Ces derniers jours, je les ai passé sur la plage. Le cul dans le sable, à bonne distance de l'eau, les doigts serrés sur un miroir, n'osant y jeter le moindre coup d’œil. Oser... voilà bien une chose que je n'ai pourtant jamais eu aucun mal à faire. Pour quoi que ce soit d'ailleurs. Vous m'avez déjà vu renoncer si facilement ? Et pourtant tous les soirs, je quitte la plage en question sans avoir trempé le moindre orteil dans l'eau. Je me suis levé quelques fois pour essayer de vaincre cette... non je vous vois venir. Je ne m'abaisserais pas à utiliser ce mot de quatre lettres. Peur moi ? La bonne blague, vous me connaissez mieux que ça. Non, je parlerais plutôt d'angoisse. Elle serait bien nouvelle pour moi, cette sensation dont j'ai entendu parler, de sentir ses doigts de pied s'enfoncer dans le sable avec les allées et venues des vagues. Et là encore, ça ne me ressemble pas de me méfier de l'inconnu. Aurais je mal formulé mes propos ? L'île m'aurait-elle dérobé mon assurance ne plus de mes écailles pour ramener le soleil ? J'en ai pas la moindre idée mais je refuse d'y croire. Quant au miroir... je crois que la moindre ride qui pointerait le bout de son nez me rendrait malade.
Et aujourd'hui, aujourd'hui ne fait pas exception. Je suis sur cette même plage, le regard rivé sur le large que je doute de pouvoir atteindre en nageant à présent. Faut dire que j'ai pas la moindre idée de comment il faut agiter les jambes pour nager moi. Autre question, bien plus importante celle ci. Combien de temps ça tient la tête sous l'eau un mortel petit humain ? C'est ce que je suis maintenant non ? Et merde. Rien que d'y penser ça me colle la nausée. Mais revenons en à ma question. Combien de temps je pourrais rester en.. apnée ? C’est le mot il me semble. J'en sais rien, c'est pas comme si j'avais eu besoin de m'y intéresser jusque là. Mais bon sang faudra bien que j'aille vider mes caches là dessous. J'ai toute une fortune qui dort sous les vagues. Oh je me doute bien que ce sera pas perdu pour tout le monde, quelqu'un mettra bien la main dessus un jour ou l'autre. C'est pas que j'ai peur de manquer, j'ai quelques cachettes sur la terre ferme, et je compte pas abandonner mes bonnes habitudes, c'est seulement que.. j'aime pas le gaspillage.
Ça doit vous amuser, de me voir soupirer ainsi en pensant à tout ce que j'ai perdu, non ? Allez, avouez donc. Certains appellent ça le karma, y a longtemps que j'avais plus fait le moindre geste désintéressé envers quiconque et voilà qu'en voulant jouer les héros j'ai perdu une part de moi même. Retour de bâton. Revers de la médaille ? Appelez ça comme vous voulez, ça changera pas grand chose à ma situation. Ni au fait que cette satanée fiole de rhum dans ma poche est vide depuis quelques heures et qu'à trop regarder cette étendue d'eau d'une toute autre manière que ces dernières décennies.. et bah ça donne soif voyez vous. Ça aussi faudra que j'y fasse attention. Maintenant que je passe tout mon temps sur le plancher des vaches, j'ai bien plus d'occasion de m'en jeter un comme vous dites. Faudrait pas que je vire alcoolique ne plus du reste. Manquerait plus que ça. Nouveau soupire, puis je finis par me redresser et me lever tout à fait. Époussetant le sable accroché à mon pantalon je fais le tour des choses que je pourrais faire pour me changer les idées. Me décider à regarder ce foutu miroir pour voir si je suis toujours présentable ? Non. Bien sûr que je le suis toujours. Quand bien même je prendrais quelques années, je serais toujours le tombeur de ces dames, et des autres aussi . Non ? Aller.. pas le moment de douter, j'en suis pas mort, de ce rituel à la noix alors il s'agirait de profiter de cette chance. Et du soleil, maintenant qu'il est de retour, ça me changera de mes balades nocturnes.
Le chemin du retour vers Blindman's Bluff, je le connais par cœur. C'est une des choses qui ne changera pas quand bien même je devais devenir une toute autre personne. Seulement.. la routine très peu pour moi. Aussi je me paye le luxe de faire un détour. Mauvaise idée ? Voila une bonne heure que je marche et je me suis figé sur place en entendant le craquement distinct que produit un pied trop lourd sur une branche trop sèche. C'est peut-être con, mais j'ai encore en tête la hantise de m'être fait surprendre par des yeux indiscrets et suivre après ma transformation. Pourtant y a rien à surprendre, juste un trentenaire nostalgique qui cogite trop. Aussi tournant le regard dans la direction qui me semble être celle du bruit en question, je me contente d'un « Y a quelqu'un ? » des plus banals sur un ton détaché. Banal... et merde.. je vais devenir banal ?
Mais quelle idée j'avais eu de passer par ici? Surtout qu'au départ, je savais très bien qu'il s'agissait d'un détour. J'étais même parfaitement au courant que cette forêt était beaucoup moins paisible que celle qui longeait le territoire des indiens. C'était donc complètement idiot d'emprunter un tel chemin, surtout que je me rallongeais énormément, à un point où je n'arriverais probablement jamais à temps à destination. En plus, j'étais venue à pied plutôt qu'à dos de cheval, car ma petite Cannelle s'était récemment blessée à la patte. Du coup, si continuais de progresser à un rythme aussi lent, j'étais persuadée de ne pas réussir à atteindre la forêt des quatre saisons avant la tombée de la nuit, ce qui réduisait considérablement mes chances de croiser la petite Sissy. Je me doutais bien que l'enfant préférait rester au camp lorsque le soleil se couchait et c'était bien mieux ainsi. Comme ça, je ne m'inquiétais pas inutilment. Car oui, même si je n'avais vu cette gamine qu'une fois, je ne pouvais m'empêcher de me faire du soucis pour elle. À vrai dire, depuis notre première rencontre, son souvenir était venu me hanter plusieurs fois. Souvent pour me rappeler qu'elle pourrait se remettre dans le pétrin n'importe quand et que je ne serais pas toujours là pour la sortir d'un mauvais pas. Biensûr, je savais parfaitement que la petite n'était pas idiote et qu'elle avait ses amies et Lily pour veiller sur elle. Je savais aussi que les enfants survivaient très bien seuls depuis des centaines d'années et que je ne pouvais les rejoindre au campement pour leur filer un coup de main. De toute façon, les adultes n'y avaient même pas accès. Toutefois, rien ne pouvait m'empêcher de retourner dans la petite parcelle de forêt où j'avais rencontré la fillette en espérant qu'elle soit là, pour lui filer d'autres pâtisseries ou tout simplement pour prendre de ses nouvelles. Seulement, j'étais à peu près certaine d'être perdue. J'avais l'impression de tourner en rond depuis un bon quart d'heure, alors je commençais à perdre espoir d'arriver à la forêt de l'été avant la fin de la journée.
