Le soleil rayonnait de son plein et pourtant moi… Je n’étais pas heureuse. Avant d’apprendre que j’étais promise à cet homme… enfin au ‘’Victorieux’’, me créer cette façade était un jeu d’enfant. Maintenant, c’était beaucoup plus difficile. Je devais feindre d’être en harmonie avec ses touchés, je devais montrer que je n’avais pas peur. Pourquoi aurais-je peur? N’étais-je pas née dans cette tribu et élevée en perspective de devenir comme tout le monde? Avant, j’étais jeune et insouciante, je chassais, je laissais le soleil me donner de son énergie. Aujourd’hui, tout est différent, je trouve l’air beaucoup trop lourd et le soleil ne m’apporte plus de son réconfort habituel. J’avais besoin de prendre un petit moment pour moi. D’être seule avec mes pensées, d’être celle que je suis vraiment sans la crainte que l’on me réprimande. Je sortis sans dire un mot et je savais que l’on me foudroyait du regard. Mon père n’avait pas encore arrêté de date et pour lui tout était question de spiritualité. Il fallait que l’union se fasse quand la lune serait en phase avec le soleil. Cela me laissait un peu de temps pour m’approprié la situation ou la changer. Je respirai un bon coup et commençai à marcher d’un pas rapide. Puis les pas se transformèrent en course. Le vent frappait sur mon visage et cela me redonnait l’énergie dont j’avais besoin. Je me rendis jusqu’à la crypte des crocodiles. Non pas pour les chasser, mais bien pour les admirer. Ils sont libres et ils mangent ce qu’ils veulent. Ils n’ont pas de compte à rendre à personne. Une fois arrivée, je m’assis sur un rocher imposant en indien. Il fallait que je me recentre sur moi-même et quoi de mieux qu’une petite méditation. Je sentais la nature m’entourer, je sentais l’apaisement prendre mon corps d’assaut. Je n’avais plus peur de rien, pas ici. Ma respiration se faisait plus lente, les traces de ma course antérieure s’estompaient et je retrouvais un rythme cardiaque normal. J’étais seule au monde, là perchée sur ce rocher. Puis, il y eu des bruits de feuilles craquelées par des pas. Je sortis de mes pensées pour écouter le bruit qui s’approchait de moi de plus en plus. J’étais maintenant en alerte. Je me perchai sur mes pieds. Prête à bondir. Puis, je vis quelqu’un arriver. Il me semblait familier.
«Moi qui pensait ne jamais te revoir. Enfin… dans 9 ans peut-être.»
Je sautai de mon perchoir et allai à sa rencontre d’une démarche assurée et avec un sourire. Il y avait une grande différence d’âge entre cet homme et moi, mais ses pensées étaient plus proches des miennes que celles de ma tribu. Même si nous étions rivaux, peut-être pourrions-nous ne pas l’être pendant quelques instants.
«Que viens-tu faire ici? N’est-ce pas loin de ton camp?»
J’étais devant lui désormais, tout près. J’étais jeune la première que je l’avais vu. Je n’avais pas plus de 10 ans. Puisque je suis née l’année de la dernière cérémonie de l’époque. J’étais si jeune et pourtant j’étais déjà différente. Il m’avait semblé gentil et beaucoup moins brute que les hommes de ma tribu. Était-ce toujours le cas?
«Tu ne dois pas me reconnaitre si? J’étais si petite. Je n'étais pas présente l'année dernière. J'étais souffrante.»
I thought I had a dream to hold maybe that has gone. Your hands reach out and touch me still. But this feels so wrong.
Le calme du ruisseau du crocodile. Un endroit dangereux, un lieu où il n’était pas bon de se balader seul ou sans arme. Cheyenne n’obéissait cependant qu’à ses propres désirs, comme il l’avait toujours fait. Enfant, l’indien observait les enfants perdus et se disaient qu’au fond, ils n’étaient pas si différents ! Lui aussi, avec son petit frère à l’époque, pourfendait la forêt, courait dans les vallées et escaladaient les montagnes. Ce qui les avait différenciait des gamins de l’Arbre au pendu durant toutes ces années ? Rien. Si ce n’est qu’au soir, quand les enfants perdus retournaient dans leur repère situé à l’Arbre célèbre, Cheyenne et son frangin regagnaient pour leur part le camp indien.
