Sortant de la cabine, elle n'était en effet pas très fière de sa tenue. Elle ne ressemblait à rien. Même en passant des semaines entières à gambader dans la forêt, pleine de terre, elle ressemblait plus à une "fille". En le voyant se retenir de rire, elle lui mit d'ailleurs un coup dans son épaule, pas très violent en lançant un "je ne te permet pas de rigoler", souriant à son tour. Elle était totalement ridicule, autant l'avouer.
▬ J’utilise le céruse pour mon bois mais je te déconseille d’en mettre sur ta peau. Tu n’as qu’à dire que tu t’es battue avec un ours. Chez les indiens ça ferait fureur et la moitié des guerriers de la tribu demanderait ta main. D’où tu viens ? Je ne t’avais jamais vu en ville avant. ▬ Oh et bien je pense que je ne suis pas encore prête à me marier, mais merci du conseil ! dit-elle en lâchant un petit rire.
C'est alors qu'un sujet assez gênant vint sur le tapis. D'où elle venait. Naïla ne tourna pas sa langue dans sa bouche avant de parler de ça, par ailleurs.
▬ Du l'Océ... Elle se racla la gorge. Hum... D'un peu partout. Je ne reste jamais longtemps au même endroit. Et toi ?
La jolie brune s'insulta presque mentalement de la gaffe qu'elle a failli faire. A vrai dire, elle ne voulait pas trop que les gens sachent qu'elle était une sirène, en particulier les pirates. Et elle voulait éviter les questions du type "pourquoi tu es parti ?", "je peux voir à quoi ressemble une sirène? Je n'en ai jamais vu !", etc. Cela reviendrait à dire qu'elle était témoin d'un crime et qu'au lieu d'aider son fiancé par mariage arrangé, elle avait fui, fui ses responsabilités comme une faible au lieu d'affronter la réalité. Cela reviendrait à dire qu'elle était sans doute rechercher sous l'Océan, qu'elle ne pouvait pas y retourner et qu'elle ne voulait pas affronter ses parents. La croyaient-ils morte après tout ce temps ? Allait-elle se décider à les revoir un jour ? A affronter son destin ? Mais au fond, pourquoi s'imposait des choses alors qu'on a la vie éternelle devant soi, que l'on peut contrôler notre vieillissement ? Naïla se demandait si durant sa longue vie elle connaîtrait ses sentiments inconnus: l'amour, l'amitié, la culpabilité, le désir... Ou bien si le but de son existence se limitait à venger une amie. Afin de faire passer son manque de gaffe et ses tonnes de questions, elle but le contenu de son verre cul sec après l'avoir levé vers Raygon, ce qui eut le don de lui arracher une grimace. Elle avait l'habitude de faire des cul-secs avec des pirates pour les "impressionner", mais elle n'avait jamais goûté cet alcool et n'y était pas habituée, ce qui eut le don de la faire légèrement plisser le nez en se raclant la gorge.
Highway to the Danger Zone I'll take you Right into the Danger Zone
« Heyy » ne put s'empêcher de lâcher le jeune homme encore secoué par son rire réfréné quand Naïla lui tapa dans l'épaule. C'est qu'elle ne mesurait pas sa force la belle archère et que son petit poing bien placé avait tapé pile sur une belle contusion. Remarque, de bleu violet à marron violacé il n'y avait qu'un pas. Ne voulant pas paraitre faiblard il se retint de frotter son épaule et croisa les bras sur son torse en laissant trainer un sourire en coin. Ainsi la demoiselle n'était pas mariée. Remarque, avec un tempérament aussi libre et farouche, bien émérite celui qui réussirait à emprisonner ne serait-ce que son annulaire ! La minute d'après elle gaffa quand à ses origines, et Raygon n'eut aucun mal à compléter son mot. Sans comprendre la portée sur la nature même de son hôte il lança d'un air intrigué.