J'étais sur le point de baisser les bras, lorsqu'une idée me traversa l'esprit. J'avais l'impression de sans cesse revenir sur mes pas, alors pourquoi ne pas marquer mon passage? Comme ça, je saurais dans quelle direction continuer, où ne pas aller... Fière de ma trouvaille, je dénouai mes cheveux pour m'emparer de la ribambelle de rubans qui servait à retenir ma coiffure. De toute façon, les chances de croiser une autre personne dans ces bois étaient minces, alors je n'avais pas à me soucier de mon apparence. Je me mis donc à avancer en accrochant quelques rubans dans les branches d'arbre, lorsque ma progression fut troublée par un craquement. Comme si un animal sauvage ou pire, quelqu'un, venait de piétiner une brindille un peu trop sec. D'un coup, je sentis tous les muscles de mon corps se crisper tandis que je m'accroupissai dans les buissons, pivotant sur moi-même pour observer le paysage derrière moi. Au loin, je croyais discerner la silhouète d'un homme, mais je n'étais pas tout à fait certaine. J'attendis donc quelques secondes, lorsqu'une voix retentit : « Y a quelqu'un ? » Demanda l'étranger qui ne pouvait probablement pas m'apercevoir de ma cachette. Étais-je supposée répondre à sa question? Si je ne le faisais pas, il risquait de continuer son chemin sans se préoccuper d'avantage de ma présence, car il y avait des chances qu'il me confonde avec une bête sauvage. Toutefois, il y avait aussi de grandes chances qu'il puisse m'aider à retrouver mon chemin... « Ça dépend? » Répondis-je sur un ton incertain, priant mentalement pour qu'il soit gentil. Si j'étais tombée sur un pirate ou un brigand, j'étais dans la merde. « Êtes vous une personne en qui je peux avoir confiance? Comment vous vous appelez et que faites-vous dans cette forêt? » Demandai-je nerveusement, histoire de vérifier si je pouvais lui faire confiance.
Je suis un peu déboussole par cette effroyable constatation. Banal.. il manquerait plus que ça. Ça vous ferait bien marrer hein, avouez, que je devienne un badaud sans intérêt après tout ça, après avoir passé ma vie à vouloir n'être personne aux yeux des passants tout en ayant l'impression d'être important. Hors de question. C'est pas parce que j'ai plus de nageoire que je vais devenir aussi fade que le premier venu, je m'y refuse catégoriquement. Aller, Aël, on se ressaisi, cette donzelle est l'occasion rêvée de voir si j'ai pas perdu la main en même temps que mes écailles. Car c'est bien d'une donzelle qu'il s'agit, sa voix ne laisse planer aucune doute, ou alors ce farceur est un excellent imitateur. Non, elle sort de sa cachette et je constate que j'avais vu juste. Ça dépend, qu'elle dit. Ça dépend de quoi ? Y a quelqu'un ou y a personne, c'est pas bien compliqué. Sa question n'a aucun sens mais je peux comprendre sa méfiance, si c'est de ça qu'il s'agit. Après tout, on fait toutes sortes de rencontres dans ces bois et pas forcement des hommes fiables. La preuve, elle est tombée sur moi. Elle confirme une fois de plus en poursuivant ses questions et je ne peux que masquer le rictus carnassier qui me vient en une mimique plus amusée à défaut de pouvoir le contenir tout à fait. Quelqu'un de confiance moi ? La bonne blague. Pauvre enfant... elle n'a pas idée de la chance qu’elle a dans tout ça. Je suis peut être malhonnête, mais je ne suis pas un monstre. Elle me servira de cobaye pas de souffre douleur pour extérioriser ma frustration. Quel genre d'homme ferait ça ? Pas moi, il n'y a aucun intérêt à maltraiter une aussi jolie créature quand on peut la séduire pour obtenir bien plus.
