La petite auburne se paraît d'un air découragé alors qu'elle constatait son manque de matériels dans son espace de travail improvisé. En fait, cela ressemblait plus a un énorme débarras où elle rangeait tout ce qui pourrait lui servir à fabriquer ses pièges, tout ça entassé dans un coin de sa cabane (ou toute la cabane, mais elle vous dira toujours le contraire puisqu'elle refuse catégoriquement d'admettre qu'elle est désorganisée.) Ne restait que quelques maigres et désolantes brindilles oubliées et impossible à utiliser. Cela ne signifiait qu'une chose : elle devait refaire son stock et ce, en allant dans les villes pour voler quelques trucs ici et là. Et May-Lee détestait se rendre dans ces endroits bondés d'adultes et de pirates pour l'une d'elle. Le simple fait d'y penser la dégouttait, mais c'était soit ça, soit qu'elle attende qu'un bateau finisse un jour ou l'autre par s'échouer sur une plage. Et vu le calme plat des derniers temps, autant tout de suite aller prendre racine pour les prochaines décennies.
Ce fut donc avec un soupir théâtral qu'elle s’équipa de son éternel besace et de ses petits poignards au cas où elle ferait de malheureuses rencontres. Elle prit la peine de prévenir certaines personne de ce qu'elle allait faire, comme ça si jamais elle ne rentrait pas dans les prochains jours, on s’inquiéterait. Enfin, ils étaient mieux de s'inquiéter, sinon ils allaient se faire parler cette bande de pignoufs. Appelant son éternelle compagne, l'enfant quitta la rassurante enceinte de l'Arbre du Pendu pour s'enfoncer dans la forêt du printemps qui avoisinait l'un des côtés du camp. Dans la prochaine matinée normalement elle serait arrivée à Blindman's truc, la ville qui la mettait toujours le plus mal à l'aise, sans qu'elle ne sache trop pourquoi. Une espèce de souvenir trop éloigné pour qu'elle arrive à mettre la main dessus et s'en souvienne. Mais bon, ce n'était pas le premier et ce ne serait pas le dernier, alors elle en faisait fis et passait à autre chose en prenant le plus rapidement ce dont elle avait besoin. Souvent ses escapades lui prenait une semaine environ, puisqu'elle s'établissait un genre de repaire improvisé pour cacher ses trésors le temps qu'elle en trouve d'autre. Franchement, porter autant de chose à la fois lui était impossible, puis si elle se faisait voir, c'était fini pour ce coin. La première escale se passa d'ailleurs sans trop d’anicroches, personne ne la remarqua et donc, May-Lee trouva de belles planches et des cordes assez solides et longues. Elle aurait de quoi faire pour plusieurs lunes de ce côté. Mais à part ça, rien de franchement innovant comme ces merveilleuses poulies qu'elle avait pu récupérer d'une épave quelques temps plus tôt. Une moue déçu tacha son visage. La petite avait espérer pouvoir en trouver et s'éviter un passage chez ces horribles pirates. Voler là bas relevait presque du suicide et elle restait la majorité de son temps cachée, à attendre le petit matin, parce qu'étrangement, ils dormaient tous un peu partout par terre avec de drôles de bouteilles qui puaient. Ces adultes... vraiment bizarres. Cependant, le coup en valait souvent la chandelle, car elle finissait par trouver toute sorte d'objets étranges, comme certain qui faisaient des « tic-tac tic-tac ». Ceux-là étaient ses favoris, elle adorait leur petit bruit, même si ils finissaient par s'arrêter, à sa grande tristesse.
Quelques heures à peine lui suffirent pour se rendre sur la côte, ne pouvant retenir un serrement de cœur quand elle passa devant Crocodile Creek. Le souvenir de sa si précieuse Sinduh semblait toujours si frais.... Ilavenil remarqua la mine peinée de sa protégée et le son mélodieux de son tintement retentit dans l'air, faisant rire la gamine qui la serra contre son cœur, heureuse de l'avoir. Du coin de l'oeil elle se mit en quête d'une embarcation qui partait pour la petite île, grimpant alors que personne ne surveillait et se cachant derrière des caisses. Comme sa petite taille lui plaisait dans ces moments ! Ces gros balourds ne voyaient jamais rien de ses jeux. Stupides adultes. Le tout finit enfin par tanguer en direction de monsieur Willy, et malgré elle, la Chicaneuse passa le temps en dormant. Après tout, elle était une enfant et s'endormait presque partout sans problèmes, avec sa fée qui la réveillerait en cas de besoin. Elle arriva finalement et patienta pour le feu vert de la luciole et se glissa hors de sa cachette, marchant dans l'ombre pour ne pas être vue et quitta le véhicule flottant.
« Pffou, s'exclama-t-elle, heureusement que je fais pas ça tous les jours, ça pue vraiment trop là-dedans ! Pire que les pieds de Peter ! »
May gloussa et tenta de se fondre dans la masse. Avec son air de filles des rues sale et de mauvais caractère, ce n'était pas vraiment difficile vu la tonne qu'il avait ici. Mais néanmoins, elle se fit aussi discrète que possible (enfin, dans sa tête) et observa les étals de loin, tentant de repérer des objets intéressants. Ici et là il avait quelque petit truc, mais rien encore qui ne vaille la peine qu'elle risque sa vie. Elle bouda un peu, mais son intérêt se raviva quand sa minuscule amie, cachée par ses soins dans les plis de ses vêtements, lui indiqua un filet qui semblait traîner. Une étincelle maligne brilla dans les saphirs de l'enfant perdue et elle jeta un coup d'oeil ici et là pour voir les alentours. Pas grand monde... si elle courrait vite, elle pourrait le faire. Elle avança prudemment vers son objectif et remarqua un homme d'un certain âge, assez costaud sans être un colosse. Il parlait grassement avec un autre homme et ne semblait pas s’intéresser à ses biens. Parfait ! Sans perdre une minute, la brunette fonça et attrapa au vol un morceau du filet et fila à toute allure. Derrière elle put entendre sans mal les protestations du vieil homme qui venait d’apercevoir la voleuse et comprenait sans mal qu'il s'était jeter à sa poursuite.
Elle zigzagua partout, se faufilant dans tout les recoins assez grand pour l’accueillir et finit par semer son poursuivant, et elle prit une pause, complètement à bout de souffle. L'ancêtre en profita pour fourrer son nouveau trésor dans sa besace et laissa sa chevelure faire de l'ombre à son visage pour réduire les chances qu'il la reconnaisse rapidement. Bon c'était assez d'émotions fortes pour aujourd'hui, elle avait une belle trouvaille. Autant ne pas pousser sa chance et rentrer tout de suite. Se mettant en route vers le port, l'un des étals ne put empêcher d'attirer son regard. Sa curiosité toute enfantine la poussa directement ver celui-ci et elle fixa les ouvrages présent. Tout était en bois, mais étrangement, tout lui était familier. Un style qu'elle avait déjà vu, mais où ? Son nez se retroussa dans une mimique qu'elle prenait quand elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur l'un de ses souvenirs et elle fut tant prise qu'elle ne remarqua pas le vendeur non loin. Ce fut Ilavenil qui la tira de ses pensées et elle fixa brutalement le jeune homme et fut prête à partir en courant quand elle entendit la voix familière de sa victime. Il la vit malheureusement et tout ce qu'elle trouva à faire fut de filer derrière le garçon, seule et unique cachette qu'elle trouva sur le moment. « Zut, pensa-t-elle, stupide truc de bois ! »
Put to rest. What you thought of me. While I clean this slate. With the hands of uncertainty So let mercy come. And wash away. What I’ve done Linkin Park What I've done
Il y a de ces matins où tout vous semble beau. Où la moindre pensée est plus heureuse que la précédente. Un de ces matins où tous les bruits qui vous agaçaient hier vous font rire. Tiens, le voisin du dessus a décidé de revoir complètement l’aménagement de ses trois lattes de parquets ? Mais quelle merveilleuse idée ! Trois des bouteilles de lait sur les six que vous avez commandées sont éclatées ou vides sur votre porche ? Qu’importe elles ont du nourrir les malheureux et autres chatons désorientés ! Ces nuages bien sombres qui vous cachent le soleil ? Jamais vu autant de nuances de gris dans un bout d’ciel si c’est pas beau ! Bref, de ces journées qui fileraient l’mauvais karma aux superstitieux et qui vous, renforce votre optimisme de la vie et de ses imperfections. Vous le visualisez ? Bah pour Raygon, ce n’était pas l’un de ces matins là. Absolument. Pas.
