Come away little lass. Come away to the water to the ones that are waiting only for you. Come away little lass. Come away to the water, away from the life that you always knew. We are calling to you.
Les risques étaient nombreux. Il lui faudrait passer par la mer TicTac pour rejoindre Lawless Island. Les pirates se compteraient par dizaines et bien que le marchand d’armes ait des accords avec certains d’entre eux, il ne pouvait avoir tous les loups de mer à sa botte ! C’est pourquoi, l’homme avait redoublé de prudence. Les mercenaires grouillaient sur son navire, prêts à défendre coûte que coûte la cargaison à emmener à bon port. L’avantage restait que même si le courage leur faisait défaut, ils n’auraient nulle part où aller ! À bord d’un bateau, il y a peu d’endroits où se réfugier et le combat se fait donc inévitable.
Uriel ne prenait que rarement la mer avec sa marchandise, il était bien trop occupé à gérer son empire à Blindman’s Bluff ! Pourtant, cette fois, le rouquin mettrait le pied sur les planches du bateau. Cette livraison était spéciale, l’homme avait rendez-vous avec un riche marchand habitant l’île de Lawless Island. Là-bas, ils organiseraient une réunion et s’entretiendraient entre bourgeois du commerce. Voyager en compagnie d’une bonne douzaine de mercenaires et d’un équipage, ça ne l’enchantait pas vraiment. Ces gens-là étaient peu bavards en général ou leurs sujets de conversation n’avaient rien en commun avec ceux du marchand. Qu’importe, Uriel n’embarquait pas pour se faire des amis mais pour régler une affaire !
Arrivé sur les quais, on lui signala la présence de Malcolm. Ce gars-là était bon pour transporter les caisses, il exécutait son boulot sans rechigner et avec sa carrure, le travail était abattu assez rapidement. Uriel le voulait à bord, ses bras seraient utiles lors de la descente des biens. Seule ombre au tableau : la rumeur disait parmi les gens du quai que Malcolm n’avait pas vraiment le pied marin et qu’il refuserait d’embarquer de son plein gré. Uriel n’avait ni le temps ni l’envie de parlementer avec ce gars-là, ce qu’il voulait le marchand obtenait. Il s’approcha donc du brave homme et lui administra une tape amicale dans le dos en lançant :
- Peux-tu charger les caisses dans les cales du bateau, mon brave ?
Question rhétorique puisque Malcolm était payé par Uriel pour exécuter ce genre de tâches. Cependant, le rouquin avait une idée derrière la tête. L’équipage et les mercenaires à bord, il n’attendit pas que Malcolm ait terminé pour demander le départ. Le bateau se mit en marche alors que ce pauvre gars était encore occupé dans les cales. Uriel s’en voulait un peu de mettre son employé devant le fait accompli, de ne lui laisser aucun choix. Cependant, sa marchandise ne se livrerait pas toute seule ! Et puis de toute façon, Uriel savait que ce type-là n’était pas bien rusé et qu’avec un peu de gentillesse mêlée à des promesses reluisantes, il en ferait ce qu’il voulait.
Tout de même, lorsque le bateau se mit en mouvement, Uriel ressentit un petit pincement au cœur. Une fois de plus, il avait piégé quelqu’un. Cela faisait partie de ses habitudes, autant dire qu’il n’avait clairement pas que des amis à Blindman’s Bluff ! Peut-être Malcolm le prendrait-il mal. Trop tard, le bateau voguait déjà. Uriel s’approcha de la porte, s’attendant à voir émaner des cales un visage verdâtre ou un corps flageolant.
Depuis que Paul m'a motivé à trouver du travail, je fais de mon mieux pour avoir un salaire comme ils disent. J'aime pas particulièrement ce que je fais, mais je pense que ça aurait put être pire. Et puis Papa disait toujours qu'il n'y a pas de travail idiot, il n'y a que des gens idiots. C'est fatiguant, porter des caisses, mais au moins je sais pourquoi je suis fatigué à la fin de la journée. Il paraît que c'est.. gratifiant ou quelque chose comme ça. J'ai commencé par travailler un peu pour tout le monde, puis Monsieur Targion m'a embauché. Ça va faire à peu prés un mois que je travaille pour lui. Il paye bien, enfin j'ai l'impression, et Paul a pas rechigné donc j'ai pas de raison de me plaindre.
