J’aimais ma vie sur l’océan, l’air marin me faisait un bien fou, je me sentais libre. Mais parfois, il faut revenir sur terre, tout pirate doit rejoindre la terre ferme à un moment donné. Une fois le navire amarré, je quitte le pont pour rejoindre le port. Que vais-je faire de mon temps libre ? Allez boire un coup dans une taverne, l’idée était alléchante… mais il était encore tôt pour rouler sous la table ! Je décide donc d’aller chasser, mais la solitude me pèse. Je n’ai pas envie de passer cette après-midi, seule. Je me mords la lèvre en réfléchissant à qui je pourrais rendre visite. Je suis sur le port de Willy, et il y a bien quelqu’un que je connais dans le coin ! Je tente ma chance pour voir si Raygon est dans le coin. J’aime bien ce petit, on se connait depuis un bail maintenant, à vrai dire, je bossais encore sous le commandement de Barbe-Noire quand j’ai fais sa connaissance. Il était curieux, et posait souvent des questions, après plusieurs mois, il m’a finalement raconté pourquoi il s’intéressait autant à Barbe-Noire, j’ai été touché par son histoire. Depuis ce jour, je continue mes recherches, même si la disparation du pirate à compliquer les choses. Aujourd’hui, je n’ai pas de bonnes nouvelles à lui apporter, mais peut être qu’une petite visite lui ferait plaisir ! Je me dirige vers l’endroit où j’ai l’habitude de le croiser. Bien entendu, je porte mon arc – que je ne quitte jamais – sur l’épaule, ainsi que mon carquois… cet objet ne me quitte jamais. C’est donc d’un pas enjoué que je m’avance vers l’endroit que loue Raygon. Finalement, j’ai hâte de le revoir, cela fait plusieurs mois que nous ne sommes pas vus, et j’aime beaucoup ce garçon. A vrai dire, on rigole bien ensemble, et je suis admirative de son travail.
J’arrive à l’endroit dit, et je cherche du regard mon ami. J’entends un bruit, quelqu’un qui tape sur quelque chose me semble-t-il ! « Raygon, tu es là ? » Je m’approche du fameux son, et insiste : « c’est Gràinne. » Finalement je le trouve, la tête dans je ne sais pas trop quoi, concentré sur son travail. « Et bien dis donc, ça bosse dur là-dedans ! Une pause, ça te dit ? » Si j’avais su, j’aurais apporté un panier rempli de casse-croûte, qui sait depuis combien de temps, il travaille. Le jeune homme était du genre passionné, surtout quand il avait une idée en tête. Ma chevelure rousse volait au vent, et un sourire s’étirait sur mes lèvres.
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L'établi était encombré d'un tas de tuyaux hétéroclites, comme toujours me diriez-vous. Il est vrai que l'atelier de Raygon était rarement ordonné, une fois l'an peut-être quand il faisait son inventaire et encore, les bilans annuels se finissaient souvent avec des clous non répertoriés et des planches en moins. Ce bazar n'en avait le nom que pour les autres cependant, car pour le jeune menuisier, tout ce petit tas de bric à braque revêtait un sens et une place propre. Attrapant le marteau le plus proche, il plaça délicatement la feuille de bois de rose sur la massive planche de sapin. Son client était un de ces bourgeois que le luxe affole mais que la pingrerie étouffe. Il voulait du beau, du "qui fasse riche" sans en payer le prix, et pour cela, Raygon avait sa petite astuce. Le placage était une technique délicate, qui consistait, à partir d'un bois rare, à découper en fines feuilles le bois de quelques centimètres de diamètre, puis à l'apposer sur un bois moins noble, rendant, si le montage était bien fait, un effet bluffant de noblesse à un meuble qui n'en avait que la fine pellicule.
Le jeune homme avait choisi lui-même les essences, sachant par avance que son client suivait la mode sans la comprendre. Le plus drôle dans tout ça, c'est que sa commande reposait sur un coin oublié de tous mais pourtant bien pratique : les toilettes. Oui oui, c'est pour cela qu'à cet instant, Raygon avait la tête à demi enfoncée dans une cuvette en bois de rose ! Pour cela aussi qu'il n'entendit pas son amie frapper à sa porte, ni son pas léger quand elle déboula dans son atelier. Pour cela donc, qu'il se cogna brusquement la tête en voulant la redresser, contre le bien présent sous sa pellicule de rose, bois rustre de sapin.
Se relevant en se frottant fortement le crâne, le visage de Raygon se fendit d'un grand sourire en reconnaissance la malicieuse rouquine.