Cheyenne avançait, son trident dans une main et son sac sur les épaules. L’indien venait pêcher, comme toujours. Une majeure partie de son existence était consacrée à la pêche, ce qu’on aurait pu appeler son métier. Mais pour lui, ça n’avait rien d’une corvée. Ce n’était pas une tâche ingrate qu’on le forçait à faire ! Au contraire, il plongeait volontiers à l’eau et pouvait rester à patauger des heures et des heures. C’était un plaisir que d’aller pêcher. Et cela tombait bien car Cheyenne était doué dans ce domaine et ramenait de sacrés spécimens au camp Piccaninny. Beaucoup de tipis festoyaient avec de bons gros poissons bien gras qu’il leur ramenait en souriant.
Pour les indiens, c’était monnaie courante. Les bons pêcheurs nourrissaient la tribu de leur butin. Les bons chasseurs ramenaient du gibier. Les bons tisserands habillaient les leurs. Chacun avait sa fonction, son rôle. Ils amenaient leur pierre à l’édifice. Modestement, humblement. Sans prétention ni exigence. Pas d’argent, surtout pas d’argent ! Les indiens vivaient en parfaite harmonie avec la nature et toute transaction monétaire entre eux aurait été inutile, insultante. Par contre, il leur arrivait de monnayer les services des gens extérieurs au camp. Cheyenne avait notamment fait appel à quelqu’un qui n’avait rien d’un indien pour lui procurer ce magnifique trident qu’il tenait là à la main. Une pièce d’une robustesse rare, une arme tranchante et puissante.
Ses pas le menèrent jusqu’à un petit coin retiré. Cheyenne croyait être seul mais tout à coup, une silhouette apparut dans son champ de vision. Une jeune femme à la longue chevelure sombre, à la peau légèrement halée et aux yeux clairs. Une indienne qu’il connaissait un peu. Nuddy. Elle l’accueillit d’un commentaire qui le fit sourire. C’est vrai que Piccaninny et Unaniny n’étaient pas en très bons termes. Les deux tribus indiennes peinaient à se mettre sur la même longueur d’onde. Leurs mœurs différaient, leurs objectifs différaient. À vrai dire, ils n’avaient en commun que le simple fait d’être indiens.
- Je viens ici pour pêcher ! Mais que fais-tu dans ce coin dangereux, toi ?
Cheyenne fronça les sourcils. Nuddy devait probablement être au courant que ce ruisseau du crocodile ne portait pas ce nom juste pour faire joli ! Des bêtes sauvages particulièrement voraces rôdaient dans le coin. D’ailleurs, l’homme n’était jamais à son aise dans cet endroit. Il serrait toujours son trident dans la paume de la main et restait sur ses gardes. Nuddy lui lança alors une remarque qui le fit sourire.
- Bien sûr que si, je me rappelle de toi Nuddy ! J’ai été déçu de ne pas pouvoir te voir l’année dernière. Pour tout te dire, j’ai même eu peur qu’il ne te soit arrivé malheur ...
Avec tous ces infâmes pirates et tous les dangers que l’on pouvait trouver dans la nature ! Sans parler du fait que la tribu de Nuddy n’était pas en bons termes avec les enfants perdus. Et ces petits garnements pouvaient se révéler dangereux voire mortels quand ils s’y mettaient ! L’indien tendit le bras et déposa la main sur l’épaule de la jeune femme.
- Je suis heureux de voir que tu vas bien !
Cheyenne lui adressa un large sourire. C’était toujours agréable de la revoir.
