Depuis quelques jours, Isis était en crise existentielle. Elle évitait sa mère. Depuis l’aveu de l’identité de son père, Isis lui en voulait. C’est pourquoi elle évitait la demeure familiale, passant la plupart de son temps auprès de la princesse, au palais. Or, elle ne voulait elle ne pouvait plus cacher son trésor chez elle. Mais où pouvait-elle dissimuler tout ça?
Sous l’océan, tout se ressemblait. Bien qu’elle fût plutôt futée et qu’elle trouve ses repères assez facilement, elle avait peur d’égarer son butin. En plus, les Sirènes, lorsqu’elles ne sont pas des tueuses invétérées, étaient pour la plupart des créatures assez curieuses. Isis n’était pas née de la dernière pluie. Elle savait mieux que de cacher ses bijoux autour du palais.
Elle avait ensuite pensé cacher ses trésors sur l’île, à la surface. Mais elle n’était toujours pas à l’aise sur ses jambes et ne voulait pas s’enfoncer trop loin dans la forêt après les récents événements qui avaient secoué l’île.
Où pouvait-elle bien cacher cela. Assise sur un rocher, elle jeta un coup d’œil dans le petit sac qu’elle transportait. Des perles, des pierres précieuses, des pierres lisses, un peu d’or... Et des broches, des colliers, des bagues. Tous confectionnés de sa main. C’est auprès de sa mère qu’Isis avait appris à fabriquer ces babioles. Surtout des broches et des barrettes. Ayant toujours une longue chevelure très fournie et connaissance les dangers de l’océan, la mère d’Isis avait longtemps insisté pour qu’elle noue sa chevelure. Elle parvenait à amadouer sa fille en y insérant des ornements brillants qui la fascinait depuis qu’elle n’était qu’une petite sirène. Avec le temps, c’était devenu une habitude et la naïade prenait plaisir à confectionner ses bijoux.
Sa mère... la pensée laissa un goût amer à Isis. Elle avait toujours été bonne pour elle. À vrai dire, elle avait été une mère bienveillante pendant plus d’une centaine d’années. Si seulement elle avait pu garder la terrible vérité sur la naissance de sa fille pour elle-même... Mais secret devait avoir pesé lourd pendant toutes ces années, parce qu’elle avait enfin craché le morceau. Et Isis ne comprenait tout simplement pas. Comment une mère pouvait-elle cacher une telle chose à son enfant? Alors qu’elle avait toujours cru que son père était décédé avant sa naissance, son vrai père était en fait son voisin...
Chassant ses pensées obscures de son esprit, la naïade referma brusquement le sac qui contenait ses trésors et plongea dans les flots glacés de la mer du nord. Elle avait eu une idée.
Elle avait entendu parler d’un endroit sinistre où peu de gens s’aventuraient aujourd’hui. Skull Rock. À ce qu’on disait, les pirates avaient fouillé l’île de fond en comble, croyant fermement qu’un trésor s’y cachait. Quel endroit était-il mieux indiqué pour cacher son butin? L’île avait été fouillée tant de fois que personne ne penserait plus à regarder là. L'idée n’était pas stupide.
La sirène nagea donc à toute allure vers l’effrayante île qu’était Skull Rock. Nue, elle s’aventura dans les rochers et enfouit précieusement son sac dans une cavité naturelle qu’elle couvrit de pierres. Puis elle s’en fut.
Il y a quelques jours, j'avais entendu un client décrire un endroit bien précis à son compagnon. Tout naturellement, je m'étais alors approchée de lui pour en savoir d'avantage. J'avais toujours été une personne assez curieuse et ce lieu étrange dont l'habitué parlait me semblait fort intéressant. Selon lui, il s'agissait d'une île mystérieuse qui n'était plus visitée depuis des années. Il parraîtrait même qu'elle avait été fouillée de fond en comble par des pirates, car ceux-ci étaient tous persuadés qu'elle abritait un immense trésors. De plus, l'une des particularité les plus impressionnantes de cet endroit était l'immense rocher en forme de crâne qui s'y trouvait. Un lieu quelque peu effrayant, voir même sinistre, mais qui me promettait de belles aventures! Et puis, ça ne pouvait pas être pire que les marais dans lesquels je m'étais aventurée quelques jours plus tôt. Refusant de manquer une telle opportunité, j'ai alors attendu avec impatience la fin de mon quart de travail pour aller les rejoindre à leur table, désireuse d'en apprendre un peu plus sur cette île étrange. Et si au départ l'idée qu'une femme puisse leur poser tant de question les avait fait rire plus qu'autre chose, ils avaient bien fini par comprendre que mon intérêt était réel. Ainsi, au fil de la soirée, nous avons décidé de conclure une entente. Demain à l'aube, je les rejoindrais au port de la ville et ils m'amèneraient à l'île en échange de quelques pièces d'or.
