Agenouillée derrière des feuillages qui longeaient la forêt, Naïla observait silencieusement le port des pirates. Elle était à une vingtaine de mètres d'eux et ne semblait pas inquiète d'un quelconque danger imminent. Après tout, la nuit permanente qui s'était installée à Neverland ne faisait que la rendre d'autant plus discrète. Cette journée-là, il faisait chaud. Enfin dans les dix-vingt degrés, mais cela changerait des températures négatives. Quoi qu'il en soit, la jolie brune les observait depuis quelques temps afin de trouver la meilleure méthode pour assouvir son désir de vengeance. En effet, il y a quelques années de cela, la jeune femme ignorant encore tout du monde humain et munit de nageoires s'était aventurée outre les limites franchies par ses parents avec sa seule et unique amie, Emma. Malheureusement, leur soif d'aventure se changea très vite en mésaventure et elles se firent attraper par de fichus pirates. Un vrai cauchemar que revivait Naïla chaque nuit, désormais. Elle revoyait son amie se faire tuer devant ses yeux. Si elle avait survécu c'était pour la venger du mieux possible auprès de ces hommes dépourvus d'humanité. Ils allaient payer le prix de leur acte et Naïla était prête à tout pour y arriver, quitte à perdre elle-même la vie.
A force de les observer, la jeune femme en avait conclu deux choses. La première: ils aimaient boire; la seconde: la compagnie des femmes était très appréciée. Grâce à ses éléments, les idées fusèrent dans l'esprit de la jeune Vairë. Soit elle pouvait y aller à la manière forte et les combattre sans réfléchir en se cachant sur un des bateaux en étant sûre d'avoir la mer comme issue de secours; ou bien elle pouvait essayer de les charmer un à un et de les tuer lorsqu'ils seront seuls avec elle, mais le risque était de perdre sa couverture. Il fallait qu'elle pèse le pour et le contre afin d'atteindre ses objectifs sans se faire découvrir. Ils allaient le payer.
Voyant une bande de pirates regagner un navire, complètement ivres, elle se baissa afin de ne pas se faire repérer. Ils semblaient tous assez crétins. La preuve, deux pirates commençaient déjà à se battre pour une bouteille de rhum. Levant les yeux au ciel face à leurs paroles idiotes, elle lâcha un petit soupire, ses lèvres entrouvertes.
▬ Sombre crétins. murmura-t-elle, exaspérée.
Quelques heures auparavant à un campement d'indiens Naïla avait passé un court séjour chez des amis à elle, Rita et ses enfants. Elle faisait partie de la bande d'indiens qui l'avait sauvé alors qu'elle tentait de trouver refuge sur l'île de Neverland il y a quelques mois de cela. Cette famille généreuse lui avait enseigné comment survivre et se battre. Sans eux, elle ne serait sans doute plus de ce monde, aujourd'hui. Nouant deux mèches de chaque côté de son visage derrière sa tête, comme elle le faisait tous les jours, elle quitta sa tente en s'approchant du feu où Rita était assise. S'asseyant sur le rondin de bois à côté d'elle, elle observa avec un petit sourire l'une des seules personnes avec qui elle parlait.
▬ Tu t'en vas encore ? ▬ Oui, Rita. Mais je reviens très vite. Tu me connais. Je ne supporte jamais de rester très longtemps au même endroit ! ▬ Ne te met pas encore dans des situations dangereuses. ▬ Des situations dangereuses? Je ne vois pas de quoi tu parles. déclara-t-elle avec une mine innocente. ▬ Je ne plaisante pas... ▬ Je sais. Je ferai attention, promis. ▬ Saches que tu seras toujours la bienvenue ici. ▬ Merci, Rita. s'exclama-t-elle en la serrant dans ses bras.
Rita faisait parti d'elle. Elle lui devait tellement. C'était pour cette raison qu'elle revenait régulièrement apporter des abats pour nourrir toutes ses familles. Même si elle ne cessait de lui dire qu'elle ne lui devait rien, Naïla devait les remercier de cette hospitalité. Et puis, elle n'avait rien d'autre à faire de ses journées mise à part voyager, espionner les pirates et chasser. Elle ne voulait pas lui donner de raison de s'inquiéter puisqu'elle s'en sortait très bien, seule, dans les bois. Empoignant un morceau de poisson qu'ils avaient pêché, sachant qu'elle ne mangeait pratiquement que ça, elle croqua dedans en quittant le campement. Qu'allait-elle bien pouvoir faire aujourd'hui ?
