Il ne se passait pas une seule journée sans que Kala pense à cette Sirène. Opale. Ce nom de pierre précieuses ne lui allait pas du tout. L’Opale était une pierre aux couleurs étincelantes comme un arc en ciel, pourtant, elle n’inspirait que des nuances de gris à Kala. Sa présence avait assombri sa vie et son absence avait assombrit celle de Seth, son maitre. Elle lui avait proposé de la libérer lorsqu’elle était encore entre les griffes de l’artiste. Elle avait accepté, mais avait tenu à avoir des nouvelles régulièrement. Aux yeux de Kala, ce n’était qu’une petite emmerdeuse qui restait encore entre ses pattes. Aux yeux de n’importe qui d’autre, on aurait pu déceler une similarité entre elles. Elles avaient toutes les deux le syndrome de Stockholm et aimaient Seth. C’était toujours surprenant de voir à quel point un homme comme lui pouvait inspirer autant d’affection de la part de deux femmes complètement différentes. Opale était douce, gentille et presque innocente. Kala était dure, franche et directe, parfois agressive. Mais Kala était effrayée. Effrayée de voir cette sirène revenir dans la vie de Seth. Le dicton le disait bien, garder vos amis proches, mais vos ennemis encore plus proches. C’était pour cette raison qu’elle donnait régulièrement des nouvelles à Opale. Ainsi, elle pouvait la surveiller. Elle pouvait être la première à remarquer toute intention de revenir dans la vie de Seth.
La cuisine était nettoyée, Seth et les domestiques avaient mangé. Tous vaquaient à leurs occupations. Seth s’était enfermé, comme à son habitude, dans son atelier et quelques domestiques avaient pris leurs soirées, ne gardant que l’effectif minimum. Le maître n’était pas très exigeant lorsqu’il était pris dans son art et les tâches de la journée avaient déjà été effectuées. Personne ne remarquerait son absence. Kala monta à sa chambre, changea sa robe qui sentait la cuisine pour un autre, plus sombre. Elle enfila une légère cape en laine et déposa le capuchon sur ses cheveux peu soignés. Discrètement, elle quitta sa chambre puis la maisonnée sans qu’on ne la remarque. De toute façon, elle savait que si Seth la cherchait, un domestique pourrait la couvrir pour la soirée. Après tout, elle dirigeait un peu cette maison. Leur avenir auprès de Seth dépendait d’elle. Elle prit le chemin de la berge alors que la nuit était déjà tombée, elle croisa quelques citadins mais sans plus. Elle arriva rapidement sur la plage où il faisait un peu plus froid. Dans son sac, une robe basique pour Opale. À chacune de leurs rencontres, elle lui amenait cette robe pour la couvrir. Elle ne souhaitait définitivement pas la voir dénudée, histoire d’éviter de s’imaginer des histoires qui la feraient souffrir. Elle s’assit sur un rocher, la robe entre les mains et scruta l’eau qui paraissait noire à cause de la nuit, à la recherche de la petite sirène. Kala n’avait jamais aimé l’eau. Cette mer, ces profondeurs… Elle ne comprenait pas les pirates d’aimer y naviguer et encore moins et encore moins les sirènes de vouloir y vivre.
Soudainement, elle vit quelques remous à la surface de l’eau et une tête aux cheveux bruns y sortir. Opale. Elle retint un rictus, préférant le transformer en faux sourire. Kala se leva et apporta la robe tout près de l’eau puis se tourna, dos à la mer, pour qu’opale puisse l’enfiler. Quand ce fut fait, Kala se retourna vers elle.
« Bonsoir, comment vas-tu ? La nage ne fut pas trop pénible ? »
Kala ne l’avait plus vouvoyée depuis qu’elle l’avait libérée. Elle n’avait pas assez de respect pour elle. Sa haine et sa jalousie étaient trop grande pour cela. Mais Kala faisait passer cela pour une pointe d’amitié pour éviter qu’Opale se méfie d’elle. Elle retourna sur le rocher et jeta un regard à l’horizon, vers la mer. Elle préférait ne pas regarder celle qui lui avait volé le cœur de Seth.
« Comment ça se passe, là-dessous ? Vos récoltes vont bien ? »
On pouvait noter une pointe de sarcasme que Kala avait difficilement pu retenir. Elle s’en tiendrait aux banalités jusqu’à ce qu’Opale lui pose les vraies questions qui avaient motivé sa visite. Elle n’était pas assez gentille pour tout lui offrir tout cru.