Le plan de la jeune Vairë semblait marcher à la perfection. Pendant des mois, elle s'était accroupie derrière un buisson à observer la routine lassante des pirates, à examiner chacune de leurs habitudes, chaque recoin qui pourrait servir à les tuer en toute discrétion. Elle avait tout prévu à la lettre. Hormis un détail. Il y aurait quelqu'un qui la verrait aujourd'hui.


Quelques heures auparavant
Naïla détestait s'habiller de cette façon. Elle se contempla dans un miroir en plissant du nez. Elle portait une robe qui lui arrivait un peu au dessus des genoux; des lacets remontaient à l'avant de sa poitrine dont elle avait pris soin de nouer un peu plus bas que ce qu'elle aurait fait habituellement afin de mettre son décolleté en avant; une paire de bottes en cuir s'harmonisait parfaitement avec le tissu favori des pirates; et pour finir sa chevelure retombait soigneusement sur ses épaules. Regardant son rendu, elle ne put s'empêcher de penser qu'elle ressemblait à une prostituée dans cette tenue. D'habitude, elle optait pour des tenues plus décontractées et moins sensuelles, mais elle dut se dire mentalement qu'elle n'avait pas le choix. Elle devait venger son amie qui avait été tué sous ses yeux quelques années auparavant. Respirant un bon coup, elle ferma les yeux quelques instants et l'adrénaline monta en elle.


La voilà arrivée au bar à rigoler avec un pirate. Si il savait ce qu'elle pensait mentalement, que son rire était faux, qu'il allait bientôt mourir , que ses blagues étaient d'une désespérance... Elle le voyait jeter des coups d'oeil de temps à autre vers sa poitrine. Ses pupilles se dilataient en l'observant. Quel dégueulasse ! C'était l'une des raisons secondaires qui la faisaient détester les pirates. Ils étaient sans gêne, pervers et sournois. L'homme face à elle sembla d'ailleurs remarquer que la jeune Naïla l'avait vu plonger son regard dans son décolleté. Prenant un faux sourire amusé comme elle savait si bien faire avec le temps, elle posa sa main sur la sienne. Beurk, quelle horreur de jouer la comédie!

▬ Mon regard est un peu baladeur, déclara-t-il le plus naturellement du monde.
▬ Mais ce n'est rien. Ils sont là pour ça! déclara-t-elle avec un clin d'oeil avant de se pencher vers son oreille et de chuchoter Et si on allait dans un endroit plus calme ?

L'homme sembla ravi de sa proposition. Naïla avait un peu accéléré les choses. Elle en avait marre d'être prise pour un objet par ce cher pirate et d'être victime de son regard pervers. Le pire? Il l'avait avoué sans gêne. Comme quoi, elle les haïrait jusqu'au bout. Et rien ne la ferait changer d'avis. Se levant, elle prit les devants et attendit que le pirate la suive. Elle l'amena dans une ruelle isolée qu'elle avait remarqué il y a quelques mois lorsqu'elle analysait la situation dans les buissons qui la bordaient. Le pirate la plaqua alors au mur commençant à l'embrasser. Naïla dut se faire mort d'homme pour ne pas vomir. Une chance qu'elle sache jouer la comédie depuis le temps. Puis ses mains commencèrent à se balader sur sa robe. Tandis que le pirate commençait à dénouer le lacet de son décolleté, Naïla retourna la situation pour que l'homme soit à son tour contre le mur.

▬ Mais elle est entreprenante... J'adore ça. déclara-t-il avec un sourire tordu.
▬ Et tu n'as pas encore tout vu.

