La routine n’existe pas chez les enfants perdus, pas vraiment. À moins que s’amuser et faire des farces est compris sous ce terme, ce qui est tout à fait possible. Il ne s’en souvient pas, comme d’autres termes voire mots qui avaient un temps une signification. Le garçon ignore si c’est la fatigue qui l’empêche de s’en souvenir ou si c’est le fait de ne jamais y penser. Et ce n’est pas en étant assis au bord d’une des nombreuses passerelles entre les cabanes qu’il va pouvoir y penser plus souvent. Il y a trop de bruit, des rires des autres enfants qui descendent à vive allure dans les toboggans au bruissement des feuilles dans le vent. Ce n’est pas que le veilleur de nuit en est fortement dérangé, au contraire, mais il se contente d’observer ses camarades et après un certain temps, le bruit semble de trop. Et comme il a l’habitude des maux de tête et de ses paupières lourdes, il faut qu’il dorme mais il n’en a pas envie, Ace finit par abandonner sa contemplation de l’arbre du pendu. Il n’a pas l’énergie d’aller s’amuser avec les autres, même si la simple pensée de partir à l’aventure et de trouver des pirates à embêter est d’un attrait particulier. Sa mémoire lui fait d’ailleurs à ce point défaut qu’il n’arrive pas à se souvenir de la dernière fois où il a participé à une de ces quêtes aux pirates. Et c’est en remontant les passerelles pour rejoindre la cabane de May-Lee qu’il n’arrive pas non plus à ce souvenir de quand date leur dernière conversation. Il croit que ça fait plus d’une semaine, oui, ça doit être ça. Quand il arrive à se rappeler qu’il oublie pleins de trucs, il se rappelle aussi que c’est généralement après quelques jours.
Il était donc grand temps de rendre visite à May-Lee. Ce même si sa cabane est dans les hautes branches et qu’en plus, il risque de se prendre dans l’un ou l’autre piège pas encore totalement terminé. Et ça lui était déjà arrivé, bien évidemment il y a de cela quelques années, peut-être même plus. Heureusement que malgré tout, il arrive à se souvenir comment fonctionnent certains de ces pièges, au cas contraire, il pendrait encore quelque part dans la forêt des quatre saisons. Ace se souvient encore avoir fait semblant de rien après s’en être dégagé. Ce n’est qu’en accompagnant un certains nombres de fois la maîtresses de pièges qu’il est arrivé à se sortir de cette situation. Et même sa mémoire de poisson rouge ne l’empêche pas d’éviter soigneusement les quelques obstacles qu’il croise sur son chemin et de ne pas se perdre. La cabane de la chicaneuse est à l’abri des regards, haut, très haut. Heureusement que ni elle ni lui ont à subir physiquement leur âge, sans quoi une telle escalade leur serait fatale. Pourtant, quand il y arrive enfin, il ne peut s’empêcher de souffler de soulagement. L’effort produit est sans doute plus fatiguant que prévu, puis même s’il lui arrive de jouer aux acrobates, il n’est pas pour autant friands des hauteurs. Il a toujours aimé avoir les pieds à terre et ne pas risquer de mourir, ou pire, de se briser les os, en faisant une mauvaise chute. Sens des priorités bien étrange, soit.
« May ? » demande-t-il dans le vide avant d’entrer dans la cabane. Il n’a pas fait attention ni demandé aux autres avant de monter, mais heureusement elle est bien présente. Sinon il l’aurait attendu ici, hors de question de redescendre pour remonter après. Un jour on le surnommera le fainéant et ça lui ira comme un gant. « Ah tu es là ! J’ai eu peur d’être monté pour rien. J’ai encore failli me prendre les pieds dans le piège qui juste devant, j’vais finir par croire que tu veux vraiment me voir pendre dans le vide ! » Dit-il en souriant et sur le ton de la plaisanterie. Oh, il l’en croît bien capable, il a assez souvent vu ce qui arrivait à ceux qui embêtaient un peu trop la chicaneuse et en a d’ailleurs sans doute lui-même fait les frais. Néanmoins ici, tous les monde est ainsi, certains plus rancuniers que d’autres mais toujours dans le but de rire et de s’amuser. Quitte à ce que la farce ne plaise pas à tout le monde. Le veilleur de nuit n’en fait pas autant qu’avant, certes, et certainement pas de mauvaise à celle qu’il considère comme sa meilleure amie. Une de seules qu’il n’oublie jamais, sa bouille est enregistré dans sa mémoire autant qu’il arrive à se souvenir de son propre nom, c’est-à-dire depuis combien de temps ils se connaissent.
Assise en tailleur au milieu de sa cabane, May-Lee jouait avec des fils et s'amusait à détruire un gros morceau de corde qu'elle avait volée sur une épave et de le réduire en plusieurs filins. Ça passait le temps et puis elle refaisait par la même occasion son stock pour faire de nouveaux pièges un peu plus complexes qu'elle tentait. De plus en plus elle trouvait d'étranges objets dans les villes, avec lesquels les gens de l'ailleurs arrivaient et lui montrait de nouvelles possibilités de génie d'ingénierie. Par contre ils étaient un brins difficiles à comprendre et bien évidement, la petite était bien trop orgueilleuse pour demander de l'aide à qui que ce soit et préférait encore se manger des coups mal placés ou des échecs.