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La sueur perle sur son front et l'homme l'essuie d'un revers de main. Il a beau faire nuit noire, la chaleur est présente, sourde, tenace. Due par on ne sait quel miracle de l'île elle embaume Nerverland. Pourtant le soleil n'existe pas, il les a quitté depuis plusieurs semaines déjà et cette source de chaleur n'a ni son odeur de miel, ni sa luminosité rassurante. Les habitants de One-Eyed baignent dans cette atmosphère glauque sans en connaitre la raison ni la fin. Raygon abat sa hache et sa lame siffle dans l'air avant de fendre le bois, net. Cette activité simple lui plait, il n'a pas besoin d'y réfléchir, ses mains d'expert trouvent l'angle par automatisme. Son corps occupé, son esprit peut s'échapper. Il n'est pas bucheron, ses stocks de bois ne sont pas tous de son fait mais pour les pépites que sont les essences rares, il préfère s'en charger. Travailler avec finesse un arbre qu'il a choisi lui-même est sa fierté dans sa recherche de la rareté. Les planches grossières qu'il a découpé devront encore sécher des mois avant qu'il puisse en faire quelque chose.
Il observe la corde maintenue par des piquets qu'il a tendu entre l'orée du bois et le cabanon qui lui sert de stockage. A chaque bâton est pendu une lanterne qui diffuse un halo de lumière sur quelques centimètres. Ces tâches claires forment un chemin qu'il entame pour la vingtième fois de la journée, quatre planches calées sur les épaules. Une chose est sûre, la météo capricieuse n'est pas un frein pour le garçon, c'est un bucheur, au vrai sens du terme. Il craint juste qu'à la longue, son potager de Bartok finissent en friche car ses tomates sont aussi vertes qu'un écureuil qui a la gerbe et pourriront bientôt sur place. Remontant vers le cabanon, Ray se demande de quoi ont l'air ces points jaunes vus du ciel. Une énorme chenille bioluminescente? Le garçon un peu naïf qui a toujours rêvé de voler imagine sa machine au dessus de la forêt, puis vers la clairière, une piste d’atterrissage parfaite pour son bolide oui! Se poser même de nuit! 'Fin, pour ça faudrait qu'elle marche... et c'était pas gagné. Mais avec les pièces que lui rapportait régulièrement son père d'adoption Haran, capitaine du Poséidon, Raygon était persuadé qu'un jour, il serait le premier de Neverland a inventé la machine volante.
Posant ses planches sur les tréteaux, il les espace de manière à les faire correctement sécher, prêt du feucouvert qu'il a installé dans un coin pour chauffer la pièce en continu. Il vérifie les pièges qu'il a installé pour éviter aux souriset autres rongeurs de faire son travail à sa place, et mal en plus version dentellière borgne. Son boulot ici est terminé. Le bois de merisier mettrait du temps avant d'être parfaitement sec, il pouvait rentrer à son atelier finir ses pièces. Une à une il défait les lampes, puis les piquets et passe la corde enroulée autour de son épaule. Aucune chance qu'il ne laisse son matos ici, avec les forbans du coin même une chaussette pouvait être volée! Il décide de couper à travers bois, connaissant la forêt comme sa poche il ne peut pas s'y perdre, et la hache à sa ceinture dissuade les attaques surprises. Il distingue la chênaie sur sa gauche qui se clairsème pour laisser place à une futaie basse puis à des buissons jusqu'au port de One-Eyed. Colporter y est une activité fructifiante et il y passe souvent dans la journée, histoire de chaparder des infos utiles pour son enquête. Tiens, il ne reconnait cet arbuste calé entre deux framboisiers... Et pour cause, ce n'est pas un arbre. Le garçon cesse de marcher, s'immobilisant pour observer la jeune femme qui elle-même semble observer quelqu'un. D'humeur joyeuse, Ray se dit qu'il n'y a pas de mal à faire une blague ou deux, histoire de retrouver sa jeunesse en temps qu'enfant perdu. Il pose sans un bruit ses affaires et grimpe à l'arbre le plus proche, surplombant la silhouette qui trop concentrée, ne s'est pas retournée. Ray plisse les yeux pour suivre son regard et comprendre