Mes clients avaient tenu leur promesse et je me retrouvais maintenant seule sur une plage qui m'était complètement inconnue. La traversée avait été plutôt rapide, ce qui était loin de me déplaire, car les marins avec qui j'avais voyagé n'étaient pas des plus charmants. Néanoims, j'aurais apprécié qu'ils m'accompagnent un minimum au lieu de simplement me débarquer à une vingtaine de mètres de la plage. Au moins, ils avaient promis de revenir me chercher d'ici la fin de la journée et ils m'avaient laissé une barque au cas où les choses tourneraient mal. Je pris donc mon courage à deux mains, me disant que rien ne pouvait m'arriver, puis je me mis en route. Seulement, ma progression s'avéra beaucoup plus difficile que prévu, puisque la terre ne semblait pas présente sur cette petite île. D'aussi loin que mes yeux pouvaient voir, il n'y avait que du roc. Des chemins sinueux tracés à même la falaise. Certaines personnes auraient pu décider de retourner sur leurs pas, mais je refusais de baisser les bras aussi rapidement.
J'explorai donc les lieux en vitesse, jusqu'à ce que je repère enfin un peu sentier qui semblait s'enfoncer dans la roche. Je décidai de l'emprunter, curieuse de voir où il pouvait bien mener. En temps normal, je ne m'y serais pas risquée, mais cette île était entrain de me changer. Plus le temps passait, plus je devenais aventureuse. J'avais déjà découvert de nombreuses merveilles au Pays Imaginaire et plus j'en apprenais sur cet endroit, plus j'avais de questions. Je voulais tout voir, tout découvrir, d'où mon intérer pour cet endroit. De plus, la possibilité d'y découvrir un trésors était assez encourageante. N'importe quelle contribution qui me permettrait d'ouvrir ma pâtisserie plus rapidement était la bienvenue.
Après quelques minutes, j'atteris dans une grotte qui me paraissait immense. L'ambiance dans laquelle je me retrouvais aurait pu être beaucoup plus sinistre s'il n'y avait pas eu cette petite crique qui s'étendait à quelques mètres devant moi, jusqu'à rejoindre la mer à l'opposé d'où je me trouvais. J'aurais du être effrayée, mais je ne l'étais pas. Au contraire, je ne souhaitais qu'explorer cet endroit mystérieux de fond en comble. Je me mis donc à l'oeuvre, fouillant le moindre recoin à la recherche d'un trésors qui n'existait probablement que dans ma tête. Après tout, mon client m'avait bien dit que l'endroit avait été visité à maintes reprises, toujours en vain. Néanmoins, je continuai mes recherches et je fus récompensée bien rapidement. Moins d'un quart d'heure plus tard, je mettais déjà la main sur un petit sac bien caché entre deux rochers. Pourtant, il n'avait pas échappé a mon regard. À l'intérieur, j'eus la chance de découvrir plusieurs bijoux tous plus magnifiques les-uns que les autres. Ils devaient avoir été fabriqués par une personne très douée... et il devait valoir une fortune! Heureuse, je m'apprêtai à partir avec ma trouvaille, lorsque j'entendis un son étrange. Comme si quelqu'un se trouvait dans l'eau... « Qui est-là? » Demandai-je d'une voix légèrement tremblante. Si j'étais tombée sur un pirate, les chances que je sois en danger étaient assez grandes.
La Sirène avait presque rejoint la palais royal du peuple sous-marin quand elle changea brusquement d’idée. Et si quelqu’un avait la même idée qu’elle? Et si quelqu’un réalisait que, considérant le fait que l’île avait déjà été fouillée de fond en comble, peut-être quelqu’un avait-il été assez stupide pour décider d’y cacher un trésor? Et si quelqu’un avait entendu parler de l’île et avait décidé d’aller l’explorer à son tour, croyant avoir l’oeil plus aiguisé que les pirates qui avaient tenté d’y trouver ce légendaire butin encore et encore… Définitivement, elle se demanda comment une idée au stupide avait pu germer dans son esprit. Et les gens osaient dire que la sagesse venait avec l’âge… Elle devait être un cas à part.
