La nuit était déjà tombée depuis déjà un petit moment, mais, pourtant, je ne dormais toujours pas. En fait, j’étais complètement éveillée et je m’apprêtais à quitter le domicile familial, comme je le faisais à chaque semaine depuis un peu moins d’un mois. Chaque semaine, j’attendais ce moment avec impatience, puisqu’il s’agissait de l’un de mes seuls moments de liberté complète que je pouvais passer hors du campement. Bien sûr, il m’arrivait d’aller me promener dans la forêt sous la supervision de mon grand frère, mais ce n’était pas du tout la même chose. De plus, lorsque j’étais seule, je pouvais profiter plus pleinement des merveilles de la nature. Bon, même à ça, je n’étais jamais réellement seule, puisque, lorsque je sortais chaque semaine, c’était pour aller rencontrer une amie près de la rivière. D’ailleurs, en parlant de cette amie, je l’adorais, parce qu’elle me racontait toujours plein d’histoires toutes plus merveilleuses les-unes que les autres sur le monde marin et les parcelles de Neverland qu’elle avait pu explorer. Et, en retour, je lui racontais tout ce que je savais du monde des hommes. Nous avions donc toujours plein de trucs à nous raconter, mais nous n’avions jamais le temps de dire tout ce que nous voulions dire, puis qu’Eileena devait toujours repartir après une heure passée en ma compagnie. Ça ne me plaisait pas du tout et j’aimerais qu’elle puisse rester plus longtemps, mais c’était tout simplement impossible à cause de l’eau douce. Ça lui donnait des rougeurs sur la peau et, à la longue, elle commençait à ne pas se sentir bien. Du coup, nous étions obligées d’abréger nos rencontres.

Une fois que mes mocassins furent dans mes pieds et que j’eus vérifié que toute la famille était bien endormie, j’étais enfin prête à partir. Je quittai donc ma chambre sur la pointe des pieds et je me dirigeai vers la porte d’entrée que j’ouvris délicatement. Encore une fois, j’avais réussis à sortir en douce! Fière de moi, un grand sourire se posa sur mon visage, puis je pris la route en direction de la rivière. Généralement, ça me prenait environ un quart d’heure de marche pour arriver à destination, mais, aujourd’hui, j’avais décidé de m’y rendre en courant, afin d’arriver plus rapidement. En effet, j’étais encore plus énervée et impatiente qu’à l’habitude, puisque j’avais décidé d’apporter quelques cadeaux pour Eileena et j’avais vraiment hâte de les lui remettre! Après une quinzaine de minutes, je fus donc arrivée sur place. Seulement, comme je m’en doutais, la sirène n’était toujours pas là. Je grimpai donc à un arbre en vitesse, afin de me mettre à l’abri de tout danger. Après tout, j’avais beau vouloir explorer la forêt, je savais bien qu’elle était parfois dangereuse et je tenais à ma vie. Je passai donc quelques minutes perchée dans mon arbre, en attendant l’arrivée de mon amie. Cette dernière surgit dans mon champ de visions quelques minutes plus tard et, un instant plus tard, je sautai de l’arbre pour atterrir dans l’eau, juste à côté de mon amie qui eut probablement la peur de sa vie. D’ailleurs, en voyant sa réaction, j’éclatai de rire, fière de mon coup.

Fière de ma plaisanterie, j’étais toujours en train de rigoler lorsque a sirène se joignit à moi. La soirée venait à peine de commencer et, déjà, je m’amusais comme une folle! Nous avions beau n’avoir encore rien fait, ne nous être racontées aucunes histoires, mais je sentais que cette soirée allait être géniale! En fait, n’importe quelle soirée hors de la réserve de mon camp était merveilleuse, mais, celles où je rencontrais Leena étaient les plus belles, puisque j’avais alors l’occasion de me promener un peu dans la forêt, ce qui me faisait extrêmement plaisir et ce même si j’étais forcée d’écourter mes balades à cause des nombreux changements survenus sur l’île, changements qui rendaient l’île de plus en plus dangereuse. Seulement, ça m’était égal et j’étais prête à braver n’importe quel danger pour entendre les récits des aventures de mon amie! D’ailleurs, j’étais si impatiente de les entendre, que je m’apprêtais à le lui demander, lorsque je remarquai qu’elle transportait un objet étrange, mais que j’avais déjà vu par le passé. Il s’agissait d’une longue vue très travaillée, probablement très ancienne et ayant surement appartenu à un pirate.