l'objet de son attention. Ah... des pirates! La demoiselle est une demoiselle amoureuse? Dans quelle histoire rocambolesque a t-elle bien pu se mettre pour fricoter avec des pirates? Car elle semble les connaitre, ou sinon avoir drôlement envie de s'en approcher. Calé dans le nœud de l'arbre, une jambe repliée sous lui, Raygon s'aperçoit qu'il s'est posé sur un églantier. Peu galant par nature, redescendre et se présenter poliment est la dernière chose qui lui vient à l'esprit et il préfère détacher un gland tout proche de sa tête. Optant pour une courbe basse, histoire qu'elle ne se doute pas que le projectile vient d'en haut, le jeune homme lance d'un geste vif le petit fruit dans sa direction, mais la manque. Le bruit ne sera pas suffisant pour attirer son attention alors il en relance un autre qui touche l'épaule de la demoiselle. La voyant s'affoler il chuchote d'un air goguenard. « Il va falloir se lancer si vous voulez en embrasserun avant la nuit,... 'fin façon d'parler hein! » termine t-il sur un clin d'oeil, la voyant relever la tête vers lui.
Les pirates étaient pour elle des hommes froids et sans coeur. Ils n'hésitaient pas à tuer pour assouvir leur propre désir de pouvoir. En quoi tuer une jeune sirène innocente nous faisait sentir plus puissant que les autres ? Ils étaient tous des tueurs. Et bientôt, elle leur rendrait la monnaie de leur pièce. Cela, elle se le promettait. La tristesse pour sa défunte amie se lisait sans son regard, mais son visage était renfermée par le désir de vengeance. Comment une si jeune femme avec si peu de vécu pouvait avoir envie de tuer ? Cela restait un mystère non-élucidé. Comme son passé inconnu de tous. Cette scène qu'elle aurait tant aimée effacer de sa mémoire. Celle de leur capture par un navire....
Quelques années auparavant dans les profondeurs de l'Océan Naïla et Emma nageaient en riant dans l'eau. Elles se sentaient libres. Mais bientôt un événement horrible les atteignit. Elles se firent prendre dans un large filet. Quelles sombres idiotes elles étaient ! Elles auraient pourtant dû le voir arriver ! Tentant tant bien que mal de sortir d'ici, elles finirent par perdre leurs chances et se retrouvèrent sur quelque chose de dur et de froid: le plancher d'un navire. Là était planté des hommes au visage hideux que Naïla n'oublierait jamais. Ils riaient aux éclats. Pourquoi se moquaient-ils d'elles ? Baissant ses yeux vers son corps, elle fit un bon en arrière. Où était passée sa queue ? Pourquoi était-elle toute nue ? Quelles étaient ses longs bâtons qu'elle avait en bas de son corps ? Des jambes ? Non, ce n'était pas possible. Elle l'avait lu dans des bouquins. Ce n'était que les humains qui en possédaient. Elle était une sirène. Que leur avaient-ils fait ? Les larmes aux bords des yeux, elle tenta de cacher son corps avec ses bras et ses jambes recroquevillées contre elle. Elle avait peur. Elle était tétanisée. Elle voulait que tout ça se termine. Ses rires incessants, ses regards amusés, sa nudité... Elle voulait que sa queue revienne. Fermant ses paupières, elle priait pour se réveiller. Cela n'arriva jamais.
Aujourd'hui, sur l'île de Neverland Sa concentration était à son paroxysme. Elle ne devait laisser aucun détail échapper à son regard. Naïla devait connaître tout sur eux. Concentrée, elle n'en remarqua pas le premier gland tomber à ses pieds. Mais en sentant un coup atteindre son épaule, elle sursauta quittant sa nostalgie. Se retournant machinalement vers la direction opposée au campement, elle ne vit personne. Son attention se porta alors sur le gland à ses pieds, puis sur l'arbre où était perché un homme de sa tranche d'âge sans doute. Par pur réflexe, elle braqua son arc en direction de l'inconnu en le joignant d'une flèche de son carquois. Elle devait se défendre en ne sachant pas sur qui elle était tombée. C'était un homme sans doute d'une demie-tête de plus qu'elle, brun, avec un trait de visage enfantin -sans doute par la présence de petites fossettes- qui cachait un profond amusement de la situation.