« Gràinne ! » Dire qu'il apprécie la jeune femme est peu dire, en réalité, il adore ce feu follet toujours partant pour l'aventure, immanquablement tricheuse à tous les jeux, et possédant autant de paroles que le moulin de Raygon. Retirant rapidement la poussière de bois qui doit le recouvrir des pieds à la tête, il passe l’accolade à son amie avant de croiser les bras.
« T'étais censé venir à la place des artisans samedi dernier, mais j'ai entendu dire que La Terreur du Sud avait reprit la mer avant. Cette Ching Shih me parait presque pire que Barbe Noire. Elle te traite bien? La seule fois où je l'ai vue elle m'a fait froid dans l'dos. » Il la regardait avec cet air sérieux qui ne collait pas du tout à sa bouille enfantine. Pourtant il se faisait du soucis pour elle, c'était bien l'une des seules d'ailleurs, et parmi les pirates qui plus est. En réalité il n'y avait bien qu'Haran et elle auxquels Raygon tenait parmi ces forbans des mers. Il savait qu'elle avait échappé à sa famille et au mariage forcé en rejoignant la piraterie et ne pouvait lui en vouloir.
« J'ai quelque chose à te montrer. » reprit-il après qu'elle lui ait donné sa réponse. Lui attrapant le poignet il l'amena au plus près de ces toilettes certes charmante, mais près des toilettes quand même. En réalité, Raygon n'avait jamais su se limiter à la menuiserie. Chacune de ses œuvres recelaient de mécanismes dont il avait le secret et qui faisait sa réputation.
« Avec ce système de tuyauterie, et cette réserve en eau, il suffira de le raccorder à l'évacuation la plus proche pour que les eaux usées soient évacuées. Fini les mauvaises odeurs, fini le vidage du pot de chambre ! » Se faisant il pointa successivement le bac d'eau caché sous le coffrage de bois ouvragé, puis la connexion à la cuvette et au tuyau en forme de U. Se redressa il plaça ses mains sur ses côtes, le menton relevé tel un apache et l'air faussement princier.
L’idée de passer mon temps, seule aujourd’hui, me déplaisait. Il y avait des jours comme ça, où l’on n’a pas envie d’être livré à soi-même… il se trouvait que ce matin en me levant, c’était le cas ! Avant de poser le pied sur le ponton, je n’avais aucune idée – de qui je pouvais aller voir – mais un éclair de lucidité me rappela que j’avais un ami dans le coin. Raygon et moi-même étions des amis de longue date – bien que parfois j’ai l’impression que notre rencontre date d’hier ! Je me dirige vers son lieu de travail, un atelier où il passe la quasi-totalité de son temps, donc j’ai quatre-vingt pourcent de chance de le trouver là-bas. Je m’avançais le pas sautillant, heureuse à l’idée de revoir un ami. Alors que j’approchais du local de Ray, je tendais l’oreille pour essayer de voir s’il était présent… un bruit me confirma que quelqu’un se trouvait bien à l’intérieur. Je l’appelais mais aucune réponse, il était sûrement trop concentré pour m’entendre. Je m’avançais vers la porte, et le trouva la tête enfoncé dans un truc – dont j’ignore totalement l’utilité. Il ne m’avait pas entendu entrer, ce qui a dû le surprendre…puisqu’il se cogna la tête en se redressant. Je glousse et posa ma main devant ma bouche pour ne pas rire. Il n’y a bien qu’à lui que ce genre de chose peut arriver ! Mais il ne semblait pas m’en vouloir pour cette intrusion, puisqu’il m’accueilli avec un grand sourire. Il s’épousseta avant de me serrer dans ses bras, mais en se reculant, il fit une moue boudeuse. Il me rappela que j’avais raté notre rendez-vous, il y a une semaine. Le navire avait quitte le port avant l’heure, parce qu’il annonçait une tempête et que nous devions avoir rejoins Parrot’s Island. « Mon petit Raygon s’est fait du soucis pour moi, c’est trop chou ! » Je le taquinais, mais je sais qu’il n’était pas rassuré de me savoir en mer. « Ne te fais pas de bile pour moi, je suis bien traiter sur la Terreur du Sud, et surtout je fais le métier qu’il me plaît. Eplucher des patates pour Barbe-Noire, je n’appelais pas ça de la piraterie ! » Mais je n’allais pas me plaindre… après tout, c’est moi qui avait voulu rejoindre son commandement… pour emmerder mon père, quelle idée brillante de ma part ! « Et oui, je suis vraiment désolé de ne pas t’avoir prévenu ; mais une tempête se préparait, et nous devions rejoindre Parrot’s Island qui est à une semaine de navigation. Promis la prochaine fois, je t’enverrais un pigeon voyageur ! »