Sans perdre une seconde, elle saisit le poignard qu'elle cachait dans sa botte et lui enfonça dans le coeur. Elle détourna le regard pour ne pas voir l'homme s'éteindre sous ses yeux. Même si elle les voulait morts, elle ne tuait pas pour le plaisir. Elle détestait même ça. Ce n'était pas une meurtrière. Juste une fille qui désirait la justice. Retirant la lame pleine de sang de son torse, elle regarda ses mains rouges de sang. Il fallait qu'elle cache le corps, mais un craquement de branche se fit entendre au loin. Là où elle s'était cachée depuis des mois. Paniquée par cette imprévue, elle ne prit même pas la peine de se rhabiller correctement et pointa son poignard devant elle.

▬ Sors de là ! lança-t-elle d'une voix mal assurée.

Naïla regarda le corps du pirate sans vie. Les yeux grands ouverts, mais le regard figé. Du sang se vidait de son torse. Elle avait besoin de le bouger avant qu'une trace imprègne le sol. Autrement, le corps serait plus facile à retrouver. Et il ne serait pas compliquée de remonter jusqu'à elle. Elle devait élargir ses stratégies d'attaque et ne pas rester sur séduction-meurtre. Son petit manège allait rapidement être démasqué. Il fallait qu'elle trouve un nouveau plan d'attaque. Mais quoi ?

C'était la question qui trottait dans son esprit quand un jeune inconnu sortit du buisson, les mains en l'air, avec une arme.

▬ Je ne suis pas un ennemi... déclara-t-il en sortant avec prudence. Puis, après une courte pause, il reprit Moi, je crois que t'as eu bien raison ! Les pirates, ça sert à rien de toute façon !

Les sourcils de Naïla vinrent se froncer naturellement en l'observant. A quoi jouait-il ? Pouvait-elle faire confiance à quelqu'un qu'elle venait tout juste de trouver en train d'espionner sur le territoire des pirates ? Et si il avait une autre arme pour l'attaquer ? Le regard froid, le fixant, avec méfiance, elle se dit qu'elle n'avait jamais fait confiance à personne et que ce ne serait pas aujourd'hui que ça changerait. Elle le dévisagea de bas en haut. Il devait être à peine plus jeune qu'elle. Et Naïla se disait qu'elle devait être prudente. C'est quand on est jeune que l'on a le plus d'énergie à revendre.

Puis le regard de l'homme dériva sur son corps et il finit par se tourner, la main sur les yeux. Etait-il gêné ? Baissant la tête vers son décolleté, elle grimaça. Elle qui ne s'habillait jamais comme ça en temps normal, elle trouvait toutes les difficultés que présentaient la tenue en seulement quelques secondes. Mais il y avait aussi des qualités. Etant une robe arrivant au dessus des genoux, elle pouvait fuir facilement en cas de problème, contrairement à celles qui étaient plus longue. L'entendant parler, lâcher un « Pourquoi tu l'as tué ? Il t'avait fait quelque chose ? ». Elle se dit que soit il parlait trop, soit il préparait quelque chose, soit il était vraiment intéressé. Mais la jolie Vairë ne répondit pas à ses interrogations. Elle n'allait pas raconter sa vie à un inconnu qui avait atterri sur une scène de crime. Elle se contenta de refaire ses lacets pour rendre sa tenue plus convenable. Tandis que l'inconnu rajouta un « Je m'appelle Brynjár, je suis un enfant perdu ».

Elle se sentait enfin plus à l'aise, plus elle-même une fois sa tâche finit. L'homme se cachant toujours les yeux, elle le saisit par les avant-bras et le plaqua contre le mur, mettant sa lame sous sa gorge. La méfiance ornait son visage, tandis qu'elle le regarda dans les yeux.

▬ Je m'appelle Naïla. Mais vois-tu, le problème c'est que tu parles trop. Soit tu mijotes quelque chose, soit tu n'aimes pas non plus ses pirates. Mais, dans tous les cas, je veux savoir pourquoi. Tu veux que je te fasse confiance en étant sûre que tu ne diras rien à personne? Alors caches ce corps dans l'eau. lança-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

Si il cachait le corps, il serait en quelque sorte son "partenaire de crime" et elle serait sure qu'il ne raconterait rien. Car le faire ce serait mettre sa propre vie en danger en plus de celle de la jeune femme. Et si il était honnête, il ne prendrait jamais ce risque.