▬ Il va falloir se lancer si vous voulez en embrasser un avant la nuit... 'fin façon d'parler hein! ▬ Qu'est-ce que tu veux ?
Le visage de Naïla était renfermée. Elle ne prit même pas la peine de le vouvoyer. Sombre habitude qu'elle avait. En effet, ayant été longtemps enfermée chez elle avec ses parents, elle n'eut jamais l'habitude de vouvoyer quelqu'un. Quand elle le faisait, elle était calme et posée. Là, sur le coup, elle était renfermée, prudente et sans doute en danger.
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Le sursaut de la jeune inconnue fut prévisible, c'était le but premier de sa blague après tout. Mais la flèche mortelle pointée sur lui en revanche l'est moins. Se redressant précipitamment, le garçon rajuste lestement son équilibre en positionnant ses pieds tel un équilibriste et se colle dos à l'arbre, se protégeant d'un coup mortel. Il a beau vouloir s'amuser, il tient tout de même à garder sa tête là où elle est. Il jette un coup d'oeil curieux mais la brune n'en démord pas et campe sur ses positions, sa concentration toute droite tournée vers lui à présent. Ok, il a dû titiller le mauvais poisson. Mal lui en prendra de tenter les nouvelles rencontres par une nuit sans fin.
Le manche de sa hache au creux de sa paume le rassure. Elle lui a plus d'une fois servi à couper bien plus que du bois et il sait la manier comme s'il s'était agit d'une prolongation de son propre bras. Raygon n'a aucune envie de l'utiliser mais la savoir prête à l'usage répond aux hypothèses du genre " et si elle se met à te barder de flèches et à vouloir t’assassiner froidement ? " " et si c'est en fait une cannibale des terres obscures de Neverland et que tu viens justement d'interrompre sa partie de chasse? " et pleins d'autres "et si" qui s'entrechoquent dans son esprit. Sa question est légitime et Raygon répond tout à trac.
« J'ai vu qu'vous r'gardiez ces pirates... » Il fait dépasser une main de l'arbre, pointant le groupe d'ivrognes en pleine chamaillerie habituelle pour le liquide ocre d'une bouteille et la ramène aussitôt à l'abri du tronc.
« ... avec intérêt. J'me suis dit que si vous vouliez conclure, il allait falloir vous aider à vous lancer. Si cela vous intéresse ils travaillent tous les trois pour Feu Barbe Noire et maintenant Crochet. Pas le meilleur parti si j'puis m'permette, mais ça dépend bien de c'que vous chercher. »
Raygon a l'habitude de travailler avec les pirates. Ils sont même sa principale source de revenus entre les réparations sur les différents navires et le travail de menuiserie qu'ils lui commandent. Mais plus encore, le garçon connait sur le bout des doigts chacun des membres de l'équipage de Barbe Noire. En raison du kidnapping de son meilleur ami, il récolte la moindre information susceptible de l'aider dans son enquête. Avec le récent assassinat du "Roi des Pirates" comme aimait à se nommer Barbe Noire, c'était Crochet son second, qui était devenu Capitaine, entrainant un méli mélo dans les équipages qui n'étaient pas pour plaire à Raygon qui voyait s'amenuiser les chances de retrouver un jour son ami.
Ne pouvant voir la réaction de la jeune archère à ses paroles, Raygon se risque à glisser un nouveau regard par delà sa protection végétale et se sent obligé de rajouter, voyant l'arc toujours pointé vers sa position.
« Vous pourriez baisser votre arc? Vous voyez bien que je ne cherche qu'à vous aider... »
Naïla avait la fâcheuse habitude de se méfier de tout et de tout le monde. Cela pouvait être une qualité, comme un défaut. En effet, ce trait de sa personnalité lui avait permis bien plus d'une fois de sauver sa peau des mauvaises intentions d'autrui ou même d'être blessé. Cependant, cela lui avait aussi créé des ennemis et fait fuir des personnes qui voulaient seulement être son amie. Elle en avait conscience. Mais elle savait que le jour où elle baisserait sa garde, elle se ferait briser le cœur. Et un tel risque, elle ne comptait pas là-dessus !