C'est d'ailleurs lui qi vient me voir et qui me surprend d'une tape dans le dos. Je sais que les gens font ça entre eux des fois alors je dis rien, je me contente de le saluer d'un signe de la tête. Si je peux charger des caisses sur un bateau ? C'est pour ça qu'il me paye non ? « Tout de suite. » Et si tôt dit, si tôt fait, me voilà à l’œuvre. Monter sur une de ces choses, quand la mer est calme comme ça, ça ne me dérange pas trop. Y a pas de gîte et puis tant que le bateau ne quitte pas le quai, j’ai pas de raison de m’inquiéter. C'est ce que Paul me rappelle comme je pose le premier pied sur le pont.
On ne m'a pas vraiment donner d'instruction quand à savoir où placer la caisse dans la cale mais autant essayer de bien ranger les choses. Y en a plusieurs à placer et il ne faudrait pas non plus tout poser en vrac. « T'as qu'à commencer une pile dans ce coin là. » J’acquiesce silencieusement )à l'idée de Paul. Mais au moment où je lâche la marchandise, je m'y ré-agrippe aussitôt. « Ça c'était une sacrée vague. Pour faire tanguer un bateau amarré comme ça. » « Je ne crois pas... » Je fronce les sourcils comme le mouvement se fait plus régulier. Non. Il doit y avoir une erreur. Nous sommes toujours à quai.
Je m'efforce de remonter à toute vitesse mais au moment de pousser la porte, je me fige. Et si on était bien en mer... « Ils ont du oublier que j'étais là. » « Je sais pas. » « Mais je fais quoi si je vois le port s’éloigner. » Paul se contente de hausser les épaules et moi je fini par prendre mon courage à deux mains pour ouvrir enfin et tomber nez à nez avec Monsieur Targrion. Mon regard passe inquiet de son visage sérieux à la vue derrière le bastingage. Je ferme les yeux, prends une grand inspiration. J'ai du mal voir. Mais quand je les rouvre, le port est plus loin encore. Mon premier réflexe est de courir vers le parapet comme si il y avait encore le moindre espoir d'atteindre la rive ne serait ce que du bout des doigts.
Un des marins me regarde de travers et c'est Paul qui répond le premier « Je vais pas être malade si c'est la question que t'allais poser. » Je sais pas si l'homme l'a entendu ou pas, ici certains y arrivent, d'autre pas. Mais le type hausse les épaules et retourne à ses occupations tandis que moi je reste là à regarder Blindman's Bluff s'éloigner désespérément encore un peu plus.
Come away little lass. Come away to the water to the ones that are waiting only for you. Come away little lass. Come away to the water, away from the life that you always knew. We are calling to you.
Au final, il s’en voulait Uriel. Beaucoup plus qu’il ne l’avait imaginé. Parce que piéger un être perfide, fourbe ou tout simplement ingénieux, ça avait de l’intérêt. C’était se prouver à soi-même qu’on est plus perfide, plus fourbe ou plus ingénieux que l’autre ! Sauf que cette fois, Uriel avait simplement jeté une souris dans une piscine en espérant qu’elle se mette à nager. C’était presque cruel de sa part. Mais l’homme n’était pas du genre à regretter ses actes ou à se remettre en doute. Il avait besoin des bras de Malcolm et le payait pour ce boulot alors, bien que la culpabilité était présente, ils devraient faire avec.
À peine la porte s’ouvrit-elle que le visage du jeune homme se déconfit. Il voyait au loin le port s’éloigner, Blindman’s Bluff devenir un souvenir. Le rouquin aurait voulu ajouter quelque chose, lui donner un peu de courage mais pour le coup, il doutait qu’une quelconque parole puisse avoir du poids. Malcom se précipita, se ruant droit vers la ville s’éloignant. C’était triste à voir, on aurait dit un orphelin que l’on arrache au dernier parent restant. Uriel ne put rester statique. Il s’approcha lentement de son pas sûr de lui et conquérant, comme toujours. Les mains dans le dos et le regard fixé sur Blindman’s Bluff, il lança :
- Nous partons pour Lawless Island. Nous y ferons une transaction, nous y dormirons quelques jours avant de reprendre la mer.
La moindre des choses après lui avoir imposé ce voyage était bien de lui expliquer où ils allaient et ce qu’ils allaient y faire. À vrai dire, Malcolm pourrait y faire ce que bon lui semblait. Uriel gèrerait ses finances, rencontreraient de riches marchands et finirait sa soirée dans les bras d’une belle femme de Lawless mais Mal avait le droit de voguer à ses propres occupations. La plupart des gars de l’équipage ainsi que les mercenaires dormiraient sur le bateau, le porteur de caisse aurait lui aussi une opportunité de séjourner là si aucun autre endroit ne le tentait.
- N’aies crainte, le voyage ne sera pas si long et tu es entouré de fines lames, nous ne risquons rien.