D’un soudain battement de sa longue nageoire céruléenne, elle rebroussa chemin, nageant vers Skull Rock à toute allure. Les Sirènes pouvaient se propulser dans l’eau beaucoup plus rapidement que les humains. Bien qu’elles semblent souvent délicates et fragiles, c’étaient de féroces chasseresses, et elles n’appréciaient pas les gens qui leur manquaient de respect.
La nuit avait commencé à tomber. Même si elle était plutôt réticente à retourner dans cet endroit sinistre après le coucher du soleil, Isis avait la ferme impression qu’elle devait aller récupérer son sac. C’était comme un pincement dans le creux de son estomac. Une émotion viscérale qu’elle perdrait son petit trésor à tout jamais si elle n’y retournait pas. Ces bijoux étaient remplaçables. L’océan recelait des trésors laissés dans les épaves des bateaux de pirates et de marchands coulés par les Sirènes, mais elle mettait tellement d’amour et d’attention dans chacune des pièces qu’elle fabriquait que chacun de ces bijoux représentait quelque chose pour elle.
Peut-être était-ce l’enfant gâtée et capricieuse en elle qui faisait surface lorsqu’elle songeait à ces bijoux, mais ils lui appartenaient et l’idée qu’un sale pirate puisse mettre ses pattes sur son trésor la révulsait. Si elle y avait songé un peu plus longuement, elle aurait sûrement réalisé qu’elle ne valait pas mieux. Après tout, elle avait bien volé des vêtements à des habitants de l’île les premières fois qu’elle y avait mis les pieds… mais elle ne les avait pas volés pour les revendre. Elle les avait pris parce qu’elle en avait besoin…
S’emparant d’une pierre, elle sorti silencieusement de l’eau et mit le pied sur la pierre froide de Skull Rock. Nue comme un ver, elle marcha lentement et prudemment vers l’endroit où elle avait laissé son petit sac.
Alors qu’elle s’apprêtait à pénétrer dans la petite grotte, elle tressaillit. Son intuition ne l’avait pas trompée. Une silhouette se tenait là, tout près de l’endroit où elle avait enfoui son butin. La Sirène revint sur ses pas. Ses pieds nus n’émettaient aucun son sur le sol de pierre. Elle n’emmenait habituellement jamais d’arme avec elle, car elle ne savait pas vraiment s’en servir, mais comme elle avait un mauvais pressentiment, elle avait fait exception pour cette fois.
L’idée de se tenir devant ce voleur de trésor, nue comme un ver en brandissant cette lance de pêche dont se servaient les sirènes et les tritons ne l’enchantait guère, mais dans le feu de l’action, elle n’entrevoyait pas d’autres possibilités.
Alors qu’elle sortait prudemment de l’eau, elle entendu une voix féminine résonner entre les murs rocailleux. Sur le sol traînait les vestiges de ce qui avait dû être une voile ou un drapeau qui flottait sur un navire de pirates. La sirène se drapa dans le tissus pour cacher ses courbes fémines.
« Qui est là? » demanda la voix.
Isis s’avança lentement et silencieusement vers la grotte et détailla la jeune fille qui se tenait là, avec son sac dans la main. Sa chevelure était blonde, bouclée et assez longue. De dos, elle semblait avoir des épaules et une taille assez délicates. Sans pitié, sentant une grande colère monter en elle, Isis effleura le dos de la jeune fille de son arme, appuyant la pointe avec fermeté entre ses omoplates et siffla :
« J’espère que tu ne croyais pas t’en tirer aussi facilement, petite voleuse. »
La naïade darda ses iris bleus sur la jeune femme, attendant sa réaction le coeur battant si fort qu’elle jurait qu’il allait finir par s’échapper de sa poitrine.
J'étais émerveillée par tous les trésors que je venais de dénicher. Ces bijoux étaient tous plus beaux les uns que les autres et pour moi, ils valaient une fortune. J'étais persuadée de pouvoir les revendre à bon prix au marcher, le tout sans aucun remord. De telles créations devaient appartenir à un pirate fourbe et malveillant, surtout vu l'endroit où je les avais trouvées. Du moins, c'était ce dont j'essayais de me persuader pendant que je refermais délicatement le petit sac. Je m'apprêtais à l'attacher à ma ceinture, lorsque mon geste fut coupé net par une sensation étrange dans le creux de mon dos. Comme si un objet pointu venait d'effleurer mon corset. Un simple courant d'air? Ou peut-être, une lame affutée appartenant probablement au propriétaire des bijoux. Cette possibilité était peu rassurante et me laissait présager le pire. Si le trésor que j'avais tenté de dérober était bel et bien la propriété d'un pirate sans pitié, j'étais dans de beaux draps! Je figeai donc complètement, m'attendant au pire. J'étais persuadée que mon heure était venue, que l'être des mers ne me pardonnerait pas mon affront et qu'il me laisserait sombrer au fond de l'océan. J'étais terrifiée, mais je tentais de me rassurer du mieux que je le pouvais. Au moins, j'allais retrouver mon époux.