Passant une main faussement nerveuse à l’arriéré de ma tête, je fais mine d’hésiter avant de lui répondre. « Ça fait beaucoup de questions ça madame. Qu'est ce qui me dit que vous êtes vous même digne de confiance ? Que vous n'allez pas m'attirer quelque part où vos complices pourront me dépouiller sans risques ? » Il y a des dizaines de façons de gagner la confiance d'une femme. Jouer les hommes fragiles ou sensibles en est une qui marche plutôt bien. Mais il est hors de question de lui laisser trop d'avantage non plus. Rester maître de la situation fait partie intégrante de ma petite routine. « Ok, ok. Vous avez posé les questions la première, beaucoup de questions, mais je vais y répondre. Vous répondrez aux miennes ensuite si le cœur vous en dis. » Je lui sers ensuite mon plus beau sourire. Si j'ai employé le mot routine c'est pas pour rien. Je fais ma petite check liste dans ma tête, histoire de vérifier que je suis pas rouillé. Pour quelqu'un qui met plus les pieds dans l'eau ce serait un comble hein pas vrai ? « Mon nom est Aëlis, et pour ce que je fais ici, je rentrais simplement d'une journée sur la plage, par là. » J'agite vaguement le bras dans la direction de la dite plage à quelques kilomètres de là. Pour le reste, et bien un peu de franchise paye toujours, quand c'est savamment dosé. « Quant à savoir si je suis digne de confiance.. c'est à vous de me le dire. Tout dépend, comme vous le disiez si bien, de ce qu'il vous faut pour accorder votre confiance. Je ne suis pas du genre à égorger les femmes en foret si c’était votre crainte. Quoi qu'un homme qui fait ce genre de chose ne s'en vanterait pas pas vrai ? » De la fausse maladresse... ça aussi ça paye quand c'est bien amené. C'est là que je vais voir si je suis toujours aussi bon. Je lève les deux mains devant moi en les agitant comme pour effacer mes derniers mots avant de revenir frotter na nuque dans une fausse moue gênée. « Pardonnez moi, c'était.. déplacé comme humour, je suis désolé. Non, rassurez vous, je suis simplement.. sur le chemin du retour. Je passerais mon chemin si vous voulez, je comprendrais. » Sur ces belles paroles, je fais mine de reprendre ma route mais je me ravise deux pas plus loin. « Mais au fait... vous deviez répondre à mes questions si je répondais aux vôtres. Je vais manquer d'originalité mais... je voudrais savoir moi aussi qui je viens de rencontrer et ce qui a provoqué cette rencontre. »
Voilà. J'étais sortie de ma cachette et maintenant je me retrouvais face à un homme bien plus imposant. Il n'avait pas l'air bien menaçant. Toutefois, j'étais parfaitement consciente que je ne pouvais pas me fier uniquement aux apparences. Je restai donc sur mes gardes, ce qui était parfaitement normal. Après tout, je n'avais aucune idée de ses intentions. J'espérais simplement ne pas être tombée sur un psychopathe ou un fou furieux. Si c'était le cas, je me retrouvais prise au piège, complètement à sa merci. J'avais bien une dague sur moi, mon éternelle lame cachée dans ma botte, mais je me doutais que ce ne serait pas suffisant contre un agresseur déterminé. Je lui posai donc quelques questions qui me semblaient parfaitement logiques. Au pire, il me raconterait quelques mensonges et ça me permettrait de gagner un peu de temps, peut-être pour me sauver et fuir dans cette forêt qui m'était complètement inconnue. Non, mais qu'elle idée idiote que d'essayer un nouveau chemin! S'il m'arrivait quoi que ce soit, ce serait une leçon bien méritée pour m'être montrée aussi idiote.
Sans plus tarder, je reportai mon attention sur l'étranger qui me faisait face. Suite à mes questions, ce dernier se passa une main nerveuse dans les cheveux. Peut-être avait-il quelque chose à cacher. Si mes interrogations l'inquiétaient autant, c'était probablement parce que ses intentions étaient mauvaises. Ou alors, il préparait le mensonge du siècle. « Ça fait beaucoup de questions ça madame. Qu'est ce qui me dit que vous êtes vous même digne de confiance ? Que vous n'allez pas m'attirer quelque part où vos complices pourront me dépouiller sans risques ? » Répondit-il après quelques secondes d'hésitation, ce qui me fit penser à une troisième option. Il pouvait très bien être un simple habitant, tout aussi perdu que moi. Si ça se trouvait, nous étions tous les deux convaincus être en mauvaise position. Néanmoins, le blond sembla décider de me faire confiance, puisqu'il enchaîna en me promettant de répondre à mes questions s'il pouvait m'en poser en retour, ce qui me sembla parfaitement juste. Toutefois, si ses réponses ne me satisfaisaient pas, je me réservais tout de même le droit de battre en retraite. Je lui accordai donc une chance, me concentrant sur chacune de ses paroles, analysant chacun de ses gestes.
Apparemment, il s'appelait Aëlis et il venait d'une plage pas trop loin de la forêt. Un joli nom pour une belle personne. Seulement, son apparence ne voulait rien dire et je devais garder ça en tête. Souvent, les plus mauvaises intentions se cachaient derrière les sourires les plus enchanteurs. Je restai donc légèrement craintive, mais je sentais mes dernières résistances s'effondrer. De toute façon, j'avais l'impression qu'il ne me ferait pas mal et dans la situation où j'étais, je ne pouvais me permettre de tourner le dos à tous ceux que je croisais. J'avais besoin de son aide. De plus, ce type était tellement maladroit que ça le rendait presque attachant. J'avais sincèrement envie de le croire. « Pardonnez moi, c'était.. déplacé comme humour, je suis désolé. Non, rassurez vous, je suis simplement.. sur le chemin du retour. Je passerais mon chemin si vous voulez, je comprendrais. » Ajouta-t-il après quelques secondes à peine. Pour le rassurer, je lui adressai un petit sourire. Ce genre d'humour ne me dérangeait pas. De toute façon, j'avais tendance à faire un peu trop confiance aux gens qui m'entouraient. Toutefois, je n'eus pas le temps de prononcer un seul mot qu'il commença à s'éloigner.
Déçue, je m'apprêtai à rebrousser chemin à mon tour, lorsqu'Aëlis reprit la parole. Il avait promis de répondre à mes questions si je répondais ensuite aux siennes. Et je lui devais bien ça après tout. Surtout qu'il semblait bien moins curieux que moi, puisqu'il n'avait qu'une seule interrogation à mon égard. « En fait, je me promenais un peu comme vous, mais je viens de la cité de l'aveugle plutôt que de la plage. J'allais rendre visite à une amie, mais je me suis perdue en chemin. Ce serait bien gentil si vous m'aidiez un peu. Vous avez l'air de connaître cette forêt beaucoup mieux que moi. » Terminai-je en lui adressant un grand sourire, mes dernières craintes à son sujet s'étant complètement envolées. Quoique... En y repensant, j'avais peut-être une dernière question pour lui. « Dites, si vous venez de la ville, pourquoi prendre la peine de se rendre sur une plage aussi éloignée? Vous savez qu'il y en a une tout près de Blindman's Bluff? »
Mon petit jeu bien rodé m'a quelques fois joué des tours, mais il m'a si souvent servit.. je me surprends à prier pour qu'aujourd'hui soit un bon jour. Prier quoi ? Prier qui ? J'en sais rien. J'ai pas la moindre idée de qui les humains peuvent prier quand ils ont besoin de chance, ou de qui ils peuvent prier tout court d'ailleurs. C'est curieux cette sensation. Je n'appartiens plus à mon monde, mais pas encore tout à fait au leur. Toujours est il que comme j'en vient à prier la chance elle même, mon stratagème semble porter ses fruits. J'ai droit à un sourire, quoi qu'encore trop timide à mon goût et je m'efforce d ele lui rendre. Âpres tout, nous sommes deux jeunes gens de bonne éducations qui nous rencontrons par le fruit du hasard et n'avons aucune raison de ne pas être amicaux. Non ? Et amicale, elle l'est, acceptant de répondre à son tour à mes questions. A l'une d'entre elle du moins. Ainsi je sais désormais d'où elle vient. Elle marchait dans la direction opposée à la mienne. Voila qui est bien dommage puisqu'il faudra tôt ou tard mettre fin à cette entrevue. Mais puisqu'elle m'enjoint de lui prêter main forte à retrouver son chemin, voilà mon alibi tout trouvé pour lui tenir compagnie encore un peu. La chance a définitivement entendu mes prières.
