation. Raygon sentit son hésitation alors que son regard faisait le va et vient entre son épaule et ses yeux. Yeux qui disaient clairement "on a pas le choix ". Bien qu'ils essayaient continuellement de s'ôter la vie, Raygon la croyait capable sur ce coup et lui faisait confiance. Ses doigts frais sur son omoplate lui donnaient déjà une douce sensation de fraicheur sur ses muscles chauffés à vif.
« Ne t'inqu...» avant qu'il n'ait pu répondre aux inquiétudes de Naïla la jeune femme se tortionna pour recaler son épaule et le garçon sentit tout son corps parcouru d'un choc électrique qui s'estompa de suite en laissant dans son sillage une impression de coton en bouche. Il expira brutalement et longuement avant de reprendre la parole. « Tu l'as fait exprès. » Ce n'était pas forcément un reproche, il aurait du s'y attendre. Compter jusqu'à trois et agir à deux était un principe médical que Naïla avait de toute évidence bien assimilé. Doucement et avec la lenteur d'un paresseux au réveil, il déplia son bras, faisant rouler les muscles de l'épaule d'avant en arrière. Bien qu'une douleur sourde persistait, les mouvements étaient possibles et d'un geste précautionneux il tapa dans les mains toujours en l'air de la jeune sirène.
« Bien joué petit poisson. » Si son jugement s'éclaircissait, il pouvait nettement voir que l'eau qui léchait il y a de cela quelques minutes à peine la plage, s'avançait désormais sournoisement près de leur abri de fortune. Grimaçant il comprit qu'il allait être obligé de retourner dans ces eaux glacées.
« Combien de temps il va falloir nager à ton avis ? » Ses yeux se fixèrent à ses homonymes bruns. Déjà, il songeait à l'idée de remettre l'orteil dans l'eau et c'était un énorme progrès.
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« Mes blessures ne sont que superficielles à côté des tiennes. Ne t'en fais pas ! ». Ce fut la seule réponse de la jolie sirène sur ses blessures. Elle avait un terrible mal au crâne dû à la roche et des courbatures, mais rien de casser. En revanche on ne pouvait pas en dire autant de l'état préoccupant de son épaule. Naïla n'avait jamais remis en place le bras ou un quelconque autre membre à quelqu'un. A vrai dire, elle détestait ça. Peut-être simplement parce qu'elle connaissait Raygon et que le blesser n'était pas dans ses attentions. Et si elle le faisait mal et qu'il souffrait encore plus qu'avant ? Prise de panique, elle effectua le geste sans s'en rendre compte et sans trop y réfléchir. Déjà qu'elle détestait ça, si elle pensait trop elle n'aurait jamais agi. S'excusant mille et une fois en le voyant jurer, elle se mordit la lèvre inférieure, angoissée à l'idée d'avoir empirer sa blessure. Mais finalement Raygon semblait plutôt bien s'en sortir. Son épaule était de nouveau en place et il réussissait à bouger normalement. Son coeur se décompressa et se libéra de sa tension dans sa poitrine alors qu'elle lâcha un profond soupir de soulagement. Il allait bien. Un rire quitta même ses lèvres, un rire assez prononcé, ce qui était rare chez elle. Ce n'était que de petits ricanements d'habitude, mais là la situation était assez amusante, ou peut-être était-ce tout simplement les nerfs qui lâchaient ? Mais il fallait avouer que son "petit poisson" eut le don de l'amuser.
« Petit poisson ? Sérieusement ? » dit-elle en souriant de pleines dents.
Puis il ne fallut qu'un bon moment pour qu'ils reprennent leurs esprits sérieux. L'eau montait, il n'avait pas tord. Le temps était compté et l'eau risquait de se déchaîner un peu plus à chaque seconde qui s'écoulait. Même pour une sirène, cet élément pourtant naturel était glacial. Elle ne voulait y rester plus longtemps. La température et la tempête n'étaient pas là pour enchanter les êtres marins et Naïla ne voulait pas rester ici une seconde de plus. A la question de Raygon, elle regarda l'autre rive par rapport à leur position. Se mordant l'intérieur de la lèvre, elle analysa la situation. Au bout d'un moment, elle regarda Raygon dans les yeux et reprit d'un air sérieux.
« Je dirais cinq minutes si tout va bien, en sachant que tu es sans doute un piètre nageur. Moins de deux minutes à coup sûr si tu me fais confiance et que tu t'accroches à moi. Que décides-tu de faire, Raygon ? Le temps presse. Il faut se dépêcher avant que la tempête n'éclate totalement. »
Puis, elle baissa légèrement son regard, ayant d'autres mots à dire. Des mots qu'elle n'osait pas prononcer, car mine de rien Raygon avait su capter son attention, elle avait envie d'un peu plus le connaître. Se pinçant l'arête du nez, elle ferma quelques secondes les yeux avant de prendre son courage à deux mains et de redresser ses yeux noisettes vers les siens.
