Il le lui avait promis. C'est ce qu'elle ne cessait de lui répéter, bras croisés et mine faussement boudeuse. Cheyenne l'observa quelques instants, incapable de résister à son air mécontent en bon tonton qu'il était. Le pêcheur poussa alors un profond soupire et rangea soigneusement son harpon. Selyne bondit sur ses pieds et esquissa quelques mouvements de danse, elle était encore parvenue à obtenir ce qu'elle désirait. Chey ne put s'empêcher d'en rire, il savait que d'ici quelques années, la petite fille commencerait à grandir et qu'elle n'aurait plus forcément envie d'aller voir les animaux sauvages dans les bois en sa compagnie. L'indien n'avait pas l'opportunité de voir sa propre fille grandir alors il devait se contenter de voir Selyne devenir adulte. Mais pour l'heure, l'âge adulte était encore bien loin. Elle était plutôt focalisée sur la chasse aux papillons ou sur l'utopie de pouvoir un jour adopter un crodoudou.
Selyne courut chercher sa gourde rangée dans son tipi pendant que Cheyenne s'armait de son trident qu'il rangea habilement dans son dos à l'aide d'une simple corde enroulée autour de sa taille. L'indien était le seul de sa tribu à manier cette arme atypique et ça l'amusait beaucoup, à vrai dire. Souvent, quelques guerriers venaient lui demander comment il maniait ce trident. Chey pouvait alors frimer en leur montrant quelques-uns des mouvements offensifs qu'il avait appris au fil des années. Très vite cependant, le pêcheur éclatait de rire et laissait aux pros du combat ce qui leur appartenait. Son rôle à lui, était plutôt de piéger des poissons et de les harponner.
L'indien rejoignit donc Selyne à l'entrée du camp Piccaninny, elle trépignait d'impatience et affichait un sourire radieux qui valait toutes les peines du monde. Cheyenne passa à ses côtés et lui ébouriffa les cheveux dans un geste paternel. Elle replaça rapidement les quelques mèches brunes qui s'envolaient dans tous les sens et soupira, faussement énervée. Ils prirent la route du bois des esprits en discutant. Selyne était la fille de son meilleur ami Mataku et Chey l'avait vue naître et grandir. Il avait toujours veillé sur la fillette comme sur sa propre fille. Selyne rappelait sa propre enfant à Cheyenne, parfois d'ailleurs, ce souvenir lui était douloureux. Se dire que jamais il ne verrait sa fille arriver à l'âge de Selyne, c'était sans doute la pensée la plus rude qu'il ait pu avoir. Heureusement, Selyne parvenait toujours à lui remonter le moral en un sourire ou en une grimace. Ils arrivèrent à destination et Cheyenne désigna des traces fraîches laissées par des animaux. Il s'approcha et chuchota à Selyne :
- Ce sont des biches.
Il n'en fallut pas plus pour convaincre la gamine. Elle se mit à sourire si fort que ses joues durent être douloureuses à force. Cheyenne lui fit signe de le suivre, ils avancèrent en silence dans le bois. Tout était calme, une douce mélodie de ruisseau résonnait quelque part entre les méandres des arbres. Enfin, le duo trouva ce qu'ils avaient repéré. Chey prit la main de Selyne et l'amena près de lui pour qu'elle puisse voir. Une magnifique biche à la robe brune tachetée d'un beige très clair, frottait son museau contre le pelage de son petit. Le pêcheur entendit Selyne dire que c'était le spectacle le plus beau qu'elle ait jamais vu. Il devait bien avouer que la scène était particulièrement attendrissante.
Un bruit de pas fit fuir les animaux. S'élançant sur leurs fines jambes, la mère et son petit disparurent entre les troncs d'arbre. Impossible pour Cheyenne et Selyne de les suivre car désormais qu'ils étaient alertés d'un danger, ils resteraient aux aguets. D'ailleurs, en parlant de danger. L'indien refusait de mettre sa petite protégée en danger, il fallait qu'il sache de qui il s'agissait. Gardant Selyne à proximité, le Piccaninny persévéra lentement et silencieusement jusqu'à arriver derrière un large tronc d'arbre. Il pencha la tête et discerna une silhouette. Sa peau halée, ses longs cheveux bruns et son habillement trahissaient l'appartenance de la demoiselle à la culture indienne. Cheyenne sortit alors de sa cachette et adressa des salutations formelles à l'inconnue :
- Bonjour.