À cette pensée, je me sentis tout de suite rassurée. J'allais même jusqu'à fermer doucement les yeux, dans l'attente du moment fatidique. Seulement, ce dernier ne vaint jamais. La lame, plutôt que de s'enfoncer entre mes omoplates, resta en place, effleurant le tissus qui me recouvrait, tandis qu'une voix féminine se faisait entendre. Surprise, j'ouvris rapidement les yeux avant de m'éloigner d'un bond. J'étais hors de portée de l'arme, qui s'avéra n'être qu'une sorte de lance étrange tenue par une dame à la chevelure aussi blonde que la mienne. De plus, l'être qui se trouvait face à moi était entièrement nu, uniquement recouvert d'un vieux bout de tissus. Normalement, j'aurais trouvé la situation amusante. Toutefois, j'avais du mal à ne pas prendre la jolie blonde au sérieux. Tout dans son visage trahissait sa colère et son mépris envers mon geste, ce qui était parfaitement compréhensible. Ma réaction aurait probablement été la même si j'avais pu surprendre celui qui m'avait dépouillé de tous mes biens l'année dernière.
« Je suis désolée, je ne savais pas que toutes ces belles choses appartenaient à quelqu'un. Enfin... J'étais persuadée qu'elles avaient déjà été volées par un pirate ou qu'elles avaient été oubliées sur cette île des années plus tôt. » Certes, ça n'excusait pas mon geste, ni mes intentions. Toutefois, j'espérais que ces excuses pourraient au moins calmer celle qui me menaçait. Après tout, je ne souhaitais pas réellement mourir aujourd'hui. J'avias encore des rêves à réaliser, des aventures à vivre et des rencontres à faire! Mon heure n'était pas encore venue et j'espérais que la propriétaire de ces bijoux partage mon avis : le crime que j'étais sur le point de commettre était horrible, mais il n'était pas impardonnable. « Ça n'explique pas mon geste, mais s'il-vous-plait, ne me tuez pas, j'ai encore des choses à vivre. Et vous devez me comprendre, la vie peut parfois se montrer difficile pour des dames comme nous. Surtout sur cette île. » Tentai-je d'expliquer avant de déposer les pierres précieuses au sol, le plus loin possible de ma personne. « En passant, vos créations sont magnifiques. C'est bien vous qui les fabriquez? Vous devriez les vendre, je suis certaine que vous pourriez devenir riche avec un tel talent. » Des compliments qui pouvaient sembler hypocrites vu notre rencontre, mais ils n'en restaient pas moins véridiques.
Des choses à vivre. Des choses à vivre. En voilà une qui était bien amusante, ne pu s'empêcher de penser la belle créature. Mais quelle âge pouvait bien avoir cette humaine? C'est que vous voyez, quand on vit éternellement, ça peut être difficile d'estimer l'âge des mortels. Isis avait interrompu sa croissance au début de la vingtaine. Vivre pour toujours c'est bien, mais vivre pour toujours jeune et belle, c'est mieux. Des jeunes femmes comme nous... Elle était encore meilleure que la première. Si seulement elle savait qu'Isis ne savait même plus depuis combien d'année elle avait vu le jour. Elle n'en avait sincèrement aucune idée. À quoi bon compter les années? Après qu'une centaine est passée, on finit par s'en lasser et on laisse tout simplement le temps aller. La vie est trop courte pour s'arrêter sur des choses aussi futiles que le temps, et ce, même quand on vit éternellement.