« Ecoutes, Raygon. Je t'aide à partir d'ici et après nos chemins se sépareront. Tu as raison, de part ma nature je peux être considérée comme une sangsue assoiffée de sang et pleine de perversités, comme tu me l'as dis. On est pas tous comme ça, mais moi, en l'occurrence je le suis. Je n'apporte que la malchance à ceux qui ont le malheur de croiser ma route. Je ne veux pas prendre le risque qu'il t'arrive quelque chose à toi aussi, comme à tous les autres. C'est pour ça que je pense qu'après cette aventure, il vaut mieux ne plus se voir. Pour ne pas que tu sois en danger. »
Au fond d'elle, Naïla ne le voulait pas et ça se voyait. Seulement, c'était le mieux à faire pour le protéger. Tout ceux qui croisaient sa route finissait par mourir, soit par les pirates, soit de son propre karma qui était très mauvais. Et puis une part d'elle se disait aussi que Raygon le voulait sans doute et que ça ferait moins mal si elle le lui disait avant qu'il ne lui dise. L'abandon a toujours été sa plus grande crainte et aujourd'hui, maintenant qu'elle se sociabilisait à nouveau, cette crainte revenait à la surface. Foutue peur ! Foutue vie ! Foutu avenir incertain !
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Un pas après l’autre, c’était son motto dans la vie. Chaque marche lui permettait d’affronter la suivante sans regarder le haut de l’escalier. La foulure de son épaule lui laissait les muscles de son côté en caoutchouc mais le reste du corps était encore assez fonctionnel pour l’aider à sortir de cette situation. Et puis, il pouvait compter sur le poisson à la dentition bien mise qui lui faisait face. Un sourire en coin lui échappa quand elle émit un doute sur sa plaisanterie. Après avoir voulu s’entretuer voilà qu’ils pouvaient compter de nouveau l’un sur l’autre. Leur relation était une jungle de sentiments contradictoires où l’un et l’autre dominaient et dominés tel deux bêtes sauvages cherchant l’apprivoisement.
Se redressant sur ses deux pattes en grimaçant il observa avec Naïla l’autre rive, attendant son jugement. Elle était bien plus qualifiée que lui pour estimer le temps qu’ils leur faudrait pour passer de l’autre côté. Le garçon ne put s’empêcher de plisser les yeux quand elle le traita de piètre nageur mais ne put faire aucune contre attaque sans mentir à la fois. Cinq minutes, c’était énorme, il y avait de quoi mourir de dix mille façons différentes en cinq minutes, en deux aussi d’ailleurs. Mais ça en faisait toujours six mille de moins.
« Ok, je te fais confiance. Ne me le fais pas regretter. » Même si son regard sombre s’était adouci, il y persistait une pointe d’anxiété que sa phobie nourrissait sous le couvercle. Respirant une longue bouffée d’air, sachant que l’oxygène deviendrait bien plus coûteux dans les prochaines minutes il remit en place ses vêtements et s’approcha de la sirène et de l’eau, prêt pour l’un des plus grands défis de sa vie.
Il fit face au visage soudain mitigé de Naïla, la regardant baisser la tête. Revenait-elle sur ses paroles ? Allait-elle finalement le laisser pourrir sur cette plage ? Les sirènes étaient fortes en jeu de manipulation. Est-ce que tout ce soit disant discours sur le self contrôle et la confiance en l’autre n’était qu’un jeu de dupe destiné à le laisser plus misérable encore ?
La véritable pensée de la jeune femme le surprit et il écouta sans comprendre. Sa main gratta l’arrière de son crâne, soudain gêné des atrocités qu’il avait pu dire sous le coup de la colère. Mais il se força à ne pas l’interrompre. Lorsqu’elle eut finit il se contenta de la regarder avec une tendresse toute nouvelle et bienveillante. Il faillit même croiser les bras sur son torse mais se ravisa au lancement aigu de son épaule.
« S’il y a bien une chose en laquelle je ne crois pas Naïla, c’est la malchance tombée du ciel. Un de mes plus proches amis m’a toujours dis que la chance, comme la malchance ça se provoque. Alors au lieu de vouloir la fuir sans arrêt et d’obliger les autres à faire de même, je pense que tu devrais l’affronter une bonne fois pour toute. Et avec toute l’aide qu’il te sera nécessaire. » Raygon ajouta ses derniers mots avec un clin d’œil en se désignant lui-même avant de rajouter.
« Enfin si on arrive de l’autre côté en tout cas. Puis tu sais, je crois que même si tu voulais m’éviter, le destin nous remettrait sur la même voie un jour ou l’autre comme il vient de le faire aujourd’hui. »
Retroussant ses manches à la manière d’un ouvrier sur le départ, il ajouta l’air décidé.