Écoutant, silencieusement et posément, tous les dires de ce fameux inconnu, elle se mit à réfléchir. Pouvait-elle lui faire confiance? Elle n'en savait rien. Pouvait-elle lui donner une chance de le lui prouver? ... Peut-être. D'un geste méfiant, elle baissa ses bras qui tenaient l'arc afin de la flèche ne soit plus pointée sur lui, mais elle ne lâcha pas son arme pour autant. Qui sait ce qu'il avait en tête? Dans tous les cas, elle était prête à contre-attaquer en cas de problème.
▬ J'me suis dit que si vous vouliez conclure, il allait falloir vous aider à vous lancer. Si cela vous intéresse ils travaillent tous les trois pour Feu Barbe Noire et maintenant Crochet. Pas le meilleur parti si j'puis m'permette, mais ça dépend bien de c'que vous chercher. ▬ Conclure, dites-vous? Que cela est amusant.
Ses paroles eurent le don de lâcher un rire amusé chez la jeune femme. Ah, si il savait...
Quelques mois auparavant Ca y est. Son plan allait enfin pouvoir être mis à exécution. Ses fichus pirates allaient comprendre l'humiliation qu'ils lui avaient fait subir il y a quelques années, la peine qui l'avait terrassée suite à la mort de son amie sous ses propres yeux. Elle allait leur faire payer. Désormais, ce n'était plus l'amour et la compassion qui l'alimentaient, mais la haine et le désir de vengeance. Elle allait leur prouver qu'ils étaient loin d'être supérieurs. Ils allaient être les prédateurs chassés par leur propre proie. Ses yeux reflétaient la noirceur de ses attentions, tandis qu'elle était accroupie derrière un buisson. Elle connaissait leurs habitudes mieux que personne et elle allait y faire un petit chamboulement.
Un sourire sournois au coin des lèvres et la voilà déjà élancée vers le bar des pirates. Elle portait une tenue qui sortait de son habitude. Une robe arrivant aux genoux dans un registre plutôt sensuel dont elle n'avait pas l'habitude et une paire de bottes en cuir qui collait parfaitement avec les préférences de ces chers messieurs. Poussant la porte d'entrée, plusieurs regards se tournèrent vers elle. Elle n'avait pas l'habitude de cela. Mais elle s'avança d'un air sûre d'elle vers le comptoir et prit le verre de whisky de la main d'un pirate qu'elle but cul sec. Reposant d'un air joueur le verre sur la table, son regard se déposa au fond de celui qui allait bientôt perdre la vie.
▬ Tu comptes me regarder longtemps comme ça ou tu vas me payer un verre ?
Le pirate ne tarda pas à sourire lui aussi. Il mordait à l'hameçon; son plan était désormais en marche.
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La pointe de la flèche s'abaisse lentement. Sans pour autant désarmer, la jeune femme se montre moins offensive et Raygon glisse prudemment le long du tronc pour venir se rassoir sur sa branche, face à son interlocutrice. Balançant ses pieds dans le vide comme le gamin qu'il est resté, le rire de l'archère confirme ses pensées, elle ne compte pas le transpercer d'une flèche ou du moins pas tout de suite. Elle est sans doute en territoire inconnue et donc peu sûre des personnes à qui elle peut faire confiance. Espionner des pirates quand on ne connait pas les lieux peut s'avérer dangereux si l'ont est pris sur le fait. Heureusement pour elle, Raygon est là! Et il connait la ville comme sa poche!
« Si vous n’êtes pas là pour vous acoquiner avec des pirates, pourquoi les regarder avec autant d’attention ? »
Il sait que la question n’est pas anodine et que la demoiselle si ce n’est la romance qui la mène, a sans doute de plus noirs desseins de prévus. Et dans ce dernier cas, Raygon est bien la dernière des personnes à qui elle le révèlerait, m’enfin, qui ne tente rien n’a rien. D’un geste leste il fait tourner sa hache du bout de son poignet comme s’il s’était agit d’un simple jouet fait de nuages. Puisqu’il a fini sa journée, autant s’amuser un peu.
