Il y a longtemps, que je ne t'avais pas vue. Il y a longtemps, trop longtemps pour que je pense te revoir même si j'avais pris soin de toi, de loin. Oui, tu ne l'avais sans doute jamais su, mais quand tu étais encore un enfant perdu, j'avais veillé sur toi, le petit blondinet que j'avais sauvé d'une noyade il y a bien longtemps. Je me rappelais encore ton visage à ma vue, un mélange entre le dubitatif, l'incompréhension et surtout à te demander si tu devais me remercier et me sourire, ou partir en courant de peur d'être mangé tout cru par une sirène. Mais tu avais préféré prendre la première option et très honnêtement, je ne ferrais jamais de mal à un enfant, surtout un enfant perdu. Vous aviez beau être des humains, mon côté maternel très puissante, très présente, m'empêchais de toucher à un enfant et lui faire du mal.
En cette fin de journée assez douce, je m'étais donc extirpé de mes obligations de reine, pour monter un peu vers l'île, pour me détendre. Ma détente n'était pas des plus douce, puisque j'aimais la détente par le sang qui coulait, par la mort.Une bien pénible façon de faire mais c'était ainsi. J'étais la reine, si je n'étais pas comme ça alors que j'avais appliqué des lois assez strictes au sujet des humains, cela n'aurait aucune cohérence. Sans doute que s'il n'y avait pas eu ces hommes qui avaient massacrés mes parents de la sorte, sans doute que je n'aurais pas été aussi cruelle. Un simple acte, pouvait faire toute la différence. Ma haine, mon envie de vengeance était encore bien trop présente, pour des actes commis il n'y a pas si longtemps que cela, pour que je puisse passer outre. Non, je ne donnerais pas la satisfaction aux Hommes d'être en paix sur les flots.
L'océan était calme, le soleil commençait doucement à baisser, allant bientôt baigner dans cette étendue d'huile. Je nageais avec élégance vers les plages les plus calmes, me doutant que je trouverais bien quelque chose à croquer, dirons-nous. Et j'eus bien raison. Il y avait pas mal d'occupants, sur cette île, de pirates et d'enfants. J'excluais bien sur les enfants, nous ne leur faisions rien, c'était ainsi, comme je l'avais décidé et comme cela avait toujours été. Blond, grand, une corpulence plutôt bien construite. Il semblait pêcher, avec cette lance faite de bois. Un sourire fin mais mauvais se dessine sur mes lèvres, alors que je décide donc d'aller le prendre par surprise, derrière lui. Et c'est ce que je fis sans mal, puisqu'il ne s'y attendait pas.
Un vrai rapport de force s'en suivit. Bien sûr que je ne t'avais pas reconnu, tu avais tellement grandi. Réellement beaucoup grandis. J'en perdais vraiment la notion du temps, avec cette immortalité. Dans mon esprit, tu étais encore un petit bout de chou d'une dizaine d'années, pas plus. Mais non, c'était bien toi. Et ce fut vraiment à la dernière seconde, avant que ton souffle ne cesse de capter l'air, que ton cœur ne reçoit ce précieux fluide, qu'une cordelette faite par une algue mélangée avec un métal marin, avec un symbole que je connaissais bien, ne flotte au niveau de mon visage et donc du tien qui perdait peu à peu la vie. Pris d'un pique instantané, je me dépêche donc de nager en direction de la plage, te poussant au mieux sur le sable tiède. « Merde. » Lâchais-je tel un juron bien placé. Je me traîne donc au mieux, ayant encore ma nageoire puisque encore bien trempé, celle-ci ne c'était pas troqué pour ses jambes de malheur. Je m'approche de toi, essayant donc de t'extirper l'eau des poumons au mieux.