« Pour le moment laisse moi jouer la sangsue et dis moi ce que je peux faire pour ne pas te déranger dans tes mouvements et t’aider. »
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Naïla n'avait pas traité Raygon de "piètre nageur" dans l'objectif de le blesser. Au contraire. Elle l'avait qualifié ainsi par le simple fait qu'il n'avait pas d'expérience avec l'océan, encore moins aussi agité. Il n'y avait rien de malsain dans ses mots. Et au fond d'elle, elle le savait capable de traverser cette rive avec elle. Tant qu'elle était à ses côtés, il ne lui arriverait rien de grave. Au pire des cas, elle le récupérerait et le ramènerait à la surface. Mais même si elle ne laissait rien paraître, cela ne l'empêchait pas d'être paniquée à l'idée qu'il lui arrive quelque chose. Le bouche-à-bouche l'a sauvé une fois, mais cela ne se reproduirait peut-être pas une seconde fois. Elle avait, qu'elle le veuille ou non, sa vie entre ses mains. Il n'avait pas vraiment le choix: prendre le risque de se noyer en voulant s'en sortir ou mourir asphyxier et enfoui des les profondeurs ténébreuses de l'Océan en ayant abandonner. Dans le second cas, Naïla aurait tout fait pour l'amener avec elle. Quitte à user de sa voix envoûtante. « Je ne t'aurai jamais proposé ça si je ne t'en pensais pas capable, Raygon. Je sais qu'au fond de toi, malgré la peur que tu as, tu as la force d'y arriver, de vaincre cette faible distance. Au faites, qu'es-tu venu faire dans ce recoin de l'île ?»
Cela l'intéressait d'un côté, et de l'autre elle voulait le rassurer et lui faire penser quelque peu à autre chose qu'à la dure épreuve qui l'attendrait. Le destin avait le don de leur remettre sur le même chemin, elle avait pu le constater et la jolie brune aurait aimé connaître la raison de cette nouvelle rencontre qui a bien failli lui coûter la vie quelques minutes auparavant.
Puis Raygon vint l'observer de manière suspicieuse. Pensait-il qu'elle préférait le laisser pourrir seul, ici ? Une part d'elle voulut lui répondre, mais l'autre lui disait que c'était sans doute le fruit de son imagination. Après tout pourquoi douterait-il d'elle alors qu'elle venait de lui sauver la vie après qu'il ait tenté de la tuer? L'aurait-il fait ? Etait-il prêt à la laisser tomber dans le vide, vouée à elle-même, dans ses océans sauvages et déchaînés, seule ?
La jolie sirène ne put cogiter plus longtemps à ce sujet qu'il lui répondit d'une manière assez détachée qui la surprit. Voulait-il réellement être là pour elle dorénavant ? Sa deuxième remarque concernant le destin la fit lâcher un tout petit rire entre la douceur et l'amusement. Elle parlait d'un ton léger, pour changer.
« Je n'en doute pas. Même si je préférerais que l'on ne se recroise pas dans une situation pouvant être mortelle pour tous les deux. Je pense que l'on a suffisamment eu notre dose pour le moment. Et concernant mes histoires, je pense qu'il vaut mieux pour toi ne pas me fournir une quelconque aide. Crois-moi, je suis dans des problèmes dont tu n'as même pas envie de savoir l'origine et je pense qu'il vaudrait mieux pour toi que tu ne le saches jamais. »
Comme pour accompagner la fin de ses paroles, elle haussa les épaules d'un air de dire "tant pis pour moi, c'est de ma faute", accompagné d'un sourire sans réels sentiments. Elle n'avait pas trop envie de le mêler à ses problèmes. Il y avait les pirates, les gens qui la voulaient pour morte sous l'Océan et à la surface, son "défunt-fiancé" pas réellement décédé, sans compter son meilleur ami avec qui la situation était devenue incontrôlable avec de l'alcool dans leur sang, sans oublier que celui-ci avait rencontré l'homme "toujours en vie", et finalement qu'elle mettait sans cesse ses proches en danger alors qu'elle voulait retrouver une vie normale. Peut-être n'aurait-elle jamais cette chance ? La chance de connaître l'amour, l'amitié, le désir, le bonheur... Elle n'en savait trop rien, même si elle n'était pas sûre d'être une bonne personne, encore moins de le mériter après tout ça. Mais ses pensées restait confidentielles, comme toujours. On ne change pas les bonnes habitudes, disait-on !