Déjà que la méditation n’était pas mon sport favori, aujourd’hui c’était différent. Je voulais méditer, je voulais me retrouver. Est-ce comme ça que ça fonctionne? Quoi qu’il en soit je ne le saurais jamais, puisque l’on m’avait interrompu. L’homme au trident qui était devant moi m’en empêchait de la bonne façon. Alors quand il répondit à ma question, un sourire s’afficha sur mon visage.
«Ça va te paraître étrange, mais je suis venue pour méditer. Dans ce coin dangereux …»
Je n’avais pas peur de ce qui pouvait m’arriver. Je n’avais pas peur des crocodiles ni des alligators. Dans la vie, il faut savoir apprécier leur présence. Perchée sur mon rocher, ils n’auraient pu m’atteindre avant que moi je ne le fasse. Je restais toujours en alerte, même si je méditais. Il n’avait du tout changé depuis 10 ans. Enfin… Il avait vieilli un peu tout de même. Enfin j’espère, la première fois il avait… 20 ans. Il restait toujours aussi attractif. Vieillir lui allait à merveille. Je trouvais marrant qu’il soit accroché autant à son trident. Je n’avais aucune arme sur moi et je ne me sentais pas en danger pour autant. Je posai les yeux sur son arme et m’approchai tranquillement. En même temps, il répondit à ma deuxième question. OH! Il s’était inquiété légèrement pour moi. Il était mignon.
«En fait…Je revenais d’une chasse avec mon père et je me suis blessée. Ça s’est infectée et du coup… J’étais pleine de fièvre. Mais je vais bien maintenant. Plus que jamais! Allons… Tu peux déposer cet objet? Svp?»
Je restai près de lui, mais me retournai vers le lac. Pourquoi ne me sentais-je pas en danger en compagnie de ses animaux sauvages? Il ne me faisait pas peur et je n’étais pratiquement pas sur mes gardes comparativement à mon compagnon du moment. Je décidai donc, de détendre l’atmosphère.
«Ne me dis pas que tu as peur de ces petites créatures? Elles sont sans défense avec leurs dents acérées.»
Je ris légèrement. Un rire que je n’avais pas entendu depuis quelques temps. Un rire qui avait été emprisonné, qui avait été dissimulé par la peur ou le dégoût. Une joie qui avait été effacée par la personnalité imposante de mon promis. Je ne faisais rien contre lui, du moins pas de façon volontaire. Mes yeux fixèrent le sol, enclin à la culpabilité qui faisait surface.
«Tu n’as presque pas changé. Enfin, tu as vieilli, mais tu restes tout autant … um… attractif. »
Il n’était pas faux de dire que quand j’avais 10 ans, j’avais eu un léger crush sur lui. Il représentait tout le contraire de ma tribu et en plus il était gentil. Du moins c’est ce que j’avais perçu. Je ne savais pas ce qu’il représentait pour sa tribu, mais pour moi il représentait une sagesse que je n’avais pas accès parmi les miens. Enfin… d’une manière différente. J’avais envie d’en connaître plus sur eux, de savoir si j’allais mieux avec leur personnalité ou … si je ressemblais plus à la mienne.
«Est-ce que je peux te demander quelque chose? […] Parle-moi de ta tribu. Je ne sais que la version de la mienne et j’aimerais pouvoir me faire mon idée. Une idée qui viendrait de moi et non ce que l’on voudrait de moi. »
Je retournai sur un rocher pour attendre une réponse. Je ne savais pas s’il allait le faire, mais je l’espérais fortement. J’avais besoin de ça. Ensuite, je reviendrais parmi les miens, m’effaçant de nouveau.
