Et les nuages s'amoncelèrent.
C'était donc fini, l'hiver avait mis les voiles. Quelques traces subsistaient cependant, parfois, un vent frais le matin, ou de la brume le soir, et quelques jours parfois, comme aujourd'hui, de la pluie. La météo de Neverland était pourtant plus clémente qu'ailleurs, à ce que l'on racontait, mais aujourd'hui les nuages s'étaient amoncelés. Mais cela ne changeait pas grand chose pour Círyon qui restait chez lui aujourd'hui, et chez lui, c'était en hiver, constamment. La magie de la vallée des fées lui procurait le plaisir de se réveiller chaque matin avec le plus beau des paysages, habillé de son manteau blanc, en tout temps, toute heure. Si la pluie tombait ailleurs, ici, les flocons paresseux prenaient leur temps avant d'aller rencontrer un sol froid. Mais Círyon veillait constamment à ce qu'il n'y ai pas trop de glace ni de verglas sur le sol, il ne faudrait pas que quelqu'un se casse une jambe.
La maison du ministre était grande, pour une maison de fée. Non pas qu'il se sentait supérieur ou qu'il avait besoin de le montrer pour compenser quelques complexe que ce soit, mais le méticuleux ministre avait besoin de beaucoup de place pour ranger chaque choses, et le nombre de ces choses s'était agrandi au fil des jours, des semaines, des années, des siècles, et de plus de mille an d'existence. Il gardait également en son cœur la volonté de pouvoir impressionner ses invités de marque, qu'ils soient collègues ou sa belle reine Titania. Lui qui la recevait le plus souvent parmi les fées, il ne pouvait se permettre de l'accueillir dans une pièce exiguë et dérangée! Non pas qu'il dérangeait souvent ses affaires...
Cette jolie maisonnette si elle était spacieuse restait simple et sans fioriture. La chambre et le garde-manger étaient d'une taille tout à fait normal, et seule la pièce à vivre était plus impressionnante: les murs étaient couverts de rangements en tout genre, excepté le côté opposé à l'entrée, qui lui était en partie fait d'une grande pièce de verre trouvé par terre il y a longtemps et retaillée par les fées bricoleuses afin de faire une jolie fenêtre. De là, il pouvait voir toute la vallée de l'hiver qu'il surplombait, et non loin le Saule Sacré. Une table et quelques chaises trônaient au milieu de la pièce, n'attendant que de reposer ailes et jambes, écoutant sagement toute conversation s'étant tenue en ces lieux.
Le mobilier n'avait entendu personne encore aujourd'hui, bien que le ministre au bout de quelques siècles d'errance ce fut surpris quelque fois à parler tout seul, il n'en avait pas le cœur aujourd'hui. Non, aujourd'hui, il pensait à ce que l'île leur réservait, contemplant d'un regard vide le Saule insondable veillant sur la vallée. Des rumeurs se répandaient, et depuis ces quelques mois de tranquillité une avait retenue son attention. On racontait dans les villes, on chuchotait dans les forêts que des enfants disparaissaient, sans que l'on sache exactement pourquoi... De tous les enfants qu'il avait vu disparaître, certains avaient été retrouvés et il ne leur été rien arrivé d'autre qu'une banale histoire. Ils s'étaient perdus, avaient suivi un chat, un papillon, avait oublié l'heure... Mais pour d'autres c'était un mystère. Círyon n'avait pas encore eu l'occasion d'en parler à sa reine mais cette histoire le travaillait et il se promit de ne pas tarder à lui en faire part.
Mais qu'il s'inquiète ou non, il restait Círyon: une fée qui ne se mêlait que peu de l'histoire du monde. Si on pouvait qualifier de peu le fait de veiller sur des enfants perdus ou d'organiser les saisons... C'était un travail à part entière, après tout. Mais aller plus en avant que ça restait rare. Círyon avait déjà par deux fois rencontré quelques humains, sortant ainsi de ses habitudes et des sentiers battus, et s'il avait pu apprécié quelques aspects de ces rencontres il préférait de loin rester chez lui ou ne voir que des enfants. Alors se mêler de leurs problèmes... Mais c'était des enfants... Alors que faire? En parler à Titania serait sûrement la meilleure solution, il ne prendrait de toute façon pas de décision concrète avant de savoir si ces rumeurs étaient vraies ou non. Il était connu que les fées aimaient colporter des ragots, et les humains n'étaient pas en reste là-dessus, alors comment savoir!
Soupirant, le ministre blanc se détourna de la fenêtre et alla chercher une groseille ramassée de l'autre côté de la vallée la veille. Il la pressa dans un récipient afin d'en extraire le jus puis fit revenir la peau et le reste de chaire dans une grande marmite remplie d'eau chaude, prenant soin de ne pas se tâcher. La décoction faite, il se servit dans une tasse et s'assit à sa table, tâchant de penser à autre chose. C'était difficile, mais il n'y avait rien d'autre à faire...