Finalement, il retrouva le sourire, et attrapa ma main pour me faire découvrir sa dernière invention. Je le suivais, intrigué par ce qu’il voulait me montrer. Il s’arrête devant une espèce de sculpture en bois, et expliqua son œuvre. Je l’écoutais attentivement, ce petit avait vraiment une imagination débordante… mais aussi un talent impressionnant. Il s’exclama qu’il était un génie, je ne pue m’empêcher de rire. « Ray, je n’ai jamais douté de ton intelligence ! Je me demande juste… » Je marque une pause, posant mon doigt sur mon menton, et termine ma phrase : « ça t’arrive de dormir ? » Je le taquinais mais j’étais tellement impressionner par son talent, l’intelligence de Ray était déroutante… surtout pour une fille comme moi qui ne sait pas vraiment lire. « Je suis sûr que tu vas devenir un homme riche avec toutes tes inventions ! Si tu as besoin d’une protection rapproché, un jour, fais-moi signe ! » Je pourrais l’écouter parler pendant des heures de ses créations… mais là, mon ventre se met à gargouiller. « Dis ça te dirais de voir la lumière du jour, et d’aller grignoter un morceau ? » lui demandais-je.
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Rassuré le garçon hocha la tête. Il était vrai qu'avec Barbe Noire pour ex capitaine, on pouvait difficilement faire pire. Mais le fait est que Ching ne lui inspirait pas plus confiance. En même temps, pour que cette espèce lui inspire un temps soi peu de sympathie, il devait essentiellement s'appeler Gràinne ou Haran, ce qui réduisait la marge.
Il frissonna à la mention de voyage. Pour Raygon, ne serait-ce que poser le pied sur un navire aussi stable qu'une planche en bois sur une conserve rouillée s'avérait un défi. Alors imaginer devoir y passer une semaine, juste pour l'aller, il en aurait dégobillé sur place. Même les fabuleux récits sur l'île de Parot's island ne suffisaient pas à l'attirer loin de la terre ferme. Après tout, il avait assez d'imagination pour reconstituer par leurs histoires, la faune extraordinaire dont ce banc de sable lointain regorgeait.
« Fais gaffe, un pigeon voyageur à One-Eyed risque bien de se retrouver au menu du jour de la taverne la plus proche sous le nom de "Cygne laqué sur son lit de patates douces! » son sourire bien calé en coin, Raygon entraina la rouquine dans son échoppe.
Avec l'hiver approchant, les réserves de l'été suffisaient parfois peu aux habitants de la ville portuaire. L'organisation de Blindman's Bluff menée par le gouverneur n'avait pas cours ici, et chaque année la disette emportait nombre d'habitants mal nourris. Alors un pigeon dressé et amical aux humains dans les rues de la ville pirate n'avait aucune chance de survie à cette époque de l'année.
Rabattant un drap sur son ingénieux mécanisme, il eut une moue boudeuse quand la pirate se moqua de lui. En même temps, elle n'avait pas tord. Dormir était un concept qui lui était vaguement familier mais dont il ne se souvenait plus le lendemain. Il avait toujours eu le sommeil léger, des docks d’Irlande à l'Arbre du Pendu il n'avait jamais dormi que d'un œil, et pour l'instant son corps semblait le supporter, nourri par ses ambitions.
« ça m'arrive...» répondit-il évasivement. Croisant les bras il retrouva son sourire aux paroles suivantes de Gràinne.
« C'est plutôt un percepteur de dettes qu'il me faudrait. La moitié de mon carnet de commandes me paie après livraison et l'autre oublie une fois sur trois parce qu'ils sont en mer les deux autres fois. Puis les matériaux que j'utilise coûtent cher et avec le loyer a payé. Bah... disons que pour l'instant si on me volait dans la rue on trouverait trois pécules histoire de finir la soirée sur une choppe de bière.»
Raygon n'était pas un homme que l'argent intéressait, sa vie lui plaisait tel qu'elle et tant qu'il pouvait subvenir à ses besoins et ses inventions, il n'en demandait pas plus. Pourrir dans une maison huppée de Blindman's Bluff ne l'avait jamais fait rêvé. Frottant ses mains l'une contre l'autre pour en retirer les sciures de bois il hocha vigoureusement la tête. Pour rien au monde il n'aurait raté un repas en compagnie de Gràinne.