« Tu voulais dire de l'Océan? Tu parcours les flots à bord de frégates, pourquoi ça ne m'étonnes pas! »
Étrangement, après avoir failli mourir à ses côtés, Raygon s'étonnait à peine de comprendre aussi bien la jeune femme. Oui, il l'imaginait à la découverte de nouvelles îles, voguant de ci delà sans jamais s'y arrêter vraiment. Peut-être était-ce d'ailleurs au cours d'une de ses échappées qu'elle avait eu des démêlés avec des pirates et que depuis, sa vengeance était son seul moteur. Raygon était loin d'imaginer la réalité bien sûr, mais il enfonça le clou sans le savoir.
« La raison pour laquelle tu voulais ces pirates morts... ça a à voir avec cette vie là n'est-ce pas? Ils ont pillé ton navire, ou blessé ton équipage? »
Le jeune homme savait que certains pirates de One-Eyed, sans scrupule, n'hésitait pas à attaquer des navires marchands, des frégates d'explorateurs, pour le seul plaisir de tuer. Avalant leur verre, Raygon ne put qu'imiter la grimace de Naïla. Au moins avait-il une réponse à l'une de ses questions. Le rhum était vieux... très vieux... Faisant claquer sa langue contre son palet, le garçon s'en resservit un d'affilé ainsi qu'à son hôte.
« J'sais pas toi mais ça fait du bien de n'plus sentir sa tête parfois.» et sur ce, il avala de nouveau l'alcool brûlant. Le rhum avait de ça qu'il déliait les langues, et épanchait les cœurs des vieilles rancunes. Raygon choisit de garder le silence, laissant à Naïla la possibilité de répondre à ses questions ou de changer de sujet. Peut-être était-il allé trop loin mais à présent qu'il l'avait rencontrée, la jeune femme avait piqué sa curiosité et il désirait mieux la connaitre.
Naïla fit maladroitement des ourlets avec ses manches afin de les remonter quelque peu. Elle tentait d'avoir un look un peu plus convenable, mais elle ressemblait surtout à un garçon manqué en ce moment-même. Elle avait l'impression d'être loin d'être désirable. Un vrai sac sur patte avec ses vêtements. Elle ne cherchait pas à plaire aux autres, mais elle aimait se sentir jolie. Là ce n'était pas le cas. Mais elle devait faire avec les moyens du bord. Elle n'avait pas vraiment le choix.
▬ Je ressemble plus à un gros boudin qu'à une fille dans cette tenue, alors si en plus tu te moques !
La jolie brune fit une fausse moue avant de rire à son tour. Bien-sûr elle ignorait qu'elle avait frappé en plein dans une contusion. Encore une des gourdes qu'elle savait parfaitement faire. La seconde fut le mot "océan" que Raygon interpréta à sa manière. Ecoutant son récit, elle se servit un second verre de rhum. Elle n'avait jamais bu à en perdre la tête de toute son existence, mais la chaleur au niveau de sa gorge lui procurait un léger bien. Elle commençait à se sentir pleine de légèreté dans sa tête et à en oublier qu'ils venaient tout juste d'échapper à la mort. Ils pouvaient fêter leur "victoire" -d'une certaine façon- en buvant quelques verres. Ici, ils ne pourraient rien leur arriver de mal.
▬ La raison pour laquelle tu voulais ces pirates morts... ça a à voir avec cette vie là n'est-ce pas? Ils ont pillé ton navire, ou blessé ton équipage?
Naïla avait écouté le cours de ses pensées en finissant son deuxième verre et manqua de s'étouffer avec sa gorgée en entendant son hypothèse. Elle se mit même à rire doucement avant de toussoter à cause de la boisson qui était mal passée. Un visage qui révélait un franc amusement se dressa vers le beau brun tandis qu'elle agita négativement la tête.
▬ Eh bien, Raygon, je suis ravie de te dire que tu es à côté de la plaque. Je parcours surtout les flots à l'aide de ma nageoire. Je suppose que tu remets en cause ta phrase de tout à l'heure comme quoi tu n'es pas surpris ?
