Je flottais à la dérive depuis quelques jours. Pas physiquement, dans l’océan, non… Plutôt émotionnellement.
En plus de deux cent ans d’existence, jamais je n’avais eu les nerfs à fleur de peau de cette façon… À bien y penser, ce chamboulement émotif avait commencé après que ma mère m’ait avoué la vérité au sujet de ma conception. D’abord, ç’avait été de l’incompréhension, puis de la frustration et finalement, un profond sentiment de trahison qui avaient jailli en moi. J’avais eu du mal à assimiler ces informations qu’elle avait craché lors de la fête qui avait suivi le couronnement des Thelxiope. Quand j’avais compris que ma mère avait eu une aventure avec un homme marié, une grande frustration m’avait envahie. Finalement, c’est ce sentiment de trahison marqué qui m’avait laissée amère… Toute ma vie, j’avais imaginé que mon père était décédé d’une maladie avant ma naissance. Toute ma vie, je m’étais fait cet idée de l’homme qu’il était et du père qu’il aurait pu être. Finalement, j’avais compris que mon père avait été, pendant plusieurs années, très proche de moi.
Blessée, j’avais profité de mon rôle de suivante auprès de la nouvelle princesse des océans pour quitter la maison que j’habitais avec ma mère et son mari, Noam. Seule dans la petite chambre qu’on m’avait allouée, les souvenirs du passé s’étaient mis à déferler en moi. Je le revoyais, avec son épouse, dans leurs champs sur la ferme qui avoisinait la nôtre sous l’océan. Même si l’image était très floue – après tout, cet homme n’était à l’époque que notre voisin – je savais qu’il avait un grand cœur, qu’il souriait beaucoup et qu’il n’avait que de bons mots à mon endroit quand je rejoignais son fils, mon meilleur ami. Puis je me suis rappelé ce cadavre. Cette bête monstrueuse qui les avait dévorés. Et leur fils… mon demi-frère… qui je n’avais plus jamais revu. On avait éventré la bête pour y retrouver les cadavres du fermer et de sa femme, mais son fils était demeuré introuvable, même après plusieurs jours de recherches.
Et tout en continuant à remplir mes tâches auprès de ma maîtresse, je m’étais lancée dans cette quête. Après plusieurs jours à me questionner sur ce que mon demi-frère pouvait bien être devenu, après maintes semaines à fouiller les profondeurs océaniques, à interroger les tritons et les sirènes que je connaissais autant que ceux que je ne connaissais pas, j’en étais arrivé à la conclusion que mon frère ne vivait plus parmi nous; qu’il devait être remonté à la surface.
On m’avait toujours mise en garde contre les humains. Malgré mon âge qui excède largement le leur, jamais je n’avais ressenti le besoin de les côtoyer, d’explorer leurs terres et d’apprendre leurs coutumes et leur façon de vivre. Depuis que j’avais commencé à explorer l’île de Neverland, j’avais rencontré beaucoup de gens. Plusieurs mois de recherches s’étaient écoulés, j’avais fait des rencontres fortuites, d’autres malencontreuses, mais j’avais finalement retrouvé Aodren. Cette réunion avec mon frère m’avait laissée mitigée. Il avait vécu auprès des hommes pendant bien des années… Il avait survécu comme il le pouvait dans leur monde hostile mené par l’argent et les richesses, mais j’étais loin d’être parfaite moi-même. Nous nous étions quittés lorsque j’avais dû retourner dans l’océan et sans que je ne sache trop sur quel pied danser. Je savais où le retrouver désormais, mais je n’avais pas encore eu le courage d’y retourner.