Sa fée était confortablement installée sur l'un des petits coussins qui pendaient dans la pièce, spécialement aménagés pour elle par les soins de sa protégée. Elle veillait ainsi sur la petite sans se mettre dans ses pattes et pouvait se détendre. L'ensemble de fleur de coton et de pétales cousues ensemble balançait doucement au gré de la faible brise, berçant luciole verdoyante qui était perdue dans ses pensées. Depuis quelques temps elle avait de drôles de questions qui ne lui ressemblaient pas du tout, sur ses parents, sa famille et d'autre chose. Un soir en revenant d'une journée qu'elle avait passé à nager, qu'elle lui avait dit, l'auburne lui avait demandé si aimer quelqu'un comme une maman faisait d'elle une adulte à en devenir. Quelle ne fut pas sa surprise d'entendre de tels propos sortir de la bouche de sa petite perdue, surtout que cela venait de nul part. La fée lui avait répondu que non, qu'elle n'avait pas à s'inquiéter et bien sûr, demanda à son tour la raison de cet étrange questionnement auquel elle reçut une vague réponse : « Oh pour savoir. ». Ça l'avait laissée interdite, mais elle n'insista pas et se contenta de la surveiller un peu plus que d'habitude. Ilavenil remarqua alors que son petit démon semblait bien plus rêveuse qu'à son accoutumée, plus distraite et surtout il lui arrivait de s'éclipser sans elle pour quelques heures. Elle n'avait pas oser la suivre, de peur de blesser la gamine qui n'avait pas toujours à être en sa compagnie. Mais à chacun de ses retours, un sourire qu'elle n'avait jamais vu sur son visage ornait ses fines lèvres. Encore aujourd'hui elle cherchait à savoir ce qu'il pouvait bien se tramer dans la tête de la piégeuse en herbe, qui s'amusait avec ses fils. D'ailleurs elle semblait s'être perdue à nouveau dans ses réflexions puisqu'elle avait commencer à confectionner une couronne de tressages. Ce genre d'ouvrage, sa précieuse amie ne les faisaient que quand elle voulait réfléchir ou si elle vagabondait ailleurs et finalement elle plaça son œuvre sur le sommet de son crâne et se tourna vers la minuscule créature, tout sourire.
« Qu'en penses-tu ? un tintement complimentant son travail, comme toujours, merci ! … Dis Ila... crois-tu que je ressemble à ma maman ? La fée fronça les sourcils et allait lui répondre, mais elle fut interrompue par un invité surprise dont la voix s'éleva dans l'air, May ? C'était Ace, aucun doute la dessus. La maîtresse des pièges sursauta et rapidement, retira sa couronne et la jeta plus loin en s'exclamant un : Ace ! Ah tu es là ! J’ai eu peur d’être monté pour rien. J’ai encore failli me prendre les pieds dans le piège qui juste devant, j’vais finir par croire que tu veux vraiment me voir pendre dans le vide ! Bah oui je suis là , c'est chez moi, répondit-elle un poil énervée, mais rapidement son ton devint plus taquin, et qui te dis que c'est pas mon but justement ? »
May-Lee offrit un sourire mesquin à son ami avant d'aller le voir et se jeter dans ses bras en quête d'une étreinte. Tendrement, elle le serra et profita de cet instant où elle pouvait se coller contre celui qui était très certainement l'être humain le plus important de son existence. Pour lui, elle ferait bien plus que tuer, quiconque aurait le malheur de s'en prendre au garçon réveillerait sa rage et sa colère. Et elle savait que pour lui, c'était la même chose. Ils se connaissaient depuis toujours, tous les souvenirs qu'elle possédait, Ace était dedans, avec elle. Toujours. Finalement elle le libéra et lui sourit encore et observa sa propre fée rejoindre la sienne sur l'un des nombreux coussins. La suivant de ses azurs elle libéra un peu d'espace pour qu'ils puissent s'installer à leur tour.
« Pardon, c'est toujours le désordre, du pied elle poussa le bric à brac, enfin, tu es habitué. Comment tu vas ? Il y a une raison précise à ta visite ou ma fabuleuse présence de manquait ? elle ricanna et soudainement une idée émergea dans son esprit et elle bondit sur ses pieds, oh il faut que je te montre ! J'ai commencé à penser à une amélioration pour le piège de la branche, tu sais, celui ou je la coince sur le tronc ? Mais il marche pas toujours, alors quand je l'ai montré à Anne ça m'a donné de nouvelles idées et je crois avoir quelques trucs à tester ! »
Perdue dans son flot de paroles, May-Lee ne se rendit même pas compte qu'elle avait échappé le prénom de la pirate dont le rôle commençait à devenir plus intime dans le cœur de la petite.