Les feuilles rouges volaient, il les devinait rouges car ses yeux étaient incapables d’en discerner la couleur. Méchante nuit qui les empêchait de profiter de leurs journées. Brynjár détestait le noir, il en avait trop vu de par le passé. Il aimait courir dans l’eau et être ébloui par le reflet des rayons sur la surface lisse. Il aimait courir torse et pieds nus dans un champ du côté été de la forêt des quatre saisons. Sentir la chaleur caresser sa peau, sentir la verdure chatouiller son épiderme. Bryn, ça lui manquait tout ça. Mais hors de question de se lamenter. La vie était remplie de surprises dont il fallait savoir jouir. Cette nuit si longue, elle en était une.
Il s’aperçut d’une paume dans la sienne. Une main plus grande, plus large. Une main trop dure pour être celle d’un enfant. Oui, Brynjár tirait un adulte vers la forêt des quatre saisons. Tout à coup, le gamin revint à la réalité. Quelques heures plus tôt, il avait été ennuyer son magicien préféré. Celui qui enchantait le bois, celui qui créerait à partir de morceaux d’arbre des jouets fantastiques. Grâce à la magie si particulière de cet homme, Bryn s’était amusé durant des heures avec un petit soldat de bois dans sa cabane à l’Arbre du Pendu. Ce créateur, il s’appelait Oz. Et Oz, c’était un magicien, un vrai.
Cela faisait quelques jours que Brynjár se disait que quelqu’un comme Oz serait très utile à l’Arbre. En effet, il pourrait leur fabriquer des tas de jouets et tout le monde s’amuserait tellement ! Enfin, lui peut-être moins. Le pauvre se fatiguerait à la tâche. Mais Bryn songeait plutôt à tous ces jeux avec ses mais qu’à la fatigue de l’adulte. Sur un coup de tête, il avait décidé de kidnapper l’homme. Enfin, kidnapper ... disons que Brynjár était arrivé dans la boutique d’Ozvan en prétextant une situation d’extrême urgence. Dès qu’il fut sûr que l’homme le suivrait, il l’avait tiré par la main jusqu’à la forêt. Et les voilà, tous les deux occupés à marcher. Les feuilles tombant autour d’eux, indéfiniment. Dans cette partie de la forêt, les arbres se dépouillaient de leurs parures aussi vite qu’ils la retrouvaient.
Brusquement, Bryn s’arrêta. Il lâcha la main d’Oz et s’éloigna de quelques pas rageurs. Il se jeta sur un tas de feuilles mortes, les envoyant voler dans tous les sens. Assis sur cette terre tendre, le jeune garçon croisa les bras sur le torse et adopta sa mine boudeuse. Il s’adressa à Ozvan sur un ton râleur :
- Tu sais, moi je voudrais te garder avec nous. Tu nous créerais toujours plein de jouets et tu pourrais même faire des cabanes jouets géants !
Ses yeux brillaient d’excitation quand il en parlait. Brynjár se laissait emporter par son enthousiasme. Mais rien au monde, pas même cette vague intense d’euphorie, ne lui aurait fait oublier les règles. Rufio serait fou de rage s’il avait l’idiotie d’emmener un adulte à l’Arbre du Pendu. D’ailleurs, Bryn risquerait probablement d’être chassé des siens s’il faisait une telle erreur. Qu’adviendrait-il de lui sans ses amis ? Sans doute devrait-il se résoudre à grandir, à vivre comme Anya, dans les rues de One-Eyed-Willy. Cette pensée lui fit monter les larmes aux yeux.
- Mais je peux pas ! C’est trop injuste !
Bryn ramassa des petits cailloux qu’il balança négligemment dans les buissons.
- Tu aurais aimé rencontrer mes amis ? Ils sont gentils, tu sais ! On combat les pirates et on danse avec les indiens.
Ses yeux bleus étincelants se posaient partout à la fois. Il tenait une main d'enfant dans la sienne, qui le tirait depuis déjà de longues minutes. Ils avaient quitté la ville depuis déjà au moins une bonne heure de marche Ozvan l'avait suivi sans trop de soucis. Le petit avait prétexté une urgence, il ne se souvenait même plus vraiment laquelle. Mais il avait stoppé ses activités et avait laissé son atelier en plan pour suivre ce jeune garçon. Il était déjà grand en réalité, il devait avoir 15 ans, peut-être un peu plus, mais pour Ozvan ce vieux grincheux de 30 ans, c'était un gamin. Sans autre mot échanger, ils marchaient encore et toujours. Ozvan ignorait où il allait et où il se trouvait. Il se contentait de suivre le garçonnet qui le tirait. À présent en pleine forêt, il ne la connaissait pas encore, on le lui en avait parlé. Cette forêt des quatre-saisons, en deux années environ qu'il était ici, il n'avait pas beaucoup exploré l'île et ses beautés. Il en avait à présent l'occasion. Il faisait déjà nuit, et même si à pénombre cachait la beauté vive de la nature Oz l'imaginait sans soucis et s'en émerveillait. Il marchait toujours sans poser de questions. Il était adulte et se doutait finalement que l'urgence n'était pas si urgente. Puis un fabricant de jouets, que pouvait-il bien faire pour aider un pauvre enfant ? Mais il l'avait suivi pour une obscure raison.