-Je suis désolée de t’avoir fait peur, mais la tentation était trop forte, dis-je en rigolant un dernier coup. C’est une longue vue que tu tiens? Tu sais à quoi ça sert? Où est-ce que tu l’as trouvée? Tu sais que ça doit valoir une fortune!

Sans trop m’en rendre compte, je commençai à bombarder Leena de questions, même si je savais que ça devrait plutôt être l’inverse, puisque si la sirène m’avait apporté cet objet, c’était probablement parce qu’elle n’en comprenait pas l’utilité. Je décidai donc de me taire et je lui pris doucement l’objet des mains avant de porter la plus petite extrémité du cylindre à mon œil droit, afin de vérifier s’il fonctionnait toujours et, comme je m’en doutais bien, l’un des verres contenait une légère égratignure, mais on pouvait toujours apercevoir le paysage au travers de la longue vue. Il s’agissait donc d’une véritable pièce de collection que la sirène avait trouvée! D’ailleurs, en pensant à cet objet qu’elle avait apporté, je me souvins que j’avais moi-même une surprise pour elle. Seulement, elle se trouvait dans mon sac qui était sur moi lorsque j’avais décidé de plonger dans l’eau, si bien qu’elle était maintenant complètement trempée! Je commençai donc à fouiller rapidement dans mon sac pendant que mon amie répondait à mes questions.

S’il y avait bien une chose que je ne craignais pas, c’était l’eau et ce malgré toutes les histoires que j’avais pu entendre à propos des fonds marins. En fait, les rares fois où j’avais l’occasion de nager, je ne me préoccupais pas des poulpes géants, des requins ou des autres dangers potentiels qui rôdaient dans les profondeurs. Tout ce qui comptait, c’était la tranquillité et la paix que je ressentais lorsque j’étais dans l’eau. D’ailleurs, c’était probablement l’une des raisons qui faisait que j’appréciais autant mes rencontres avec la jolie sirène, en plus de toutes les connaissances que nous échangions, comme nous le faisions en ce moment même, en discutant de l’objet que Leena avait trouvé. D’ailleurs, cet objet magnifique semblait intriguer énormément mon amie qui me demanda qu’est-ce qu’était une longue vue. En soi, le principe de l’objet était assez simple à expliquer. J’hochai donc la tête lorsqu’elle me demanda si c’était pour les yeux et je l’écoutai me raconter qu’elle avait déjà vu des pirates s’en servir.


« Oui, les pirates s’en servent souvent sur leurs bateaux pour voir au loin. En fait, quand tu places le plus petit bout sur ton œil, les paysages de l’autre côté auront l’air mille fois plus gros! » Expliquai-je de façon enthousiaste avant de me mettre à fouiller dans mon sac qui avait pris l’eau, ce qui m’inquiétait puisque les objets que j’avais apporté avec moi n’étaient pas des plus étanches. Je me dépêchai donc d’ouvrir ma besace et je m’emparai de la peinture qui flottait au fond. Il s’agissait d’une petite toile, à peine plus grande que mes deux mains mises ensembles. Elle devait donc mesurer plus ou moins cinq pouces de longueur et de largeur. L’œuvre d’art, représentait une femme aux cheveux blonds comme le blé qui nageait dans un lagon et, même si elle était magnifique, la première chose que l’on remarquait sur le tableau était sa queue de sirène d’une teinte dorée si brillante qu’elle éclipsait presque le soleil.