« Je suppose que tu n'es pas très bon en apnée. Mais cela risque de ne pas être très supportable pour toi de te prendre le courant en pleine face. Ce que je te propose, c'est d'aller sous l'eau durant cinq secondes avant de remonter, le temps que tu reprennes ton souffle. Expires par le nez sous l'eau. Tu peux te tenir à mon bras ou à ma nageoire, même si je pense que prendre ma main me faciliterait la nage et je suis sûre de ne pas te perdre. Essaies également de battre des jambes, ça nous fera gagner de la vitesse. En cas de problème, tires moi trois coups sur le bras, ou signales-le moi d'une quelconque autre manière. Nous allons nous en sortir. » Elle lui fit un petit sourire d'encouragement et lui tendit la main pour l'aider à venir dans l'eau. « Je ne te lâcherai pas, je te le promet. Tu me fais confiance ? »
Cette dernière phrase sonnait surtout comme un "tu es prêt?". Confiance ou pas, elle ne le laisserait pas ici. Même si une part d'elle s'inquiétait pour lui.
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Les rouages de son cerveau s’étaient de nouveau mis en route, à présent Raygon était inarrêtable. Il avait pris sa décision, et le garçon était aussi têtu que la croissance lente mais perpétuelle des grands sycomores. Le fait que Naïla y croit aussi, et il savait qu’elle ne mentait pas, le confortait dans cette idée. Après tout ils avaient été ennemis il y a peu. Et l’on dit que les ennemis se connaissent parfois bien mieux que les amis. La partition se jouerait donc à quatre bras, deux jambes, et une queue de poisson !
Bien sûr, la peur n’avait pas disparu, loin de là. Mais il était prêt à mettre dans la balance un poids en courage supérieur. Le rappel de Naïla sur sa présence à la pointe de la tempête lui échappa un soupir. Avec tous ces évènements, il en avait complètement oublié son idée de départ. Comme cela devenait une habitude lorsqu’il croisait le chemin de la naïade remarque. Il était venu pour tester sa nouvelle invention, une magnifique maquette d’oiseau volant comme il l’appelait. Elle devait croupir en ce moment dans l’une des ruines, à atteindre désespérément son envol. La vérité, et ça le garçon ne pouvait même pas en avoir l’ombre d’un soupçon, c’était que Naïla lui avait peut-être bien plus sauvé la vie qu’elle ne l’imaginait elle-même. Car son invention, aussi belle et imaginative soit-elle, lui aurait sans doute coûté la vie. Se balancer du haut d’une falaise avec trois planches attachées par des bouts de ficelles demandait bien plus de folie que de courage.
Raygon n’était cependant pas prêt à dévoiler l’une de ses activités les plus secrètes et les plus chères à son cœur à la jeune femme. Pas encore. Comme beaucoup, il avait son jardin secret et les mystères qui y poussaient n’appartenaient qu’à son jardinier.
« Je voulais savoir si les légendes sur cet endroit étaient vraies. Qu’on y croise des revenants tu vois… » il la désigna du menton avec un sourire. Naïla était un peu ce fantôme qui apparaissait et disparaissait de sa vie à intervalle rythmé. Qu’elle le croit ou non n’avait que peu d’importance, ils avaient un défi beaucoup plus grand à affronter que des spectres croulants. Son défi à lui en tout cas, car la jeune sirène semblait vouloir l’éloigner autant que faire ce pouvait de ses propres problèmes.
Il fronça les sourcils mais n’ajouta rien. Raygon n’avait pas voulu être simplement poli en proposant son aide. Seul un aveugle et un sourd aurait pu ignorer les tourments dans lesquels semblaient être empêtrée Naïla. Mais si elle estimait pouvoir et devoir les surmonter seule, c’était son choix. Et il était autant courageux qu’il imposait le respect.
Les manches retroussées et le regard fixé sur les vagues, il écouta les directives de la nageuse. Battre des pieds, tenir sa main, ne pas entraver sa nageoire… Ok, tout cela c’était faisable. Alors que l’eau léchait ses membres à mesure qu’il s’y enfonçait, la violence du ressac lui comprima la poitrine. Un frisson glacé grimpa le long de sa colonne vertébrale, attaquant sa gorge. D’un souffle profond Raygon s’obligea à le tenir à bonne distance, agrippant plus qu’il ne prit la main de la jeune femme.
« Oui. » Répondit-il simplement à la question de Naïla, hochant vigoureusement la tête. Il avait déjà fait confiance à une sirène auparavant. Deux yeux clairs, une nageoire scintillante qui l’avaient avalé jusqu’aux ténèbres de l’océan. Mais les prunelles chocolatées qui le regardaient ne portaient pas un soupçon de malice. Ils étaient francs, déterminés, prêts à le guider.
