Voilà dix ans, dix longues années que je n’avais pas foutu les pieds ici. J’en ai longtemps voulu à ma mère de m’avoir largué comme un cageot sur un bateau de pirate, ma vie ici me plaisait, je ne voulais pas la quitter. Mais je n’ai pas eu le choix, après trois ans à naviguer sur l’océan, lorsque je suis revenu, je n’avais nulle par où aller. Mais aujourd’hui, j’ai décidé de reprendre ma vie en main, et être un pirate n’est plus dans mes projets. J’ai envie de vivre l’île, d’apprendre à connaître ma demi-sœur … et surtout me rapprocher de cette jolie fermière que j’ai rencontré il y a plusieurs semaines. C’est donc d’un pas décidé que je me suis rendu chez ma mère, j’ai traversé l’île depuis le port où le navire est amarré. Sur le chemin, je me demandé pourquoi je n’étais pas revenu plutôt ; mais en fait, j’avais déjà la réponse. Je n’étais pas encore prêt pour faire face à tout ce que j’avais dû laisser derrière moi.
Après de longues heures de marches, je suis arrivé à destination. Je m’approchais, lorsqu’un adolescent m’interpella, me stoppant dans mon élan. « Que fais-tu là, pirate ! Il n’y a rien à piller ici. » Je baissais les yeux, fixant mon épée à ma ceinture… j’aurais peut être dû me changer. « Je viens voir ma mère, Hélène Frankshire. Je suis Magnus, son fils. » Le garçon n’eut pas le temps de me répondre, qu’une femme sortit de la maison. Malgré les années, je reconnus ma tante qui nous avait hébergés à notre arrivée. « Magnus, comme tu as grandi ! Tu es devenu un beau jeune homme. » Elle s’approcha de moi, et me prit dans ses bras. Et bien, au moins une qui est heureuse de me revoir. « Marie, je suis ravie de vous revoir. Mais où est ma mère ? » Elle s’écarta de mes bras, le regard grave. Elle ne dit pas un mot, son silence en disait long… son fils prit la parole. « J’ai bien peur que ta mère est succombé à la fièvre, il y a un an et demi. » J’avalais ma salive difficilement, ma mère était donc décédée… personne n’a jugé bon me prévenir ? « Je dois y aller ! Je reviendrais. » Dis-je en me reculant. « Tu ne veux pas rester diner avec nous ? » J’esquissais un faux-sourire avant de répondre « Non, mon navire repart bientôt. » Et quittait les lieux.
Je marchais à travers la forêt – sans vraiment savoir où j’allais – je n’avais pas la tête à cela. Ma mère est donc morte, j’arrivais à peine à assimiler cette nouvelle. Je n’avais donc plus aucune raison de rester avec mon beau-père et d’honorer ma présence sur son navire. Je n’avais pas remarqué que j’avais atteint la limite de la forêt. Je me souvenais de cet endroit – même s’il y avait des années que je n’y avais pas mit les pieds. Quand j’étais enfant, j’aimais jouer ici ! Grimper aux arbres et me faire des amis – loin de l’autorité de ma mère. Je restais plusieurs minutes à savourer le calme de la forêt, du bruit du vent dans les feuilles… jusqu’à ce qu’un bruit m’interpelle. Je levais les yeux à la recherche de la source… j’aperçois une tête blonde, mais je ne distingue pas la personne.
Du haut des arbres, tu observes en silence, tu fais le guet. Pour toi, la forêt des quatre saisons est un havre de paix et tu n’aimes pas qu’on vienne troubler la tranquillité de ce lieu. Tu déteste voir des pirates ou des intrus débarquer ici et ton rôle est alors de les observer, de guetter leur moindre fait et geste. Tu t'y applique en silence, c'est ce que tu fais de mieux. Tu es assez patiente pour attendre calmement, assez discrète pour ne pas te faire prendre.