« C’est un cadeau que je t’avais apporté » Répondis-je simplement à sa dernière question. Puis, devant son regard inquisiteur, je sortis entièrement la toile du sac, puis je l’étendis afin que Leena puisse admirer l’œuvre en entier. La peinture avait un peu coulé et les couleurs étaient devenues un peu plus fades, mais on pouvait toujours voir que l’artiste qui l’avait réalisé ne manquait pas de talents et on arrivait tout de même à reconnaître les traits de la femme qui m’intriguait tant. « C’est une peinture, je ne sais pas si tu en as déjà vu? C’est un marchand qui me l’a donné il y a quelques jours en échange d’un panier de pommes. Probablement parce qu’elle n’avait aucune valeur pour lui, mais moi, je la trouve magnifique. Pas toi? » Demandai-je, souriante et regardant attentivement la toile. « Tu sais de qui il s’agit? Est-ce que tu l’as déjà croisé au royaume? »

Lorsque je sortis la toile de mon petit sac, je sentis tout de suite l’immense curiosité que ressentait Eileena face à l’objet. Elle désirait visiblement en savoir plus, car, tout comme moi, elle était le genre de personne fascinée par le monde qui l’entourait, toujours désireuse d’en voir plus et d’en savoir plus. D’ailleurs, c’était, selon moi, la principale raison de notre si bonne entente. Nous désirions toutes les deux en apprendre plus. Moi sur le monde marin, elle sur le monde des Hommes. Tout était donc parfait, puisque nous nous apportions mutuellement des informations sur nos territoires respectifs. Ainsi, j’apprenais lentement à connaître le peuple de l’océan tandis qu’elle commençait à découvrir le peuple terrestre, mon peuple.

« Elle est vraiment très belle c'est vrai! » Je hochai la tête en entendant prononcer ces paroles. Cette femme, elle était vraiment jolie et c’était l’unique raison pour laquelle j’avais acheté cette toile. Elle m’intriguait. Je voulais savoir qui elle était et d’où elle venait. J’avais donc espoir que mon amie la reconnaisse, mais ce ne fut malheureusement pas le cas. La sirène affirma qu’elle avait l’impression d’avoir déjà aperçu son visage quelque part, mais elle n’arrivait pas à dire où précisément et donc, par le fait même, à me dire qui était cette inconnue. Mon mystère resta donc irrésolu, mais je n’en voulais pas à mon amie pour autant. Elle avait essayé et c’était tout ce que je demandais. De toute façon, savoir qui elle était n’était pas une priorité dans ma vie, seulement une curiosité.

« Ce n’est pas bien grave, je poursuivrai mes recherches ailleurs! » Affirmai-je avant de lui adresser un immense sourire. Oui, j’étais toujours aussi enthousiaste. Je n’allais pas baisser les bras devant un seul échec, n’est-ce pas? « Au pire, tu n’as qu’à garder le portrait, comme ça tu pourras demander aux autres sirènes s’ils savent qui elle est! Et même si tu ne trouves pas, ce n’est pas bien grave, je n’en mourrai pas! » Plaisantai-je en rigolant avant de lui tendre la photo. Puis, désireuse de changer de sujet, je lançai mon sac sur la rive avant de plonger sous l’eau pour me rafraîchir un peu. Quelques secondes plus tard, je ressortis la tête. Mes cheveux, qui étaient maintenant entièrement trempés, me collaient au visage. Je les plaçai derrière mes oreilles, mais ce n’était pas une tâche aussi facile qu’elle n’y paraissait, puisqu’ils étaient tous mêlés et beaucoup plus lourd qu’habituellement.

« Pour être honnête, je ne comprendrai jamais comment tu fais pour t’habituer à ça. » Dis-je en pointant mes cheveux avant de rigoler. J’avais toujours trouvé que la vie sous-marine avait plusieurs avantages, comme l’immensité de l’océan, tous les secrets qu’elle renfermait et tous les poissons exotiques qu’elle abritait, mais elle avait aussi plusieurs désavantages. Comme l’absence de forêts et les cheveux qui collent, par exemple. « Dis, parfois ça ne t’arrive pas de t’imaginer ce qu’aurait été ta vie sur terre? » Demandai-je d’un ton un peu plus sérieux.