Les navires marchands avaient tendance à se faire piller, attaquer ou détruire. C’est pourquoi il fallait redoubler de prudence et d’ingéniosité lorsque l’on prenait la mer accompagné d’une marchandise de valeur. Uriel n’en était pas à son premier voyage ni à sa première transaction. Il connaissait Neverland et les pirates qui la peuplaient. Il savait donc ce qu’il avait à faire. Ces mercenaires avaient été choisis pour leurs compétences et chacun pourrait prouver sa valeur le moment venu mais le rouquin espérait sincèrement qu’il n’y aurait aucun besoin d’en arriver là.
Désormais, Blindman’s Bluff n’était plus en vue. Le vent soufflait bien, la mer n’était pas trop agitée. Autour d’eux, les marins s’affairaient tandis que les mercenaires s’entraînaient, aiguisaient leurs armes ou observaient l’immensité bleutée. Ils étaient sans doute les deux seuls hommes sur ce bateau à n’avoir rien à faire dans l’immédiat, à n’être là que pour décorer en quelques sortes.
- Depuis combien de temps travailles-tu pour moi ? Un mois ou deux peut-être ? Et pourtant, je ne sais rien de toi. Raconte-moi quelque chose d’intéressant.
Le rouquin s’appuya du dos contre le bateau, croisa les bras sur le torse et ne prit pas vraiment en compte le fait que peut-être, Malcolm aurait eu besoin de solitude. Il ne se souciait plus tellement du malaise de son interlocuteur, son esprit pragmatique s’était déjà habitué au rythme de la mer et il jugeait que Mal avait dû s’y faire aussi. Le rouquin arqua un sourcil et dévisagea le porteur de caisses. Qu’allait-il bien découvrir au sujet de ce type ?
Et je suis là, les yeux rivés à la terre ferme, à la sécurité qui s’éloigne peu à peu sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. Paul a beau avoir rassuré que je ne serais pas malade, je commence à sentir mon estomac penser le contraire. Mais pas parce que le roulis me donnerait la nausée. C’est la peur qui me retourne les tripes. Seulement, je suis trop vieux maintenant pour donner la peur comme excuse. Enfin c’est ce que disait Papa. Je ne vois même pas mon patron se rapprocher pour venir me parler et je sursaute quand il prend la parole. Lawless Island ? J’en ai entendu parler, mais je n’y ai jamais mis les pieds. A dire vrai j’ai pas vu grand-chose en dehors de Neverland, enfin la grande île où je suis arrivé avec Papa et les autres. Quoi que j’ai pas vu grand-chose de ça non plus en fait. Et si l’idée de découvrir d’autres endroits ne m’emballe déjà pas beaucoup, la perspective de deux trajets en bateaux donne à mon estomac une bonne raison de me torturer de nouveau.
Paul tire une espèce de grimace cynique que je tente d’imiter quand Monsieur Targion me promet que le voyage sera court et que nous sommes en bonne compagnie. « Qu’on soit à l’abris des pirates avec ces hommes armés sur le pont c’est une chose, mais c’est pas vos fines lames qui vont nous protéger des tempêtes. » que je souffle à mi-voix pour protester sans pour autant avoir l’air d’un enfant mal élevé qui réplique. Je veux pas lui manquer de respect, je veux juste qu’il sache ce qui me préoccupe sans pour autant avouer que je suis transi de peur.
Un dernier regard à l’horizon derrière nous. Il est à présent impossible de distinguer la moindre trace de la ville au-dessus des flots et je me laisse glisser le long du bastingage pour m’asseoir sur le pont, la tête appuyée en arrière. Plus moyen de faire demi-tour. Et si je me mettais à prier ? Non, j’ai oublié de le faire trop souvent, Dieu a certainement oublié aussi que j’existais. Je relève la tête pour croiser le regard de mon employeur quand il m’adresse de nouveau la parole. Est-il sérieux ? Est-ce qu’il m’a fait venir uniquement pour avoir l’occasion de discuter avec moi ? « Je… »
Je crois que Paul a envie de crier quelque chose, vu la tête qu’il fait. Mais je le vois s’éloigner, il doit vouloir éviter de nous déranger en imposant son caractère trop trempé. Je l’en remercierais plus tard, je n’ai pas envie de me fâcher avec Monsieur Targion. Quelque chose d’intéressant à dire à mon sujet ? Je ne sais pas vraiment ce qu’il pourrait trouver d’intéressant dans ma vie… « C’est vrai qu’on a jamais eu le temps de parler de moi. Mais je veux pas vous embêter avec mes histoires. » Quelque chose me dit qu’à la façon dont il me dévisage, il attend autre chose comme réponse. Alors je reprends. « Je suis arrivé ici y a un an… peut-être plus. Pap… mon père était avec moi mais il était trop malade et on a pas trouvé de médecin. Depuis y a plus que Paul et moi. »
Zut. J’aurais pas du parler de Paul. Les gens ne comprennent pas en général. Quoi que si j’en dis pas plus, il pourra penser qu’il s’agit de mon frère. Oui, s’il pose la question, Paul est mon frère. Après tout c’est presque vrai. On a grandi ensemble. « Après, y a pas grand-chose de passionnant à raconter, je vous promets. J’aime pas les voyages en bateau, mais ça vous avez dû le comprendre. J’aurais dû vous le dire avant aussi. Désolé. » Je ponctue ma phrase en baissant la tête. C’est vrai, j’aurais dû le lui dire. Je suis sûr qu’il ne pensait pas à mal, il ne pouvait pas savoir. Si j’osais.. je lui retournerais sa question. Mais de quel droit ?