« Le gros au milieu, celui qui a la bouteille pour le moment, il s’appelle Weeper, ça veut dire pleureur, mais crois moi, c’est plutôt lui qui te les tire les larmes. C’est un sacré pirate à Crochet, un des meilleurs, si tu fais dans le sauvage et la gloutonnerie. Il est aussi gros qu’il est violent et l’un n’empêche pas l’autre. C’est lui qui t’interesse ? »
Lâcher des informations pour en apprendre plus, c’est tout l’art de l’espionnage, et Raygon est incollable sur ce sujet. Mais la jeune femme l’intrigue, pique sa curiosité et pour un ancien enfant perdu, le mystère est un ami qui ne vous quitte jamais.
L'inconnu face à elle avait du culot. Elle avait un arc et des flèches, espionnait des pirates, lui avait menacé de lui tirer dessus et ce dernier n'hésitait pas à la bombarder de paroles et de questions. Pensait-il que, parce qu'elle était une fille, elle ne ferait rien? Après tout, la plupart des gens pensait de cette manière. Particulièrement les hommes. Elle avait souvent remarqué ça chez les pirates. Ils voyaient des filles comme un sexe faible, de simples jouets. Mais Naïla allait leur prouver le contraire. Le désir de vengeance l'animait désormais, si bien que tout ce qui était important pour la plupart des gens était relégué au second rang. Comme l'amour, l'amitié, les crises de rires, les sorties. Maintenant, tout ce qui l'intéressait c'était draguer faussement des pirates pour les tuer de sang froid ensuite. C'était comme une bulle impénétrable. Comme-ci l'unique sentiment qu'elle connaissait était la haine. Comme-ci tous ses bons côtés n'existaient plus. Comme-ci elle avait un coeur de pierre. Mais cela ne la dérangeait pas. Cela faisait des années qu'elle vivait ainsi et qu'elle n'avait rien connu d'autre qui chamboulerait sa routine.
▬ Si vous n’êtes pas là pour vous acoquiner avec des pirates, pourquoi les regarder avec autant d’attention ? La jeune femme ne répondit pas, le regardant. Il continua donc. Le gros au milieu, celui qui a la bouteille pour le moment, il s’appelle Weeper, ça veut dire pleureur, mais crois moi, c’est plutôt lui qui te les tire les larmes. C’est un sacré pirate à Crochet, un des meilleurs, si tu fais dans le sauvage et la gloutonnerie. Il est aussi gros qu’il est violent et l’un n’empêche pas l’autre. C’est lui qui t'intéresse ?
L'homme était bien trop curieux et insistant. Et cela commençait à l'agacer. Mais elle prit compte de ses informations. Elles lui seront sans nul doute utile par la suite. Parfois, il lui arrivait même de se demander ce qu'il se passera une fois sa vengeance mit à terme. Allait-elle retourner dans l'eau, rejoindre son fiancé imposé ? Ou bien continuer à vivre cachée sur l'île ? Elle n'en savait rien. Mais la prise de risque lui faisait moins peur désormais.
▬ Tu veux savoir ce qui m'amène ici?
Elle arqua un sourcil en le regardant droit dans les yeux. Elle avait une idée en tête, une très mauvaise idée. Le voyant confirmer à son visage, elle lâcha un simple "bien", d'une voix neutre. Puis, elle pointa son arc vers un pirate au hasard et tira une flèche qui arriva droit dans son crâne. Elle s'était entraînée, fortement même. Mais, elle s'était attendue à lui toucher l'épaule ou le ventre. Pas de réussir son coup. L'homme tomba raide mort au sol. Sans perdre une seconde, elle regarda l'homme, un sourire à la fois provocateur et joueur aux lèvres et lâcha quelques mots, arquant un sourcil.
▬ Tu devrais peut-être te dépêcher de partir. A mon avis, plusieurs pirates ne vont pas tarder à rappliquer ici.
