Le monde qui s'écroule sous tes pieds, le ciel qui te tombe sur la tête. Impression douloureuse que tu ressens à de trop nombreuses reprises. Ce soir, les larmes brûlent tes joues rougies par le froid mordant de l'hiver. Les mots ont fusé de ton côté et de celui de ton père. Tes paroles ont dépassées ta pensée, tu t'es énervée. À l'instant, tu le déteste pour l'emprise qu'il a sur toi. Tu fais toujours ce que les tiens attendent de toi et tu finis par t'oublier. Tu es une femme, désormais. Tu es en âge d'être mère, en âge de prendre soin d'une âme plus fragile que la tienne ... Ils n'ont aucun droit de te garder captive de leur amour étouffant, ton père, ta mère, tes frères... Tu leur a dit que tu finirais par partir et tes paroles, ils ne les ont jamais prisent au sérieux. Et bien, tant pis pour eux ! Lorsqu'ils se réveilleront aux aurores, tu ne seras plus là. À ton retour, ils comprendront peut-être le message qui doit être impérativement passé. Tu ne te laisseras plus emprisonner. Plus jamais ! Ils ne pourront t'attacher à une chaise ou à ton lit. Ils n'auront d'autre choix que te laisser prendre ton envol.

Après la dispute, tu es sortie à l'extérieur pour prendre de profondes bouffées d'air. Ils s'attendent à te voir revenir dans les prochaines minutes... Surprise ! Tu ne le feras pas. Tu disparais derrière les arbres puis une fois à l'abri de tout regard indiscret, tu presse tes pas pour finalement courir entre les nombreux arbres. Vite ! Tu veux mettre la plus grande distance possible entre cette cage et toi. Tu en as assez d'être la pauvre fille Quachegan fragile. Pour une nuit, pour quelques jours, tu veux être une personne quelconque, une personne indépendante. La nuit est sombre, mais les étoiles brillent de mille feux et l'astre lunaire est bien haut dans le ciel. Tu laisse le hasard guider le moindre de tes pas, tu as été si longtemps prise au piège dans ton propre camp que tu ne connais l'au-delà de ton lieu de naissance que par les récits de tes frères, de tes cousins.

Bientôt, tu as l'impression qu'on te martèle la tête à grands coups de poing. Tu ne sais pas depuis combien de temps tu cours, mais ton corps te dit que c'est assez. Trop têtue, tu ne t'arrêtes pas de suite et tu poursuis ta course effrénée, jusqu'à ce que ton esprit s'embrouille. Autour de toi, le paysage s’obscurcit et tangue dangereusement, tout devient flou. Tu dois t'arrêter avant de perdre connaissance. Tu dois prendre le temps de te ressaisir. Tu en as trop demandé a ton corps bien plus fragile que tu ne le voudrais, à ton esprit fracturé, maintenant tu en fais les frais. La douleur est si puissante que tu ne tiens plus sur tes deux jambes, tu ne supporte plus le poids de ton propre corps. Tu prends appuie contre un arbre et te laisse doucement glisser sur le sol glacé, t'assoyant les deux genoux ramenés contre ton corps et calant ton visage dans le creux de tes deux paumes. « Faites que ça s'arrête, je n'en peux plus ! » Tu ferme les yeux et essaies de calmer tes esprits, tâche qui appartient d'ordinaire à un de tes proches, Set surtout, mais pour l'instant, tu es seule, autant que ton esprit peut l'être, habituellement.

Les deux yeux clos, le visage appuyé contre tes deux paumes, tu essaies de respirer profondément, comme Set te l'a enseigné. Ta tête tourne, le monde tangue, comme cette fois sur les flots. Satanée sensation désagréable ! Tu as l'impression que la forêt se referme sur tout ton être. Est-ce pour cela qu'ils t'interdisent de t'aventurer hors de la réserve sans escorte ? Parce que tu es si fragile que tu as besoin de mots doux et réconfortants pour apaiser la panique qui vient s'immiscer en toi si facilement... Tu déteste être la fragile fille Quachegan, celle sur qui on doit veiller, mais la vérité est telle que tu ne te gères pas entièrement toi-même. Tu as encore du chemin à faire, de la confiance à gagner. Tu ne veux l'admettre, mais ta famille n'a pas totalement tort à ton sujet. Le traumatisme crânien que tu as subis, il y a dix ans restera gravé en toi à tout jamais. Les maux de tête ne s'en iront pas, un nouveau coup à ton crâne pourrait causer des dommages irréversibles, aujourd'hui, dans six ans, dans soixante. Faut-il pour cette raison que tu reste toute ta vie sous la surveillance rapprochée des tiens ? Non ! Tu dois apprendre à vivre seule, dès maintenant.

Tes pensées se percutent dans ton crâne et viennent en ajouter à la douleur déjà aigüe que tu ressens. La pauvre indienne que tu es essaie de se calmer, mais c'est beaucoup plus facile à ordonner à son cerveau qu'à faire ! Puis voilà qu'une voix d'homme sort de nul part et te fait sursaute, te poussant à relever la tête. « Je peux peut-être vous aider... » tu le fixe avec de grands yeux, te sentant soudainement prise au piège. Il t'observe l'air calme, mais malgré cela tu sens cette vague de peur qui te monte à la tête et qui t'arrache une grimace de douleur. Cet homme n'est pas un indien, mais il ne ressemble pas non plus aux pirates que Set t'a décrit. Il te dit qu'il veut t'aider, mais qui te dit que ce n'est pas un piège... « Respirez profondément... Il faut vous calmer. » Il a fait quelques pas vers toi et tu ne sais plus comment réagir. À l'instant, tu ne sais plus penser correctement, tu es prise entre douleur et peur.

Tu ne le quitte pas des yeux, telle une bête sauvage et craintive et tu tends ton bras devant toi pour lui montrer qu'il ne doit plus avancer vers toi. « N'approche pas davantage. » Tu lui parle d'une voix basse, mais ferme. La douleur est insupportable, ta vision est trouble et la crainte qu'il te fait ressentir ne t'aide pas du tout. Il ne te parait pas mal intentionné, mais si tu te trompais, Oneida ? On t'a tellement mise en garde contre le monde extérieur et ses habitants que tu ne sais plus juger par toi-même. Les tiens te font douter de cet homme qui veut tout simplement te venir en aide... Tu laisse échapper un long soupire, tout en te massant les tempes, sans toutefois arrêter de le toiser du regard. « Pourquoi vouloir m'aider ? Tu ne me connais pas... »