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La retrouver dans un endroit aussi saugrenu, c’était comme tomber sur une étoile filante pataugeant en plein milieu de la mer. Improbable. Cheyenne se risqua à lui demander ce qu’elle était venue faire dans ce coin pour le moins hostile. La réponse de la jeune femme lui fit froncer les sourcils. Méditer dans pareil no man’s land ? Quelle drôle d’idée. Le Piccaninny resta sans voix. Il ne connaissait personne qui lui ait déjà dit venir méditer près de ce point d’eau ! Et pour cause, tout le monde savait très bien que le danger rôdait à chaque vibration sur la surface lisse du lac ou de la rivière. Non, Cheyenne ne pouvait décemment pas comprendre le raisonnement de la demoiselle. La méditation, pour lui, c’était se fondre dans un environnement calme, s’évader. Et comment s’en aller alors que son corps risquait à tout moment de se faire engloutir ? Le simple fait de fermer les yeux, ici, le mettait mal à l’aise.
Nuddy lui expliqua alors pourquoi elle n’avait pas pu être présente lors de la dernière cérémonie du flambeau. Cheyenne s’était imaginé la tribu adverse comme un clan primaire. On lui avait souvent dit que là-bas, les femmes n’avaient pas les mêmes droits que les hommes. Cela l’avait toujours surpris et choqué. D’ailleurs, le Piccaninny avait toujours songé que la chasse leur était interdite. Visiblement pas et en soi, c’était une bonne chose ! Peut-être n’étaient-ils pas aussi étroits d’esprit qu’il le pensait ? Nuddy lui demanda alors de poser son trident. L’indien faillit s’étrangler. Elle enchaîna en traitant les crocodiles – les prédateurs les plus redoutés de l’île – de créatures sans défenses dotées de dents acérées. Cette fois, Cheyenne ne put garder le silence.
- Je ne poserais mon trident pour rien au monde. Et si tu estimes que les crocodiles sont des créatures inoffensives, tu insultes la nature. Ce sont des prédateurs voraces, ils déchireraient ta peau avec délice. Ne l’oublies jamais ou tu n’atteindras jamais l’âge de tes parents ...
L’indien plongeait son regard dans celui de Nuddy, il lui parlait on ne peut plus sérieusement. Les paroles de la demoiselle l’inquiétait, le mettait en alerte maximale même. Ne pas se méfier des crocodiles et les considérer aussi doux que des moutons était suicidaire. Pour une chasseuse, Nuddy avait une vision de la nature particulièrement atypique. L’homme n’aurait pas voulu qu’il lui arrive malheur, surtout pas en ces lieux.
Le rire de Nuddy faisait plaisir à entendre, même si elle se trompait sur les raisons de son amusement. Cependant, son visage se voila et elle redevint sérieuse quand elle le complimenta. Cheyenne avait beaucoup changé depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Il avait encore grandi, sa carrure s’était développée. Toutes ces années d’efforts physiques avaient fait de son corps le corps d’un guerrier alors qu’il n’en était pas un. Mais parfois, affronter les forces de la nature revenait à lutter contre des adversaires humains ! Cheyenne observa l’indienne et lui retourna le compliment :
- Je vois que toi aussi, tu as grandi. Et tu es devenue une ravissante jeune femme !
Nuddy était devenue une femme à présent. Elle était très belle et devait probablement avoir du succès auprès des hommes de sa tribu. Cheyenne avait entendu dire que chez les adversaires, les mariages n’étaient pas fait d’amour. Au contraire, on mariait les jeunes comme du bétail. L’homme ne le comprenait pas. Ils étaient peut-être indiens mais décidément, ils n’avaient rien en commun. Lui, il s’était marié par envie, par amour. Et jamais personne n’aurait pu le forcer à faire quelque chose dont il n’avait pas envie. D’ailleurs, jamais personne n’avait essayé !
- Je peux effectivement te parler de ma tribu si tu le souhaites.
Il se déplaça pour aller s’asseoir sur un gros rocher et fit signe à Nuddy de venir s’y installer avec lui. L’homme tourna alors la tête vers elle et entama son récit :
- Nous sommes principalement une tribu de pêcheurs. Nous tenons à entretenir de bonnes relations avec le plus grand nombre. Malheureusement, nos deux tribus peinent à se comprendre. Et les pirates continuent à nous causer des problèmes. Mais en dehors de ça, les enfants Piccaninny ont l’habitude de jouer avec les enfants perdus. Nous pouvons les compter comme des alliés. Les sirènes aussi, sont en bons termes avec nous.