« On le chasse ou on l'achète ce repas? »
Attrapant une cape rugueuse qu'il passa sur ses épaules, ils se dirigèrent vers la sortie de l'échoppe et déboulèrent dans la petite rue commerçante de One-Eyed où Raygon prit soin de fermer à double tour son atelier. Relevant la tête vers la jeune femme, ses yeux pétillaient déjà d'impatience, et fixait l'arc coincé dans son dos.
J’aimais passer du temps avec Raygon, à vrai dire, le courant était immédiatement passé entre nous depuis le premier jour de notre rencontre. Bien que je connaisse son aversion contre les pirates, il m’avait laissé – en quelques sortes – une chance ! J’espère qu’il ne le regrette pas, notre amitié est quelque chose de précieuse pour moi. C’est d’ailleurs pour cela que je m’empressais de le rassurer sur mes conditions de vie à bord de la Terreur du Sud. J’étais heureuse depuis que j’étais sur ce navire, bien que parfois l’idée de me trouver un véritable foyer sur la terre ferme germait au fond de mon esprit… ô pas n’importe lequel, bien entendu… mais je savais que c’était impossible. Alors je vivais ma vie à fond, aimant ma place en haut de ce mât gigantesque alors que les vagues se déchainaient. Je suis impardonnable, car dans l’excitation de partir de nouveau en croisade, j’ai oublié d’informer mon ami de mon départ précipité. Je mentionnais l’usage d’un pigeon voyageur au cas j’aurais besoin de l’informer, mais ce dernier me rappela que ce pauvre animal n’aurait aucune chance de survie, ici. « Pauvre bête, qui voudrait un tel destin ! » dis-je en riant.
Me montrant sa dernière invention, j’étais émerveillé par ce petit bout d’homme avec autant de talent ! Une imagination débordante, et surtout une intelligence que peu de personne de mon entourage possède. Car croyez-moi, chez les pirates, l’intelligence ne prime pas, ô grand malheur de mon âme. Je lui demandais s’il lui arrivait de dormir de temps à autre, surtout quand je voyais l’étendu de son travail. Sa réponse fut évasive, mais finalement, il comprit que je ne me moquais pas de lui, du moins, je le faisais toujours avec tact. Puis je lui proposais mon aide, au cas où, il aurait besoin d’une protection rapprochée… un jour qu’il sera devenu riche et célèbre grâce à l’une de ses inventions. « Tu sais que je peux faire ce boulot, personne ne résiste à Gràinne O’Malley, je suis certaine que les dettes de tes clients seraient rapidement comblée ! Et puis, si jamais ils ne paient pas ; je pourrais toujours les voler… c’est mon job, après tout. » Je voyais déjà les gros yeux que me faisait Raygon pouvoir avoir prononcé ces paroles. Je n’avais pas l’intention de piller les riches hommes de la ville, j’aurais bien trop peur que quelqu’un s’en prenne à Ray à cause de mes actes.
Trêves de bavardages, mon ventre criait famine. Je proposais à mon ami de venir partager un repas en ma compagnie, ce qu’il accepta promptement. Sa question me fit sourire, je sais qu’il connaissait déjà la réponse mais je répondis tout de même. « Nous allons le chasser, perdis ! Tu sais très bien que je ne fais pas confiance au gibier qu’ils vendent sur leurs étales, qui sait depuis combien de temps, ils sont là ! » Je le laissais saisir sa cape, et la poser sur ses épaules, avant de quitter son atelier. Nous marchions tous les deux en direction de la forêt, là où l’on trouvait le meilleur gibier du coin. « Que désires-tu déguster aujourd’hui ? Un lièvre, une buse… oh que dirais-tu d’un canard ? C’est délicieux, j’en ai gouté un l’autre jour, avec des cèpes ! Un vrai festin ! » J’étais comme ça, je me réjouissais d’un simple repas en compagnie de Raygon. C’était l’un des plaisirs simple de ma vie actuelle.
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Croisant les bras Raygon fronça les sourcils. Il savait que du haut de ses jeunes années, peu de gens le prenaient au sérieux et qu'il n'y avait que son travail pour attester de ses compétences étonnantes pour un jeune homme de son âge. Il savait également que du côté financier il s'en sortait plutôt bien, il ne roulait pas sur l'or et finissait souvent pas mettre quatre sous d'économie de côté, mais plus que de l'argent il achetait la confiance de ses clients, se créait un réseau et était aujourd'hui plus submergé de commandes que de dettes. Alors les crédits ... il les récolterait quand il aurait le temps. Et il ne tenait surement pas à entrainer Gràinne dans ses galères. De plus, et ils le savaient pertinemment tous les deux, la jolie rouquine était capable de mettre bien plus de pagaille que d'ordre dans son carnet de commandes.