Elle se mit à rire en prenant une nouvelle gorgée de son verre. Il avait raison. Cela avait du bon parfois de ne pas sentir sa tête. Parce qu'en temps habituel, elle n'aurait jamais divulgué cette information à un presque-parfait inconnu. Naïla devait avouer que cela lui faisait du bien de ne pas réfléchir, réfléchir ET réfléchir. Encore et encore. Comme quoi, malgré tous les soucis que pouvaient causé l'alcool, il y avait bien du bon derrière tout ça. La preuve, même l'une des personnes le plus renfermées qu'il soit d'exister pouvait se livrer à une personne étrangère. Si ce n'était pas beau d'une certaine manière!
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Un gros boudin mais bien sûr ! Raygon leva les yeux au ciel. Il n’y avait bien que les femmes pour toujours se penser mal fringuées.
« Tu parles de mes vêtements là ! Personne n’est un boudin dedans ! »
D’un geste il attrapa le bas du tricot trop lâche que portait Naïla, et tira doucement dessus en souriant. Oui bien sûr qu’il était trop grand pour elle, mais elle était aussi belle que lorsqu’il l’avait vu la première fois, quelques heures auparavant. Son air farouche de l’avait pas quitté même si une nuance de douceur s’y était glissée.
A vrai dire il ne savait de l’alcool ou de la fatigue, mais il lui trouvait une aura nouvelle. Passé sa fierté et sa méfiance, sa féminité, même si elle semblait l’ignorer, ressortait, et son rire donnait à son visage une lumière fascinante. Même quand elle se moquait de lui. Apparemment bien à côté de la plaque, Raygon croisa les bras en écoutant la vraie version de Naïla.
Au mot nageoire, il sentit tout son corps se crisper et n’écouta même pas la fin de la phrase. Ses yeux se fixèrent sur la jeune femme, et imperceptiblement il se recula. Les sirènes… était-ce pour cela qu’il avait cru ressentir cette attraction solaire ? Son passé avec ces créatures pernicieuses lui avait laissé un amer souvenir. Il avait failli mourir par l’une d’elles et il n’était pas prêt à leur refaire confiance de si tôt.
« Toi ? Tu es une sirène ? » Bien malgré lui son ton transpirait le dégoût et il se sentit obligé de se lever. Le verre vide à la main il fit les cents pas. Cette fois il n’y avait plus de rire, plus de sourire. Il savait qu’il avait blessé la jeune femme alors même qu’elle se confiait à lui mais son aversion pour les sirènes l’avait fait réagir trop vite. Etant enfant perdu, il avait failli être noyé par l’une d’elles, charmé par ses douces paroles, son sourire enjôleur, il s’était pris au jeu. Bien sûr, le garçon n’avait pas été complètement innocent dans toute cette histoire. Alors qu’elle allait repartir, il avait voulu retenir la créature par tous les moyens, quitte à inventer un stratagème pour piéger la sirène dans ses filets. Mal lui en avait pris, la belle naïade s’était débattue, l’emportant dans sa rage vers les profondeurs et il n’avait dû son salut qu’à son meilleur ami.
Alors oui, en effet, il était plus que surpris par cette nouvelle. Elle lui faisait reconsidérer les choses. Peut-être n’avait-il voulu la sauver que parce qu’ELLE l’avait décidé. C’était une ensorceleuse et il l’avait mené tout droit chez lui. Etait-elle l’une de celles, haineuses des humaines ? Souhaitait-elle le tuer à présent lui aussi ? Soupçonneux et sur ses gardes malgré les deux verres dans l’nez qui nourrissaient sa colère plus qu’autre chose il lui lança.
