Ils ont tort, les poètes et les romanciers. Pour le peu que j’en sais tout du moins. Mais n’est-ce pas à eux qu’on attribue toutes ces sornettes sur l’amour ? Ces inepties comme quoi ça vous change un homme, ça adouci les mœurs ou que sais-je encore ? Et bien croyez-moi sur parole, une fois la découverte passée, ça n’a rien de bien bouleversant. Je vais pas changer mes habitudes pour les beaux yeux de mon Vallet de Cœur, pas toutes en tous cas. S’il est évident qu’il me faudra faire l’effort de résister aux charmes des jupons ou des muscles qui défilent sous mes yeux, je ne vais pas garder mes mains dans les poches pour autant, quant à mon caractère de cochon, comme il dit, et bien il me semble qu’il a appris à m’apprécier avec non ? Alors il s’y fera. Voilà trois siècles que je sème sarcasmes et orgueil à tout va, il me reste quoi… une cinquantaine d’années à vivre au grand maximum, à quoi bon perdre du temps à apprendre à être quelqu’un d’autre hein ? Non, il s’y fera, si ce n’est déjà fait. Hum ? Ce que j’entendais par « les mains dans les poches » ? Ah mais pardi ! Vous pensiez que le fait d’officialiser plus ou moins cette relation allait nous forcer à nous assagir, à nous ranger ? Qu’on allait ouvrir un petit commerce et vendre des confitures ? Soyons sérieux un instant voulez-vous. Je vais continuer à voler aux riches pour donner… au fond de pension des anciens tritons isolés sur la terre ferme, voilà. Et puisqu’à ma connaissance, je suis le seul membre de cet estimé club, je repartirais les fonds équitablement entre mon égo et ma belle gueule et tout le monde sera content.
Et c’est justement un de ces soirs où je m’en vais parcourir les rues pour faire mes petites affaires et renflouer les caisses. J’ai déjà repéré un larron qui me semble fort aisé, son manteau semble neuf et de bonne facture, sa barbe est élégamment taillée ce qui est plutôt rare ici et si j’en crois son embonpoint il mange régulièrement à sa faim et au-delà. Si j’en crois mon expérience, ce genre de larron est soit marchand ici depuis suffisamment longtemps pour s’être bâti un petit empire sur le dos de marins et de dockers sous-payés, sans parler des clients à qui il vend probablement ses denrées au-dessus du prix habituel en leur faisant miroiter des merveilles d’une qualité hors du commun, soit c’était un nanti avant de faire naufrage sur cette île et il se donne toute cette prestance pour ne pas oublier tout à fait ce qu’il était. Dans le premier cas je risque de tomber sur une petite fortune si je parviens à mettre la main sur sa bourse. Dans le second… et bien on verra ce que ma chance me réserve mais il se peut que je fasse, comme on dit vulgairement, chou blanc. J’ai toujours le plus grand mal à comprendre le sens de cette expression. Vous trouvez ça logique vous autre ? Qu’importe. Il est ma première proie de la soirée, voilà tout, le reste comme je le disais, dépend de ma chance. Reste à voir si elle me sourit ou non, capricieuse qu’elle est ces derniers temps. Ah comme les choses seraient simples avec un réseau d’information digne de ce nom et quelques acolytes tapis dans les ombres… Quelques noms ressortent quand on sait tendre l’oreille, je devrais me pencher sur la question… mais revenons à notre pigeon.
L’affaire est classique. N’ayant ni rabatteur, ni diversion, le plus simple est de jouer les soulards et de calculer ma course pour qu’elle croise la sienne. Toute la subtilité est dans le jeu, feindre l’ivresse est une chose délicate. Un jeu trop appuyé me démasquerait aussi certainement que deux et deux font quatre, mais un mime trop léger ne justifierait pas que je le bouscule avec suffisamment de force pour qu’il ne sente pas ma main chercher sa monnaie. Mais douteriez-vous encore que ma technique soit parfaite après toutes ces années ? allons, allons, vous me connaissez mieux que cela. Un peu du contenu de cette flasque renversée sur mon col, si Nolan savait de quelle manière je gaspille son précieux rhum… mais il faut ce qu’il faut, il me pardonnera si j’ai vu juste et que les poches de ma cible sont bien remplies. Un pas, deux plus rapides, un troisième en diagonal. Une main portée à la bouche en tanguant dangereusement. Deux autres pas. Et m’y voilà. Il peste, comme tous les autres. Me somme de m’excuser mais a un mouvement de recul en voyant ma grimasse et fronce les narines en reconnaissant le parfum du rhum bon marché. Veuillez m’excuser de ne pas m’être imbibé d’un nectar qui sied plus à votre odorat trop sensible, milles excuses sieur dépouillé ! Il finit par me faire signe de m’en aller rendre plus loin le contenu de mon estomac comme je bafouille quelques mots d’excuses confus en feignant la même grimasse que tantôt. Diantre que cet homme est naïf !