« C'est bien ça qui m'inquiètes O'Malley personne ne peux te résister ! Ne t'inquiètes pas pour moi, je n'ai jamais rêvé de rester le cul posé dans une chaise en diamant toute la journée, je n'ai pas besoin de tout cet argent. »
Il lui fit un clin d'oeil pour la remercier de sa proposition et ils filèrent à travers les rues de la ville pirate. Sa réponse lui fit serrer le poing en un "yes" de vainqueur. Il adorait chasser en compagnie de la pirate. Il avait beau être un piètre archer, il était plutôt doué pour fabriquer des pièges. En même temps, il avait eu la meilleure des professeurs lorsqu'il était à l'Arbre, May Lee l'enfant perdue. De cette minutie Raygon en avait tiré de belles compétences dans l'art du fin travail de la boiserie et était capable de sculpter des visages sur une tête d'épingle. Par contre donner lui un arc et une flèche et le jeune menuisier était capable de vous envoyer l'arc à dix mètres tout en gardant la flèche dans les mains, un vrai prodige de la nullité fallait l'avouer. Pourtant Gràinne s'efforçait à chaque sortie d'améliorer le bas niveau de son élève. Ce n'était pas faute d'essayer, mais leurs leçons avaient autant de sérieux que deux crocodiles buvant le thé, et ils finissaient toujours par remettre à la leçon à la prochaine fois.
« Tu as raison, et je soupçonne Sanson le boucher de se garder les meilleurs parts pour lui et ses clients huppés et de ne laisser que les plus retords au commun des mortels. Remarque, pour la cuisine que j'en fait, les riches y font plus honneur. » Raygon avait en effet un don culinaire plus que douteux, et viande sèche ou pas, elle finissait souvent par ressembler à tout sauf à ce qu'elle était au départ. Il se rassurait en se disant que son estomac solide ne lui avait encore jamais fait défaut.
Passant la lisière du bois, les deux amis s'enfoncèrent sous le couvert du feuillage épais de la forêt et Ray huma l'air boisé avec un sourire aux lèvres. Son odorat reconnaissait chaque essence avec une précision d'orfèvre, mais son ventre lui, gargouilla aux propositions alléchantes de la jeune femme.
« Va pour le canard ! Il faudrait se rapprocher d'un plan d'eau histoire d'en croiser. Il y a une petite clairière a quelques mètres d'ici. Le premier arrivé gagne le droit de ... »
Et avant d'avoir fini sa phrase et pour coiffer Gràinne au poteau il démarra sur les quarts de tour, laissant son amie avec des yeux qu'il imaginait déjà levés au ciel. Ajustant sa foulée il cria un "Riiiiiipiiiiii" tout haut histoire de dégager un peu ses poumons, heureux de cette pause au grand air. Sa course relâcha ses muscles endoloris par le travail courbé que lui avait demandé son œuvre et il ne s'arrêta que quelques mètres avant la dite clairière, histoire de ne pas effrayer leurs proies inutilement. Se retournant, il laissa son souffle reprendre un rythme plus calme. Alors qu'il passait le dos de sa main sur son front il plissa les yeux, n'entendant personne à sa suite. Mais où était-elle passée?
Après avoir proposé mes services à Raygon, je compris rapidement qu’il n’avait pas la moindre envie de me laisser gérer son business ! En même temps, ça pouvait se comprendre… Me connaissant, je mettrais plus de pagailles qu’autre chose. J’étais une pirate, la négociation ce n’était pas mon fort… Généralement, quand je veux quelque chose, je me sers, point final ! Ô bien sûr, je ne volerais jamais un ami, Ray n’avait rien à craindre sur ce point-là. Il me répondait que de toute façon, il n’a jamais rêvé d’être riche et d’un jour s’asseoir sur une chaise en diamant. Je fus dans mes pensées quelques instants, car oui, je m’imaginais l’effet que ça me ferait, de poser mon cul sur autant de pognon ! Puis après avoir laissé un rire, j’ajoutais : « Tu as bien raison, qui a dit que l’argent rendait heureux ? Regarde-moi, pas un rond, et je respire la joie de vivre ! » C’était sur ces mots que nous quittions son atelier pour aller manger… Enfin, avant cela, il fallait d’abord chasser le gibier.