L'humaine blonde déposa mon sac rempli de trésors au sol, assez loin de sa personne et me dit : « En passant, vos créations sont magnifiques. C'est bien vous qui les fabriquez? Vous devriez les vendre, je suis certaine que vous pourriez devenir riche avec un tel talent. »
En silence, elle gardemon oeil céruléen sur elle en se penchant pour récupérer ses avoirs. Et puis une pensée lui effleura l'esprit alors qu'elle observait la blondinette qui se confondait en excuses. Qu'auraient fait les femmes à qui elle avait volé des robes si elles l'avaient surprise la main dans le sac alors qu'elle décrochait leurs précieux habits de ces cordes dans les airs? Auraient-elles été aussi en colère qu'elle à ce moment précis? « Non... décida Isis. Il faut être totalement simplette pour laisser ses vêtements là sur une corde, exposés à qui le veut bien. » Mais n'était-ce pas ce qu'elle avait fait en enfouissant ses bijoux sous une roche, exposés à qui les voulait bien? « Ah... et puis merde! »
Après tout, pourquoi s'énerver? La demoiselle avait été gentille avec elle. Difficile de faire le contraire lorsqu'on a une arme pointée entre les omoplates, mais bon. Isis trancha le silence de sa voix chaude et claire comme l'eau d'un ruisseau :
« Oui, c'est moi qui les ai fabriqués. J'y ai pris goût après en avoir fabriqué pour ma maîtresse... » Ses pensées disparurent aussi vite qu'elles étaient venues. La voix de Valone résonna dans sa tête : « Si un jour tu décides d'ignorer mes conseils et te rend à la surface, garde toujours une chose dn tête, Isis : tu ne peux pas avoir confiance envers les humains. S'ils savent ce que tu es, ils te feront du mal... »
L'argent n'existait pas chez les Sirènes. Ça lui serait totalement inutile de les vendre puisque les pièces des humains ne valaient rien à leurs yeux. Mais pouvait-elle révéler une telle chose à la blondinette? Valait mieux qu'elle se taise.
Tentant d'entretenir la conversation un peu - elle ne voulait pas prendre ses jambes à son cou et se transformer en poisson sous les yeux de la demoiselle - Isis ricana :
« Je ne crois pas que ces bijoux puisse valoir grand-chose. Je les ai toujours donnés en cadeau. Qui voudrait acheter de telles babioles?! »
Tout pour ne pas rendre cette jolie blonde encore plus en colère qu'elle ne l'était déjà. Après tout, ma vie semblait menacer et bien que l'arme ne soit plus confortablement installé dans le creux de mon dos, elle restait pointée vers moi et je me doutais que l'artiste n'hésiterait pas une seule seconde à me l'enfoncer en plein coeur si jamais l'envie s'en faisait sentir. Je ne voulais donc pas la contrarier, alors je la complimentais. Ce n'était pas plus mal et de toute façon, c'était loin d'être un mensonge. Ses créations étaient réellement magnifiques. Je pensais réellement ce que je disais. Elle pourrait les vendre à grand prix. Maintenant, pourquoi ne pas essayer de faire tourner la situation en ma faveur? J'étais peut-être en mauvaise position et lui demander une telle chose me mettrait peut-être encore plus dans l'embarras, mais pourtant... L'idée était bien trop tentante pour la laisser passer. Toutefois, je me devais d'attendre un meilleur moment. Pour ma propre sécurité, je ne pouvais me contenter de lui faire une telle proposition n'importe quand.
« Oui, c'est moi qui les ai fabriqués. J'y ai pris goût après en avoir fabriqué pour ma maîtresse... » Sa maîtresse? Pourtant, elle n'avait pas l'air d'une esclave. Sa chevelure, malgré qu'elle soit trempée, me paraissait trop bien entretenue pour ça, de même que ses mains qui ne portaient aucune cicatrice dues au travail acharné. Non, elle n'était pas esclave. Alors qui pouvait-elle appeler sa maîtresse? Je voulus donc la questionner à son sujet, car même si je n'étais pas en position de le faire, ma curiosité restait plus forte que tout. Seulement, je n'eus pas le temps de placer un mot que la blonde reprit la parole après avoir ricané, ce qui me rassura légèrement. Si elle était d'humeur à plaisanter, ma vie n'était peut-être plus menacée? « Je ne crois pas que ces bijoux puisse valoir grand-chose. Je les ai toujours donnés en cadeau. Qui voudrait acheter de telles babioles?! »
Cette fois, ce fut à moi de rigoler. Elle ne devait pas y connaître grand chose en commerce si elle doutait pouvoir tirer une bonne fortune de ces petites merveilles. « Tu ne dois pas venir souvent en ville. » Commençai-je en lui adressant un sourire prudent. « Plusieurs bourgeoises seraient ravies de faire l'acquisition de telles trésors pour impressionner leur époux ou leurs amants. Après tout, si ta... Maîtresse les apprécie, pourquoi d'autres ne le feraient pas? D'ailleurs, je suis certaine que je pourrais en tirer un très bon prix. Avec mes talents de marchande et tes talents de bijoutière, nous pourrions ramasser une petite fortune assez facilement! Qu'en penses-tu? » Proposai-je avec un enthousiasme à peine forcé, espérant de tout mon coeur que la blonde ne refuse pas mon offre. Après tout, il y avait de l'argent en jeu et qui n'aimait pas les pièces d'or?