Deux ou trois jours plus tard, j’avais rencontré le prince Égéon dans le lagon des sirènes. Pour la première fois, j’avais pu discuter franchement avec lui. Sans prétentions, sans cérémonies. Pendant quelques heures, j’avais senti un baume sur mon cœur et une sensation étrange au creux de mon ventre, comme si mon estomac avait voulu me sortir de la poitrine. Je m’étais laissée aller à l’observer franchement. J’avais déjà remarqué que notre prince était un bel homme. La princesse Valone était plutôt fière de la beauté de ses frères et n’hésitait pas à vanter leurs mérites devant ses dames de compagnies entre les rumeurs qu’elle faisait courir à leur sujet. Mais jamais un sourire ne m’avait fait ressentir quelque chose d’aussi étrange que celui d’Égéon lorsqu’il avait posé son regard sur moi. Le contact de sa main m’avait chamboulée jusqu’aux tréfonds de mon être.
Depuis cette rencontre, je me sentais étrange. J’avais l’impression de flotter entre deux eaux. J’avais besoin de prendre du recul…
Même si plusieurs disaient que mon tempérament d’enfant pourrie gâtée primait sur la plupart de mes autres traits de caractère – ma petite sœur se plaisait à le répéter à qui voulait bien l’entendre –, je préférais croire que mon plus grand défaut était ma grande curiosité. Plus souvent qu’autrement, cette avidité me portait loin. Elle me mettait parfois dans des situations particulièrement saugrenue et même dangereuses. Mais aujourd’hui, elle m’avait portée de l’autre côté de Neverland, sur la rive de cette péninsule au paysage étrange.
Depuis plusieurs heures, je nageais sur la côte de l’île. Le panorama de cet isthme changeait brusquement. C’était forcément magique. Certains humains que j’avais rencontrés étaient persuadés que les sirènes faisaient de la magie. Ça m’amusait particulièrement. À part vivre éternellement, respirer sous l’eau et prendre une apparence humaine lorsque l’eau salée ne touchait plus notre derme, les sirènes n’avaient rien de bien magique. Cette forêt était particulière… surnaturelle.
J’avais passé la Pointe du Crâne, longeant le littoral en observant attentivement le paysage. C’étaient les arbres qui avaient retenu mon attention. Les premiers que j’avais aperçus avaient des épines. Leur forme était triangulaire et leur odeur était… épicée. Ils avaient graduellement laissé place à des grands arbres au feuillage verdoyant où perlaient des bourgeons de toutes les couleurs. Les odeurs qui chatouillaient mes narines étaient indescriptibles, très loin de la senteur saline de l’océan. Puis les arbres fleuris avaient laissé place à de grands arbres coiffés d’immeubles feuilles à la forme d’éventail. Ceux-là, je les reconnaissais : c’étaient des palmiers. On en trouvait sur plusieurs plages près de Mermaid’s Lagoon.
Au détour de la péninsule, des arbres aux feuilles flamboyantes fragiles comme du parchemin avaient succédé aux palmiers. Délicates, les feuilles bruissaient au souffle du vent marin. Jamais je n’avais vu de telles couleurs dans le branchage des arbres. En fronçant les sourcils, je m’étais approchée des berges de l’île en scrutant ce camaïeu embrasé qui s’offrait à mon regard. Le rouge et l’orangé avaient toujours faits partie de mes couleurs préférées. J’avais longtemps regretté que ma nageoire ne soit pas d’un rouge aussi écarlate que les coraux… Et si j’appréciais une chose depuis que j’avais commencé à explorer Neverland, c’était bien l’éclat des couleurs qui était si différent de celui des coloris sous-marins.