Alors que la plage derrière eux fondait comme peau de chagrin sous la langue gourmande des flots, la sirène et l’humain plongèrent dans sa gueule ouverte. Le froid et le bouillonnement des eaux faillirent faire perdre la raison au jeune homme à nouveau. Mais la tension sur sa main et les doigts de Naïla enserrant les siens lui fit égrener les secondes avec la clarté d’un mathématicien. Sa première goulée d’air se mêla à 75% d’une eau salée et il dut signaler à Naïla un répit. La deuxième ne fut pas mieux et la jeune naïade se retrouva stoppée de nouveau dans sa course par les trois coups d’alerte. Cependant, au fur et à mesure, leur duo commença à fonctionner. La machine qu’ils formaient prenant sens. Ses battements de pieds se firent moins désordonnés et bien que la fatigue et son épaule soient bien présentes, la panique avait cédé la place à l’efficacité. Il avait beau ne pas savoir où ils se dirigeaient, se laissant guider par Naïla, il gardait le rythme.
Alors qu’il renouvelait ses gestes, ses mains heurtèrent le fond granuleux et mou du sable vaseux de la côte. S’autorisant à lâcher la main de Naïla, il rampa sur le sol, exténué, la gravité reprenant ses droits. Sa respiration lui coupait les entrailles, ses côtes semblant jaillir à travers sa peau qui se soulevait telle une machine à vapeur en surchauffe. Pourtant un rire bien réel s’échappa de son torse alors qu’il se retournait dos sur le sable. Le corps de Naïla, mis femme, mis poisson à côté du sien ne lui faisait plus peur, il était la magie même qui l’avait porté hors de ces eaux.
« On a réussi. » fut la seule phrase compréhensible qui parvint à franchir ses lèvres bleuies.
« ARE YOU, ARE YOU COMING TO THE TREE? WHERE I TOLD YOU TO RUN SO WE’D BOTH BE FREE STRANGE THINGS DID HAPPEN HERE NO STRANGER WOULD IT BE IF WE MET AT MIDNIGHT IN THE HANGING TREE. »
----------------------♪ Naïla avait confiance en Raygon. Elle savait qu'il avait bien plus de courage qu'elle, elle savait qu'il pourrait surmonter cette épreuve haut la main. Peut-être le connaissait-elle pas assez, voire même pas du tout, mais il était brave. Elle l'avait remarqué dès leur rencontre. Il avait su s'y montrer malin et ingénieux pour échapper à ses pirates. Drôle de première impression. Dès le départ, ils s'étaient sauvés mutuellement la vie. Aujourd'hui c'était à son tour de sauver la sienne. Ensemble, ils se battront jusqu'à la fin pour se sortir de là.
Quand elle l'entendit parler des revenants et la désigner du regard, la jolie brune ne put s'empêcher de lâcher un petit et très léger rire en se frottant la nuque. Il était vrai que le destin avait le don de les mettre sur le même chemin. Mais une part d'elle doutait de ses propos. Peu de personnes croyait aux revenants. Pourquoi aurait-il voyagé si loin que pour des a priori ? Peut-être y avait-il autre chose derrière tout ça, mais elle ne préféra pas demander. Cela ne la regardait aucunement.
« Quand on sera sur l'autre rive, je devrai me débrouiller pour retourner à notre point de rencontre. J'ai une tenue, bien qu'elle ne soit pas très chaude, dans mon sac. Ca devrait faire l'affaire. »
C'était bien quelque chose qu'elle n'oubliait jamais: avoir toujours une seconde tenue non loin d'elle. Le nombre de fois où elle s'était retrouvée nue était inimaginable. Elle en était presque une habituée. Quand elle reprenait son état naturel, tout disparaissait. Alors elle prenait quelques précautions. Cachant même, de part et d'autre de l'île, des vêtements.
Quoi qu'il en soit, Raygon saisit sa main, ou plutôt l'empoigna fortement. Il était stressé. Cela se voyait. Elle lui fit un léger sourire pour le rassurer et serra un peu plus ses doigts entre les siens, comme pour lui montrer qu'elle ne comptait pas le lâcher de sitôt. Elle l'aida à rentrer dans l'eau glacé dont ils seraient bientôt débarrassés.
Puis, quand il lui fit signe de la tête qu'il était prêt, elle lui indiqua de prendre une inspiration et plongea dans les profondeurs de l'Océan.
Le plongeon ne dura pas bien longtemps. Elle l'entendit boire la tasse et revint de sitôt à la surface. En tant qu'être marin, son sens auditoire était lui aussi développé dans l'eau. Deuxième plongée, ce fut la même chose. Pour elle, ce n'était pas bien compliqué, mais elle se doutait bien que le beau brun n'était pas un habitué et qu'il avait besoin d'aide et de conseils pour s'en sortir.