Elle n'appartenait sans doute pas aux Piccaninny car le pêcheur ne la connaissait pas. Leur tribu n'étant pas si énorme que ça, il était impossible qu'il n'ait jamais croisé la jeune femme. Cela voulait donc dire qu'elle était une Unami. Récemment, Chey avait eu l'opportunité de côtoyer plusieurs Unamis. Assez pour revoir son jugement à leur égard. Bien que moins ouverts d'esprit que sa tribu, ils n'étaient cependant pas tous des mauvais bougres. La querelle entre les tribus se devait de cesser.
- Nous ne faisions que passer, nous ne voulons pas vous déranger.
Il lui adressa un sourire et un signe de tête en guise de salutation polie ...
Petite promenade imprévue, mais que je ne pouvais regretter. Le ciel était parfaitement bleu, sans aucun nuage et les rayons du soleil étaient si lumineux qu'ils arrivaient à percer l'épais feuillage des arbres qui m'entouraient, apportant une touche dorée au paysage qui m'entourait. Cette forêt, même si elle ne valait pas la nôtre, restait magnifique et la vue enchanteresse qui s'offrait à moi me faisait presque regretter les querelles idiotes entre nos deux tribus. À vrai dire, j'ignorais même la source de ces disputes. Je savais uniquement qu'elle était issue d'un désaccord entre deux frères, sans plus. Toutefois, je ne me sentais pas le courage de contredire les aînés, si bien que je me rangeais à l'avis de tous. Du moins, publiquement, je ne cessais de dire que les Piccaninny n'étaient pas nos amis et que ça ne changerait pas, mais à l'intérieur de moi, je ne pouvais que leur laisser le bénéfice du doute. De plus, je n'en connaissais aucun, mis à part peut-être, Rainbow, alors comment pouvais-je les juger, surtout en me basant sur de vieilles légendes. Bon, je ne la connaissais que de nom et je savais d'elle que ce que Ma'Lila avait bien voulu me raconter, mais sa gentillesse envers l'amie de mon frère paraissait sincère et il me semblait improbable qu'elle soit la seule de son clan à oser se montrer si douce avec les Unami.
J'étais donc convaincue que je ne risquais rien en m'aventurant si profondément dans ce bois qui, après tout, m'était complètement inconnu. Certes, ce n'était pas mon genre de me lancer dans une telle aventure, surtout en solitaire, mais vu la température qu'il faisait, j'avais réussi à me persuader que tout irait bien. D'ailleurs, si je ne me trompais pas, je venais d'apercevoir une fourrure brune au travers les arbres. Une tâche de couleur à peine perceptible, mais qui semblait appartenir à une biche ou à un cerf, probablement occupée à brouter dans ce qui avait l'aspect d'une clairière, vu la façon dont le pelage était éclairé, comme si aucune feuille ne bloquait la progression des rayons de l'astre lumineux qui flottait dans le ciel. Un spectacle qui promettait d'être magnifique. Curieuse d'en voir plus, je progressai lentement sous le couvert des arbres, m'approchant le plus doucement possible de la bête. Puis, au bout de quelques secondes, je me retrouvai à la lisière d'un petite plaine. Toutefois, j'eus à peine le temps de voir le museau de la mère et de son fils, que les deux se sauvèrent en vitesse, détalant à travers les bois. Étrange... Pourtant, j'avais avancé avec la plus grande discrétion et jamais je n'aurais cru qu'ils aient pu m'entendre.
Puis, alors que je m'apprêtais à rebrousser chemin, une voix masculine parvint à mes oreilles. j'aurais du m'inquiéter, car après tout, j'avais peut-être été surprise par un guerrier du clan adverse. Mais mon instinct me poussa, au contraire, à m'avancer un peu plus dans la clairière. De toute façon, j'avais déjà été repérée et vu le ton employé par mon interlocuteur, je ne risquais pas grand chose. Certes, sa carrure était assez impressionnante et j'aurais du me méfier, mais pourtant, la curiosité me poussait à vouloir en savoir plus. Après tout, il s'agissait de l'un des premiers Piccaninny que je rencontrais et je souhaitais me faire ma propre opinion d'eux. Par contre, je restai sur mes gardes, la main sur mon poignard, même si de toute évidence, je ne ferais pas le poids contre cet homme s'il décidait de me menacer d'une quelconque façon. « Nous ne faisions que passer, nous ne voulons pas vous déranger. » Nous? Pourtant, je ne voyais qu'une personne... Curieuse, je m'approchai encore d'un pas, explorant le bois du regard. C'est à ce moment que je remarquai une fillette, encore à moitié camouflée derrière un tronc d'arbre.