C’était une journée comme elles étaient toutes, bien avant que le ciel ne se détraque et que l’île tout entière nous traque pour une raison qui lui était propre. J’avais travaillé durant toute la journée de la veille à la mine, comme presque tous les jours. Mais aujourd’hui, je m’accordais un peu de liberté, mon quota de pierres avait été largement atteint et personne ne pouvait me reprocher de prendre un peu de bon temps pour moi et moi seul. Ma journée se passa des plus paisiblement, vente de quelques sacs sous le manteau, repos et visite d’un ami que je n’avais pas revus depuis l’arbre du pendu. Décidément, la vie d’adulte était bien monotone. En fin d’après-midi, je décidais d’aller me baigner. Certes, les sirènes et tritons trainaient toujours un peu dans le coin, mais je n’avais jamais eu de souci jusqu’à présent avec eux. Je nageais le plus loin possible, revenant finalement à mon point de départ après une bonne demi-heure. Cela faisait un bien fou, de plus la température était plus que clémente. Contournant un rocher je trouvais appui dessus et je sortais de l’eau, des perles de liquide coulant encore sur mon torse nu. Je récupérais ma chemise avant de saisir mon harpon de fortune que j’avais taillé pour les jours de pêche. La nuit serait bientôt présente et je n’avais plus beaucoup de provisions dans ma masure. Un poisson rôti au feu de bois, peut-être même deux, ne serait pas de refus.
Je suis la debout, attentif au moindre mouvement de ce poisson qui passe et repasse vers moi, comme si la proie était le chasseur et le chasseur la proie. C’était amusant, mais j’attendais le bon moment, cet instant « T » qui me donnerait le dessus sur l’animal qui finirait son existence au fond de mon estomac. Bien trop concentré pour voir venir le danger imminent, je suis plus que surpris, lorsqu’une chose m’attrapa par les chevilles et me fit basculer vers la mer. Je ne compris que trop vite que j’avais à faire à une sirène, sa puissante, cette manière de me tirer vers le fond. Moi qui n’avais même pas eu le temps de prendre ma respiration. Je n’allais pas me laisser faire. Je me débattis comme un beau diable, donnant des coups avec mes jambes, mes coudes en tentant de voir la chose. Ma vision était trouble, le sable déposé au fond de l’eau activé par les remous de notre lutte rendait ma vue encore plus mauvaise. Je devais l’admette lutter était peine perdue, mes poumons se contractèrent, je sentais l’air me manquer de plus en plus, alors qu’elle s’évertuait à me maintenir sous l’eau. Ma bouche s’ouvrit, ma vue se troubla, je sentais une torpeur bien trop agréable pour ne pas sentir la vie m’abandonner.
J’ignore ce qu’il s’est passé, pourquoi, j’ai mal à la poitrine subitement, moi qui étais dans un lit de coton, aux prises d’une lueur douce et amicale. Soudain, c’est le choc, mes yeux s’ouvrent d’un coup, j’expire, mais c’est de l’eau qui jaillit de ma bouche. Je craque, j’ai mal à la gorge, mes poumons sont douloureux, le sel les a mis à rude épreuve. Mes poumons doucement prennent l’air dont ils sont tant besoin pour me faire vivre, j’ai la tête qui tourne, je me sens mou et envahie par une indolence profonde. Je ne saurais même pas dire ce qu’il vient de se produire. Elle est là, au-dessus de moi, ses longs cheveux blonds encadrant son visage d’une beauté sans pareille. Je connais ces traits, je reconnais ses yeux d’un bleu égal au mien. C’est Néis. Je tente de parler, mais ma voix s’enraille avant que je tousse pour tenter de faire sortir ce mot. « Néis…Tu m’as sauvé ? » Dans ma tête, nul doute qu’elle a surpris celui ou celle qui me voulait du mal et qu’elle est venue à mon secours. Ce ne sera que la seconde fois. La belle naïade me contemple l’air désolé. Je crois que j’ai failli y passer. « Je vais bien… » J’esquisse un léger sourire, avant de me redresser un peu, elle a encore sa nageoire, sa poitrine se soulève fortement, comme si la peur l’avait elle aussi envahie. Est-il encore possible que ce lien qui est entre nous existe encore après toutes ses années ? « Merci…Sans toi, je crois…que… » je tousse de nouveau, ma poitrine est une brûlure cuisante, j’ai besoin de boire de l’eau pure.