« Qu’est-ce que tu fais sur la terre ferme ? Qu’est-ce que tu me veux ? »
Naïla n'était pas une de ses filles qui passait des heures devant le miroir. Son physique ne lui était pas d'une grande importance. Après tout, avouons-le entre nous, quand on se prépare chaque matin c'est pour plaire aux yeux des autres, attirer le regard de notre homme ou bien de celui avec qui on aimerait se consumer dans ses bras. Pas pour nous. Et Naïla n'avait pas d'amis, de proches, d'homme qui lui tapait aux yeux. Elle n'avait tout simplement personne. Elle était un peu comme seule au milieu de l'immensité de l'univers. Voilà pourquoi son physique n'avait que très peu d'importance. A quoi bon plaire quand l'idée d'un contact humain t'effrayait à moitié ? Parfois, la jeune Vairë détestait cette partie d'elle, celle qui était réticente et froide. Elle aimerait être comme tout le monde. Mais le passé l'avait forgé ainsi, elle n'y pouvait rien. Peut-être était-elle vouée à finir sa vie seule ? Que signifiait le temps pour une sirène immortelle ? Cela était quelque peu effrayant.
Quoiqu'il en soit, quand le jeune Finnighan s'approcha d'elle en tirant un peu sur le tricot, les muscles de la jolie brune se contractèrent par purs réflexes, en se demandant ce qu'il voulait. Mais elle se détendit assez rapidement par les paroles qu'il lui adressa.
▬ Tu parles de mes vêtements là ! Personne n’est un boudin dedans ! ▬ Veuillez me pardonner de mon impolitesse, monsieur.
Doucement, elle fit une petite révérence comme pour lui montrer son respect avant d'exploser de rire. Bien-sûr tout cela ne lui ressemblait pas. Les manières de noblesse, le vouvoiement, "monsieur"... C'était de la pure ironie. A vrai dire, ses parents lui avaient toujours interdit de sortir, elle n'avait eu que très peu de contact dans l'océan, mise à part avec de la famille ou des gens de son âge. Dans un tel cas, le vouvoiement n'avait été que très peu pratiqué. Parfois, elle faisait des efforts quand elle s'adressait à des adultes, mais des "tu" lui échappaient malencontreusement sous les mines choqués de certaines personnes "riches". Pourtant, cela la faisait intérieurement rire. Mais son passé avait été comme ça et un individu ne pouvait pas changer du jour au lendemain.
Alors qu'elle venait de révéler à Raygon ses origines, elle ne s'attendait pas à le voir se braquer comme ça. Son visage s'était soudainement crispé et on pouvait lire dans ses yeux un passé compliqué. Une haine envers les sirènes similaires à celle que ressentait Naïla envers les pirates. Et cela la chagrina quelque peu, puisqu'il s'agissait de la première fois qu'elle se livrait ainsi à quelqu'un.
▬ Qu’est-ce que tu fais sur la terre ferme ? Qu’est-ce que tu me veux ? ▬ Mais qu'est-ce que tu racontes ? Je ne te veux absolument rien. dit-elle en fronçant les sourcils.
Elle ne répondit pas à sa première question. A quoi bon se confier à quelqu'un qui lui parlait comme-ci elle était une chose répugnante. Naïla avait l'impression d'être plus bas que terre à ses yeux, ou dans un langage plus familier, une simple "merde". Baissant doucement des yeux, elle s'injura mentalement pour la faute qu'elle venait de commettre. Ca lui apprendrait à se dévoiler à des parfaits inconnus. Et le regard de Raygon révélait tellement de dégoût et de haine que la jeune femme se dit qu'il serait impossible qu'il y ait un quelconque changement, désormais.
▬ Je pense qu'il vaut mieux que j'y aille.
Ce regard. Elle le connaissait tellement bien. Elle se sentait à la fois humilié, trahi, mais également inquiète. Si sa haine était aussi grande que celle qu'elle avait avec les pirates, il valait mieux qu'elle s'en aille avant qu'il ne tente quelque chose. Son visage exprimant la douceur s'était doucement refermé, dévoilant une froideur et une carapace sans merci. Elle recula jusqu'à la porte n'attendant pas une réponse de sa part et s'éclipsa parmi les arbres de l'immensité de la forêt, vêtue de vêtements bien trop grand pour elle.