J'ai un mal fou à ne pas ricaner à sa remarque. Si je semble connaître cette foret mieux qu'elle ? C'est surtout qu eje l'arpente depuis bien plus longtemps. Elle a quoi la donzelle ? Vingt ? Vingt cinq ans ? A tout casser. Ah la naïveté de la jeunesse. Ceci dit, je dois prendre garde à ne pas trahir cette nouvelle identité dont j'ai hérité. Je ne suis pas sensé avoir passé la quarantaine, du moins j’espère de tout cœur qu'elle ne me donne pas beaucoup plus. C'est que mon ego en prendrait un sacré coup, une fois de plus. Je l'aime mon ego vous voyez. Mais je vous apprends rien pas vrai ? Alors après avoir hoché la tête à la suite de ses questions, comme si je m’intéressais réellement à son conseil touristique, je lui tends un bras où s'appuyer.... avant de me raviser. « Pardonnez moi, c'est un vieux réflexe. Je vous aiderais à trouver votre chemin bien volontiers. Ma mère me tuerait si elle apprenait que je laisse une demoiselle en détresse seule dans ces bois. » Ma mère ? La bonne blague ! Qu'importe, elle n'est peut être même plus là pour entendre ses oreilles siffler. « Nous marcherons ensemble. Indiquez moi seulement où exactement vous souhaitez vous rendre. » Elle a répondu à une de mes questions disais je . J'attendais un nom, mais je ne lui redemanderais pas. Pas tout de suite. Je me garderais bien de paraître trop insistant. Tout est dans la nuance, maladroit mais pas lourd, charmant mais pas trop insistant.
Puis tout en esquissant quelques pas vers la direction qui me semble être la bonne d’après ses indications, je réponds enfin à sa suggestion. « Je connais la plage que vous citiez. Du moins il me semble voir de quel délicieux endroit vous vouliez parler. Cependant... oh vous allez me trouver ridicule. » Aller sortez les mouchoirs, j'attaque la phase deux. Après la confiance, il est temps de gagner son intérêt, d'attiser sa curiosité. Les femmes sont curieuses, c'est bien connu. Sirènes, indiennes, pirates, simple marchande de poisson de la cité de l'aveugle ou femme de tavernier, elles ont toutes ce point commun de n'avoir jamais renié cette part enfantine de leur âme. C'est probablement pour cela que la plupart d'entre elles ont un faible pour ce qu'elles appellent les ténébreux romantiques. Ceux qui sont nimbés de mystères. Personnellement j'ai toujours détesté ce genre de prétentieux, mais mon avis à moi... il ne compte pas. Le jour où j'en serais réduis à tenter de me séduire moi même n'est pas encore arrivé que diantre ! Je reprends donc après l'avoir faite languir. « C'est que quand bien même cette place où j'étais serait à l'autre bout de l'île, j'y ai trop de souvenirs pour simplement me contenter d'une autre. Il y a là bas.. une part de moi même que j'ai perdu et sur laquelle j'ai bien du mal à tirer un trait. Voyez vous... » Nouvelle pause théâtrale avant de lancer un dernier hameçon. « Non, mon histoire n'a pas le moindre intérêt. Parlez moi plutôt de vous. Elle doit être chère à votre cœur cette amie que vous allez rejoindre ainsi, seule, en prenant le risque de vous retrouver perdue dans ces bois à la nuit tombée. » Mordra.. mordra pas ?
« Pardonnez moi, c'est un vieux réflexe. Je vous aiderais à trouver votre chemin bien volontiers. Ma mère me tuerait si elle apprenait que je laisse une demoiselle en détresse seule dans ces bois. » Bonne nouvelle, cet étranger m'aiderait à me sortir du pétrin dans lequel je m'étais accidentellement mise. En temps normal, je me serais montrée bien plus méfiante face à cet homme que je ne connaissais ni d'Ève ni d'Adam, mais pour le moment, je n'étais pas en position de lui refuser quoi que ce soit si je voulais quitter cette forêt avant la tombée de la nuit. En plus, si ses propos étaient véridiques, il avait été bien élevé par sa mère, ce qui était plutôt rassurant, non? Je lui adressai donc un énième sourire avant de hocher la tête, tout simplement. Toutefois, je préférai rester à une distance raisonnable de ce type, juste au cas où il ne serait pas aussi bienveillant et généreux qu'il le prétendait. D'ailleurs, le fait qu'il ait baissé son avant-bras m'allait parfaitement. Normalement j'aimais bien qu'on se montre galant envers moi, mais en ce moment je préférais rester le plus libre possible de mes mouvements. Puis je me serais sentie bien impolie de refuser. « Je souhaite me rendre au nord de l'île, vers le campement des enfants perdus. Vous savez qui ils sont? » Dit comme ça, ma demande pouvait sembler ridicule. Personne ne savait exactement où leur base était située. Mais tout le monde savait qu'elle se trouvait quelque part dans la forêt des quatre saisons et j'espérais qu'Aëlis ne fasse pas exception à la règle.