C'est la nuit constante, sur tout Neverland, il fait noir de nuit comme de jour. Tu n'aime pas la noirceur, tu ne l'as jamais aimé. Lorsque tu étais enfant, un autre enfant devait te tenir la main, pour que tu affronte la nuit. Aujourd'hui, tu dois l'affronter seule. Enapay n'est plus là pour te tenir la main et tu n'ose pas demander aux autres de le faire. Tu n'es plus la gamine que tu as été, tu es une adolescente et tu le sais trop bien. Ça n'empêche pas cette peur du noir de s'être transformée en crainte. C'est seule que tu dois affronter la nuit permanente, c'est ton rôle de grimper aux autres et d'observer ce qui se passe sous tes yeux. Tu ne peux pas demander à un autre enfant de t'accompagner, c'est toi l'éclaireuse, l'exploratrice. Tu te camoufle derrières les branches et tu observe la forêt en silence. Les bruits nocturnes t'inquiètent, mais tu apprends à vivre avec. Pas question de baisser les bras et de rentrer à l'arbre comme une poule mouillée. Ça fait des jours que ça dur, ça fait des semaines que tu endure. Tu as appris à t'y habituer, mais la peur reste là, au creux de tes entrailles.
Ça fait maintenant de longues minutes que tu es perchée sur cette branche à l'affût d'un signe, à l'affût d'une présence. Des bruits de pas se laissent entendre sur le sol, il y a quelqu'un qui approche. Tu n'as pas besoin de voir qui est là que déjà tu sais qu'il s'agit d'une présence humaine. Après tout ce temps à faire le guet, tu sais faire la différence entre une démarche humaine ou animale. C'est bien un humain qui s'approche. Tu te penche un peu vers l'avant, tu passe ta tête à travers ton camouflage pour voir de qui il s'agit. Il s'agit d'un homme, mais tu vois avec difficulté d'où il vient. Tu te déplace un peu sur ta branche, tu t'approche discrètement, mais pas autant que tu le voudrais. Un gros craquement se fait entendre et l'homme relève aussitôt sa tête vers toi. Tu as été démasquée, tu as été imprudente. Tu recule un peu, tu t'enfouis dans le feuillage, mais tu sais déjà qu'il t'a vu.
« Qui va là ? » Ta voix trop grave pour être celle d'une enfant résonne dans la nuit. Tu veux savoir qui il est et s'il fait partie de ces pirates que tu détestes tant.
Cette nouvelle me déchire le cœur, toute cette haine envers ma mère durant toutes ces années me ronge… si j’avais gardé ma rancœur de coté, j’aurais pu la revoir avant sa mort. Dix ans que je ne l’avais pas vu, et me voilà sans aucune chance de la revoir à nouveau. Comment vivre avec cette culpabilité sur la conscience ? Mais j’étais son fils, elle savait où me trouver… elle aurait dû venir prendre de mes nouvelles au port. J’étais perdu, déboussolé au milieu de cette forêt sous cette nuit noire. J’avais marché de longues minutes sans faire attention où j’allais, mes pas m’avaient dirigé au milieu de la forêt… mais pas n’importe laquelle. Lorsque mes yeux se posèrent aux alentours, je mis plusieurs secondes à comprendre où j’étais. Je n’avais pas mis les pieds ici depuis des années, dix pour être exacte. Le jour où l’on m’a volée mon enfance, mon adolescence… je ne suis plus jamais venu jusqu’ici. Je suis encore dans mes pensées quand un bruit de branche m’interpelle, mon regard se lève immédiatement vers le ciel. Malgré la pénombre, la silhouette d’une femme se dessine, une chevelure blonde disparait derrière les feuilles de l’arbre où elle est grimpée. Une voix résonne à travers les branches, je sais que malgré le ton grave de cette dernière, c’est une jeune femme… surement un enfant perdu veillant à la sécurité de leur camp. Je recule pour qu’elle me voit, je pose la main sur mon épée, et la retire de son fourreau. Je la dépose au sol, et lève les mains en l’air.
- « Je ne vous veux aucun mal. J’ai marché sans savoir où j’allais. »
J’aimerais que cette enfant me montre son visage, je veux lui prouver que je suis inoffensif. Je n’ai jamais été l’un d’entre eux, et pourtant durant mon enfant, j’en ai côtoyé plus d’un. Peu importe d’où nous venions, nous étions innocent et la chose dont nous nous soucions était le temps qu’ils nous restaient à jouer ! Aujourd’hui, les choses ont changés pour moi, certes je suis devenu un adulte…. Même si j’ai l’impression que l’on m’a volé une partie de mon enfance.
- « Je vous le jure, je n’ai pas de mauvaises intentions… je suis déjà venu ici quand j’étais plus jeune. J’y avais même des amis… montrez-vous. »
Mes yeux ne quittaient pas les branches, je voulais voir à qui je m’adressais… et même si cet enfant m’était familier.