Naïla était une fille têtue. Elle n'écoutait que son bon esprit et rien d'autre. Cela allait lui portait préjudice un jour ou l'autre. On avait beau essayé de la raisonner, à moins de trouver LA bonne technique, elle n'en ferait qu'à sa tête. Elle était consciente qu'à un moment ou à un autre les pirates comprendraient qui elle était vraiment, mais elle ne prêtait pas attention à ses risques et cela était d'une imprudence extrême. En effet, elle était loin de se douter que les pirates partiront à sa poursuite d'ici quelques semaines, voire quelques mois. Pour elle, tout allait bien dans sa vie. Mais pouvions-nous dire qu'une fille qui tue des pirates, sans le moindre scrupule, dans l'objectif simple de venger sa défunte amie, était une fille qui allait bien ?

Son corps contre celui de l'enfant perdu, elle se positionna de façon à bloquer ses bras. Estimons qu'il tente de lui donner un coup avec ses jambes, elle n'avait pas de parties génitales comme les garçons et donc la douleur ne serait pas assez forte pour qu'elle le lâche. Elle pressa un peu plus la lame contre sa gorge, le regardant droit dans les yeux, attendant une réponse rapide. Etait-elle vraiment capable de tuer un simple habitant de l'île qui n'était pas un pirate ? Si c'était le cas, elle n'avait vraiment plus de principes et commencerait à tuer pour le simple plaisir et ça, ce serait vraiment grave.

▬ Je te l'ai dit, je suis un enfant perdu alors forcément, je déteste les pirates ! Ils ont tué tellement de mes frères et soeurs ... Je veux bien t'aider à te débarrasser du corps mais crois-moi, l'eau, c'est une mauvaise idée.

Naïla le jaugea quelques instants. Il n'avait pas l'air bien méchant. Mais il s'agissait d'une fille effrayée par l'idée de faire confiance à nouveau. Elle était comme ça. Froide et sans scrupule. Afin d'être sûre que rien ne la blesse. Naïla était devenue comme ça. Une simple protection envers elle-même et les autres. Pendant ses courtes et rapides pensées, Brynjar en profita pour coincer ses doigts entre son cou et la lame. Il ne fallut qu'un dixième de secondes pour comprendre son manège. Si elle tentait de l'attaquer, il aurait le temps de riposter. Lâchant un petit soupir ressemblant à un râlement, elle se recula pour arrêter de le coincer. Elle lui avait mis du sang sur le cou et les doigts. Ce n'était pas son propre sang, mais celui de sa précédente victime. Elle se dit que elle aussi elle aurait besoin de se débarbouiller tout ce sang.

▬ L'eau, par ici, c'est le domaine des pirates. Si on essaie de s'en approcher, on va se faire repérer en deux secondes ! Je pense qu'on devrait plutôt faire l'inverse et le traîner dans la forêt, on l'abandonne dans un coin le plus éloigné de la ville possible et les gens croiront à une attaque de bête sauvage. Il faudra simplement qu'on dissimule le coup de poignard que tu lui as mis au coeur sous des fausses marques
▬ C'est aussi le domaine des sirènes à ce que je sache? Et à moins que tu es une merveilleuse solution, on aura jamais assez de force pour le transporter rapidement à la forêt sans se faire repérer, petit génie. lança-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

Naïla était une habitante de l'île, mais surtout une sirène. Une sirène qui évitait l'eau comme la peste. Mais si cela pouvait faire disparaître le corps en toute tranquillité, elle le ferait. Tout ce qu'elle savait c'est que si elle voulait réussir à cacher ce corps, elle devrait s'entraider avec l'enfant perdu et cela risquait de ne pas être une tâche facile. Ahhh, jeune solitaire indépendante qu'elle était !