La jolie blonde s’esclaffa sous mes yeux. Je fronçai les sourcils avec une pointe de frustration. Elle mentionne que je ne devais pas aller très souvent en ville. Elle avait raison. Avant, je ne montais jamais à la surface. Je ne connaissais pas la valeur que les objets avaient pour les humains. Je ne savais même pas ce qu’était une bourgeoise. Sous l’océan, il n’y avait pas de castes; seulement la famille royale et le reste du peuple des sirènes et des tritons. Même si l’océan était rempli de belles choses, nous n’avions ni or ni argent, nous faisions des marché, nous échangions des trucs à l’aide du troc. Aussi lorsqu’elle mentionna que nous pourrions faire une fortune avec les trucs que je fabriquais, je ne cillai même pas.
« Vos pièces d’or et d’argent n’ont pas de valeur, là d’où je viens… Toi, tu n’as visiblement jamais mis les pieds sous l’océan, » soufflai-je. Mes bras commençaient à être douloureux à force de tenir mon arme levée dans sa direction. Maintenant que j’avais repris mon trésor, maintenant que je l’avais bien observée, je me sentis moins menacée. Ce n’était qu’une jeune femme… qu’une humaine inoffensive. Si je le voulais, je pourrais facilement la noyer, mais je n’en ferais rien. Je n’étais pas comme ces chasseresse qui tuaient les humains simplement parce qu’ils les avaient regardées.
En serrant les dents, je plongeai mon regard dans le sien. « Et toi, comment utiliserais-tu cette… fortune dont tu parles? » la questionnai-je en tentant de sonder son âme aux fond de ses prunelles. Depuis que j’étais remontée à la surface, depuis que j’avais mis les pieds à Blindman’s Bluff depuis la première fois, j’avais remarqué que le monde des humains tournait beaucoup autour de l’argent. Heureusement que la vie dans l’océan n’était pas aussi unidimentionnelle, parce que la vie éternelle aurait été bien longue… Les pirates aimaient l’argent et les femmes, les natifs et les nouveaux venus qui arrivaient sur l’île couraient après cet or qui leur permettrait de survivre sur l’île. La seule personne que j’aie rencontré qui n’en avait pas pour cet argent, c’était la petite Sissy et sa petite fée Lily. Comme chez les êtres de l’océan, les enfants ne connaissaient pas les mêmes soucis que les êtres matures, visiblement.
Mes derniers mots s’échappèrent de mes lèvres sans que je ne puisse les retenir : « En ce qui me concerne, tout l’or de votre monde ne pourrait pas acheter ce que je désire le plus… »
Oups. À voir sa réaction, je venais forcément de froisser la jolie blonde, tout ça grâce à mes éclats de rire. Étrange, normalement ils produisaient plutôt l'inverse. Tant pis. Après tout, je n'étais pas là pour me faire une amie, mais bien pour m'enrichir un peu, d'où l'idée de conclure un marcher avec elle. Je lui proposai donc une alliance, une entente purement commerciale entre nous-deux. Selon moi, nous pourrions facilement gagner quelques pièces d'or si elle acceptait de me fournir quelques-unes de ses créations, afin que je puisse les vendre sur la place publique. Une proposition qui me paraissait assez alléchante, mais qui ne sembla faire ni chaud ni froid à mon interlocutrice. Et pour cause, cette dernière venait de me révéler sa véritable nature. Une sirène. C'était la première que je rencontrais, depuis cette fameuse nuit où j'avais été sauvée par une autre représentante de son espèce. Je ne comprenais juste pas pourquoi elle me confiait une telle chose, surtout après avoir joué l'humaine aussi longtemps. Je ne sus donc pas quoi répondre à sa révélation. Ainsi, je me contentai de hausser un sourcil avant de la laisser reprendre la parole. Pour une fois, je n'avais rien à dire, chose qui était plutôt rare chez moi.