À plat ventre dans les galets, légèrement immergée dans l’eau, je détaillais les couleurs flamboyantes de mon regard bleu clair lorsque les cours de mes pensées fut distrait…
es yeux fixes, la tête incurvée et les mains légèrement tremblantes, je respirais le plus doucement possible pour ne pas faire de faux mouvement. J'atteignis un tel niveau de concentration que mes yeux commencèrent à me piquer un peu. Ma vision se troublait parfois, m'ordonnant de faire une pause avant de faire soit un malaise, soit une catastrophe. Je me redressais sur ma chaise avant de poser le plus délicatement possible mon pinceau encore humide, loin de l'ouvrage sur lequel je travaillais. Je me frottais les yeux tout en admirant le travail de presque une journée. Les enluminures prenaient un temps considérable et en tant que perfectionniste, je ne rendais jamais un ouvrage qui à mon sens ne semblait pas fini. Je préférais passer tout mon temps dessus que d'avoir l'impression d'oublier un détail. Il m'est déjà arrivé auparavant de rester enfermer deux jours pour finir un livre, sans presque manger. J'en faisais parfois trop. Pourtant, j'aimais profondément mon métier, je prenais beaucoup de plaisir à détailler les pages des livres que l'on me confiait. Quoi qu'il en soit, pour l'heure, je devais faire une pause et m'aérer un peu. Il fallait savoir prendre du recul sur son travail aussi, pour mieux discerner les erreurs.
Avant de sortir, je pris le temps de vider le pot d'eau teintée aux couleurs de ma palette, et de soigneusement nettoyer mes pinceaux pour ne pas qu'ils sèchent avec de la peinture dessus. Jetant un dernier coup d'oeil à mon travail, je souris légèrement, puis sortis, mon carnet à la main. je cherchais un endroit tranquille avec beaucoup de végétation, enfin, une forêt ou une clairière isolée. Les arbres et leurs couleurs me fascinaient depuis toujours, leur changement de teintes plus particulièrement. En été les feuilles éclataient de luminosité, allant d'un vert vif presque jaune à un Véronèse presque Emeraude. Puis, tout doucement, à l'abris des regards, les arbres s'habillaient de leur beau manteau d'Automne aux couleurs flamboyantes et chaleureuses, surement l'un de mes moments de l'année favoris. Avec, bien sûr, le Printemps et ses milliers de fleurs dansantes au rythme de la brise. Je ne me lassais jamais d'un pareil spectacle, tous les ans je restais émerveillée et émue de tant de beauté.
Plongée dans mes rêves printaniers, je virevoltais à travers la vallée, lorsque j'aperçue une petite ouverture non loin des rives de l'île. Le doux bruit des vagues se brisant sur les rochers m'appela, je sentis également les embruns caresser mon petit visage. Je fermais les yeux un moment pour simplement écouter ce son mélodieux, le temps d'un instant. Derrière moi se dressaient des centaines d'arbres aux couleurs enflammées, allant du rouge vif à l'orange presque doré. Je pris place sur une branche avec vue sur la mer, me servant d'une feuille comme d'un coussin pour ne pas me blesser. J'ouvris mon carnet pour y commencer un nouveau croquis. Bercée par les vagues, je me sentais bien, comme apaisée, je poussais alors un long soupir de satisfaction. En voulant me redresser pour dessiner, mon carnet chuta, rebondit sur la berge, puis termina sa course sur les galets près de la mer. Je soupirais.
Tout en prenant mon envol pour aller le chercher, quelque chose non loin d'ici attira mon regard lorsque je sortis des frondaisons. Sur les galets près du rivage, se tenait là une sirène. Enfin, je pensais bien qu'il s'agissait d'une sirène à en juger par sa queue de poisson. A vrai dire, j'avais toujours entendu parler des sirènes de l'île, depuis toujours, sans jamais en rencontrer. Depuis des années je rêvais d'en croiser une, et voilà que celui-ci se réalisais. Cachée derrière un rocher, je la regarder discrètement. De longs cheveux dorés dansaient sur ses épaules et son dos et s'illuminaient sous les doux rayons du soleil. Sa nageoire étincelait elle aussi, d'un bleu absolument irréel, pure et transparent à la fois. Je ne voyais pas le visage de la demoiselle car celle-ci ne regardait pas vers ma direction. Je voulais m'approcher un peu plus mais ma robe s'accrocha à une petite branche d'un buisson. Je tirais de toute mes force pour la décrocher, je tirais si fort que je partis en arrière et atterrit sur les galets ... devant la sirène. Intimidée, je restais interdite face à la demoiselle.