En remettant le portrait à mon amie, je n’avais pas pensé à un détail assez important. Si Leena emportait l’œuvre avec elle, sous l’eau, elle l’abimerait involontairement, car l’encre et l’eau ne font pas bon ménage. D’ailleurs, j’en avais eu la preuve il y a quelques minutes à peine. Après un court moment passé dans l’eau, la qualité de la toile s’était déjà détériorée, alors je n’imagineais pas ce que ça donnerait après des journées complètes passées dans l’eau salée! Néanmoins, malgré ce léger problème, je lui laissai tout de même ce présent. De toute façon, je savais qu’elle en prendrait soin et qu’elle trouverait un moyen de le garder en sureté et de ne pas l’abimer. Je lui faisais confiance.

Puis, une fois qu’elle eut accepté le cadeau, je plongeai la tête sous l’eau, désireuse de faire comme mon amie. Le monde des sirènes m’intriguait tellement! Je donnerais tout pour passer ne serait-ce qu’une journée dans le royaume maritime. Je m’imaginais déjà nager parmi eux, avec ma queue de poisson du même rose que le ciel lors du levé du soleil. Je m’imaginais poser les pieds au palais, explorer l’océan et observer les bancs de poissons tropicaux aux couleurs de l’arc-en-ciel. Franchement, pour moi, ce serait merveilleux! À l’exception, bien sûr, de quelques petits détails, dont mes cheveux qui me collaient au visage en ce moment. Je ne m’imaginais pas passer le reste de mes jours à endurer ça. Mais en même temps, je ne m’imaginais pas passer le restant de mes jours enfermée ici, au village…

« Pour être honnête, je ne comprendrai jamais comment tu fais pour t’habituer à ça. Dis, parfois ça ne t’arrive pas de t’imaginer ce qu’aurait été ta vie sur terre? » Demandai-je à mon amie, histoire de me changer les pensées un peu. En voyant sa réaction, je pouvais aisément deviner que cette idée lui avait effectivement déjà traversé l’esprit. « Et bien... Si. Ton monde est si différent du miens, que chaque jour je découvre un nombre de choses inimaginable. Que ce soit votre nourriture, vos habitudes, et même les gens. C'est un endroit tellement fascinant, mais qui fait à la fois tellement peur. Les humains ne m'aiment pas beaucoup en fait, ou alors ils sont rares... Comme toi. Et puis..... »

Elle avait raison. La majorité des Unamis se montraient méfiants, voir hostiles envers les étrangers, alors je n’imaginais même pas ce que ça pouvait être ailleurs sur l’île. Bien sûr, il y avait les enfants perdus qui aimaient pratiquement tous les sirènes et ma cousine, la petite Aponie, qui serait probablement plus que ravie de rencontrer Eileena. Par contre, pour ce qui était du reste de Neverland… Je me doutais que les gens n’étaient pas tous aussi ouverts.

J’attendis patiemment que mon amie termine sa phrase, mais elle ne le fit jamais. À la place, elle se lança sur un nouveau sujet, ce qui me déstabilisa un peu. J’avais l’impression qu’elle me cachait quelque chose, mais j’avais aucune idée de ce que ça pouvait être. Une partie de moi avait envie de demander, mais l’autre, la petite Ayanna bien élevée, se disait que ce n’était pas très poli de demander et que je ne respecterais pas son intimité en me renseignant. Du coup, je me contentai d’écouter plus ou moins attentivement ce qu’elle me disait, trop concentrée sur son possible secret.

« Je sais que nous pouvons aller sur terre, pour tout de dire, j'ai déjà essayé, et avoir des jambes est une chose incroyable. Mais il faudrait pour çà que je sois sure d'être en sécurité, avec quelqu'un qui m'accepte pour ce que je suis, et qui m'aide. Et çà, c'est le plus effrayant. En soit. Et toi? Le monde sous-marin, tu y as déjà pensé? » Je hochai la tête en guise de réponse à ses premières réflexions. Elle avait raison, pour vivre sur terre, il lui fallait d’abord des amis, des alliés et un endroit sûr ou loger. « Oui, j’y ai déjà pensé, mais bon, pour ça, il faudrait que j’arrive à trouver un moyen de rester sous l’eau plus d’une minute sans mourir. » Dis-je en rigolant avant de tout de suite reprendre mon sérieux, repensant à la phrase non-terminée de Leena. « Tantôt, tu voulais dire quoi..? »