« Je connais la plage que vous citiez. Du moins il me semble voir de quel délicieux endroit vous vouliez parler. Cependant... oh vous allez me trouver ridicule. » Ajouta mon sauveur après que nous aillons fait quelques pas dans les bois. Une bonne introduction qui me laissait bien trop curieuse à mon goût. Je sentais qu'il allait me révéler une chose assez intéressante à son sujet. Du moins, j'en avais l'intention, surtout vu le ton qu'il employait et les pauses qu'il faisait. Comme s'il cherchait les bons mots pour raconter son histoire. Je l'encourageai donc à continuer, impatiente de découvrir la suite. C'est qu'il était intéressant cet homme. Ses manières étaient un peu étrange, bien trop courtoises pour un natif de l'île, mais c'était ce qui le rendait sympathique à sa manière. Il était intriguant, aussi. Je ne l'avais jamais croisé en ville, mais pourtant, je lui faisais confiance. C'était plus fort que moi, je voulais en savoir plus sur cet étrange personnage. « C'est que quand bien même cette place où j'étais serait à l'autre bout de l'île, j'y ai trop de souvenirs pour simplement me contenter d'une autre. Il y a là bas.. une part de moi même que j'ai perdu et sur laquelle j'ai bien du mal à tirer un trait. Voyez vous... » Nouvelle pause. À ce rythme là, c'était pratiquement de la torture. Mais je ne voulais pas me montrer impolie, alors j'attendis patiemment, suspendue à ses lèvres comme s'il était sur le point de me révéler le plus grand secret de l'univers.
Toutefois, je fus plutôt déçue. Plutôt que d'enchaîner et de terminer son récit, Aëlis me demanda des renseignements sur moi. Enfin... Plutôt sur mon amie et sur les raisons qui m'avaient poussées à m'aventurer aussi loin dans les bois sans même être certaine des directions à suivre. J'aurais voulu l'envoyer promener, lui demander de continuer son récit, mais je ne le fis pas. De toute façon, plus vite je répondais à ses interrogations, plus vite je pourrais en savoir plus sur lui, non? « Oui, je dois vous avouer qu'elle est assez importante pour moi. Pourtant, nous ne nous sommes rencontrées qu'une fois. La pauvre gamine, elle était dans de beaux draps! Un peu comme moi en ce moment. » Commençai-je en rigolant. « J'ai toujours aimé les enfants. D'ailleurs, j'ai toujours voulu avoir une fille, mais j'ai fait une croix sur ce rêve suite au décès de mon époux. Seulement... Cette petite était si adorable! Et si... vulnérable que je ne peux m'empêcher de me faire du soucis pour elle. » Confiai-je sans même réfléchir à ce que je disais. Je venais tout de même de lui révéler une partie assez privée de ma vie. Mais qu'est-ce qui m'avait pris de lui raconter tout ça? « Bon. Maintenant que vous en savez autant sur moi, c'est à vous de me révéler un secret. Si je le juge assez important, je vous dirai mon prénom. » Proposai-je, incertaine.
Il y a des jours où je pourrais me mettre à croire que la chance est une entité propre et qu’elle entend nos prières. Sinon comment me serais je retrouvé à discuter avec un aussi jolie brin de femme au milieu de nul part et comment expliquer qu’elle a justement besoin d’une main tendue, d’un guide, pour retrouver son chemin. Le destin ça n’existe pas, on me la fait pas à moi, il est improbable, voir totalement impossible, qu’il fut écrit quelque part que je doive avoir la vie que j’ai eue, me comporter comme un vaut rien, un coureur de jupon et un trousseur de bourses, pour me retrouver propulser héros et sauveur, ou élu parmi d’autres qu’est ce que ça change, et que le tout servirait à me faire remettre en cause mon mode de vie et repartir sur des bases.. plus saines. Allons, allons, tout ceci n’est que le résultat d’une suite d’évènements hasardeux, rien de plus. Bon, certes, je suis près à vous concéder que peut être.. quelqu’un a murement réfléchis ma nomination, quoi que j’ai beau chercher je ne trouve pas la moindre logique là dedans bien que ça eu flatté mon ego au plus haut point. Et c’est à nouveau la chance qui se penche sur mon épaule puisque la destination de la demoiselle n’est autre que le seul endroit ou personne n’a jamais réussit à mettre les pieds.. la planque des éternels garnements. Diantre ! Je ne sais si je dois lui rire au nez ou me réjouir d’avoir l’occasion rêvée de lui faire le coup du guide égaré en pleine foret. J’ai bien une vague idée de l’endroit ou ça se trouve, plus ou moins comme tout le monde, mais de là à pouvoir la conduire sur place sans faire fausse route.. y a tout un monde.
Puis il y a mon histoire. Celle que j’invente au fur et à mesure, brodant autour de faits établis, tant pour l’ensemble des habitants de ce lieu que dans ma propre existence. Vous devriez le savoir maintenant, on ne fait un bon mensonge qu’en restant proche de la réalité. Il est plus aisé e ne pas se perdre d’une part, et de l’autre il est surtout plus facile de sortir effrontément le dit mensonge. Sans parler de la crédibilité en elle-même. Qui tromperais je si je prétendais avoir du sang Unami dans les veines. Restons sérieux. Non rien de tout ceci, mon histoire pour cette fois consistera à m’en tenir à ce que je suis aujourd’hui ni lus ni moins : un humain qui a peur de l’eau. Pourquoi peur ? Et bien je cherche encore. Et les vides que le laisse semblent l’intriguer au point qu’elle a l’air tout à fait frustrée lorsque je l’interroge plutôt que de poursuivre mon propre récit. Voila qui promet ! J’ai réussit à hameçonner la demoiselle. Un comble vous avouerez, quand on sait ce que j’étais il y a quelques temps encore. Et comme nos pas nous entrainent dans la direction que je crois être la bonne, je tends cette fois une oreille attentive à son histoire. Tout peut être utilisé ensuite, il suffit de ne pas négliger les détails. Si lorsqu’elle se perd en niaiseries je m’efforce de ne pas lever les yeux vers le ciel bleu, en partie grâce à moi rappelons le une fois encore, c’est uniquement pour ne pas risquer d’être vu. L’envie ne m’en manquait pas pour autant. Les enfants… les femmes sont toutes à radoter mièvrement qu’elles voudraient devenir mère ou que leurs enfants sont la lumière de leur vie, et blablabla. Foutaises. Ma mère à moi ne me voyais pas comme le soleil de son existence, à peine comme une vague lanterne qu’elle aurait voulu redécorer à sa façon peut être, puisqu’elle n’a jamais aimé mes choix. Ceux dont elle a eu connaissance du moins, mais je doute sincèrement qu’elle aurait apprécié les autres de toute évidence. Bref, la donzelle m’assomme de niaiseries et je fais mon possible pour ne pas le montrer. Un challenge digne de ce dont j’avais besoin et.. ah tient.. elle est veuve. Ceci e revanche relève déjà plus de l’information utile si ce n’est essentielle. Pas de mari jaloux, et potentiellement pas de gros bras pour venir me réclamer l’argent que j’aurais dérobé, voila qui fait bien mon affaire.