« Et toi, comment utiliserais-tu cette… fortune dont tu parles? » À cette question, j'aurais pu répondre de nombreuses choses. Avec autant d'argent, je pourrais m'acheter des robes magnifiques, trouver du meilleur matériel pour améliorer ma piteuse écurie, peut-être même dénicher de quoi l'agrandir un peu afin d'acquérir un second cheval. Ça ne ferait pas de mal à ma petite Cannelle que de se retrouver en compagnie d'un second équidé. Certes, elle n'avait pas l'air malheureuse, puis elle avait mon vieil âne pour lui tenir compagnie, mais l'idée d'avoir un deuxième cheval était loin de me déplaire. Aussi, je pourrais garder quelques pièces d'or pour louer un local en ville, un endroit où ouvrir ma propre pâtisserie, comme j'en avais toujours rêvé... Il y avait tant de possibilité, à un point tel que je ne sus pas quoi répondre, encore une fois. Je me contentai donc d'une réponse vague. « Je ne sais pas trop... Il y a tellement de choses dont je rêve que je ne saurais pas par où commencer. » De toute façon, ça n'aurait servi à rien de lui énumérer tout ce que je pourrais acquérir grâce à ses bijoux.
« En ce qui me concerne, tout l’or de votre monde ne pourrait pas acheter ce que je désire le plus… » Voilà qui était intéressant... Avec un peu de chance, ce qu'elle désirait m'était accessible. Avec un peu de chance, je pourrais l'aider à se procurer ce qu'elle désire, en échange de ses créations. Ainsi, je n'aurais même pas à lui fournir de pièces d'or. De toute façon, ces dernières me seraient bien plus utiles qu'à elle, vu l'endroit d'où elle venait. « Si tu veux bien me dire ce que tu désires tant, peut-être pourrais-je t'aider? » Proposai-je en plongeant à mon tour mon regard dans le sien.
Je ne pus m'empêcher de ressentir une certaine méfiance à l'égard de cette humaine. Bien sûr, comme j'étais à moitié nue, j'étais presque certaine qu'elle avait deviné ce que j'étais, et comme elle ne semblait pas armée et je me sentais particulièrement farouche, je n'aurais pas hésité à lui faire la peau pour protéger mes écailles, mais allais-je lui raconter ma vie et mes problèmes familiaux, là, juste comme ça? Mon esprit roulait à toute vitesse alors que je pesais le pour et le contre de ce que ma bouche brûlait de lui révéler. Comment quiconque pourrait-il comprendre cette situation tordue dans laquelle je me trouvais. Je ne pouvais pas lui dire que j'avais un frère dont je ne me souvenais pas du prénom. De quoi aurais-je l'air? En même temps, je ne me voyais pas simplement lui dire que je cherchais un ami d'enfance que je n'avais pas vu depuis plus d'une centaine d'années sans avoir de raison précise. À ce moment-là, drapée dans une vieille voile de bateau, mon arme rudimentaire au point, l'étrangeté de la situation dans laquelle je me trouvais, la particularité de mon arbre généalogique, me frappa de plein fouet.
Je fronçai le nez et je lui confiai : « Je cherche une personne que j'ai perdu, il y a bien longtemps... Tout le monde croit qu'il est mort et je l'ai cru aussi. J'ai oublié son nom, mais pas son visage. Ça fait plus de 100 ans, tu comprends... » Comment aurait-elle pu comprendre? Elle ne devait pas avoir plus d'une vingtaine d'années. On n'oublie pas le prénom de son meilleur ami en vingt ans! « Tu vas me trouver bien tordue, mais... j'ai su qu'il était mon frère et que toute ma vie - qui dure depuis près de deux cent ans, en passant - n'était que foutaises! Il est la seule famille qu'il pourrait me rester, mais je ne suis même pas certaine qu'il vive toujours... »
J'étais au bord des larmes. Je serrais mon petit sac dans ma menotte en ravalant mes larmes, mais je savais que le ton de ma voix me trahissait. Curieusement, j'avais honte de ce que j'étais devenue depuis le couronnement des Thelxiope. J'avais l'impression de n'être plus que l'ombre de moi-même. Et surtout, plus que jamais, je me sentais atrocement seule. Moi qui, autrefois, aimait tellement la vie, la mer, les coquillages et les poissons, j'avais maintenant une obsession totalement contre-nature pour une représentante de mon espèce : l'île, ses habitants. J'étais convaincue que mon demi-frère avait quitté la mer pour vivre avec les humains.