Ce n’est qu’une fois à l’abris des regards, à quelques ruelles de là, que je tombe le masque et reprends une marche plus stable non sans afficher un large sourire de satisfaction. La bourse de cuir que je fais sauter dans ma paume est certes moins remplie que je ne l’aurais pensé mais à moins que cet homme ne se promène avec une collection de petits galets dans une sacoche sur mesure, je pense que j’ai rentabilisé ma soirée. Adossé au mur, je me décide enfin à ouvrir mon butin mais le referme aussitôt. Avez-vous déjà eu cette impression, ce sentiment qu’une paire d’yeux indiscrets et insistants est fixée sur vous ? Pour un voleur, c’est bien là la pire des hantises. Mon petit jeu parfait, mes doigts habiles, tout ceci ne servirait à rien si je me faisais prendre simplement parce que j’ai baissé ma garde une fois le travail accomplis. Aussi la bourse disparait rapidement dans ma poche et je lance un rapide « Qui va là ? » à la silhouette qui se tient à l’entrée de la ruelle. Il me vient rapidement à l’esprit que prendre mes jambes à mon cou en direction du port pour m’offrir une fuite après un plongeon spectaculaire n’est plus dans mes options, mais je chasse cette pensée aussi rapidement qu’elle m’était venue. S’adapter, voilà la clef de la survie. La silhouette fait un pas en avant et son visage sort de l’ombre, me laissant soudainement des plus perplexes. « Vous ? »
« Je me demandais justement ce qu'on devient quand on a été un héro. »
Depuis l'autre fois avec Ephyra, j'ai pris goût à la surface, enfin je sais pas si on peut dire ça comme ça, mais je suis curieux de voir, d'en connaitre plus, d'en savoir plus sur leur mode de vie, sur comment ils évoluent dans ces villes le soir. Une fois je suis venu en plein jour, c'était tellement différent. Pour l'instant, j'ignore pourquoi, mais je me sens plus à l'aise de nuit, je peux me dissimuler dans l'ombre c'est certainement pour ça que je préfère, je sais que quoi qu'il m'arrive je pourrais me fondre dans la masse, dans l'environnement plus facilement et filer jusqu'à la mer pour disparaître à jamais (en quelque sorte). Ce soir j'ai des envies d'aventure, j'ai récupéré mes vêtements cachés non loin de la plage et un peu d'or que j'ai piqué dans un trésor de pirate perdu lors d'une bataille (je suis tombé dessus complètement par hasard). Peut-être que je retournerais dans cette taverne, leur alcool n'est pas dégueulasse, il est même plutôt plaisant en bouche, légèrement sucré. Mais pour l'instant je n'ai pas envie de m'enfermer, j'aurais bien le temps d'y aller plus tard, chez moi personne ne m'attend, tout le monde croit que je dors paisiblement dans ma chambre au palais. Ce qui est sur c'est que demain matin je vais avoir sacrément du mal à me lever, mais bon, ce n'est pas la première fois que je fais le mur, je vais m'en sortir, je n'aurais qu'à raconter à ma mère que j'ai mal dormi à cause de mauvais rêves, elle y croit toujours, comme elle croit que je suis toujours son petit bébé plein d'innocence et de pureté. Elle serait bien surprise si elle apprenait deux trois choses à mon sujet, mais j'espère que cela ne se fera pas de si tôt, c'est ma mère et je l'adore, je ne veux pas la décevoir ou lui briser le cœur.
Je suis sur la terre ferme depuis à peu près une demi heure, j'ai décidé de me cantonner au port pour l'instant, c'est un endroit que je connais finalement peu alors que c'est celui qui est le plus proche de l'eau et de mon moyen de replis. De nuit les choses sont, comment dire, différentes. J'y vois mieux que les humains parce que nos yeux sont habitués à l'obscurité, dans le fond des mers la lumière passe beaucoup moins bien qu'à la surface alors nous nous sommes adaptés. Cela implique aussi malheureusement que nous soyons plus sensibles les jours d'été, on est vite éblouis par la lumière d'un jour ensoleillé. Ça doit aussi jouer sur le fait que pour l'instant je sois plus à l'aise pour des excursions de nuit, j'y vois mieux qu'un quelconque agresseur et comme j'ai des bases de combat rapproché je peux certainement mieux m'en sortir qu'en journée. Ce port en tout cas est assez intéressant, des odeurs étranges s'y mélangent apportant un cadre plus que spécial, je me demande si tous les ports du monde on cette odeur, ça doit sûrement être beaucoup plus pénible de jour pour des narines profanes comme les miennes, et j'imagine même pas en plein été avec la chaleur. Je pense que l'été prochain j'éviterais de traîner par ici, je me contenterais des plages ou de la pleine ville. Peut-être que j'irais un peu plus dans les terres, j'aimerais voir à quoi ça ressemble un champ, si les collines d'herbe verte sont si belles qu'on le dit.