Cheyenne acquiesça un moment puis ajouta :
- La paix et l’unité sont nos idéaux. Mais tout n’est pas toujours simple...
Les pirates resteraient toujours des pirates. Fourbes, vicieux, vils. Quant à la tribu adverse, peut-être qu’un jour ils se rapprocheraient. Peut-être qu’un jour, ils passeraient outre leurs différences pour s’allier ? Cheyenne tourna les yeux vers Nuddy.
Et si je ne voulais pas atteindre l’âge de mes parents? Pourquoi j’espérerais vieillir si je ne me sens pas moi lorsque je suis avec eux? Peut-être faisais-je exprès pour me mettre en danger. Il avait raison, je serais un bon goûté pour ces animaux sanguinaires aux dents acérées. Mais pourquoi vivre une vie monotone alors que l’on peut vivre du danger?
«Oui et bien moi je me suis résignée. Il m’arrivera ce qu’il m’arrivera. Qu’ils me mangent!»
Je lui dis ces mots en me mettant à rire. Bon d’accord ce n’était pas une plaisanterie à 100% mais, je pouvais bien en rire… Ma vie n’était plus la mienne alors… Son regard était rempli d’inquiétude envers moi. Pour changer l’air de la conversation, je l’avais amené à parler de lui. Sur ce qu’il était devenu. Pour moi il restait aussi beau que lorsque j’étais toute jeune. Il ne le savait pas, mais, il était devenu avec le temps un moment de rêverie de l’homme idéal. Il me retourna le compliment et je lui souris.
«Disons que mon corps s’est développé. Qu’il est … plus féminin. » Dis-je sur le ton de la plaisanterie.
Un sujet ce faisait important. Je voulais enfin être fixée. Fixée sur le point que je n’étais pas à ma place, que ma tribu n’était pas la bonne et que ma façon de penser se rapprochait beaucoup plus de la leur que de la mienne. Donc, je lui avais demandé de me parler de sa tribu. Me faire ma propre idée était primordiale. Je répondis à sa demande et allai m’asseoir à côté de lui. J’étais ouverte à tout entendre. Il pouvait tout dire et je sourcillerais pas.
«Elle m’a l’air bien votre tribu. Ouais… Très bien…»
Il me demanda de lui parler de la mienne. Que pouvais-je lui dire… Je ne savais pas trop par où commencer. J’hésitais à en lui parler, mais il l’avait fait donc, je devais le faire en retour. Je lui devais bien ça en échange de sa gentillesse.
«La mienne. Elle est complètement différente. On est des chasseurs, des guerriers. J’aime chasser. Par contre, ils sont fermés à l’extérieur. Ils n’aiment pas les étrangers. Nos enfants jouent entre eux, les enfants perdus ne sont pas les bienvenus. Les femmes… elles… n’ont pas de liberté. On nous promet à des hommes… Parfois tant mieux, une histoire d’amour se forme… Où elles ont celui qu’elles voulaient… Mais parfois pour recadrer une personne, on lui donne un fiancé qui est totalement différent d’elle. Comme… moi…»
Je ne l’aimais pas, je ne voulais pas me marier, je ne voulais pas fonder de famille avec lui, je ne voulais rien de lui. Je souris légèrement en lui faisant face. Un sourire triste et résigné.
«Je ne me suis jamais senti à ma place là-bas. Je rêvais de devenir comme toi. Et maintenant, je me retrouve fiancée au guerrier de la tribu pour me remettre dans les rangs. J’étais triste l’année où je ne pouvais pas venir à la cérémonie. Je voulais te voir. C’est… ridicule hein?»