Come away little lass. Come away to the water to the ones that are waiting only for you. Come away little lass. Come away to the water, away from the life that you always knew. We are calling to you.
Les quelques paroles d’Uriel ne semblèrent pas apaiser l’esprit du pauvre bougre emmené de force vers Lawless Island. La grimace étrange qu’il tira en fut le témoin officiel. Cependant, ce qui était fait ne pouvait être défait et le marchand préférait voir les choses sous un angle positif. Malcolm ajouta une remarque qui fit acquiescer lentement le rouquin. Ils n’étaient rien face à la force de la nature ! Qu’importe, cela ne pouvait les brider. Uriel avait des affaires à mener et Malcolm trouverait bien, d’une façon ou d’une autre, un infime intérêt à mettre les pieds sur cette petite île fastueuse qu’est Lawless.
Uriel tenta alors de lancer la discussion, quitte à être coincé sur le même navire, autant tuer le temps ensemble. Dans un premier temps, la réponse de Malcolm fut décevante. Il n’avait pas l’air impatient de partager quoi que ce soit. Comment le lui reprocher ? Qui aurait eu envie de déballer librement sa vie privée à un homme qui venait de vous piéger ? Le marchand d’arme se contenta de garder le silence, portant un doigt aux lèvres pour réfléchir. Malcolm céda tout de même quelques détails de son existence à Uriel. Il avait perdu son père relativement récemment et pour ça, le rouquin compatissait à son chagrin. Il posa une main amicale sur son épaule et ajouta :
- Il repose en paix.
Il lui parla d’un certain Paul, sans doute son frère ou un ami proche. Uriel fut surpris de l’entendre s’excuser, décidément ses réactions étaient vraiment imprévisibles. Là où d’autres se seraient énervés contre lui, son employé paraissait presque repentant. Le marchand lui fit signe que ce n’était rien et se tourna vers l’horizon pour observer la mer. Ils quittaient Blindman’s Bluff et pour sa part, Uriel y laissait sa famille. C’était difficile pour lui de les quitter, il tenait tellement à eux ! Mais il savait que ses enfants étaient bien gardés. Leur mère, telle une louve, aurait arraché les yeux de quiconque se serait trop approché de ses enfants.
- Tu n’es donc pas marié ?
Question rhétorique, Malcolm en aurait parlé s’il avait eu une femme qui l’attendait à la maison. Uriel sembla pensif un long moment puis revint à la réalité et tourna la tête vers son interlocuteur.
- Si tu veux un conseil l’ami, patiente encore quelques années avant de te marier. Les femmes sont compliquées et elles tenteront toujours de te garder pour elle seules.
Uriel parlait désormais de sa propre expérience. Sa femme avait mis du temps à accepter son caractère libertin. Fut un temps où les disputes étaient journalières et où l’ambiance à la maison était électrique. Le rouquin ignorait complètement pourquoi il parlait de tout ça à son employé, peut-être parce qu’il savait que par obligation Malcolm ne pourrait s’échapper à la discussion. Peut-être avait-il simplement envie de se vider l’esprit de ces pensées négatives ?
- Lawless Island est une île bien plus petite que Neverland. Là-bas, toutes les femmes sont plus belles car elles n’ont pas à supporter le caractère difficile des pirates. Sans parler des prostituées ! Elles en voient passer bien moins que celles de Blindman’s Bluff ! Elles sont divines, tu verras.
L’homme posa le menton dans la paume de sa main, penché sur la rambarde du bateau. Il était pensif, ailleurs. Uriel avait désormais hâte d’arriver à Lawless Island pour retrouver ces beautés. Il avait toujours trouvé les femmes de là-bas bien plus attirantes. Sans doute car elles respiraient la richesse ! L’homme avait toujours eu ce goût du luxe ...