So monologue terminé, le belle se prend au jeu et me lance un défi pour le moins… inattendu. Que je lui confis un secret ? Moi ? Allons bon. Mais quel genre de secret pourrait lui convenir ? Je pourrais dire, oh bien des choses en sommes, bien des idées me traversent l’esprit à cette pensée mais rien ne semble me convenir lorsque j’y regarde de plus près. Lui annoncer ma véritable nature, mon âge, les raisons du changement que j’ai connu et tout ce qui en découle ? Pourquoi pas, l’idée de me faire mousser pour mon geste pseudo héroïque n’est pas désagréable, mais il implique également qu’elle devra me croire sur parole. Je ne puis hélas plus lui montrer patte blanche, écailles dans le cas présent, pour prouver que j’ai fait parti du peuple aquatique, pas plus qu’il ne m’a été délivré le moindre diplôme pour mon sacrifice. Voyons.. quel autre secret pourrais je avoir à lui confier… Mes occupations ? Certainement pas ! Comment pourrais-je espérer tirer quoi que ce soit de notre rencontre si je lui annonçais de but en blanc que je ne vis que pour trousser des jupons et dévaliser les bourgeois. Allons, allons soyons sérieux un instant. Je disais tantôt qu’un peu d’honnêteté paye toujours si elle est savamment diluée dans de beaux mensonges ainsi je finis par opter pour l’option pourtant la plus improbable. « Un secret dites vous hein ? Fort bien. Vous m’avez tout l’air d’être de ces femmes ouvertes d’esprits qui ne se permettent pas de juger outre mesure les choix et les actes de chacun. » Je sais, je sais, je n’ai pu résister à l’envie de la flatter un peu plus avant de dévoiler le pot aux roses, mais que voulez vous, on ne se refait pas.
Et je ne marque une courte pause que pour prendre le temps d’écarter une branche qui lui barrait la route. Cela va de paire avec ce que je m’apprête à dire autant qu’avec le personnage que je m’efforce de jouer depuis notre rencontre. Je n’ai jamais eu la chance d’assister à une représentation théâtrale mais je sais de source sures, enfin de marins bourrés, qu’un bon acteur ne lâche pas son rôle avant d’être sorti de scène. Or si je n’ai guère de scène à me mettre sous .. les pieds, j’ai bien une pièce à finir et j’escompte bien que le dernier acte se clôture par ma victoire d’une façon ou d’une autre. « Me croiriez vous si je vous annonçais être du genre à collectionner les amants et non les maitresses ? » Je n’ai pas tremblé, pas laissé paraitre la moindre once de honte ou de peur dans ma voix. Après tout c’est quelque chose que je n’ai jamais eu le cœur à cacher, quoi qu’on en dise. Il est vrai que je déforme un peu les faits mais comment pourrait elle le savoir ? Qui ira lui dire que j’ai probablement eu autant de partenaires d’un bord que de l’autre ? Non la vraie question est pourquoi ? Pourquoi me suis-je ainsi coupé l’herbe sous le pied, savonné la planche, en lui avouant une chose pareille. Et bien parce qu’aussi curieux que cela puisse paraitre j’ai tout autant envie de découvrir ce que cache sa bourse que ce que dissimulent ses jupons et que là, en avançant dans ces bois, il m’est venu l’idée d’essayer de me concentrer sur une seule chose à la fois. Aujourd’hui, je détrousse, demain je trousse. Et pour être tout à fait honnête, l’idée de devoir surenchérir à ses mièvreries pour avoir une chance de la séduire me retournait déjà l’estomac, j’avais envie de lui plaire mais pas à ce point. Sans oublier que la façon dont elle réagira à ma révélation sera un bon indicateur de l’effet que je lui faisais jusqu’ici, ainsi je serais fixé quoi qu’il arrive sur l’impact qu’aura eu le rituel sur mon charme
Secret contre secret. Ça me paraissait juste, puis je devais avouer que ce type restait intriguant, malgré tout ce qu'il me racontait à son propos. J'avais l'impression qu'il me cachait un truc, mais je ne pouvais mettre le doigt dessus. De toute façon, j'étais certaine qu'il n'était pas dangereux. Si ça avait été le cas, il m'aurait déjà attaquée et dépouillée de tous mes biens, non? Donc, plutôt que de me montrer suspicieuse à son égard, je me contentai de répondre à ses questions, tant et aussi longtemps qu'il répondrait aux miennes, même s'il se permettait de rester vague. Jusqu'à maintenant, ça ne m'avait pas dérangée. Mais maintenant, j'en voulais plus. Je tenais à ce qu'il me révèle l'un de ses secrets et je jugeais qu'il me valait bien ça après la révélation à laquelle il avait eu droit sur ma personne. « Un secret dites vous hein ? Fort bien. Vous m’avez tout l’air d’être de ces femmes ouvertes d’esprits qui ne se permettent pas de juger outre mesure les choix et les actes de chacun. » Réponse parfaite suite à ma demande et il avait vu juste, l'étranger. Je n'étais pas du genre à juger les autres, au contraire. Je faisais toujours mon possible pour comprendre avant de me permettre d'émettre le moindre jugement. Je hochai donc positivement la tête face à son affirmation. Il avait parfaitement raison de me faire confiance, tout comme je croyais avoir raison de lui accorder la mienne.