Non lui s’il avait du compter, il aurait parié qu’le bon dieu se foutait de sa gueule et prenait un malin plaisir à lui envoyer les mauvaises nouvelles par paquets de dix. Dire que la journée avait mal commencé était un doux euphémisme. Une pluie torrentielle s’était abattue ces derniers jours sur One-Eyed et Raygon, que les commandes des semaines passées avaient épuisé, s’était réveillé comateux et les pieds dans l’eau. Bien sûr, sa première inquiétude avait été pour son atelier et le bois qui y épongeait joyeusement l’eau en glougloutant. Tout surélever, récupérer ce qui pouvait encore l’être… Il aurait bien traversé le plafond d’une balle de fusil pour arrêter d’entendre siffloter joyeusement le gars du premier en train de déplacer ses meubles.
Pour rien au monde il n’aurait cependant raté le marché de la ville. Il avait plusieurs commandes à y délivrer et s’il voulait manger ce soir autre chose que du cèdre ramolli à l’eau d’égouts, il fallait qu’il gagne sa pitance. En sortant, les bras encombrés de ses chargements il se prit les pieds dans les six pichets d’lait de la bigote du troisième et pesta furieusement en voyant débarquer tous les chats du quartier à ses pieds.
Une demi heure plus tard et il se retrouvait derrière son étal, à éternuer comme un perdu, le nez empli de poils de chat et les yeux rougis par une saleté d’allergie féline.
« Et bien mon ptit Finnighan, on s’est fait éconduire par sa fiancée ? Je te donne 80 sous pour cette chaise à bascule, elle plairait à ma Francine. »
M Falzieu était un petit homme bedonnant qui pensait qu’en rentrant le ventre et en retenant sa respiration elle disparaitrait comme par magie. Le tout lui donnait plutôt un air de canard endimanché au bec pincé.
« Elle en vaut 100 M Falzieu, c’est du bois de rose, une essen… » « Taratata mon ptit Finnighan, je suis un expert en la matière et je t’assure que je te fais là une offre plus que généreuse. »
Une autre journée, Raygon aurait fermé son clapet. Une autre journée il aurait joué l’optimiste en se disant que vendre quelque chose était toujours mieux que de ne rien vendre du tout. Mais ce n’était pas une de ces journées. Absolument. Pas.
« M Falzieu, ou comme tout le monde vous appelle ici dans vot’ dos, le canard cocu, JE suis l’expert. La stère de bois de rose se vend 12 sous , manufacturé on arrive à plus de 140 sous, donc JE suis celui qui vous fait une offre généreuse. Alors vous me devez 120 sous maintenant ».
Se faisant il avait contourné son étale pour attraper la chaise et la placer devant son client avec fermeté et tendait à présent la main pour recevoir son dû. L’homme le regarda avec des yeux taillés en rond de serviette et mis la main au portefeuille sans broncher. D’un claquement de doigts il fit soulever la chaise par l’un de ses domestiques et commença à partir, atterré par la révélation.
« Et je ne suis pas votre petit, j’doute d’ailleurs que vous en ayez un jour vu que vot’ femme préfère s’asseoir sur bien autre chose qu’une chaise en bois d’rose ! »
La bedaine si bien retenue jusqu’alors se révéla au grand jour, et le vilain canard s’éloigna en se frottant le front. Raygon souffla un grand coup et remarqua seulement le regard des autres commerçants et des passants sur lui. Un regard impressionné. Fier de lui Raygon croisa les bras sur son torse d’un air sévère. Il avait toujours eu cette image de garçon sage et travailleuse, besogneux et peu regardant de la paie, ça allait changer ! Alors même qu’il remettait un peu d’ordre sur son étal, une fillette attira son attention, par son immobilité. Le sang de Raygon passa de sa tête jusqu’au bout de ses orteils en reconnaissant son identité. Même s’il avait voulu oublié son visage, jamais il n’aurait pu effacé complètement de sa mémoire ces fossettes et ce sourire malin au bout des lèvres, jamais il n’aurait pu oublié que des années plus tôt, il buvait chacun des mots qui sortait de cette petite moue malicieuse. May Lee. A peine eut-il le temps de remettre les rouages de son cerveau en marche que des cris s’élevèrent de l’étal d’en face. Ross, un des vieux pêcheurs du port se trainait vers lui, ou plutôt vers May qui eut la réaction la plus étonnante qui soit au vu de leur passif, elle se cacha derrière lui. A coup sûr elle ne l’avait pas reconnu, impossible dans le cas contraire. D’un geste qui lui parut familier il passa son bras sur l’épaule de l’enfant perdue pour la garder derrière lui et imposer sa stature à Ross. Le pêcheur se stoppa devant lui, jetant un regard noir à la chevelure auburn qui dépassait avant de revenir s’encrer dans ceux de Raygon. Un tic nerveux sembla agité le pêcheur qui demeura un moment silencieux. Il n’y avait pas que la petite démonstration d’autorité qui lui faisait peur, ça encore il aurait pu passer outre. Mais le jeune Finnighan était bien connu à One-Eyed pour être le protégé d’un des plus grands pirates de l’île, Haran Delendar. Un homme que personne n’aimait se mettre à dos. Grimaçant et maugréant le pêcheur leva sa main en chassant l’air avant de se retourner.
Rayon se retourna brusquement et s’accroupit pour que leur visage soit face à face. De près, le brusque souvenir de celle qui avait été pendant des années, son maitre à penser lui fit l’effet d’une gifle, et la seule chose qu’il put sortir fut un .
Dire qu’elle n’avait pas peur en ce moment serait un mensonge aussi gros que l’Arbre. Sa fierté et son innocence d’enfant lui interdisaient de l’admettre, persuadée que quoi qu’il arrive, c’était toujours les méchants qui mourraient et pas les gentils. Et un enfant c’était gentil, pas les grands. Mais malgré cela, son cœur se serrait dans sa poitrine et elle guettait l’arrivé du vieux pêcheur avec inquiétude, se collant dans l’ombre du garçon comme elle pouvait. À son grand étonnement d’ailleurs, ce dernier l’entoura d’un bras protecteur, s’assurant qu’elle reste derrière lui et elle trouva ce geste étrangement… normal ? Presque familier. Bizarre. Normalement elle aurait profité de cette légère diversion pour prendre ses jambes à son cou, mais pour une raison qu’elle ne comprenait pas, elle voulait rester ici. Une intuition que rien de mauvais ne lui arriverait avec lui.