« Tout l'or du monde ne pourrait pas m'aider à le retrouver... Je n'ai rien. Pas de piste. Rien. »
Ce n'était pas mon genre de me livrer comme ça au regard d'une pure inconnue, mais son regard me troublait. En me questionnant sur la façon de lui exposer la situation, j'avais pris conscience que ma quête était peut-être vaine et fantasque. Jamais je ne m'étais trouvée dans une si grande détresse. J'aurais voulu me liquéfier et couler entre les rochers. Disparaître pour ne plus avoir à me sentir si bizarre et anormale.
Cette proposition que je faisais à la naïade pouvait sembler égoïste. Après tout, je lui proposais mon aide en échange d'une faveur, soit récupérer quelques-unes de ses créations afin de les revendre à bon prix. Toutefois, ce n'était pas mon but premier. Certes, m'assurer que ce voyage ne fut pas vain était une bonne chose. Seulement, au plus profond de moi, je souhaitais réellement aider cette fille. Pourtant, je ne la connaissais pas vraiment et la première impression que j'avais eu d'elle avait été plutôt négative, vu la position dans laquelle elle m'avait surprise et la façon dont elle m'avait menacer. Mais, malgré tout, elle ne semblait pas dangeureuse, elle avait même l'air assez gentille. Elle aurait pu me tuer n'importe quand, que ce soit avec son arme improvisée ou avec ses mains. Il lui aurait suffit de se jeter sur moi pour m'attirer dans l'eau et elle se serait débarassée de moi rapidement. Elle aurait pu récupérer ses bijoux d'une manière beaucoup plus simple qu'en se contentant de discuter avec une simple humaine, mais elle ne l'avait pas fait. Aini, malgré ce qu'elle laissait paraître, elle avait du coeur, d'une certaine façon, alors l'aider ne me dérangeait pas du tout. Au contraire. Je l'écoutai donc attentivement tandis qu'elle me parlait de son problème.
D'après ce que je pouvais comprendre, la pauvre avait perdu l'un de ses proches il y a très très longtemps, si bien qu'elle avait oublié jusqu'au nom de cette personne si chère à son coeur. Et le pire dans tout ça, c'est qu'elle n'apprenait la vérité qu'après un siècle. Cent longues années perdues avec lui, son frère. À sa place, j'en voudrais au monde entier. À mes parents, à mes amis, pour m'avoir caché une telle chose. Surtout que tous ces hypocrites l'avaient peut-être privée de ses derniers moments avec lui, car comme elle venait de le mentionner, tout pouvait arriver en un siècle. Son frère pouvait être décédé depuis longtemps sans même quelle le sache. C'était terrible, alors je souhaitais l'aider. Je ne savais pas encore comment j'allais faire vu le manque d'indice, mais je voulais faire mon possible pour donner un coup de main à la jolie blonde. Parce que si j'avais été à sa place, j'aurais voulu qu'on m'aide.
« Tout l'or du monde ne pourrait pas m'aider à le retrouver... Je n'ai rien. Pas de piste. Rien. » Voilà. C'était l'occasion idéale pour proposer mon aide, non sans oublier cette toute petite requête que j'avais à lui faire. Mais si je me fiais à son récit, ses bijoux ne valaient pas grand chose pour elle, alors je me doutais qu'elle n'hésiterait pas à me les offrir contre une quelconque information sur son frère. Seulement, je ne disposais d'aucun indice et je ne voulais pas lui mentir comme tous ces gens l'avaient fait auparavant. « Tu n'as pas de pistes et tu ne dois pas connaître beaucoup de gens à la surface, ce qui est dommage, car si ton frère est resté introuvable si longtemps, c'est qu'il partage probablement son temps entre la terre ferme et l'océan. » Commençai-je en pesant chacun de mes mots. « À vrai dire, ça ne m'étonnerait même pas de l'avoir croisé un jour sans même savoir qui il était. Et si je peux l'avoir croisé, c'est que d'autres aussi l'ont probablement fait. Si tu veux, je pourrais peut-être t'aider? Certes, je ne suis qu'une humaine, mais contrairement à toi, j'ai un vaste réseau de contact à la surface. Là où je travaille, je dois croiser une centaine de marins et d'habitants par semaine. L'un d'eux doit bien avoir quelques informations à propos de ton frère, non? Si tu veux, je pourrais mener une petite enquête de mon côté, en échange d'une chose qui, de toute façon, ne vaut pas grand chose à tes yeux? » Terminai-je sans même lui adresser un sourire, de peur de paraître malicieuse. Je ne voulais pas avoir l'air de profiter d'elle et je voulais qu'elle comprenne qu'au fond, je souhaitais réellement l'aider. Que j'étais sérieuse.