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Les paroles de l’indienne lui firent froncer les sourcils. Elle clamait que les créatures sombres pouvaient la dévorer, passant presque un appel à la nature. Le Piccaninny ne comprenait pas. Ce qu’il comprenait, cependant, au travers de ces mots dénués de sens à ses yeux, c’était que la jeune femme n’était pas épanouie. Nuddy s’esclaffa de rire mais Cheyenne resta impassible. Cela ne l’amusait pas. Cela aurait fait mourir de rire les enfants perdus ou les plus jeunes des indiens mais pas lui. Car le Piccaninny savait qu’on ne plaisante pas avec certaines choses. Le cycle de la vie en faisait entièrement partie.
- En effet.
Cheyenne acquiesça d’un hochement de tête. Nuddy n’était plus une petite fille comme autrefois. À présent, elle était devenue adulte. C’était une femme, une belle demoiselle qui allait sans doute être promise et mariée à un indien de sa tribu. Cheyenne accepta ensuite de lui parler de sa tribu, de l’initier aux rites des Piccaninny. Quand cela fut fait, Nuddy sembla apprécier ce qu’elle entendait. Il était vrai que les Unamy avaient une façon de penser plus ... stricte. Cheyenne les voyait comme une menace. Pourquoi ? Il suffisait de voir leur leader. Leur chef était une femme froide, sans pitié ni véritable discernement. Le pêcheur n’aimait pas cette personne. Il la jugeait comme l’incarnation des mauvaises valeurs Unamy.
- Je vois ...
Il lui avait retourné la question. C’était désormais Nuddy qui lui racontait comment fonctionnaient les Unamy. Ils étaient assez opposés aux Piccaninny. Comment ces indiens pouvaient ne pas apprécier les enfants perdus ? Les pirates, personne ne les aimait ! Il allait de soi que tout le monde ait envie de planter une hache dans le crâne d’un maudit flibustier ! Mais qui voudrait faire du mal aux enfants perdus ? Il aurait fallu être étrange. Leur bonne humeur était solaire et leurs rires animaient le camp Piccaninny dès le petit matin. Nuddy lui confia alors qu’on l’avait promise à un homme très différent d’elle, pour lui donner une leçon.
Cela laissa l’indien perplexe. Chez les Piccaninny, il arriverait qu’on promette deux enfants l’un à l’autre. Bien évidemment, si en grandissant, les jeunes se révoltaient et refusaient de se plier aux volontés de leurs parents, personne ne leur jetterait la pierre. Le mariage était un acte d’amour et pas une pénitence. Cheyenne regrettait amèrement que Nuddy ait à passer par de telles épreuves. Une jeune personne aussi charmante et gentille qu’elle ne méritait pas cela. Il posa les mains sur les épaules de l’indienne et la fixa droit dans les yeux.
- Ce n’est pas ridicule du tout ! Si j’étais à ta place, moi aussi je rêverais de liberté.
Elle avait espéré le voir à la cérémonie et lui aussi, avait espéré l’apercevoir et pouvoir discuter avec elle des changements dans sa vie. Sauf que malheureusement, les choses ne s’étaient pas passées comme prévu. Pas de Nuddy à la passation de flambeau et Cheyenne avait dû patienter jusqu’à ce jour pour la recroiser. Il ajouta avec un sourire :
- Par chance, nous nous sommes croisés ici ! C’est l’occasion de profiter du temps que nous n’avons pas eu à la cérémonie !
Ils n’étaient malheureusement pas dans un endroit où Cheyenne se sentait à l’aise. Un crocodile pouvait surgir à tout moment ou sinuer sournoisement jusqu’à leurs pieds. L’indien se ferait une joie de l’embrocher avec son trident mais tout de même ... s’il pouvait éviter une confrontation de ce genre, l’homme en serait ravi. Cheyenne revint sur ce que Nuddy lui avait dit :
- Tu dis ne t’être jamais sentie à ta place là-bas mais dans ce cas ... qu’est-ce qui te retient ?