Ross arriva finalement devant eux et la petite ne peut retenir un léger tremblement et serra le chandail de son bouclier humain, osant à peine regarder sa précédente victime. Elle redoutait qu’il envoie valser ce garçon et lui fasse sa fête. Peut être était-ce le moment de partir en courant… Elle pourrait pousser cet adolescent sur son poursuivant, cela lui donnerait de précieuse minutes pour se cacher dans la première cale qu’elle trouverait. Mais ce ne serait pas très gentil pour lui… Finalement elle se contenta de rester figée et d’observer avec curiosité cette étrange bataille silencieuse qui pesait entre les deux hommes. L’un de ses sourcils se haussa dans son incompréhension et manqua de peu de lâcher un « hein ? » quand le vieux pêcheur se contenta de partir en maugréant et agitant la main. Que.. Que c’était-il passé ? Elle n’avait rien compris. Ah, et puis zut, tant qu’il ne l’agaçait plus, elle n’allait pas se plaindre !
May-Lee eut un petit sourire victorieux et allait se retourner pour reprendre sa route, mais le brun se tourna brusquement et se baissa de manière à ce qu’ils soient nez à nez. Prise de cours, la Chicaneuse fit de gros yeux et fixa le garçon sans comprendre avant de sentir l’agacement monter. Il se croyait tout permis celui-là ou quoi !? Ce n’était pas parce qu’il avait bien aidé qu’il avait le droit de l’approcher autant. Non mais. Prête à attaquer avec autant de férocité qu’un chaton, la gamine recula un peu son visage, n’aimant vraiment pas cette proximité soudaine et trop envahissante. Sauf qu’il finit par ouvrir la bouche.
« Mais qu’est-ce que tu fais ici May-Lee… »
L’intéressée en resta muette de stupeur, ses lèvres formant un « o » et refusant de laisser passer le moindre mot. D’où il connaissait son nom celui là ? Y avais que les enfants perdus, les fées et quelques autres rares, dont la majorité des sirènes et tritons qui avaient connaissance de son nom. L’avait-elle connu dans le passé… Les rouages poussiéreux de sa mémoire se mirent en marche et elle chercha loin, mais ne trouva rien. Elle réussit néanmoins à bégayer quelques mots plus ou moins intelligibles.
« Te-tu-t’es qui ? D’où tu sais mon nom ? Je… »
Nerveusement elle fit aller ses saphirs de l’étal au garçon, cherchant un maximum d’indices. Depuis le début tout ici lui rappelle quelque chose, ça elle s’en était bien rendu compte. Mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus et cela commençait à la rendre folle ! Allons pense May… Ce bois.. ce style… cette poésie dans les formes… oui ça revenait un peu… Il n’y en avait qu’un dans toute sa vie dont elle avait tant admiré les œuvres et le style si unique qui n’appartenait qu’à lui. Un élève… Son.. Ses prunelles s’écarquillèrent quand enfin la réponse illumina ses pensées et elle fixa ce visage dont les traits lui devenaient de plus en plus clairs au fil des secondes. Dans un murmure, elle avança prudemment sa petite main pour effleurer l’une des joues, comme pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas.
« Co-colibri ? Mon tout petit colibri ? »
Par la Reine des fées, il était réel et en vie. Son protégé, son élève chéri, son précieux ami. Enfin, ce qu’il en restait. Elle n’arrivait plus à le reconnaître, il avait… grandi. Ce fut avec horreur qu’elle eut ce constat et elle le détailla de la tête au pied. Il était bien plus grand, plus en muscle et elle arrivait difficilement à retrouver cet enfant qu’elle avait tant chéri.
« Chaussette moisie, tu as changé… May-Lee eut un silence puis ses traits laissèrent place à un dégoût et une rancune évidente, tu as grandi… »
L’auburne avait craché ce dernier mot et reculé de plusieurs pas et fusillant Raygon du regard, lui faisant clairement comprendre qu’elle lui en voulait toujours. Sur la défensive, le nez retroussé, elle feula contre lui.
« Moi ce que je fais ici ? Mon travail, j’trouve des trucs pour les pièges. Mais toi, toi qu’est-ce que tu fais ici ? En plus de devenir un… un adulte, tu viens vivre chez les pirates !? elle s’indigna et lança une pique qu’elle ne pensait qu’à moitié, tu me fais tellement honte, t’as bien fait de partir si c’est pour devenir ça. »
Put to rest. What you thought of me. While I clean this slate. With the hands of uncertainty So let mercy come. And wash away. What I’ve done Linkin Park What I've done
Elle n’avait pas changé d’un yota. La même silhouette à l’apparente fragilité d’une gamine de quelques années, la même chevelure auburn d’écureuil mal réveillé. Et ce regard, ces yeux clairs semblables à deux gouttes d’eaux farceuses, comme si l’eau et le ciel avait décidé de faire la bringue un après midi de printemps. Ce regard là, qui ne le reconnaissait pas. Bien sûr, si pour lui, May Lee n’avait pas pris une ride, de son côté, Raygon ressemblait à tout sauf au lilliputien des années passées auprès des enfants perdus. Bien qu’il n’est jamais été chétif, ses origines irlandaises l’ayant bien pourvu de ce côté, il n’était pas non plus Goliath, un juste milieu dirons nous, le milieu qui lui permettait de porter des planches à tour de bras sans luxation chronique. Mais pour May Lee, il était un inconnu, un souvenir poussiéreux du passé tout au plus. Si les enfants perdus ne vieillissaient jamais et pouvaient vivre éternellement, la magie protégeait leur âme d’une mémoire séculaire. Pour leur laisser le loisir de s’émerveiller encore, de s’amuser comme au premier jour, l’île leur avait donné la faculté la plus terrible, celle de l’oubli. Raygon savait qu’il n’était pas né sur l’île, mais il aurait été bien incapable de dire d’où il venait. Il avait oublié jusqu’à son nom. S’en était forgé un autre. Celui qui venait de franchir les lèvres de May Lee.
La façon dont elle eut de s’accaparer son surnom embruma les deux globes qui lui servaient d’yeux et il chassa d’un battement toute la tristesse et les souvenirs qu’évoquait ce nom. Plus personne ne l’appelait ainsi. Pour tous à présent, il était devenu Raygon Finnighan. Colibri appartenait à la vie d’un enfant perdu pour tous. La main délicate qu’il avait tant de fois serrée, qu’il avait tant de fois suivie à l’aventure effleura son visage. Une joue rugueuse, burinée par une vie aux mœurs nouvelles. La voir inchangée après toutes ces années lui paraissait irréel. Le garçon ne s’était pas attendu à cette rencontre. Pas comme ça en tout cas. Mais après tout, May Lee était bien le genre d’oiseau de nuit à n’être jamais là où on l’attendait. Son cerveau à l’arrêt, il ne savait comment réagir et laissait l’enfant faire le premier pas. Elle avait toujours été l’instigatrice des premières émotions, et Raygon pendant l’espace d’une demi seconde astrale, redevenait le Colibri voletant à ses côtés.
Lentement, ses yeux bruns suivirent la ligne de dégoût qui se dessinait sur les lèvres de May Lee. A l’instant où elle se recula, Raygon se releva, se tournant de trois quarts, face à la rue, pour éviter cet ostensible écoeurement. Qu’avait-il cru ? Que leur dure séparation allait s’estomper avec le temps ? Qu’ils en viendraient à se serrer dans les bras de nouveau ? May Lee ne changeait pas, c’était bien là son seul défaut. Et ce qui l’avait rempli d’amertume lors de son départ revenait à la charge en une sourdine puissante.
« Rahhh tu ne changeras jamais… » Son poing frappa le bois de son étal alors qu’il soufflait rageusement. Butée, elle était butée, mais pire encore, elle était restée une enfant. Et ce fossé qui les séparait désormais lui faisait l’effet d’une frontière irrémédiable.