Il m’arrivait rarement de manger ce que l’on trouvait sur les étals des marchés, je n’ai pas vraiment confiance dans la fraîcheur des produits. Je préférais de loin pécher, ou encore mieux, chasser. Et quoi de mieux que de partir à la recherche de son repas avec un ami ? C’était un réel plaisir pour moi de partir à la chasse avec Raygon, car ce n’était pas vraiment pour l’art de pratiquer, mais plutôt de pouvoir papoter en cherchant le diner ! D’ailleurs, il me fit remarquer qu’il n’était pas un fin cuisinier… je ne pouvais pas non plus me vanter d’être un chef ; puisque le seul mode de cuisson que je connaisse, c'est à la broche et au feu de camp. « Et bien, aujourd’hui, ce sera : viande fraîche ! » dis-je en souriant.
On se dirigeait vers la forêt, quand je demandais à mon ami ce qui lui ferait plaisir. Personnellement, tant qu’il y avait de la viande à me mettre sous la dent, je salivais d’avance. Parce qu’il faut se l’avouer, sentir le poisson vingt quatre heures sur vingt quatre sur le navire, au bout d’un moment… on n’en veut plus du poiscaille ! Je suivais Raygon, alors que nous nous enfoncions dans parmi les arbres dont les feuilles avaient rougis avec l’automne. Il fit son choix parmi les mets que je lui proposais, et j’aurais pu parier qu’il choisirait le canard ! Il commença sa phrase, quand soudain il disparu à travers les multiples arbres que comptaient cette forêt. « Ce gamin est cinglé » lâchais-je, avant de moi aussi, me mettre à courir pour le rattraper. J’avais grandi ici, et je connaissais le coin comme ma poche… un sourire se dessina sur mes lèvres quand une idée me vint en tête. Ray était sûrement déjà loin devant moi, il fallait que je le rattrape - heureusement pour moi - je connaissais un raccourci ! Je pris par la droite, et contourna les quelques pièges à lapin qui se trouvait ci et là. J’arrivais près du marais et cherchais du regard mon ami sprinteur, lorsque je l’aperçu… j’imitais le cri du canard, mais je ne pus m’empêcher de rire. Je lui fis de grands signe pour qu’il me rejoigne de mon coté, il y avait une petite haie derrière laquelle nous pourrons nous cacher. Lorsqu’il fut près de moi, je lui fis signe de se baisser. « Tu trouves que je cancane bien ? » Je n’avais aucun talent pour imiter les animaux, je savais que c’était pitoyable. « Vas-y toi, essaie… peut être que ça les fera venir ! » Bien entendu, je n’avais pas tout misé sur les imitations de Raygon, j’avais toujours du pain sec dans ma besace. Je sortais une flèche de mon carquois, et arqua mon arme, je fixais la surface de l'eau, prête à lever mon arc dès que l'oiseau prendrait son envol... enfin si ce dernier se décide à bouger son cul plein de plume des joncs.
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Ses yeux se plissèrent, tendant de distinguer une silhouette parmi les fourrés derrière lui. Il connaissait assez Gràinne pour la soupçonner de lui faire une plaisanterie. Après tout il l'avait cherché, à faire son lévrier et partir sur les chapeaux de roues sans regarder en arrière. Rajustant le cuir de son habit, il tira sur son col, essuyant d'un geste la sueur de sa course. Là, entre les arbres, il crut voir quelque chose, mais l’ombre était bien trop petit pour ressembler à sa flamboyante amie. Un cri d'oiseau étrange le tira de ses réflexions et il fit volte face. Quel volatile pouvait bien faire ce ... un rire léger, bien humain celui là succéda au piaillement douteux et Raygon eut une moue boudeuse en faisant les gros yeux à Gràinne. Elle se trouvait en face de lui, et part il ne savait quel chemin de traverse, elle l'avait devancé.
Sous les grands signes de la pirate, il la rejoignit à demi accroupi derrière la petite haie et se baissa à ses côtés.
« Prêtes pour la basse cour ! Tu manges du grain au ptit déjeuner c’est ça ? Ahh je n’pourrais pas t’égaler là dessus. »
Oui oui, il bottait en touche il le savait. Mais Raygon chantait aussi bien qu’une casserole qui aurait passé la nuit dehors. Alors imiter plus qu’une chouette lui était impensable. Cependant l’endroit lui paraissait tout à fait parfait sans qu’ils n’aient besoin d’y mettre trop du leur. A la surface de l’eau sombre, le jeune observateur comptait sans mal plusieurs plumes éparses. A dire que cela provenait d’un postérieur de canard, c’était plus complexe, mais au moins y’avait-il du passage sur ce petit étang.