Le Piccaninny leva le regard sur elle. À sa connaissance, Nuddy n’était pas encore mère. Tout du moins, pas selon ce qu’il en savait. Elle était peut-être promise et avait peut-être des parents encore en vie mais qu’importe ! Le bonheur était la chose la plus importante dans une existence. Chez les Piccaninny, il était déjà arrivé que des indiens quittent le nid. Cela n’était certes pas vu d’un bon œil mais personne ne jetait le blâme sur celui qui aspirait à une existence différente. Évidemment, lorsqu’il s’agissait d’un Piccaninny qui désirait devenir pirate ... le jugement changeait bien vite.
- Je ne devrais pas te dire ça. Je te dis des choses qui paraissent facile mais qui sont bien plus dures en réalité. Oublie-ça.
Cheyenne acquiesça. Quitter famille, position dans une tribu et vie quotidienne n’était pas donné à tous. Remettre toute son existence en question et repartir de zéro, bien peu de gens auraient été à même de le faire. L’homme réalisait seulement l’énormité qu’il avait dit ...
- «Tu dis ne t’être jamais sentie à ta place là-bas mais dans ce cas ... qu’est-ce qui te retient ?» «Je ne devrais pas te dire ça. Je te dis des choses qui paraissent facile mais qui sont bien plus dures en réalité. Oublie-ça.»
« Si, tu as raison de me le demander. Sincèrement, rien ne retiens. Mais j’ai peur. Peur de vivre à deux, peur de dire adieu. J’ai surtout peur de me perdre. Je ne sais pas qui je suis sans les miens. Même si je suis différente et même si je sais que je n’ai pas ma place là-bas… Si je les perds, je n’aurai plus aucune identité. Je vais aller où? Je peux te poser une autre question?»
Mon regard était brouillé. Les larmes voulaient se laisser aller, mais je les retenais. J’essayais de rester fière. De rester forte, mais en fermant les yeux pour reprendre légèrement mes esprits, une larme coula sur ma joue.
«Tu es marié toi? Est-ce que tu l’aimes? Je me dis que si tu vis l’amour, alors peut-être que je l’aimerai un jour. Peut-être serais-je heureuse.»
Mes mains vinrent couvrir mon visage. Je fixai la roche où nous étions assis. Je devais lui dire la vérité de ma venue ici. Je n’avais pas été tout à fait honnête quand je lui avais répondu un peu plus tôt. Oui je suis intrépide et oui ils pourraient bien me manger, mais la vraie raison était tout autre. Je posai une maison sur son épaule pour que je puisse le regarde dans les yeux. Je pris une grande respiration. Mon cœur battait à la chamade. Qu’allait-il penser de moi. Penserait-il que je suis faible? Sa perception comptait beaucoup pour moi.
«Je t’ai menti tout à l’heure. Je ne suis pas venue ici que pour méditer. Je suis venue ici parce que je préfère le danger à me perdre. C’est la seule façon dont je peux réellement me sentir vivante».
J’avais honte de lui dire ça. Lui qui semblait si fort et sans faiblesse. Mais je ne me dérobai pas, je continuais de le regarder de manière sincère. Je devais savoir ce qu’il pensait de tout ça. Je voulais qu’il me donne des solutions. Je voulais qu’il me tende la main. Au fond, j’aurais dû être dans sa tribu là où j’aurais pu développer mon plein potentiel. Il était rempli de sagesse et j’aimais son côté calme et dévoué. Je finis par lui faire un petit sourire pour qu’il voie que je n’étais pas sur le point de faire une bêtise qui pourrait me coûter cher.
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Cheyenne avait eu tort. Il lui avait posé une question indiscrète, l’avait probablement mise mal à l’aise. L’indien aurait dû réfléchir avant de parler car quitter son camp, surtout lorsque l’on est Unami, ça veut dire ne plus jamais revenir. Trahir les siens, s’évader pour aller explorer le monde, c’était considéré comme l’une des pires choses qu’un peau-rouge pouvait faire. Tourner le dos à sa famille, à ses amis d’enfance, à toute cette tribu qui avait nourri, gardé et vu grandir ses enfants ... c’était l’une des choses les plus lourdes de signification et dure à faire. Le Piccaninny ignorait s’il en aurait été capable, lui. Cependant, Cheyenne adorait sa tribu ! Pour rien au monde, il n’aurait voulu abandonner les siens pour aller rejoindre une bande de chiens galeux des mers ou pire encore, les ivrognes répugnants de Blindman’s Bluff !