Puis lui offrant dernier regard, elle se mit à courir à travers la forêt. Elle espérait qu'il ne la suive pas, étant donné qu'elle avait essayé de se débarrasser de lui. Elle connaissait une entrée secrète qui menait à une grotte non loin. Contrôlant un maximum sa respiration, elle s'arrêta au bout de cinq cents mètres et poussa un feuillage qui cachait l'entrée d'une grotte. S'avançant vers le fond, Naïla prit place sur l'un des murs et s'assit au sol, essoufflée.
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Dire qu’il l’avait vu venir aurait été mentir. Non. Venant de ce bout de femme frêle agrippant son arc comme son bien le plus précieux, il ne s’était absolument pas attendu à ça. De toute manière Raygon avait une vision si figée, si stéréotypée de la femme que toutes leurs actions lui paraissaient imprévisibles et incompréhensibles. Son regard planté dans le sien, elle venait de faire de même avec une flèche dans le crâne d’un pirate à plusieurs mètres de là. Si sa menace quelques minutes auparavant lui avait paru grossière, il était forcé d’admettre qu’il se trouvait en présence d’une archère redoutable, et quand moins de dix secondes il pouvait se retrouver plus hérissé qu’un porc-épic. Elle n’était ni là pour faire ami ami avec lui, et encore moins avec la bande de pirates qu’elle observait depuis je ne sais combien de temps. Non, elle était là pour tuer.
Raygon participait parfois aux missions de Keyne, une chasseuse de prime redoutable, il connaissait son regard froid de tueuse expérimentée. La jeune femme n’avait pas ce regard. Elle cachait donc bien son jeu, ou bien était-elle toute nouvelle dans cette dure quête du sang. Et l’appel du sang ne vient que de deux façons, on nait avec ou on l’apprend. Elle avait vécu quelque chose, quelque chose qui demandait son prix en hémoglobine.
Les rugissements des pirates le tirèrent de ses réflexions et la jeune assassin déguerpit tel un lapin, lui conseillant de faire de même. Sautant au bas de son arbre, Raygon la suivit du regard un instant, sentant qu’elle savait exactement où aller. A peine deux minutes plus tard et quatre pirates de l’ancien équipage de Barbe Noire déboulèrent dans la clairière. Prenant les devants, Raygon pointa vaguement la direction qu’avait pris la jeune femme, prenant soin de coincer sa hache dans son dos, les mains levées :
« Elle est partie par là ! Elle allait tous vous abattre mais je l’ai fait fuir… »
Les grands gaillards le soupesèrent avec suspicion du regard, hésitant entre exécuter une vengeance simple et rapide et rattraper la réelle coupable. Le plus grand d’entre eux poussa les trois autres dans la direction indiquée par Raygon.
« Poursuivez la, je reste pour questionner celui-ci ».
Sans demander son reste la bande s’élança dans les fourrés. Le désigné pirate se retourna brutalement, attrapa le garçon qu’il pensait inoffensif par le col.
« Toi si tu crois une seconde que j’vais te… »
Un chuintement clair emporta le reste de sa phrase dans un gargouillis incompréhensible et l’homme tomba à genoux avant de s’écrouler. Le garçon avait dégainé aussi vite que possible sa machette qu’il arracha du corps sans vie de sa victime. Il avait déjà tué, chez les perdus, puis avec Keyne, et s’il ne le faisait pas pour le plaisir, il n’hésitait pas, et ne regrettait pas.
D’un pas décidé il prit le chemin qu’avait emprunté la jeune fugitive, puis les deux pirates. Il savait qu’il les avait plus ou moins dirigé dans la bonne direction. Mais il se doutait également que la jeune femme n’était pas sans défense, et puis elle lui avait quand même fait un sale coup, à lui de lui renvoyer l’ascenseur. Des éclats de voix et d’armes atteignirent bientôt ses oreilles et il se précipita vers la source du bruit.