« Tu n’as jamais voulu comprendre, tu n’as même pas essayé ! T’as pensé qu’à toi ! Parce que la vérité May Lee, c’est que tu as peur d’être seule. Peur d’être la seule à penser que rester une enfant pour l’éternité est une bonne chose. »
Il avait passé des mois à ruminer cette conversation intérieure. Des mois à se persuader qu’il avait eu raison, des mois à blâmer celle qui comptait le plus à ses yeux pour ne pas l’avoir soutenu, pour ne pas l’avoir suivi. Il s’était retrouvé seul, déchiré par la volonté et le devoir de retrouver son ami, et l’incompréhension de son foyer. D’un geste il ramena de son avant bras des branchages enchevêtrés et les poussa vers la fillette.
« Mais tu sais quoi. Tiens prends toutes tes babioles. Fait tes pièges. Défais les, refais les. Eternellement. Voilà ce ça que toi tu es May Lee. Une enfant perdue qui n’avancera jamais. »
Le pire dans tout ça et que l’enfant ne tarderait pas à lui faire remarquer, c’est qu’il n’avait pas retrouvé leur ami commun, Salomon, et qu’au fond de lui, il avait peut-être cessé de le chercher. Alors qu’il ruminait ses pensées tel un sanglier ronchon un grand gaillard se posta en face de lui, l’air aussi énamouraché qu’un taureau devant un drapeau rouge.
« Alors comme ça t’crois qu’tu peux voler mon père et t’en sortir sans une égratignure Finnighan. Toi et ta ptite raclure de bidet vous allez payer. » Et à voir son poing taper sa paume ouverte, le Ross junior ne comptait pas en piécette. D’un violent coup de pied il envoya balader la table sur May Lee et Raygon qui s’effondrèrent en arrière dans les chaises en rotin. Et là, bien sûr, si la mémoire est oblitérée, l’ADN lui ne ment pas. En fier irlandais qui s’ignore, Ray se releva tant bien que mal, et se jeta sur le colosse, tête en avant, poings dans l’bidochon.
« Tu. Ne l’as traite pas. De raclure de bidet. Gros lard. » Ponctuant ses mots de coups, il ne vit pas le revers lui décalquer la face et il tomba au sol, sonné l’espace d’un instant.
Cette même colère qui l’avait envahit des décennies plus tôt revenait à la charge avec une pointe de nostalgie qui secouait le pauvre cœur inexpérimenté de l’enfant. Tant d’émotions, tant de choses qui se passaient dans son corps sans qu’elle ne les comprenne vraiment, elle ne pouvait mettre de mots là-dessus. Peut être avant l’avait-elle su, ce qu’il se passait pour que ses mains tremble, pour qu’elle ait envie de pleurer et tout frapper en même temps, mais aujourd’hui elle était totalement prise au dépourvu. Son unique moyen de défense fut donc de s’éloigner, comme si magiquement tout partirait, comme un mauvais rhume dont Colibri serait le porteur. Lui se tourna et elle prit cet évitement comme du dédain, un affront qui fit rougir ses joues sous le nouveau flot de frustration. Qu’il la regarde ! Tout de suite ou elle fuirait, loin et elle ne voulait pas. Oui voilà, elle ne voulait pas, pas sans lui. Niaisement elle pensait pouvoir le ramener à la raison, lui faire comprendre qu’il avait fait des erreurs, mais qu’elle pouvait lui pardonner. Qu’ils pouvaient tous lui pardonner… Et comme ça ils rejoueraient ensemble, feraient mille inventions, comme avant. Dans la tête de May-Lee les problèmes de la vie n’entre pas en compte, juste les bonnes choses. Elle allait sauter pour tirer la manche de son chandail pour attirer son attention, mais il écrasa son poing sur l’étal avec une violence qu’elle ne lui connaissait pas. Son souffle était rageur et pendant une seconde, l’auburne fut complètement terrifiée. Pendant une seconde, l’intelligence éclata dans sa tête et elle comprit plus que jamais que ce n’était pas Colibri. C’était quelqu’un d’autre. Un adulte, capable de lui faire du mal comme tous les autres, c’était tout ce qu’il savait faire, leur faire mal.
Ses gestes se figèrent alors, elle fixa, la peur au fond de ses saphirs, son ancien protégé. Innocemment elle murmura un petit « Bien sûr que je change pas… je grandis pas… » Ne comprenant la profondeur des mots du jeune homme. Trop enfant dans sa tête, trop ignorante. Bien qu’elle ne changerait pas, elle oubliait et recommençait tout. Les mêmes joies, les mêmes peines, les mêmes erreurs, sa vie et sa personnalité toute entière n’était qu’une boucle sans fin, dont chaque courbe se raccourcissait à mesure que les années venaient. Bientôt elle ne se souviendrait surement plus d’être née ici, elle ne se souviendrait plus de la disparition de Sinduh, ni de son nom. Comme si elle n’avait jamais existé. Comme nombre de gens qu’elle avait aimé.
Raygon laissa libre cour à sa fureur, emmagasinée depuis des années à son encontre. Si, si elle avait compris… autrefois. Mais elle n’avait pas accepté. Il était parti trouvé quelqu’un… son ami… S-..Sa… arg ! Fichu mémoire ! Elle ne put retenir un soudain « Non c’est pas vrai ! » quand il la traita d’égoïste. Elle n’était plus trop sûre de savoir ce que ça voulait dire, mais elle était certaine que ce n’était pas gentil comme mot.
« Tu dis que des bêtises, cria-t-elle, j’ai pas peur, j’ai peur de rien ! affirma la fillette avec orgueil, être un enfant-perdu c’est bien, et tous les autre le savent. C’est toi qui es stupide de plus l’être. Être adulte ça sert à rien, faut avoir un travail et une maison et faire plein d’autre trucs ennuyants. »
Toute petite et pourtant emplie de tant d’émotions négatives. En bonne enfant, May-Lee agrémenta ses paroles de réactions tout à fait immatures, poussant parfois Raygon comme elle pouvait, lui donnant des coups qui au final ne devaient pas bien faire mal. Il n’y avait pas que lui qui avait très mal vécu leur séparation, elle en avait énormément souffert également. Simplement ses souvenirs s’estompaient déjà. À la fois son don et sa malédiction. La douleur disparaissait. Colibri aussi. Ce dernier poussa d’ailleurs les quelques branches qu’elle avait trouvé dans le coin vers elle. Les fixant, elle s’empressa de les prendre et les enfoncer dans son petit sac quand il recommença à dire ses bêtises en retroussant son nez. Cette petite mimique que son visage formait quand quelque chose l’énervait.
