- J'espère que tu sais faire de la couture. La princesse émit un sifflement entre ses dents et jeta un regard vers sa main pleine de sang. Sinon, je ne suis pas prête de rentrer.
✘✘✘ Quelques minutes plus tôt ✘✘✘
Voilà qui lui apprendrait à semer ses gardiens. La douleur lui vrillait le muscle comme des milliers de petites piqures d'aiguilles qui s'obstinaient à remordre sans cesse la même plaie. Chaque mouvement était une torture de plus mais elle ne pouvait faire autrement que solliciter son abdomen. Il fallait qu'elle avance car rester sans bouger, dans son état actuel, agrandirait bien trop le taux de probabilité de voir arriver les grands prédateurs dans l'heure. La sirène s'en mordait la lèvre sans que la souffrance ne montre le moindre signe d'apaisement tandis que la chair de son flanc continuait de propager une fumée de sang traitre dans son sillage. Une petite morsure n'était pas de taille contre cette entaille, plus profonde qu'elle n'était large. Dieu, merci, elle ne présentait rien de bien grave mais nécessitait des points de sutures et Valone se trouvait à des lieux du palais. Aucun organe vital n'était touché, sauf que l'effort aggravait l'écoulement pourpre. Il lui fallait se reposer et trouver le moyen de refermer cette bouche sanglante que sa confrontation avec le massif espadon en colère lui avait violemment ouvert. La princesse n'avait pas remarquée la présence du thonidé. Il était arrivé dans son dos pour l'attaquer sans raison apparente. Fonçant tel un enragé. Ce n'était même pas une femelle qui protégeait potentiellement son petit mais bien un mâle, solitaire. Valone supposait que c'était la nuit trop longue et le froid constant qui l'avaient rendu fou car, généralement, ce que ces animaux dégustaient de plus impressionnants étaient des calmars. Avait-elle une tête de calmar ? Non. Pas même d'appendices couverts de ventouses et son parfum était divin, rien à voir avec
leur odeur naturelle. Elle n'avait
rien d'un calmar. Alors, quel autre responsable à sa malchance que cette fichue nuit infinie ?
La première hostilité de l'animal avait échouée. Il avait manqué sa cible de peu. Heureusement, Valone avait eu le réflexe de s'écarter dans les dernières secondes en pressentant la présence agressive qui lui filait dessus. Une coup de chance qui n'avait pas duré. La bête était têtue et très véloce. Il l'agressait tel une abeille défendant sa ruche remplie de larves. Elle n'avait eu d'autres choix que de l'affronter car il était trop difficile pour elle de la semer. Alors une lutte s'en était suivie où le thonidé l'avait envoyée se déchirer le flanc contre une langue rocailleuse coupante. A partir de là, il lui avait fallu lui pourfendre le crane où elle se serait, à coup sûr, faite mortellement transpercer. Pas une mince affaire que de lui transpercer la tête avec sa lame mais elle avait réussi. Le cadavre avait coulé dans les profondeurs dans une traînée de bulles et de vapeur rouge. Lui, il attirerait les plus gros carnassiers à branchies. Mieux valait ne pas trainer ici. Alors elle avait filé. La douleur empêchait son corps de se mouvoir aussi vite qu'à l’accoutumée, dans sa lutte elle avait eu des muscles contusionnés, et Valone était trop loin du palais pour espérer une rapide intervention. Seule, avec cette plaie ouverte, elle était en mauvaise posture. Où pouvait-elle bien aller pour se mettre en sécurité ? Les prédateurs auraient vite fait de la rattraper. Que pouvait-elle faire pour stopper sa perte de sang ? Appuyer dessus ne suffisait pas. Comment allait-elle faire pour rentrer à la demeure familiale ? Elle était si loin et son mal était si perçant. Puis... Un espoir avait illuminés ses traits crispés. Il y avait bien une personne près d'ici, vers qui elle pouvait se tourner. Mais, demander de l'aide pour être soignée... A une humaine qui ne devait avoir aucune expérience de guérisseuse, qui plus est ! Un regard vers sa blessure lui avait intimé qu'elle n'avait pas le choix. C'est ainsi que la princesse avait bifurqué pour mettre le cap sur la Péninsule du Crabe Fantôme.
Voir celle qu'elle ignorait être sa seconde cousine : Emérya Firadrëll.
✘✘✘ Flashback end ✘✘✘
Lorsque la vipère avait rencontré la douce, le courant ne s'était pas seulement contenté de passer entre elles. Il avait établi une imprévisible connexion. Sans même prendre en compte les exigences habituelles de la princesse en matière d'affinité. Emérya était une fille altruiste, douce, bienveillante. Des qualités qui désintéressaient parfaitement la teigne nacré et allaient même jusqu'à l'ennuyer, d'ordinaire. Hors, celle qu'elle prenait pour une humaine avait su suffisamment amadouée cette terreur à nageoire pour que toutes deux aient le loisir de tisser un lien qui allait bientôt les faire souffrir. La théorie de Valone était qu'Emérya dégageait une aura à peu près semblable à celle de son frère Cyd. Une aura qui inspirait l'empathie à ceux qui faisaient la connaissance de cette perle aux jolies boucles brunes. C'était le type de sentiment qui empêchait quiconque faisant sa connaissance de la repousser ou de la détester. Val', bien que le niant, était tombée dans ces filets rayonnants. Qu'elle s'en rende compte ou non, quoiqu'elle en dise, la princesse affectionnait ce brin de soleil. Alors découvrir un seul des mensonges forcés que cette dernière lui faisait depuis le départ... risquait de faire du verre pilé.
En arrivant sur la rive près de chez la musicienne, Valone avait entrepris de l'appeler pour la faire venir à elle mais, même si elle était bien là, il y avait peu de chance qu'Emérya ne l'entende. Alors, elle s'était rapprochée de sa modeste maison pour scruter au travers des vitres si elle apercevait sa silhouette. Au bout d'un temps qui lui paru trop long, enfin, elle la vit. Alors, sans se préoccuper du fait que sa mère apparemment peu commode, à ce qu'elle avait compris, pouvait être dans le coin -voire même à l'intérieur de leur logis- Val' s'était emparé d'un petit tas de neige pour grossièrement en faire une boule tâchée de carmin et la lancer au coin de la fenêtre. Le projectile rigide en avait heurté le rebord avec rudesse et maladresse. Oh, la princesse savait viser. Seulement, elle n'était pas gauchère et tirer sur son bras droit ne ferait que tirailler son flanc davantage. Alors la boule s'était cognée bruyamment contre le bois pour ensuite retomber lourdement au sol, sa mission de toute évidence accomplie. Valone n'avait plus eu qu'à faire signe à l'artiste en herbe de descendre la rejoindre un peu plus loin, dans un coin plus discret où elle se sentait plus à l’abri des regards et des ouïes. A présent, l'hybride se tenait assise en bordure de plage, là où l'eau salée gardait sa nageoire de nacre immergée. La sirène n'irait pas plus loin sur la terre. Ce qui laissait une respectable distance de plusieurs centimètres d'eau entre elle et Emérya. La pauvre serait obligée de mouiller ses jupons dans l'eau froide si elle voulait venir en aide à la blessée qui ne pouvait plus se permettre de remuer à sa guise. Voilà une situation qui s'annonçait... compliquée.
- Apporte-moi de la neige. Propre. Ne songes même pas à me passer une couche contenant une seule particule de terre.On ne fait pas plus chaleureux...