Le garçon alors, dont il ignorait le nom, s'arrêta, dégageant sa main de cette rugueuse de l'artiste. Ozvan tourna son regard vers lui, l'ayant presque oublié avec cette magnifique forêt qui ne cessait de cracher ses feuilles. Le regardant alors se poser sur un gros tas de feuilles mortes un peu plus loin de lui, il l'observa inquiet de sa moue soudain déçue. Ozvan naît put s'empêcher alors un sourire amusé à sa réflexion râleuse. Baissant son regard laissant échapper un léger rire. Le gamin, alors, sembla commencé à pleurer. Oz s'approcha doucement, de peur de le faire fuir. Il n'était pas très doué avec tout cela, mais... Il posa genoux à terre afin de se mettre à sa hauteur et d'un léger sourire. « Cela serait avec plaisir que je rencontrerais tes amis. » Ozvan fit un mouvement pour éviter un caillou que le gamin balançait sans regarder, pour évacuer une espèce de colère qu'Ozvan avait encore du mal à saisir. Il lui semblait comprendre que le gamin rêvait de jouets par milliers rien que pour lui et ses amis. Peut-être parlait-il des enfants perdus. Surement même. Oz en avait eut vent. Ils savaient qu'ils étaient cachés quelque part sur l'île et que certains les recherchaient pour de mauvaises raisons. Oz voulut alors rassurer l'adolescent. « Ce n'est pas grave si tu ne peux pas m'emmener avec toi, tu sais. Tu peux venir à ma boutique quand tu en as envie. Je te donnerais des jouets pour toi et tes amis, si cela te fait plaisir. »
Le fabricant de jouets s'était mis à son compte en arrivant ici. Non pas pour ce faire de l'argent est monté en grade dans cette société nouvelle. Non, juste pour s'occuper et faire plaisir à des bambins et autres adultes sur cette île si particulière. Il vivait certes grâce à sa boutique et faisait ce qui lui plaisait, mais il n'était pas à quelques soldats ou autre manège prêt. Puis il ne supportait pas de voir de jeunes gens malheureux parce qu'ils ne peuvent pas s'offrir quelque pauvres jouets en bois. « Mais dis-moi mon garçon, quel est ton nom ? » Fit-il alors, s’asseyant lui aussi finalement à même le sol face à l'enfant perdu.
Bryn était contrarié, furieux tout à coup contre le système des enfants perdus. Certes, il était vital pour les leurs que l’Arbre reste secret. Si les pirates savaient où les dénicher, ce serait la catastrophe ! Mais, capricieux comme l’enfant qu’il était, Brynjár aurait voulu que les lois ne s’appliquent pas à lui. Difficile de respecter et d’accepter pleinement une autorité quand on prône la liberté totale. Le gamin se laissa alors aller à la colère, balançant des cailloux et marmonnant dans ses dents. Le fabricant de jouet pour sa part, ne comprenait pas l’énervement du garçon et vint discuter, se baissant à sa hauteur et déclarant qu’il aurait aimé rencontrer ses amis.
Cela rendit une ombre de sourire à Bryn qui redressa les yeux. Les enfants perdus n’accepteraient probablement pas tous de venir le rencontrer. Certains quittaient très peu l’Arbre, d’autres étaient toujours en vadrouille partout sur l’île de Neverland. Autrement dit, si Ozvan ne venait pas à l’Arbre, il y avait peu de chance qu’il puisse rencontrer tous les enfants perdus. Qu’importe, Brynjár lui amènerait quelques-uns de ses plus proches amis. Ils pourraient jouer tous ensemble dans la boutique de l’homme. Cela fut suffisant pour lui remonter le moral. Retrouvant le sourire, le garçon se redressa. Ses humeurs pouvaient changer d’une minute à l’autre, ses chagrins se dissipaient plus vite que le rondin est emporté par le courant puissant de la rivière. Bryn n’était pas foncièrement lunatique mais les enfants ont cette capacité à surmonter les mauvaises passes avec aisance et rapidité.
- On viendra !
L’homme lui demanda alors son nom et Brynjár esquissa un sourire. La politesse, les bonnes manières, tout ça n’était pas réellement important à ses yeux. Il identifiait ces comportements comme des habitudes d’adultes. Cependant, le fabricant de jouets méritait bien de pouvoir accrocher un nom au visage du garçon qui l’avait emmené en forêt sous un faux prétexte.
- Je m’appelle Brynjár ! Et toi c’est Oz, je le sais parce qu’on parle souvent de toi à l’Arbre.
Forcément, regrouper des enfants en même lieu et parler de jouets va de pair. Mais si Oz s’imaginait que Bryn et ses amis n’étaient que des êtres innocents et fragiles, il serait bien surpris en les découvrant ! Parmi leurs jeux, il y avait la chasse aux pirates ou les bagarres avec les indiens Unami. La vie d’enfant perdu était loin d’être un fleuve tranquille.
- C’est trop dommage que tu sois vieux ! Si tu étais encore un enfant, tu aurais pu être l’un des nôtres et on se serait bien amusés !
Mais malheureusement ce n’était pas le cas. Bryn finit par hausser les épaules et se détourner d’Oz pour faire quelques pas vers la forêt. Désormais qu’il savait ne pas pouvoir emmener le fabricant à l’Arbre, il ignorait ce qu’il allait bien pouvoir lui dire ...