« T’en faisais aussi avant. Et j’avance ! Tu dis n’importe quoi, venimeuse, elle prononça des mots dont elle ne réalisait pas tout à fait la force, et de ce que je vois toi t’es devenu nul avec le temps. T’as même pas réussi à faire ce pourquoi t’étais parti. T’es un ami NUL ! »
La dernière branche qu’elle avait en main vola droit sur le front de l’irlandais et des larmes perlèrent sur le coin de ses yeux. Un ami nul, voilà ce qu’il était ! Il l’avait abandonnée, elle, Alkëstia, sa fée ! Tout le monde… Un traitre, un horrible traitre. Leur dispute fut interrompue par un géant en colère qui déboula face à eux. De ce qu’elle comprenait, celui-là était le fils de l’autre. Sur le coup elle eut presque le reflexe de fuir, mais son cerveau ne lui obéit pas. De toute façon elle n’aurait pas eu le temps de partir puisque la table vint l’écraser elle et Raygon. Si lui pouvait encaisser ce coup, sa petite taille de fillette de 13 ans ne lui en permettait pas autant et elle se retrouva écrasée. Elle ne retint pas un petit cri de douleur et ne remarqua pas son ancien ami qui se jetait sur le monstre. Elle n’entendit que ses mots. Encore à la défendre. Deuxième fois dans la journée. Finalement elle pourrait lui accorder un temps d’écoute…
Tentant de pousser l’étal de ses maigres bras, elle réussit finalement à se glisser hors de cette prison de bois juste à temps pour voir son Colibri s’étaler par terre. Son cœur se serra malgré elle et l’auburne se jeta à côté de lui en secouant son épaule inquiète. Si occupée, elle ne remarqua pas la main qui plongea vers elle, attrapant sauvagement ses cheveux et la tirant plus loin de l’inconscient. May-Lee hurla comme une folle et par réflexe elle porta ses mains à sa tête, cherchant à réduire la douleur comme elle pouvait. En même temps elle s’agitait comme un animal sauvage, donnant des coups de pieds dans le vide puisque ses pieds ne touchaient plus terre à cause de l’idiot. Celui-ci la regardait totalement amusé par ce spectacle pitoyable et il finit par la jeter au sol, pour lui donner quelques coups de pieds. Le souffle coupé, la pauvre enfant se recroquevilla.
« J’crois que t’as excuses à faire à mon père, on va le voir, cracha-t-il en la remettant sur pieds sans problèmes et la tirant par le bras. J’m’excuse à personne, cria –t-elle avant d’enfoncer ses dents dans le bras du mini Ross. »
Il hurla sous la douleur et poussa tous les jurons possibles en envoyant valser la Chicaneuse d’une claque. Elle en perdit l’équilibre et tomba par terre, mais profita de cette pause pour sortir son petit couteau, prête à réattaquer tel un lionceau en colère. Raygon lui était complètement sortit de l’esprit pour le moment, elle ne pensa pas à le chercher pour attendre son aide.
Put to rest. What you thought of me. While I clean this slate. With the hands of uncertainty So let mercy come. And wash away. What I’ve done Linkin Park What I've done
Les mots de May Lee lui firent ouvrir et refermer la bouche, comme une carpe en manque d’air. Il avait passé tant d’années à mijoter sa colère sans qu’elle ne s’efface, qu’il ne s’était pas rendu compte qu’elle avait mûri, s’était changée en sourde rancune quand celle de May Lee, était restée aussi pure qu’au jour de leur séparation. Elle l’avait dit elle-même. Elle ne grandissait pas. Et ses émotions allaient de paire. Ainsi, si le temps embrumait sa mémoire, son sentiment de trahison envers Raygon n’avait pas évolué. La tristesse enserra son cœur en se rendant compte de l’implacable malédiction que supportaient les enfants perdus. Car c’est ainsi qui les voyait à présent, des enfants maudits.
Les arguments de la fillette volaient en éclats sur Raygon sans l’atteindre. Avoir un travail était ce qui l’avait fait s’accomplir, être fier d’être un rouage dans l’équilibre de l’île. Avoir une maison était ce qui l’avait encré à la terre. Il n’y avait rien d’ennuyant à se construire. Et pourtant il ne répliquait plus. Parce qu’elle ne comprendrait pas. Elle ne pouvait pas comprendre. Ce qui l’avait poussé à quitter l’Arbre était une réaction enfantine. Il avait réagi trop vite à la manière d’un gamin paniqué. Il avait voulu retrouver son meilleur ami, affronter jusqu’aux pirates pour le retrouver. Il avait claqué la porte sans se rendre compte que de l’autre côté, il n’y avait pas de poignée. Mais depuis, il avait grandi. Il sentit les poings de May Lee percuter son torse, ses mains agripper son chandail, lui rappelant leurs bagarres enfantines. Elle avait toujours été meilleure que lui d’ailleurs à ce jeu. Elle usait de tous les stratagèmes, sans règle, si bien qu’elle arrivait à lui mettre la pâtée armée seulement de ses quenottes ! Il n’y avait bien que ses propres inventions pour lui servir dans ces cas là. Ils avaient été si fusionnels. Et il l’avait abandonné.
Etre capable d’empathie était une émotion d’adulte. Raygon avait cru qu’en partant, il laissait May Lee aux bons soins des enfants perdus, qu’elle ne perdrait que peu de choses dans l’affaire. Mais il s’était trompé, elle en avait souffert, beaucoup. Il avait été un ami nul, sur ce point elle avait raison. La dernière branche lui gifla le front sans qu’il n’ait pu l’éviter tout à fait, lui arrachant un cri de surprise. Cri qui se perdit dans l’attaque tout aussi spontanée du fils Ross.
En un instant il vit rouge et s’il sentit son adversaire encaisser les coups, sa réplique le cloua au sol quelques minutes. Il comprit vaguement qu’on tentait de le secouer alors qu’il faisait rouler sa tête de droite à gauche sur le pavé froid. Son crâne jouait des grelots et il rouvrit les yeux en clignant fortement des paupières. Le spectacle qui se déroulait sous ses yeux ressemblait à une attaque d’ours mal léché par une chatte de gouttière. May Lee s’en était toujours bien sorti au combat, elle surprenait pas sa petite taille et par sa férocité. Son seul défaut était de ne réfléchir qu’après avoir attaquer ce qui la mettait dans des situations difficiles. Mais Raygon était là pour assurer ses arrières. Poussant sur ses avants bras pour s’arracher du sol, le jeune homme se retrouva derrière Ross qui après avoir foutu une claque à une May Lee furibonde, s’apprêtait à lui démontrer par A plus B que quand on est stupide, on a bien qu’une seule idée dans la caboche. Dans un élan rapide il sauta au cou du colosse, plaçant son bras sur sa trachée pendant que l’autre refermait sa clé pour maintenir l’étranglement. Eructant par à coup, Ross junior partit en arrière, entrainant Raygon dans sa chute et les deux combattants roulèrent une nouvelle fois au sol sans pour autant que le jeune menuisier ne relâche sa prise. Le teint rouge violacée de sa victime commençait à donner des signes de fatigue et ce n’est que l’intervention de Bearn le boucher qui réussit à séparer les deux garnements.
« ça suffit vous deux ! Vous vous êtes assez donnés en spectacle pour aujourd’hui. » Attrapant le fils du pêcheur par le bras il l’entraina à sa suite, laissant derrière lui un champs de bataille de bric et de broc. Se relevant en s’époussetant, Raygon jeta un regard furieux sur les chaises cassées, la table fendue et ses autres inventions bonnes à jeter avant de s’arrêter sur la fillette encore au sol. Précipitamment il courut vers elle, attrapant sa petite main qui tenait à présent avec aise dans le creux de sa grande paluche.
« J’te jure que si tu as plus que trois bleus je finis ce brochet d’eau douce avant la nuit ! »
Il n'avait pas dit un mot alors qu'elle se vidait à son tour le cœur après tant d'années de remords et de rage refoulée. À quelque part elle appréciait ce silence et d'autre, il la rendait folle parce qu'elle voulait savoir si elle lui avait manquée. Si elle avait juste un peu comptée à ses yeux ou si elle ne valait pas mieux qu'une pomme pourrie dans un champs de patates. Si au final son départ ne l'avait pas plus affecté que ça. Tant d'années où elle s'était posé ces questions et maintenant elle avait les réponses à portée de main, juste là, face à elle. Et pourtant... pourtant elle était pas foutue de raisonner clairement. Non, au lieu de ça elle lui jetait des branches au visage et se mangeait une table pour le p'tit dej'. Génial. Sa pathétique bataille se termina, sans surprise, par sa carcasse de gamine gisant par terre, à moitié sonnée et pourtant prête à en redemander. May-Lee était peut être ingénieuse, mais la réflexion spontanée n'était pas un naturel chez elle. Elle pensait très peu et agissait beaucoup et le plus souvent ça lui valait de beaux ennuis comme celui là. Le côté positif était qu'au moins elle ne manquait pas de courage pour affronter les problèmes. Bon, oui certes c'était plus suicidaire qu'autre chose à ce stade, mais la valeur de la vie n'entrait pas vraiment dans la caboche de la petite qui ne souffrait plus du temps depuis une éternité. Comment donner une valeur à son existence quand on vit toujours et qu'on oublie ? Elle n'avait pas d'inquiétudes pour les conséquences de ses actes et ce n'était certainement pas prêt de changer.