« Raygon. Ca va aller. Pinces-toi le nez avec ta main libre ou bien expires quand tu es dans l'eau. Ca évitera l'eau de rentrer. On va s'en sortir. »
L'eau était agitée. La jolie sirène se prit quelques vagues en pleine figure. Mais fit de son mieux pour en protéger Raygon. Inutile de lui rendre la tâche plus compliquée qu'elle ne l'était déjà. Le voyant s'habituer à respirer, elle plongea et ressortit de l'eau à un rythme soutenu: soit six coups de nageoire. Elle essayait de rendre ses mouvements synchronisés pour l'aider à s'habituer plus rapidement et facilement. Ses pensées, quant à elle, vaguèrent vers la délicieuse nage qu'elle était en train d'entreprendre. Jamais, en autant d'année, elle n'avait connu le bonheur de nager. Peut-être était-ce le résultat qui l'enchantait, ou le fait qu'elle ait quelqu'un avec elle, quelqu'un qui semblait d'autant plus l'accepter, désormais.
Ils formèrent une bonne paire, car en à peine deux minutes, ils atteignirent de nouveau le sable. Elle lâcha sa main pour l'aider à se retirer des profondeurs marines. De son côté, elle s'aida de ses avant-bras pour s'avancer un peu hors de l'eau. Sa nageoire limitait ses mouvements. Elle fit en sorte de rester à moitié dans l'eau pour ne pas se retrouver dans une nouvelle situation de nudité devant Raygon. Cela l'aurait mis un peu plus mal à l'aise. Et elle aussi.
L'excitation face à la joie apportée par cette réussite put se lire sur leurs deux visages respectifs. C'était un sentiment que Naïla ne connaissait que rarement. Gagner ou perdre, elle s'en fichait. La vie auparavant n'avait eu que très peu d'importance pour elle. Vivre ou mourir. C'était un concept presque ridicule. Mais aujourd'hui, elle ressentait l'envie de se battre pour être de nouveau heureuse et pouvoir éventuellement connaître le bonheur d'être sur Terre.
C'est sans doute cette excitation rare qui la poussa à agir étrangement. Elle n'avait pas l'habitude de connaître des sentiments aussi puissants, de la satisfaction. D'un geste irréfléchi, elle serra Raygon dans ses bras en lâchant un "Tu as réussi. Tu es en vie !". Elle qui avait du mal avec le contact humain, la voilà totalement désintéressée de son geste. Mais sa joie ne s'arrêta pas là, car quand elle recula et croisa le regard du jeune Finninghan, son corps se retrouva inhabituellement attiré par le sien et elle déposa un bref baiser sur ses lèvres avant de se reculer aussitôt. Son regard croisa de nouveau le sien et en se rendant compte de ce qu'elle venait de faire, elle lâcha de nouveau un rire et se laissa tomber sur le dos.
« L'excitation. Pardonnes-moi. » se sentit-elle obligée de justifier.
Naïla avait tendance à l'autodérision. Ce fut la raison pour laquelle elle rigola de son propre geste au lieu de s'en excuser totalement embarrassée. L'instinct avait agi tout seul. Les voilà donc tous les deux, allongés sur le sable, à contempler le ciel étoilé en cette douce nuit. Seul la puissante pleine lune les permettait de se voir mutuellement et clairement.
Are you, are you Coming to the tree? Where I told you to run So we’d both be free Strange things did happen here No stranger would it be If we met at midnight In the hanging tree The Hanging Tree HUNGER GAMES
Son rire lui brûlait les poumons, et pourtant il était dur de l’arrêter. La peur, l’anxiété, ils les avaient laissé sur le carreau. Et à présent, il profitait d’une euphorie qu’il n’aurait jamais cru capable à l’égard des océans. Fermant les yeux, il sentit le sel de la mer incendier ses paupières, et alors que le vent séchait son corps, il put dire avec certitude qu’il avait gardé de ses flots agités des résidus de cristaux jusque dans les oreilles. Elle l’avait marqué comme on baptise un nouveau né. Et cette sensation était des plus étourdissantes.
Le monde autour de lui semblait encore agité, il sentait les vagues rebondirent sur son torse, le ressac tentant de l’appâter toujours plus loin. Mais son gouvernail ne l’avait jamais laissé tomber, pas une seule seconde. Naïla avait tenu promesse. Elle l’avait amené sain et sauf à bon port. Mais bien plus encore, elle lui avait appris à surmonter sa plus grande phobie, et par là même son passé et ses souvenirs entachés.
Alors qu’il tentait de respirer plus calmement, il se rappela les indications de la sirène qu’il avait appliquées à la lettre. Expirer sous l’eau lui avait permis de n’avoir pas la désagréable sensation du liquide iodée dans ses narines et jusque dans sa bouche. Et alors qu’il avait cru se prendre une pleine rasade, Naïla avait fendu les vagues de son corps, jouant le rôle de son poisson pilote et de la proue tout à trac. Raygon avait toujours admiré les navires et l’ingéniosité de leur réalisation. Mais à mieux regarder les sirènes, il y avait dans leurs mouvements tant de choses à apprendre, tant de réflexes naturels. Les hommes avaient à apprendre des êtres sous-marins bien plus qu’ils ne le pensaient.