J'allais donc lui faire signe de poursuivre, lorsque je remarquai une branche qui me bloquait le chemin. Par chance, je m'arrêtai juste à temps pour ne pas me la prendre en plein visage et aussitôt, l'homme qui m'accompagnait l'écarta. Un autre signe de galanterie. À force, j'avais arrêté de les compter, mais s'il continuait à agir en tel gentlemen, c'était signe qu'il devait forcément en être un, non? Personne n'arrivait à tenir un rôle aussi longtemps, alors je me permis de baisser les dernières gardes qu'il me restait. Face à ce type, je n'étais plus du tout suspicieuse. J'étais persuadée avoir eu assez de chance pour tomber sur une personne honnête. « Me croiriez vous si je vous annonçais être du genre à collectionner les amants et non les maitresses ? » Révélation plutôt inattendue, pourtant, je ne laissai paraître aucune surprise sur mon visage. J'aurais eu bien trop peur qu'il interprète mal une telle réaction. Quoi qu'il ne semblait pas avoir honte de ses préférences, puisque son ton n'avait trahit aucune peur et qu'il m'avait avoué son secret sans aucune hésitation. Comment ne pas le croire? Et après, c'était touchant de voir un homme de sa trempe se montrer aussi courageux au moment de révéler une chose si... Enfin, je n'avais rien contre ça, mais disons que tous n'étaient pas aussi ouverts à ce propos. Heureusement pour lui, les habitants de l'île me semblaient plus à l'aise face à ce genre d'attirance.
« Ne vous inquiétez pas, avec moi votre secret est à l'abri et je ne pourrais jamais me permettre de vous juger pour ça. Selon moi, tout le monde devrait être libre d'aimer qui il veut, tant que la relation est sincère et que les sentiments sont profonds. » Petite déception, quand même. Je n'étais pas du genre à me jeter sur le premier venu, même que certains des clients habituels de la taverne me reprochaient d'être beaucoup trop prude. Seulement, le blond s'était montré si gentil à mon égard que je n'avais pu m'empêcher d'éprouver quelques envies. Rien de sexuel, bien sûr. Toutefois, je voyais en cet homme de quoi faire un bon époux. Quelqu'un d'attentionné que j'aurais peut-être aimé mieux connaître. « Et même si quelqu'un se permettait de vous juger à ce propos, vous ne devriez pas y porter attention. De toute façon on a juste une vie à vivre et elle est déjà assez courte comme ça pour se préoccuper de ce les autres pensent. » Ajoutai-je en lui adressant un sourire sincère. La vie était imprévisible. Elle pouvait se terminer n'importe quand et même si on la quittait à cause de la vieillesse, elle restait bien trop brève pour passer son temps à hésiter, sans jamais oser se lancer. « Mais de toute façon, en plus d'être galant, vous semblez être une personne qui n'a pas peur de grand chose. C'en est presque dommage que vous ne soyez pas attiré par les dames. » Terminai-je en rigolant, mais sans jamais quitter le chemin du regard. Je n'étais jamais passée par ici et le paysage ne me disait rien, mais j'avais parfaitement confiance en ce type.
I l y a tant de choses que j’aurais pu avouer plutôt que ceci. Et pourtant je ne regrette pas mon choix. D’une part parce qu’après tout, ce n’est pas quelque chose dont je veuille me cacher, quoi que j’essaye de faire passer ça pour un terrible secret inavoué, et puis parce qu’elle semble plutôt bien le prendre. Mieux encore, voici qu’elle m’encourage, cherchant sans doute à se garder de toute interprétation de ma part en m’assurant qu’elle est tout à fait à l’aise avec ça et qu’elle gardera mon secret. Charmante créature. Charmante et avenante avec ça. Sans parler de cette petite maxime qu’elle glisse dans la conversation comme nous poursuivons notre chemin tout en conversant. On n’a qu’une vie et il ne sert à rien de se préoccuper de l’avis des autres. Si elle savait combien je cautionne cette petite phrase ! N’est-ce pas ? M’avez-vous déjà vu changer d’avis simplement par crainte de gêner un quidam ? Nope. Il n’y a que deux avis qui m’importent, le mien et celui de… mince… c’est vrai que son avis m’importe. Allons Aël, ressaisi toi, tu penseras à cet imbécile plus tard. Je disais, il n’y a que deux avis qui m’importent, le mien et celui de la personne que je suis sur le point de plumer.. du moins le temps que je la dépouille, après, je m’en contrefiche comme de ma première palourde. Et pour en revenir à son code de vie, moi qui n’ai plus devant moi l’éternité qui s’annonçait hier, je compte bien mettre en pratique cette doctrine aujourd’hui plus que jamais.
C ’est d’ailleurs là qu’elle se trompe, la jolie donzelle. Moi peur de rien ? Si je ne l’avoue jamais, il y a des centaines de choses qui m’effrayent. Mais c’est justement là toute l’astuce. Convaincre les autres que rien ne vous fait trembler, que rien ne vous réveille la nuit en sueurs, pour mieux finir par s’en convaincre soit même. J’ai peur, comme tout un chacun, de mourir. Et si jusqu’à présent c’était l’idée de finir embroché au fil de l’épée par un mari jaloux ou abattu d’une belle dans le dos par un ancien amant vexé, c’est à présent la peur de voir mon corps se flétri et se rabougrir jusqu’à ce que je sois incapable de me lever et que je finisse par ne plus me réveiller qui.. bigre.. rien que d’y penser je sens déjà ce long frisson glacé qui précède généralement les sueurs froides me parcourir l’échine. Relance la conversation, change de sujet Aël. Ne t’attarde pas sur la liste encore longue des choses qui te font cauchemarder la nuit… comme te retrouver sans le sous ou face à une meute de loups. Je sais bien qu’il n’y a aucun rapport entre les deux mais je me souhaite de ne jamais me retrouver dans l’une ou l’autre de ces situations. Et oui je suis conscient que je me fais la conversation à moi-même depuis tout à l’heure, ça vous pose un problème ? A moi oui ceci dit. Il est temps de lui répondre ou elle va croire que son compliment, son aveu à peine camouflé m’a mis mal à l’aise. « Je l’ai été, un temps. Attiré par les femmes je veux dire. Du moins j’ai cru l’être. Et puis il y a eu.. qu’importe. Vous avez raison sur un point et tort sur un autre. Nous devrions tourner de ce côté… » Je m’interromps moi-même pour lui indiquer le chemin et maintenir par la même occasion toute la théâtralité que je me suis donné jusqu’ici en plaçant un peu de suspens dans mes phrases.