Son petit poignard dégainé, la minuscule furie s'apprêtait à bondir, toutes griffes dehors pour achever son bourreau, mais une ombre lui barra la route et rafla le géant au passage. Sur le coup, la Chicaneuse ne reconnut pas son Colibri tant ils bougeaient et s'embrouillait au sol dans un nuage de poussière, de sables et de masses informes. Elle dut plisser les paupières pour tenter d'y voir plus clair et enfin distinguer le menuiser dans tout ce chaos. Il était tout aussi sauvage qu'elle, prêt à massacrer l'importun qui virait tranquillement vers des teintes pas tout à fait naturelles pour l'humain. La gamine était tétanisée, de peur, de choc, elle ne saurait dire. Mais elle ne bougeait plus, se contentant de rester là, planter par terre, spectatrice impuissante de cette bataille tout sauf glorieuse des deux jeunes hommes. Ces instants lui semblèrent durer des heures et des heures et tout ce qu'on esprit lui criait pour une énième fois, c'était fuir. Loin, très loin de tout ça. Des pirates, du danger... de cet inconnu. La douleur de ses membres ne la réveillaient même pas assez pour qu'elle obéisse à son instinct et finalement un troisième gaillard s'invita dans la danse pour séparer les deux trouble-fêtes. Il entraîna à sa suite le fils du pêcheur qui ne manqua de lui jeter une œillade glaciale qui lui fit froid dans le dos. Là, il fallait vraiment qu'elle s'en aille, prendre le risque de recroiser ce fou signait d'une certaine façon son arrêt de mort.
Il fallut un Raygon sauvage pour réanimer les réactions de son corps, un choc électrique la secouant quand il attrapa sa main pour la caler dans sa grande papatte. Encore maintenant il ne pensait qu'à la protéger, qu'à la défendre. May-Lee l'observait, muette, complètement perdue. Elle ne pouvait douter de son affection à son encontre, mais dans ce cas, pourquoi la quitter ? Pourquoi la blesser ? Plus ça allait et plus elle trouvait que son oiseau ne lui causait que des souffrances, physiques et mentales. Cette simple pensée la crispa et prise d'une peur nouvelle, elle retira sa main, se repliant sur sa personne et le fixant avec une certaine inquiétude. Qui pourrait l'en blâmer ? Son esprit torturé cherchait un pourquoi et un comment à tout ce qui se passait et la colère et la rancune n'avait pas marché. Enfin, pour Colibri, oui. Ça, ça ce n'était pas son apprenti, parce qu'il est mort à la seconde où il avait quitté l'arbre. À partir de ce moment, il fut cet inconnu, cet homme qui s'acharnait à lui faire mal. Pour lui pas de colère, pas de rancune ou de rage. Pas de nostalgie. Juste de la peur. Une peur naissante qui noircissait son cœur et les souvenirs heureux qu'elle possédait encore de son précieux protégé. Malgré elle, elle trembla et ne sut que faire à part fixer le menuiser, effrayée. Elle voulait Colibri. Elle le voulait.. elle voulait son ami, oh qu'il lui manquait cet idiot à huit pieds gauche. Une larme glissa, puis une autre, puis des rivières salées tachèrent ses joues et elle hoqueta en se reculant comme elle pouvait. Des tremblements secouait sa voix et rendaient ses mots difficiles à comprendre, pourtant ils ne pourraient qu'être clair et certainement déchirant pour celui qui ne voulait que protéger cette petite chose, qui était bien plus fragile qu'il n'y paraissait.
« Je-tu.. t'es pas Colibri... Colibri il ne me ferait jamais de mal.... »
Maladroitement elle se remis sur ses petons, mais resta crispée et tendue, prête à bondir et fuir comme un lapin au moindre mouvement suspicieux. Ses saphirs brillaient de tristesse, de peur et surtout d'incompréhension. C'était Colibri, mais ce n'était pas Colibri. Son esprit d'enfant faisait difficilement le lien entre les deux et le tout s'embrouillait pour créer cette émotion négative qui s'emparait d'elle comme un poison vicieux et douloureux. Elle osa ancrer ses prunelles dans les siennes, cherchant son ami, quelque part.
« Je sais pas qui t'es... mais tu me fais peur.... tu-tu m'as enlevé Colibri... j'ai eu mal et là je te vois et j'ai encore mal. Je veux plus avoir mal, je veux oublier, pleura-t-elle, je-je je veux pas me souvenir des gens qui me laisse toute seule, je peux pas grandir, je pourrait pas oublier, je pourrais plus oublier, et j'aurais mal et je-je.... pourquoi tu es parti Colibri... je croyais qu'on était des amis. »
Finalement elle craquait. Après tant d'années à tout refouler, à faire comme si ça ne s'était jamais passé, finalement, elle se laissait être ce qu'elle était : une enfant fragile et perdue, en constante peur d'être abandonnée de ceux qu'elle aime. Pas May-Lee. May-Lee c'était une fonceuse, elle avait pas peur. Elle redevenait juste Marilyn.
Et elle avait peur, comme le jour où elle avait tout fuit.
Put to rest. What you thought of me. While I clean this slate. With the hands of uncertainty So let mercy come. And wash away. What I’ve done Linkin Park What I've done
Alors qu’elle restait silencieuse, Raygon en profita pour soulever avec douceur les mèches sur le front de la fillette. Un hématome gros comme un champignon vénéneux s’y formait et le jeune homme continua son inspection du regard, la mine sombre. Il n’avait pas les gestes paternels que son âge aurait pu lui permettre face à celui apparent de May Lee. Jamais il ne pourrait se comporter comme tel. Dans son esprit, c’était elle qui l’avait accueilli, elle qui lui avait appris les pièges et les merveilles de ce monde. Elle en connaissait plus qu’il ne pourrait jamais se rappeler. Elle restait son maitre, même des années plus tard.
Rapidement pourtant, elle retira sa main de la sienne, l’observant de ses yeux clairs inquiets. Fouillant son être, son visage et son regard dans l’espoir d’y trouver un peu de son âme. Il savait ce qu’elle cherchait. Colibri. Il aurait aimé lui dire qu’il n’avait pas totalement disparu. Que sa soif de nouvelles expériences, son don pour les inventions, et sa maladresse légendaire étaient toujours là. Mais l’aurait-elle seulement cru ? Après l’avoir vu se battre avec la sauvagerie des lutteurs grecs. Il n’y avait plus là de Colibri frêle et malhabile qui attaquait toujours les pieds dans l’espoir de déséquilibrer son adversaire. Non. Le combattant qu’elle voyait là prenait son ennemi à bras le corps, conscient de sa force d’homme. On dit que l’enfant est le père de l’homme. Bien que Raygon ait grandi, la base solide sur laquelle il s’était élevé reposait sur les principes de vie de Colibri. Il n’avait pas changé. Il avait évolué. Les choix et actions qu’il avait à faire aujourd’hui, l’amour et l’amitié qu’il insufflait dans chacune de ses relations, Colibri en était le socle. Et ce que Colibri était, May Lee y avait fortement contribué. C’est ce qu’il pensait lui dire, quand elle rouvrit enfin la bouche. Et sa déclaration lui fit l’effet d’un poignard au cœur.