« Ne vous inquiétez pas, de toute évidence c'est moi qui vous ai dérangée, j'ai fait fuir ces pauvres animaux. Je m'appelle Nahima et vous? » Demandai-je, convaincue d'être celle qui avait effrayé la biche et son petit. Puis, relâchant doucement mon arme, j'osai faire quelques pas dans leur direction. « Tu me rappelles ma petite soeur, Ayanna. Elle aussi, elle est émerveillée par tout ce qui l'entoure! » Expliquai-je à l'adorable petite qui se cachait toujours derrière celui que je croyais être son père, malgré le peu de ressemblance entre les deux.
La nuit prolongée n'était plus qu'un lointain souvenir. L'heure était aux réjouissances, les indiens étaient désormais libres de retrouver leur si précieuse nature. Cheyenne avait voulu faire plaisir à sa petite nièce de coeur préférée. Selyne et lui s'étaient alors dirigés vers ce bois où ils comptaient observer des animaux dans leur habitat naturel et se promener paisiblement en profitant de l'air frais et des rayons agréables du soleil sur leur peau. La petite était euphorique, elle adorait partir à l'aventure et en compagnie de son tonton, elle se savait en sécurité. Le duo fit la rencontre d'une biche et de son faon, les deux se prélassaient au beau milieu d'une clairière. Ils purent les observer quelques instants avant de les voir prendre la fuite à toute allure.
Cheyenne y décela la présence d'un individu et réalisa bien vite qu'il s'agissait d'une indienne. Son inquiétude retomba aussi vite. L'animosité entre Piccaninny et Unami n'était pas assez puissante pour pousser un Unami à attaquer un enfant Picca. Personne ne ferait ça ! Personne sauf des pirates, éventuellement. Le pêcheur clarifia immédiatement la situation en prônant la simple envie de ne pas déranger. Chey savait que si un combat venait à débuter, il avait toutes ses chances de réussite mais l'indien ne voulait surtout pas en arriver là ! Selyne n'avait pas à voir ce genre de spectacles désolants. La non-violence était de mise comme toujours lorsque c'était possible.
La jeune femme ne parut pas hostile, bien au contraire. Elle s'excusa presque d'avoir fait fuir les animaux et se présenta. Cheyenne fut, dans un premier temps, assez surpris. Les Unamis n'étaient pas réputés pour être extravertis. Mais depuis de récentes rencontres avec des membres de leur tribu, l'homme ne ratait plus une occasion d'en apprendre plus à leur sujet. Il adressa donc un sourire convivial à Nahima et se présenta à son tour.
- Je m'appelle Cheyenne et voici Selyne.
Il désigna de la main la fillette qui restait collée à lui. Elle n'était pas forcément peureuse de nature mais son père et son tonton lui avaient appris à ne surtout pas foncer droit sur des inconnus en dehors du camp Picca. Nahima s'approcha et expliqua à Selyne qu'elle lui rappelait sa jeune soeur. Chey esquissa un sourire en observant la fillette. Elle avait le don de s'attirer la sympathie des gens, il était difficile de ne pas apprécier ce véritable rayon de soleil. Son enthousiasme et son caractère bien trempé pour un petit bout de son âge, en faisait un être adorable ! L'indien s'apprêtait à dire quelque chose quand un bruit attira son attention. Une bête sauvage ne se serait pas trahie aussi futilement. Aussitôt, le pêcheur attrapa sa dague et jeta un regard à Nahima.
- Nous ne sommes pas seuls.
Son regard tentait d'exprimer le danger à la jeune femme sans prononcer un seul mot. Inutile de terroriser Selyne. Cheyenne espérait que la Unami ait compris le message, il se tourna ensuite vers la fillette et lui adressa un large sourire rassurant. D'un geste de la main, il ébouriffa ses cheveux et lui lança:
- Reste un petit peu avec Nahima, c'est une indienne comme nous, elle est très gentille ne t'en fais pas.
Chey ne se faisait pas trop de souci de ce côté-là, Selyne allait tout de suite gagner l'affection de Nahima. L'homme abandonna la main de la fillette dans celle de la jeune femme. Il fit signe à l'indienne pour lui indiquer qu'il allait faire un tour pour vérifier les alentours. Aussitôt, le pêcheur disparut dans les bosquets et durant quelques minutes, on n'entendit plus rien. Ensuite, vinrent les échos d'un combat furieux ...