N ous faisons encore quelques pas, sur le bon chemin, je ne compte pas la perdre dans les bois, puis je reprends où j’en étais. « Vous aviez raison en disant qu’on ne devrait pas se soucier de ce que les gens peuvent penser de nous. La vie est en effet bien trop courte pour perdre du temps à plaire à des gens qui ne font que passer et oublier d’être nous-même et de profiter de la vie. Ne perdez jamais cet état d’esprit Mademoiselle, la liberté est quelque chose de précieux. » Bien plus précieux que tout ce qu’elle peut avoir dans sa bourse, qu’elle soit bien remplie ou non. Mais je me garde bien de le lui faire remarquer des fois que ça lui mette la puce à l’oreille. « Quant à votre erreur, elle fut de penser que quelqu’un comme moi n’a pas peur de grand-chose. Bien au contraire. Sachez que celui qui n’a peur de rien est un sot, ni plus ni moins. La peur est ce qui donne du sens à la vie. On profite de chaque chose dans la crainte de le voir dis..pa..raitre. » Mes derniers mots ont eu un mal fou à sortir comme une pensée m’a soudainement traversé l’esprit en les prononçant. Je suis en train de lui servir des conseils que je n’applique pas moi-même. Je suis d’un ridicule… enfin surtout maintenant que je viens de me manger un arbre trop occupé que j’étais à essayer de me chasser le visage de mon valet de cœur de la tête. Je reste sonné un instant avant de ma racler la gorge comme si de rien était et de reprendre ma route. Notre route. « Mais dites… peut-être avais-je la tête ailleurs, mais il me semble que vous m’aviez promis votre nom contre mon secret et.. je ne crois pas l’avoir encore entendu. [/color] » Belle diversion Aël, tel un chat qui retombe sur ses pattes.
« Je l’ai été, un temps. Attiré par les femmes je veux dire. Du moins j’ai cru l’être. Et puis il y a eu.. qu’importe. Vous avez raison sur un point et tort sur un autre. Nous devrions tourner de ce côté… » Répondit mon sauveur, ce qui me laissa perplexe. Comment pouvait-on croire être attiré par un sexe avant de se rendre compte qu'en fait, c'était l'autre qui nous faisait de l'effet? Et la manière dont il avait coupé sa phrase, comme s'il s'était retenu à la dernière minute de me révéler un truc qu'il préférait garder secret... Ce type avait beau me révéler plusieurs pans de sa vie, au fond, je ne le connaissais pas tant que ça et je venais d'avoir la preuve qu'il continuait de me cacher des choses. Certes, tout le monde avait droit à son jardin secret, mais j'étais bien trop curieuse pour laisser passer une telle opportunité. Et puis, tant qu'à être dans le sujet, pourquoi ne pas en profiter pour poser la question qui me brûlait les lèvres depuis quelques minutes? Toutefois, je ne voulais pas le brusquer et je me doutais bien qu'il n'avait pas terminé de parler. Je pris donc la direction qu'il m'indiquait avant de tourner à nouveau mon visage vers lui, complètement attentive. Comment ne pas l'être face à un interlocuteur aussi intéressant? D'ailleurs, c'était l'un des premiers hommes bavard que je rencontrais sur cette île. En effet, ma clientère étant majoritairement composée d'ivrognes et de pirates mal-élevés, j'avais eu peu d'occasion d'entretenir une telle conversation avec quelqu'un du sexe opposé.
Je buvais donc chacune de ses paroles avec attention, jubilant lorsqu'il m'informa que j'avais raison. Ce que je lui avais dit pouvait sembler être évident pour la plupart des gens. Après tout, mon conseil était assez banal, mais malgré tout, les gens qui ne le suivaient pas restaient trop nombreux. « Quant à votre erreur, elle fut de penser que quelqu’un comme moi n’a pas peur de grand-chose. Bien au contraire. Sachez que celui qui n’a peur de rien est un sot, ni plus ni moins. La peur est ce qui donne du sens à la vie. On profite de chaque chose dans la crainte de le voir dis..pa..raitre. » Lui aussi avait raison. La peur, c'était un peu l'essence de la vie, ce qui nous poussait à profiter autant de chaque instant que l'on possédait. Mais encore là, ce sage conseil n'était malheureusement pas suivit par tout le monde. Heureusement, ce n'était pas mon cas. Car même si je ne craignais pas la mort, car je voyais en elle une forme de libération qui me permettrait de retrouver mon défunt époux, j'avais peur de bien d'autres choses. Comme perdre les êtres qui m'étaient chers ou encore, de vivre sans jamais atteindre mes rêves. Mon boulot avait beau ne pas être le pire, je refusais de mourir en simple tavernière. J'avais un but dans la vie et je comptais bien l'atteindre.
Enfin, je pensais qu'Aëlis avait terminé de parler, que l'occasion de poser enfin ma question se présentait. Seulement, je n'eus pas le temps de pronnoncer le moindre mot qu'il enchaîna tout de suite, réclâmant ce qui lui revenait de droit. Je lui avais effectivement promis un nom et je ne brisais jamais mes promesses. « Je m'appelle Grace. Grace Dawson. Il me semble que j'avais un deuxième prénom avant. Elspeth? Éliza..? Enfin, peu importe. Ça remonte à une époque lointaine dont mes souvenirs commencent à s'estomper, alors vous pouvez vous contenter de m'appeler Grace. Ou mademoiselle, si vous préférez. » Dis-je en lui adressant un énième sourire. « Mais pour en revenir à ce que vous disiez... » Commençai-je en détournant mon attention sur le paysage qui nous entourait, histoire de ne pas me prendre une branche en plein visage comme il avait faillit le faire quelques minutes plus tôt. « Vous aussi, vous avez raison. La peur, c'est ce qui nous motive à continuer, mais le contraire est aussi possible. Certaines personnes sont tellement effrayés qu'ils n'osent à peine sortir du lit. C'est triste, selon moi. Ils passent à côté d'un tas de chose, alors à ce moment, ne sont-ils pas aussi sots que ceux qui ne craignent rien? » Demandai-je en fronçant les sourcils. Même pour moi, la question était compliqué. Comment savoir ce qui était pire entre ces deux extrêmes? « Enfin bref. De quoi avez-vous peur, Aëlis? Est-ce l'amour qui vous effraie au point de ne pas oser en parler? Cette phrase que vous avez interrompu soudainement... Qu'est-ce qui vous a fait comprendre que les femmes n'étaient pas faites pour vous? Avez-vous déjà été amoureux? »