Il n’avait pas mesuré tout le mal qu’il lui avait fait. Il avait pensé qu’il en souffrirait plus qu’elle. Que c’est lui qui partait, qui abandonnait tout, qui se retrouverait seul. Que elle, May Lee la courageuse, May Lee la maitre des pièges, May Lee l’une des plus anciennes enfants perdus de l’Arbre, surmonterait sa disparition sans difficulté, qu’elle trouverait quelqu’un d’autre, qu’elle le remplacerait dans son cœur et dans sa mémoire. Mais il fallait croire que même les enfants perdus ne peuvent effacer complètement leurs souvenirs. Pas les plus forts en tout cas. Comme un môme de 5 ans il aurait aimé lui dire toute la détresse dans laquelle il s’était perdu. L’odeur dégueulasse de la ville, l’air glacial des mois d’hiver sans foyer, les soirs à fouiller les détritus dans le vague espoir de se mettre quelque chose dans un estomac creux. Il avait souffert physiquement et moralement.
Mais sa colère mourut à l’instant même où elle le repoussa, comme un inconnu. Pire, comme un potentiel ennemi ne lui offrant que souffrances. Il sentit quelques larmes embuées ses yeux sombres et sans prévenir, il posa sa grande paluche sur l'épaule de la fillette et l'attira à lui, dans ses bras. Assez fort pour qu’elle ne puisse pas le repousser. Mais avec une tendresse infinie, il cala son nez dans ses cheveux fins, comme il avait toujours eu l’habitude de cacher sa truffe quand les choses tournaient mal et que May Lee était là pour l’aider. Il fallait qu’elle comprenne. Qu’il avait changé certes, mais que Colibri n’était pas mort.
Doucement il lui chuchota à l’oreille.
« J’ai cru que je pourrais le retrouver. Je n’ai pas pensé aux conséquences. J’étais un enfant May Lee, séchant ses larmes d’une main il continua d’une voix ferme, mais je ne t’ais jamais oublié. Et je vais te le prouver. »
Se redressant il lui fit signe de le suivre. Libre à elle ou non de le faire il ne l’obligerait à rien. Il comprenait son hésitation, sa rancune, mais, … mais s’il était possible de reprendre leur amitié, ou d’en démarrer une nouvelle, il la saisirait. Glissant deux mots à sa voisine de marché pour lui garder son étal, il attrapa sa caisse et se mouva à travers la population de One-Eyed. Il jeta quelques regards en arrière, histoire de voir si la fillette avait pris sa décision avant d’obliquer vers une ruelle étroite, jusqu’à une porte finement décorée et sculptée de … colibris… En louant cette petite boutique à Rosemary, il l’avait au fil des années, aménagée à son goût et à son image. Se décalant pour laisser à May Lee la surprise, il croisa ses bras sur son torse et indiqua du menton la porte.
« Entre… c’est chez moi à présent. Et ça va sans doute te rappeler un peu de ton Colibri. » L’intérieur en effet, regorgeait de millions d’inventions et de sculptures de bois fabriquées par le jeune homme. Si ses mots ne suffisaient pas à May Lee, son art, finirait de la convaincre, si elle osait entrer.
La Chicaneuse ne se souvenait pas d’avoir été un jour autant bouleversée qu’à ce moment présent, tiraillée entre l’incertitude et la peur. Deux émotions que son cœur enfantin et inexpérimenté n’avait pas l’habitude de ressentir ou simplement en effleurer les frissons. Trop profonds, trop compliqués, trop… adultes . Toute sa vie elle s’était arrangée pour les fuir et ne pas avoir à les gérer et voilà que maintenant elle se noyait dedans sans échappatoires possibles. L’auburne se perdait dans ses mots et dans ses pensées, incapable de faire cesser le flot salé qui prenait sa
us again !
Le maître Jedi et son padawan ◈ Graeco sermone ad Tyrii textrini praepositum celerari speciem perurgebant quam autem non indicabant denique etiam idem ad usque discrimen vitae vexatus nihil fateri conpulsus est.
source au coin de ses prunelles couleur ciel d’été. Elle était fâchée contre elle-même, certaine que pleurer était une preuve de faiblesse et May-Lee n’était pas faible ! May-Lee était forte, May-Lee était intelligente et savait comment faire pour coincer un pirate dans un nid d’abeilles, May-Lee était invincible, sinon jamais elle aurait tenu aussi longtemps. Enfin…. Elle croyait avoir vécu longtemps… May-Lee était perdue dans ce monde et dans le sien. Incapable de dire ce qui était et ce qui sera. De moins en moins apte à se souvenir des plus simples noms ou visages qu’elle croisait, des chemins qu’elle empruntait. De plus en plus elle dépendait de sa fée qui se souvenait pour elle, ce qui ne lui plaisait pas du tout de devoir lui imposer tel responsabilité. Cette réalité commençait doucement à s’imposer à son esprit, à cette époque de sa vie où elle faisait des rencontres et retrouvailles marquantes, à un point où elle ne voulait pas oublier. Et elle ne voulait tout simplement pas le voir.
Repliée sur sa personne, l’enfant était secouée par ses sanglots et serrait ses poings contre son cœur, la tête penchée laissant ses cheveux en bataille cacher son visage. Elle ne savait même pas si son oiseau voletait toujours près d’elle ou s’il l’avait abandonné à nouveau. Elle craignait bien trop la vérité pour la vérifier de ses yeux et voir son cœur à nouveau briser. Surtout que l’endroit n’était pas franchement approprié… L’île des pirates n’était pas faite pour les petites filles perdues et inconsolables, surtout qu’il y avait l’autre fou qui voulait lui faire la peau.
Finalement elle n’eut pas besoin de prendre le risque de souffrir puisque son ancien protégé posa un geste qui la surprit. Elle n’eut pas du tout le temps de réagir qu’elle se retrouvait déjà prise entre les bras de l’ancien enfant, dans une étreinte qui se voulait réconfortante. Sur le coup elle eut le réflexe de se crisper d’avantage et de ne plus oser bouger un sel muscle, retenant sa respiration. La fuite n’était pas une option, elle était coincée, mais pourtant il n’y avait là que tendresse et nostalgie. Le souvenir du brun qui venait se cacher contre elle et enfouissant son nez dans ses cheveux pour fuir les problèmes remonta à son esprit et elle laissa couler de nouvelles larmes. Avec un brin d’hésitation, elle lui rendit timidement son embrassade encore incertaine de comment elle devait agir face à cet inconnu qui n’avait pas que des airs de ça. Il chuchota quelques mots à son oreille tout en chassant ses larmes de son visage rond et légèrement blême. Doucement elle releva la tête pour le mirer avec ses prunelles brillantes d’émotions et murmura un petit « Vraiment ? » quand il lui assura qu’il ne l’avait jamais oublié.
Il mit fin à ce moment en se redressant et lui faisant signe de le suivre alors qu’il parlait avec une dame à côté. Pas rassurée, elle bloqua un peu, hésitant. Mais finalement sa curiosité eut raison d’elle et elle accouru à la suite de son vieil apprenti, tentant tant bien que mal de le suivre parmi la foule. Chose qui se révélait particulièrement compliqué pour May qui se déplaçait difficilement entre les gens, alors elle prit l’initiative d’attraper le bas du chandail de son guide et de le tenir fermement entre ses petits doigts. Au moins elle ne le perdrait pas comme ça. Il obliqua vers une ruelle étroite et plus reculée, ce qui lui arracha un soupir de soulagement. Il s’arrêta devant une porte et à peine ses azur se posèrent sur le pan de bois qu’elle en resta bouchée bée devant le bel ouvrage qui l’ornait. Des colibris… ce-c’était magnifique… Clignant des yeux elle fixa Raygon qui lui indiqua que c’était sa maison désormais et que certaines traces de son ancienne vie persistaient. L’auburne mordilla sa lèvre inférieure et zieuta timidement la porte pour finalement la pousser et entre dans la demeure, incapable de résister plus longtemps à la tentation.