Ils n'eurent en effet, pas à attendre bien longtemps avant que des cris stridents raisonnent au dessus d'eux. Toujours à l'abri de leurs buissons de fortune, Raygon leva la tête vers le ciel. Une bande de colverts arrivait par le sud, lentement, prêts à se poser. Il échangea un rapide clin d'oeil avec son amie et dans un cancanement bien plus réussi que toutes les imitations qu'il aurait pu faire, les becs plats se posèrent bruyamment sur l'eau.
« Est-ce que c'est juste, ô madame la grande chasseuse, de tirer sur sa proie quand elle n'est pas en plein vol?» chuchota Raygon à l'oreille de Gràinne. Son arc était encore dans son dos, mais le garçon savait qu'elle dégainait à la vitesse de l'éclair. Désirant la tester il lui enchaina.
« Combien tu penses pouvoir en avoir avant qu'ils ne disparaissent si je les effraie? » A croire que Raygon ne voulait pas manger ! Cependant, il connaissait assez bien la pirate pour savoir qu'il se régalerait et puis, l'envie d'un challenge était plus forte que la faim.
Alors que Raygon s’était enfuit comme un lapin de garenne au beau milieu de la forêt, j’étais parti sur le tard. Mais, je connaissais cette forêt comme ma poche ! J’avais grandi parmi ces sapins et autres chênes majestueux, et surtout j'avais à plus d’un commerçant à mes trousses en compagnie de Gabriel. J’étais assez agile pour passer entre les branches sans m’écorcher, et je connaissais un raccourci qui menait tout droit au petit étang. Ray avait choisi la facilité en prenant le chemin droit devant lui, mais je savais qu’en prenant par la droite, il y avait une pente abrupte mais qui me mènerait à destination avant mon ami. D’ailleurs, quand je fus devant l’étendu d’eau, je ne pus que rire en voyant Raygon me chercher partout. Il avait les yeux rivés sur la forêt, attendant patiemment que je pointe le bout de mon nez. Après un cancanement des plus suspects, j’eus enfin l’attention de mon ami qui se retourna. Je ne pu m'empêcher de rire en voyant sa tête, et surtout son mécontentement. Je lui fis signe de me rejoindre, il y avait une petite haie tout près de l’étang où ils pouvaient se cacher. Raygon se moqua légèrement de mon cancanement totalement raté, mais lorsque je lui demandais de faire mieux que moi, il se défila. Ah il fait moins le malin, le lapin de garenne, là ! Trêves de plaisanterie, si nous voulions avoir de quoi se mettre sous la dent, nous devions garder le silence – du moins, jusqu'à ce que ces fichus canards veuillent bien se montrer. Ni une, ni deux, un majestueux groupe de canard passèrent au dessus de nos têtes ; une formation en V calée au millimètre prés. Ils se posèrent un à un sur l’eau, et se planquèrent dans les joncs qui bordaient l’étendue d’eau. Je regardais Raygon, toujours planqué à mes cotés, et laissa un sourire se dessiner sur mes lèvres. J’en salivais d’avance, déguster un bon repas en compagnie de mon ami, me réjouissait. Puis le petit bricoleur me demanda si c’était réglo de tirer sur des cibles – en non-mouvement. Croyait-il vraiment que j’allais tirer sur ces pauvres canards alors qu’ils se trouvaient là, attendant sagement ? Avant même que je ne puisse lui répondre, il me lança un défi. Mes lèvres s’étirèrent, dessinant un sourire amusé sur mon visage. « Tu sais que je ne compte pas décimer toute la bande, deux suffiront pour nous régaler ! Et je peux même te parier que j’arriverais à les attraper avec la même flèche ! » Je levais ma main, pour la glisser dans mon dos et attraper une flèche dans mon carquois. Je connaissais Raygon, il était malin et rapide, si je voulais attraper notre repas, je devais être plus rapide que lui, et surtout précise dans mon geste. Je le sentais bouger à coté de moi, le voilà debout faisant le pitre à mes cotés. Mes yeux rivés sur l’ensemble des canards, dès le premier cri de Ray, le groupe s’envola. Je me redressais d’un bon, arquant mon arme, et pointant le ciel. Je plissais les yeux, inspirais, la corde frôla ma joue alors que dans ma tête la trajectoire de ma flèche était clair et nette. Je lâchais la corde, et la brindille de bois taillée avec précision traversa l’air. Je fermais les yeux, et me retourna vers Raygon : « Alors combien j’en ai ? » J’ouvrais les yeux, mais il avait disparu… où était-il passé encore ? Je virevoltais, faisant voler ma crinière orangé… encore une fois, il était tentait d’attrapé le gibier avant qu’il ne touche le sol. Je le voyais courir en zigzag, si ce petit avait une imagination débordante, et un don pour la fabrication… il avait quelques problèmes en manière d’analyse. « Plus à droite ! » criais-je à l’intention de mon ami. « Non, ton autre droite ! » Je riais aux éclats devant cette scène, on ne s’ennuyant jamais lorsque nous étions ensemble. « On n’est pas prêt de manger avec toi ! » Bien entendu, j’avais réussi à capturer les deux canards avec ma seule flèche, les deux oiseaux étaient déjà embroché – prêt à rôtir !