Nuddy lui expliqua alors qu’elle craignait la perte d’identité, la perte de soi. Se retrouver seul, sans personne sur qui se reposer et avec aucune garantie de ne pas finir entre les crocs d’une bête sauvage, ce n’était pas à prendre à la légère. Cheyenne acquiesça pour entendre sa question. L’émotion était vive chez la demoiselle, elle peinait apparemment à se contenir. Le sujet était sensible, le Piccaninny le savait parfaitement.
- Je suis marié et fou amoureux d’elle. Quant à toi, je suis persuadé qu’arrivera le jour où tu aimeras à ton tour. Ce n’est qu’une question de temps et d’individu.
L’indienne ne semblait pas heureuse avec l’avenir qu’on lui prédestinait. Cheyenne n’était pas bien placé pour la conseiller, il n’était pas un Unami et ne savait pas comment ils fonctionnaient de l’intérieur. Mais selon son point de vue de Piccaninny, si l’union ressemblait davantage à un fardeau qu’à autre chose, mieux valait s’esquiver. L’homme était touché par la tristesse de la jeune femme, elle paraissait porter un poids trop lourd pour ses épaules. Il tendit le bras et tapota gentiment le dos de l’indienne comme pour la rassurer. Cheyenne avait presque envie de lui susurrer que tout s’arrangerait mais au final, il n’en savait rien ! La vie de Nuddy ne dépendait en rien de lui et il ne pouvait lui affirmer quelque chose qu’il n’était pas en mesure de savoir. Alors, en silence, il se contenta de tapoter délicatement son dos.
Ce qu’elle lui avoua ensuite ne le surprit pas tant que ça. En effet, il lui paraissait évident que Nuddy avait besoin d’un exutoire. Elle avait trouvé cette porte de sortir dans le danger et l’adrénaline, après tout pourquoi pas. Certaines personnes doivent frôler la mort pour se sentir vivantes. Cheyenne ne la jugea pas le moins du monde et se contenta d’acquiescer en silence. Il prit le menton de la jeune femme et souleva sa tête pour qu’elle le regarde dans les yeux.
- Tu as le droit de t’évader de ton univers comme tu le souhaites. Mais tu sais aussi bien que moi que la nature peut être féroce, ne prends pas de risques inutiles. D’accord ?
Cheyenne aperçut le sourire sur les lèvres de la Unami et afficha un sourire à son tour. Il lâcha le menton de la belle et finit par lui faire signe d’approcher, il l’enlaça et lui ébouriffa les cheveux un peu comme un grand-frère l’aurait fait avec sa cadette. Nuddy était probablement la seule Unami avec qui Cheyenne se comporterait de la sorte ! L’indien finit par se redresser au bout d’un moment. Ce moment chargé en émotions venant de prendre fin, chacun se devait de s’en retourner à son quotidien. Telle était leur vie, ils étaient indiens et leur tâche était de subvenir d’une façon ou d’une autre aux besoins des leurs.
- Je suis désolé Nuddy mais je vais déjà devoir t’abandonner ! Si je ne ramène rien pour manger ce soir, ma famille risque d’être affaiblie et c’est la dernière chose que je souhaite !
Avant de partir, l’homme essuya une ultime larme sur le visage de la Unami.
- Allez, fais confiance aux esprits, ils te réservent un meilleur destin que ce que tu imagines, j’en suis persuadé !
Sur ce, l’indien se recula de quelques pas et fit un signe d’au revoir à la belle tout en lui décochant un sourire. La voir avait été un grand plaisir et intérieurement, il espérait de tout son cœur qu’elle irait mieux par la suite et que ce destin dont elle ne voulait pas, finirait par ne pas l’accabler.