- Je ... Euh ... Pardon. balbutiais-je complètement désemparée.
À plat ventre dans les galets, légèrement immergée dans l’eau, je détaillais les couleurs flamboyantes de mon regard bleu clair lorsque le cours de mes pensées fut distrait par un son à la fois étrange et irréel. À la discret et puissant, il me rappelait un instrument que j’avais entendu lors du couronnement des Thelxiope dans le palais sous-marin de mon peuple. Impossible que ce soit ça. L’instrument n’aurait sans doute pas le même son à la surface que sous la mer. Mais je savais que j’avais déjà entendu ce son au moins une fois. Et je n’étais pas sous la mer, j’étais bien à la surface. Fronçant les sourcils, mon regard effleura le paysage qui m’entourait, entre la mer et les arbres orangés. J’avais du mal à me souvenir où j’étais exactement ce jour-là. Non… parce que ce jour-là, il faisait nuit. Comment aurais-je pu oublier cette rencontre ? J’étais dans la baie, tout près d’ici. Alors que je paressais dans les vagues, j’avais cru attraper une luciole. Assez bêtement en fait, parce que c’était bien connu que les lucioles n’étaient pas roses, mais le monde des humains m’était alors bien inconnu. Je me rappelle ce tintement presque magique qui avait inondé mes oreilles. La mélodie n’était pas la même, elle était beaucoup plus saccadée que celle que j’entendais aujourd’hui. Probablement parce que la petite Lily, que j’avais attrapé dans ma paume ce soir-là, n’était pas très heureuse de s’être fait saisir aussi cavalièrement. La petite humaine qui l’accompagnait, elle, avait bien fini par m’adopter.
C’était pendant la longue nuit, que je me souviens. Même le peuple marin avait été touché par cette période sombre qui avait affecté l’île de Neverland. J’avais une grande résistance au froid, ça m’avait permis d’explorer l’océan jusque dans les abysses, mais je me souvenais comme l’eau de l’océan était devenue froide à cause du manque de soleil. C’était une période que j’avais voulu oublier. Une époque sombre et triste dans laquelle j’avais bien failli sombrer dans le désespoir. C’était à ce moment-là que j’avais appris la vérité au sujet de ma naissance. Encore aujourd’hui, près d’une année plus tard, j’avais toujours du mal à m’en remettre. Je n’acceptais pas que ma mère ait pu fréquenter un homme marié. Je n’acceptais pas que l’idée que je m’étais faite de mon père ait été fausse sur toute la ligne. Après tout, j’avais passé des centaines d’années à m’implanter une idée dans la tête, j’avais passé des dizaines et des dizaines d’années avec cette vision des choses qui avait été bafouée en quelques instants. Jamais plus je ne toucherais aux algues euphorisantes comme celles qu’avait avalé ma mère, ce soir-là !
Une lueur vert émeraude fonça droit devant moi, une petite créature s’échouant sur les galets sous mon regard interdit. Je pousse une petite exclamation de surprise. Illuminée d’une lueur jade, la toute petite femme, guère plus haute que mon pouce, arborait des vêtements aériens, une longue chevelure blonde dans laquelle étaient enchevêtrés des pinceaux et de magnifiques ailes diaphanes. Elle me lance un regard surpris. Je vois ses lèvres bouger, mais ne comprend pas ce qu’elle essaie de me dire, seul ce son de cloche tinte dans mes oreilles, mais son expression en dit long sur son étonnement. « Oh… mais ne prend pas cet air, petite fée. Je ne comprends pas ce que tu essaies de me dire, mais j’espère que tu n’es pas blessée… » Je l’observe de la tête aux pieds, elle semble bien portante.
Spoiler:
Les sirènes ne comprennent pas les fées lorsqu’elles sont toute petites. Tu dois utiliser la poudre d’humanité pour qu’elles puissent communiquer. N’oublie pas de signaler ton usage ici (juste au cas où tu ne le saurais pas déjà )