Blackbird singing in the dead of night Take these sunken eyes and learn to see All your life You were only waiting for this moment to be free
Le challenge entre les deux amis avait toujours fait parti de leurs aventures. Ce n’était pas de la compétition, du cap ou pas cap amenant chacun à surenchérir jusqu’à l’excès. Non, pour Gràinne et Raygon, c’était avant tout une envie de l’instant présent, de profiter de chaque moment en suivant les folles idées qui leur passaient par la tête. Et avec des têtes aussi remplies que ces deux là, on pouvait toujours s’attendre à pire. Alors quand l’archère lâcha sans pression aucune qu’une seule flèche lui suffirait à épingler deux volatiles, Ray la crue sans résister. Il connaissait ses talents pour l’arc, il l’avait vu à l’œuvre, et il était assez intelligent pour ne pas jouer le fanfaron là dessus. Au contraire, ses yeux brillaient déjà de l’exploit prochain de son amie.
« Comme la fois où tu as tué ce sanglier d’une flèche entre les deux yeux ? La prochaine fois tu nous découperas des rondelles de poissons volants d’un trait ! » et il riait franchement à moitié en disant ses mots, la croyant capable de tout. Alors que la belle rouquine attrapait une flèche, Ray se leva d’un bond, plaquant ses mains sur ses hanches, les coudes en l’air tels deux squelettes d’ailes déplumés et se mit à pousser des cris dignes d’autruches en rut. Imaginez bien que les canards ne furent absolument pas attirés par ce mâle aux mœurs étranges et décollèrent dans un claquement de plumes. A peine sentit-il le claquement sec de l’arc de Gràinne qu’il s’élança vers le lac désormais nu. Manquerait plus qu’un prédateur de passage ne leur arrache leur dîner de la bouche. Il avait beau avoir été facilement acquis, le ventre de Ray ne tiendrait pas une deuxième attente forcée. Alors qu’il pensait se rapprocher de son but, il se rendit compte qu’il était allé trop loin. Demi tour toute ! A mesure que les OVNI, Oiseaux Volants Non (encore) Interceptés se rapprochaient de la couche terrestre, Raygon entendait les indications de son amie et suivait tant bien que mal ses indications. Alors qu’il levait les mains en l’air pour récupérer leur dû, l’amas de plumes lui tomba directement sur la tête et il s’écroula au sol, sonné. Les 36 plumes qui tournaient autour de lui se dissipèrent au son de la voix de Gràinne et le garçon leva la flèche triomphale où les deux canards étaient embrochés coup sur coup. De là où elle était, la pirate ne devait bien voir qu’un bras levé avec deux bêtes à bec mais elle le rejoignit sans mal alors qu’il se relevait en s’époussetant et en soufflant bruyamment.
« La prochaine fois on met une corde au bout de ta flèche ! ça m’évitera de faire l’abruti ! » Un large sourire fendait son visage de part en part alors qu’il installait déjà des pierres en cercle et un semblant de trépied pour poser la branche.
« Tu les plumes et je m’occupe du feu, histoire de bien respecter les traditions homme, femme » . Sur ce Raygon fit semblant de bander les muscles de ses bras et s’attela à faire vivoter un début de braise entre des feuilles sèches et des brindilles ciselées. Ce temps de pause entre leurs courses, leurs rires, c’était aussi des moments qu’affectionnaient Raygon. A la lueur des premières braises il en profita pour s’informer de la vie de son amie.
« Et sinon la vie à Blindman’s Bluff, les amours, les amis, les emmerdes. Je suis sûr que tu ne m’as pas attendu pour la dernière catégorie en tout cas ! »