luis, contance ◊ ”you're on your own in a world you've grown, few more years to go, don't let the hurdle fall. so be the girl you loved, be the girl you loved. i'll wait, so show me why you're strong; ignore everybody else, we're alone now.” |
Le temps était long – il l'était toujours, depuis des années, mais il s'allongeait encore plus ces derniers temps. Comme si quelconque dieu se jouait de son saint pouvoir, comme si quelconque force supérieure de Neverland s'amusaient avec l'espace-temps comme avec un élastique; ils tiraient dessus sans s'en lasser, laissant les secondes flotter dans l'air bien plus longtemps avant de le lâcher et que tout ne s'écoule à une vitesse folle.
Ç'avait toujours été comme ça, depuis leur arrivée. Ç'avait été comme ça depuis la mort de Lino, depuis que son ange avait quitté son champ de vision. Ç'avait été comme ça depuis qu'elle avait croisé la route de Luis, depuis que son cœur s'en était arrêté de battre, comme si il ne craignait plus le passage du temps à la simple vision de ses grands yeux bruns; elle avait senti le temps s'arrêter dès qu'il posait son regard sur elle, la détaillait avec passion, la touchait avec délicatesse, domptant le feu ardent qui animait son corps – puis il s'était rattrapé, et elle ne savait pas où étaient passées les moments qui séparaient ceux-là de ses mémoires plus récentes. Les moments qui séparaient les rires et les éclats d'amour des attentes interminables, des larmes, des cris. Des nuits esseulées, des sentiments refoulés, des paroles oubliées. Des supplications tues, de tout ce qui s'abattait sur eux depuis.
Avaient-ils provoqué quelconque divinité, pour en arriver là, pour mériter un tel sort ? Ça n'était pas toujours remarquable, mais Constance savait que quelque part en elle, elle sentait encore le temps se tordre, ralentir, se stopper quand elle croisait le regard triste et abandonné de son époux; elle l'ignorait seulement, la gorge serrée, l'estomac retourné, comme si elle pouvait se contenter de fermer les yeux face au monstre de tristesse qu'elle était devenue, face au néant en lequel s'était transformée leur relation. Un néant qui prenait une forme un peu trop réelle, un peu trop palpable – qui l'étouffait quand elle croisait, au détour d'un couloir, l'illégitime et sa fille; qui la consumait chaque jour un peu plus, quand elle en venait à se convaincre encore et encore qu'ils n'y pouvaient plus rien, qu'il était trop tard pour tout.
C'était peut-être vrai; probablement pas. Une excuse de plus qu'elle laissait se dresser entre eux, parce que c'était plus simple. Une excuse qui s'effondrait à chaque larme qu'elle versait, qu'elle redressait dès la tempête de ses sentiments passée.
Une de plus, qui rallongeait une liste qui semblait déjà ne plus avoir de fin.
Une fois encore, Constance attendait, les yeux grand ouverts, rivés sur le ciel brumeux, orageux. Elle n'avait pas la force de pleurer cette fois, ou pas encore, parce que beaucoup trop de choses la rongeaient déjà jusqu'à la moelle. Elle se contentait de détailler les nuages qui se mouvaient plus rapidement que ses pensées, d'imprimer mentalement leur image dans son esprit – par simple désir d'occuper ses pensées à autre chose qu'aux absences des siens, au fauteuil vide de son mari, au lit froid de son aîné. Machinalement, Constance mordait sa lèvre inférieure, faisait aller ses doigts les uns contre les autres dans un chaos silencieux.
Elle en était arrivée à un stade où elle n'était même plus sûre de savoir ce qu'elle attendait – Luis, certes, mais dans un but inconnu. Elle savait qu'aucun n'avait les mots que l'autre avait besoin d'entendre, qu'ils n'avaient plus que des reproches à se servir. Elle voulait probablement l'apercevoir, seulement; juste elle. Garder une vision égoïste de lui, quand bien même il ne restait qu'une minute ou deux. Elle avait besoin, parfois, de garder un peu de lui à elle seule, sans vraiment se l'expliquer. Elle voulait stopper le temps, un instant seulement, et respirer sereinement en sa compagnie. C'était idiot, banal, mais elle ne savait pas depuis combien de temps elle ne s'était pas accordé ce luxe.
Enfin, la porte s'ouvrit. Constance se détourna de sa fenêtre, fit face à la silhouette qui prenait place dans la pièce.
Bonsoir, Luis. Sa voix était distante, gardait une froideur à laquelle elle ne prêtait pas attention – l'habitude des dernières années.