Rouvrant les yeux, il tenta de se redresser du mieux qu’il pu, alourdi par ses vêtements gorgés d’eau et la fatigue musculaire il regarda Naïla qui souriait à son tour. Il avait l’impression de redevenir garçon perdu et de profiter du simple moment présent, de la prise de risque et du sentiment de béatitude qui en découlait. Et il sentait qu’il en était de même pour la sirène. Habituée à poursuivre ou à être poursuivie, elle en avait oublié du bonheur de s’arrêter quelques minutes et de profiter, de respirer, de…
D’un mouvement soudain elle se plaqua contre lui, l’étreignant avec une spontanéité qu’il ne lui connaissait pas et qui le prit complètement au dépourvu. Le contact de sa poitrine nue contre sa peau glacée raviva un feu si ardent en lui qu’il lui monta aux joues. Ses mains qu’il n’avait pas su où mettre jusque là effleurèrent inconsciemment son dos, lui rendant une tendresse toute maladroite, laissant le bout de ses doigts glisser jusqu’à sentir la transition entre le grain doux de la peau et le lisse des écailles.
Raygon avait toujours été plus que maladroit avec le sentiment de désir et les femmes en général. Son corps prenait un ascendant qui le désarçonnait et l’empêchait tout bonnement de réfléchir. Lui qui se qualifiait objectivement d’inventeur, coinçait des rouages au premier contact plus qu’amical. Alors quand Naïla, poursuivi son geste par un bref mais réel baiser il recula brusquement, laissant le Colibri qu’il était resté reprendre le dessus dans cette situation.
Elle ne dut pas s’en rendre compte car elle pivota de nouveau dos au sol, le visage levé vers les étoiles et le sourire aux lèvres, se contentant de trois mots pour expliquer son geste. Raygon avait de plus en plus de mal à suivre les changements d’humeur de Naïla mais il savait une chose, c’est qu’il fuyait l’amour ou tout désir comme la peste. Son cerveau s’en retrouvait mixé en compote et il devenait idiot. Il avait eu un amour de jeunesse alors qu’il était encore à l’Arbre, avec une magnifique indienne mais cela appartenait au passé, aujourd’hui il avait bien trop d’autres choses à inventer. Alors aussi gauchement que faire ce peu, il lança tout à trac pour détendre l’atmosphère.
« Alors c’est donc ça le charme des sirènes. Je comprends mieux comment les pirates tombent dans tes filets. »
C’était idiot, d’évoquer la séduction dont était obligée de jouer Naïla pour arriver à obtenir satisfaction. C’était idiot de faire référence à ce jeu alors qu’elle venait d’être spontanée, ou du moins le supposait-il avec lui. Mais dans ce genre de situation, Raygon était idiot. Il eut cependant la pointe d’intelligence pour s’en rendre compte et enchaina rapidement sur un sujet qu’elle avait évoqué avant leur traversée périlleuse.
« Il faut qu’on remonte chercher tes vêtements. Tu vas attraper froid comme ça. Je passe devant. » Debout sur ses deux pieds, il se sentit chancelant et prit le temps d’essorer du mieux qu’il le pouvait ses habits avant de regarder autour de lui un chemin praticable pour remonter. Lentement ils commencèrent leur ascension. Etre devant n’était pas anodin et le jeune homme jeta quelques regards furtifs en arrière pour voir si la sirène suivait et au devant pour n’être surpris par personne. A cette heure heureusement, les habitants de l’île étaient chez eux, au chaud.
Les ruines se découpèrent bientôt à l’horizon et Raygon laissa la jeune femme retrouver sa cachète et se vêtir. L’euphorie l’avait quitté, le laissant dans un sentiment de confusion extrême qu’il n’appréciait que peu.
« Tu m’as dit que tu habitais chez un ami. Tu vas réussir à retrouver le chemin ? » La fraicheur de la nuit gagnait son corps, le faisant frissonner et rêver d’intérieur plus doux.
« ARE YOU, ARE YOU COMING TO THE TREE? WHERE I TOLD YOU TO RUN SO WE’D BOTH BE FREE STRANGE THINGS DID HAPPEN HERE NO STRANGER WOULD IT BE IF WE MET AT MIDNIGHT IN THE HANGING TREE. »
Nager n'était pas un problème pour Naïla, cela faisait parti d'elle. Quand elle était sous sa véritable forme, elle se sentait elle-même. Bien trop elle même, d'ailleurs. Cela faisait remonter trop de souvenirs douloureux pour elle à chacun de ses battements de nageoire. C'était bien trop pénible à vivre. En cette courte nage, elle s'était souvenue pourquoi elle était venue sur la terre ferme et que cela ne changerait pas. Elle avait conduit sa meilleure amie à la mort, puis Aeden -dont elle ignorait encore qu'il était en vie-. En sirène, elle sentait qu'elle avait une âme de meurtrière. Elle était donc sur l'ile. Peut-être simplement pour fuir toutes ses peurs ? Etait-elle lâche à cause de ça ? Ou juste terrorisée de ce qu'elle pouvait faire.