J'étais en train d'imaginer ce paysage si surnaturel pour moi, l'été me fit pâlir de désir, quand on voit que la neige commence à tout recouvrir. Je ne déteste pas l'hiver, mais il faut avouer que j'aime vraiment énormément l'été. Soudain quelque chose attira mon regard, une silhouette non loin de moi, devant, qui semblait suivre un autre gars. Ce qui m'intrigua grandement c'est son attitude, tout d'un coup elle changea du tout au tout, on aurait dit un homme ivre alors que deux secondes plus tôt il était vraisemblablement aussi lucide que vous et moi. Perplexe et curieux de savoir le pourquoi de ce changement, je me mit en tête de le suivre. Très peu de temps après avoir emprunté cette démarche, il alla percuter le troisième larron qui vociféra des insultes à son agresseur. Bien sur il ne remarqua pas le subterfuge, il était juste en train de se faire délester de sa bourse, moi je le vit cependant, grâce à ma vue perçante. Le bougre est malin, il semble rompu à l'art d'arnaquer les gros pigeons. Qui n'aurait pas voulu prendre pour cible cet homme qui affichait sa richesse aussi ouvertement, ses habits étaient de bien meilleure facture que les miens ou même que ceux que j'avais croisé jusqu'alors et son embonpoint indiquait, d'après Ephyra, qu'il mangeait plus que convenablement et pour ça il faut beaucoup d'argent. A mille lieu d'imaginer ce qui venait de lui arriver, il poursuivit sa route, me passa à côté et s'engouffra dans une autre rue du port. Je fit mon possible pour ne pas attirer son attention après tout je venait de regarder la scène avec beaucoup d’insistance, d'aucun aurait pu trouver ça louche.
Le faux saoular poursuivit sa route, toujours plein de talent il continua de jouer la comédie assez longtemps pour éviter de trop attirer l'attention et soudain il reprit une démarche normale pour s'engouffrer dans une petite ruelle plus sombre, sûrement pour inspecter son butin à l'abri des regards. Je le suivais toujours à ce moment là mais au niveau de la ruelle soudainement j'hésite, je ne sais pas trop si je devrais continuer, le prendre sur le fait ne m'apportera sûrement que des ennuis. J'entendais les pièces d'or s'entrechoquer, il faisait certainement sauter la bourse dans sa main, comme l'homme fier de son méfait qu'il devait être. Finalement je me décide et je sors de ma cachette pour entrer dans la ruelle, après tout je pourrais toujours dire que je passais par là par hasard. J'ai trop envie de voir à quoi peut bien ressembler un voleur, chez moi le vol n'existe pour ainsi dire pas puisque nous n'avons pas d'argent, rien à envier les uns aux autres, nous sommes presque égaux, je dis presque parce que depuis que je suis prince j'ai bien remarqué que je n'étais plus n'importe qui aux yeux du peuple, ce qui me désole.
Comme je m'y attendais il me vit arriver et, sur la défensive, me demanda de décliner mon identité, ce que je ne fit pas bien sur, je ne sais même pas ce que je pourrais répondre, je ne vais pas donner mon vrai nom, trop risqué. Le truc c'est que au moment où je fis un pas dans la ruelle je compris bien vite qu'il n'était plus nécessaire de mentir sur mon identité. Ce voleur si adroit n'était autre que l’Élu, celui qui a été choisis pour représenter notre race lorsque l'île a eu besoin d'aide pour chasse le mal qui la rongeait. J'ai entendu dire que chaque élu avait dû faire un sacrifice et je dois dire que je me suis vraiment inquiété pour ce triton parce que lorsque le soleil est revenu, on ne l'a plus jamais vu, pourtant j'avais cru comprendre qu'il aimait le succès et il avait une réputation de beau parleur alors pourquoi ne pas être revenu se venter de ses aventures ? Et voilà que je le retrouve ici, dans une ruelle du port de Blindman's Bluff en plein milieu de la nuit et que je le vois voler de l'or à un homme. Pourquoi ? Pourquoi voler de l'or, nous n'en avons aucune utilité chez nous ! Bien entendu lui aussi me reconnu, il faut dire qu'au royaume pas mal de gens me reconnait, si ce n'est tout le monde, et que moi je ne connais même pas le prénom de la moitié d'entre eux. "Ça alors, si je m'attendais ... Cela fait bien longtemps que l'on ne vous a pas vu au royaume ! " Je ne sais pas si c'est la meilleure façon de s'adresser à un inconnu, célèbre triton, mais en tout cas c'est la première chose qui me vient et je ne sais pas trop quoi dire de plus. Enfin si je sais, un millier de questions se bousculent mais ce serait déplacé, pas tout de suite tout du moins, entamons la conversation avant tout.
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