Elle ne fut pas étonnée de tomber sur un certain désordre qui lui arracha un petit rire. Oui, elle reconnaissait bien là son petit oiseau, ainsi que sa propre personne. Tournant la tête dans tous les sens, elle manqua de se faire un torticolis pour évaluer rapidement les lieux et se voir attirée de partout. Tout était intéressant et elle ne se gêna pas pour toucher à tout ce qui lui passait sous la main. Elle reconnu sans problème le style de son colibri dans tous les objets de la pièce et un maigre sourire nostalgique étira ses lèvres. Cependant elle remarqua que la plupart était à un niveau plus avancé et ça, ça blessa un peu son orgueil, mais elle l’oublia assez rapidement quand elle reconnut le bruit de son objet favori. Tic-tac, tic-tac, tic-tac… Elle se mit soudainement à tout fouiller avec frénésie pour trouver le petit objet et le tenir entre ses mains et le mirer avec des yeux brillants. May-Lee se tourne vers Ray qu’entre-temps elle avait oublié et elle lui demanda avec un énorme sourire ?
« Je peux le garder ? S’il te plait, j’adore les tic-tac ! »
Soudain elle se rendit compte de son indiscrétion et de sa présence envahissante, toussant et rougissant un peu.
« Pardon… c’est joli. On dirait une des cabanes de l’Arbre. Y a bien Colibri ici…. elle le fixa en fronçant les sourcils, comment je suis censée te voir ? T’es qui maintenant ? »
Dernière édition par May-Lee le Ven 31 Mar 2017 - 6:22, édité 1 fois
Put to rest. What you thought of me. While I clean this slate. With the hands of uncertainty So let mercy come. And wash away. What I’ve done Linkin Park What I've done
Lorsque ses mains se déposèrent sur ses épaules pour affirmer son étreinte, Raygon ferma les yeux, plissant ses paupières jusqu’à voir briller des étoiles dans l’obscurité. C’est tout ce dont il avait besoin sur le moment, qu’elle lui rende son étreinte, qu’il ne soit pas pour elle un inconnu. Il voulait qu’elle se souvienne de lui. Le rappel de leurs frasques, de leurs rires, de leur amitié devaient rester graver dans sa mémoire. L’enfant perdu ne pouvait pas tout oublier, bien sûr la magie de l’île faisait en sorte que, pour les protéger. Mais elle ne décidait pas pour eux. En luttant, en lui parlant, il arriverait à ne pas faire sombrer Colibri dans les limbes, il se le promettait.
Il sentit les larmes rouler sur son vêtement. Bien sûr, là où ses bras pouvaient autrefois encercler son oiseau, May Lee arrivait à présent à peine au milieu du dos de Raygon, mais la tendresse y était. Quand elle s’assura de sa réponse, comme si elle n’y croyait pas vraiment, il appuya son front contre le sien, comme jadis ils le faisaient lors de leurs vieilles promesses.
« A jamais. Et je te promet de faire en sorte que toi non plus tu ne m’oublies pas ».
Ce qu’il voulait à présent, c’était lui redonner confiance en lui. Et pour ça il avait sa petite idée. Alors que le jeune menuisier circulait dans les rues, son échoppe bien gardée et sa May bien accrochée, il respira l’odeur de l’iode. Tenace à One-Eyed, que même la crasse de la ville ne pouvait pas tout à fait moucher. Oui, il avait tant de choses à montrer à son maitre. Le port, sa vie, la mer et les embruns faisaient partis d’un monde qu’ils n’avaient que peu côtoyer à l’Arbre du Pendu. D’abord son atelier.
La porte eut l’effet escompté. Tout ses meubles, toutes ses fabrications étaient estampillées de sa marque, d’un colibri en plein envol. Ce symbole, reconnu à présent par toute l’île de Neverland était devenu, avec le temps, un gage de qualité et d’honnêteté de son travail. Avec un sourire en coin, il la laissa pousser le battant de sa demeure. Ok, s’il avait su qu’il reverrait une vieille amie disparue aujourd’hui, il aurait sans doute fait un peu de rangement. Ce qui dans le cas de Raygon, s’apparentait à mettre dans un coffre ses vêtements et autres objets du quotidien, en omettant toutes ces babioles d’inventeur qui elles, n’avaient strictement aucune utilité, et qui pour le plus grand malheur des maniaques, tapissaient jusqu’aux dessus des meubles de sa maisonnée. Mais la jeune enfant ne sembla même pas s’en apercevoir. Après tout, il n’y avait bien que les adultes pour vouloir de l’ordre là où l’imagination pouvait faire tellement plus. Se calant dans l’encadrement, il observa les yeux émerveillés de May Lee et su que lui-même n’avait pas tant changé que cela sur certains points. Il avait eu le même regard quand il avait vu son amie Gràinne traverser d’une unique flèche deux canards sauvages, le même quand il avait appris la nouvelle pour Keyne et Haran, le même encore quand il avait vu l’île de Neverland reprendre des couleurs et se réchauffer auprès d’un soleil nouveau. Colibri vivait toujours en lui. Soudain son regard concentré de chercheuse de trésor s’illumina. Pendant que May Lee fourrait son nez dans ses babioles sans gêner le moins du monde Raygon puisque c’est un peu près ce qu’ils avaient toujours fait, fouiller dans les affaires de l’un l’autre, le jeune homme en profita pour attraper un linge propre, ouvrir la fenêtre qui laissa entrer une bise glaciale et ramassa les quelques glaçons qu’il faisait geler là chaque nuit pour les enrober dans le torchon. Quand il se retourna, la fillette tenait dans ses mains un mécanisme d'horloge avec le cadran délicat d'un bois de rose. La vitre qui était censée la protéger était cassée cependant et les aiguilles avaient un léger retard sur leur tic tac habituel.
« Tu peux, si tu mets ça sur la bosse énorme de ton front. Tu ressembles à un rhinocéros avec une corne de travers ! » Raygon lui tendit le linge alors qu'il faisait signe à la gamine de lui tendre l'horloge.
« Je vais l'arranger un peu avant. » Plaçant le délicat objet sur son établi, il attrapa un à un ses outils sans même les regarder, se contenta de sourire quand May Lee avoua retrouver quelques traces de son élève dans ces ingénieux équipements.
« C'est Raygon mon prénom maintenant. Raygon Finnighan, je trouvais que ça faisait irlandais, et je crois bien que je venais d'une terre avec ce nom quand j'étais encore de l'autre côté. Je travaille pour gagner ma croûte, je suis charpentier menuisier. Je construit des meubles, des pièces de bateaux et comme tu as pu le voir, tout un tas d'autres bricoles. Tu... tu peux venir quand tu veux me voir tu sais... »
Levant les yeux rapidement de la petite horloge donc il replaçait avec délicatesse une aiguille, il planta son regard dans celui de May Lee, trahissant à peine l'anxiété d'un refus. Il était à One-Eyed, une ville peu sûre pour les enfants perdus et Raygon tenta de se rattraper.
« Ce que je veux dire c'est ... est-ce que tu voudras me revoir? Est-ce que tu me pardonnes?»