Ce sont ses forts sentiments qui prirent le dessus quand elle s'échoua sur la plage avec Raygon. Elle avait tellement peur de ce qu'elle pouvait faire qu'elle se cachait derrière un masque qui n'était pas elle. Cela faisait des mois. Et aujourd'hui, elle ne savait même plus comment agir quand elle était elle même. Comme-ci tous ses ressentis étaient amplifiés par dix fois. Ce fut la raison pour laquelle elle embrassa Raygon. Un geste furtif et stupide sans doute. Qu'elle regretta. Elle n'avait pas à l'embrasser sans lui dire. Sans doute avait-il de l'amour dans sa vie. En fin de compte elle ignorait encore beaucoup d'histoires à son sujet. Elle avait envie à la fois de plus le connaître, et de l'autre côté, elle voulait s'éloigner tout simplement pour le protéger d'elle-même. Mais aujourd'hui, il semblait plus que jamais moins terrorisé de sa nature. Sa main fut même dans son dos durant l'éteinte. C'était un bon signe, mais cela la questionnait aussi. Fallait-il qu'elle garde contact avec lui ou s'éloigner était-il le mieux ? Il avait bien raison: le destin avait le don de les mettre sur le même chemin, pas toujours pour les bonnes raisons. Si elle s'éloignait, ils allaient peut-être finir par se revoir un jour ou l'autre.
« Ce n'est pas le charme des sirènes, Raygon, c'est simplement moi qui fait cette effet-là. » ironisa-t-elle, tout en se lançant des fleurs à elle-même.
Naïla préférait rire de la situation plutôt que de s'en inquiéter. Et puis Raygon semblait plus.... maladroit avec les femmes que dégoûté de ce qu'elle venait de faire. Elle dut se retenir de rire. Elle non plus n'était pas très douée. Elle jouait les trois quarts du temps à rôle. Que se passerait-il si elle commençait à agir comme LA Naïla Vairë ? Sans doute paniquerait-elle à chaque sentiment positif en pensant aux conséquences. C'était dur d'être enfermée dans une fausse identité. Mais elle avait fini par s'en accommoder. Et c'était sans doute le plus triste de cette histoire.
« Tu as raison. Même si je pense être plus résistante au froid dû à l'eau que toi. Promets-moi qu'une fois chez toi tu te prépareras quelque chose de chaud ! Les maladies ne sont pas simples à soigner parfois. Et surtout pas agréable à vivre. »
Elle lui adressa un petit sourire de sympathie. Soulevant sa queue de sirène hors de l'eau, il ne lui fallut que quelques secondes pour retrouver une apparence humaine et... nue. Cachant son corps pour ne pas gêner Raygon, elle le suivit, derrière lui. En silence, elle pensa à ce qui allait se passer après ça. Continuer sa vie de fugitive ou se reprendre en main et tenter de devenir meilleure ?
En quelques minutes, ils furent rendus près du lieu de l'incident. Naïla observa un moment là où la lutte avait eu lieu. Comment être passé de ça à leur situation actuel ? Devait-elle lui faire confiance ou profitait-il juste d'elle pour ne pas mourir ? L'inquiétude qu'elle avait toujours eu quand elle s'attachait à quelqu'un refit son apparition, mais elle chassa ses pensées immédiatement, attrapant son sac, sortant une tenue qui servait habituellement de tenue de secours, au cas où elle tomberait dans l'eau et perdrait ses vêtements.
Enfilant la longue robe beige qu'elle avait, peut-être trop légère de part ce temps, elle enfila sa cape rouge par dessus après avoir mis le sac sur son épaule. Libérant ses cheveux de leur emprisonnement par la commissure de sa robe, elle s'avança doucement vers Raygon. Le regardant un moment, les yeux plantaient dans le sien, elle ne sut quoi dire. Ou plutôt, l'acte qu'elle fit parla de lui même. Elle s'avança vers lui et le serra de nouveau dans ses bras frêle. Durant plusieurs secondes.
« Je vais m'en sortir. Comme je le fais toujours. Prends soin de toi, Raygon. »
Elle lui adressa un de ses très rares sourires, certes tout petit, mais c'était déjà énormément pour elle. Retirant sa main de son épaule, elle se recula de quelques pas, lui adressant un dernier regard. Puis, elle pivota et se mit à pénétrer la forêt en trottinant, à destination de la maison d'Aodren dans le village voisin. Elle y serait d'ici une heure, maximum.