[ Je te laisse dire comment la demoiselle s’est débrouillée de son côté et j’arrive au prochain message :D ]
Naïla gardait la tête froide dans les situations de hautes tensions comme celle-ci. Même si ce n'était que d'apparence. Son masque avait pris possession d'elle. Son masque de fille froide, sans pitié, joueuse et manipulatrice. Le rôle, le personnage qu'elle jouait s'était petit à petit imprégné d'elle-même sans qu'elle ne s'en rende compte. Le danger l'excitait presque, la mort ne lui faisait plus peur aux yeux. C'était comme un jeu. Un jeu auquel elle adorait jouer. La montée d'adrénaline provoquait en elle une sensation de plaisir comme nul part ailleurs. Elle aimait se sentir vivante. D'une drôle de façon d'ailleurs. Mais l'ancienne femme qu'elle était, -la fille simple, pleine de vie, gentille et en quête d'amour-, était toujours là, au fin fond d'elle. Elle était seulement plongée dans un sommeil profond attendant que son prince ne la sauve. Mais aujourd'hui, sa nouvelle personnalité lui offrait son indépendance dont elle avait besoin, elle ne pouvait compter que sur elle-même.
Enfouie dans sa planque, elle entendit des bruits de pas précipité. La réalité lui sauta aux yeux. L'autre imbécile l'avait dénoncé. Il voulait jouer? Elle allait jouer. Et elle pouvait être très forte dans ce domaine-là. Sortant une flèche de son carquois, elle glissa volontairement la pointe sur ses bras, comme pour simuler des blessures. Laissant l'arme du crime dans sa cachette, elle sortit de là et fit volontairement le grand tour en courant pour arriver face aux pirates et non derrière eux. Ainsi, le rôle qu'elle allait jouer allait paraître plus crédible. Elle s'était forcé à garder les yeux ouverts tout le long de sa course. Le vent arrivant dans ses yeux les avaient automatiquement fait pleurer. Essoufflée, elle arriva vers un pirate et se jeta dans ses bras comme une fille en détresse.
▬ Aidez-moi, je vous en supplie... puis elle reprit sa respiration qui était saccadée. Je me rendais au village... Quand un homme... brun... il a voulu tirer sur un des pirates et dès qu'il m'a remarqué il s'en... est prit à moi... Je... Je n'ai rien pu faire. Il a tiré et a tué... Il a tué l'un des vôtres...
Elle se mit à éclater en sanglot dans ses bras. Ce n'était pas si compliqué de jouer les filles en détresse. Les pirates semblèrent la croire facilement. Après tout, une femme amochée, essoufflée après une folle course pour "sauver sa peau", en larmes et qui appelait à l'aide sembla paraître ordinaire à leurs yeux. Elle se retint de sourire intérieurement quand le pirate déclara:
▬ La vermine. Il s'est foutu de nous ! Qu'est-ce que vous attendez? Allez le chercher!
Les pirates accoururent pour aller le chercher, la laissant seule avec le pirate. Il commença à la rassurer tandis qu'un sourire sournois se forgea sur ses lèvres. Un « sauf que ce n'est pas lui le coupable » quitta ses lèvres, avant qu'elle n'abatte son poignard dans le coeur du pirate qui ne tarda pas à tomber raide mort au sol. Immédiatement, elle rangea son arme après l'avoir essuyé et planqua avec beaucoup de mal étant donné son poids, le corps dans les buissons. Puis Naïla rejoignit le chemin opposé pour voir comment l'inconnu s'en sortait. Mais à en croire les bruits des pirates, il ne l'avait pas encore trouvé. Peut-être était-il temps qu'elle rejoigne sa planque et qu'elle déguerpit vite d'ici.
Highway to the Danger Zone I'll take you Right into the Danger Zone
Un sifflement filtra entre ses dents. Elle venait tout juste de le balancer. La vicieuse ! Raygon pensa à peine qu’il venait de faire exactement la même chose quelques secondes plus tôt. Que le sang frais du pirate coulait encore sur ses mains, non, il n’arrivait pas à admettre que cette jeune femme a qui il n’avait rien fait et qui semblait si fragile puisse être capable de l’emmener tout droit à l’abattoir ! Dire qu’il n’avait que peu de respect pour la gente féminine et leur capacité à lui faire le moindre mal était peu dire. Il ne les considérait pas comme une menace. Mais il venait de se prendre une belle tarte dans la tronche avec cette brunette à l’air déterminé !
Il était sur le chemin pour la retrouver quand il avait capté son échange, caché derrière un bosquet de ronces avec les pirates. Il n’imaginait même pas la tête qu’ils auraient faite s’ils l’avaient découvert en train de tirer de toutes ses forces l’énorme mastodonte qui leur servait d’acolyte. Il laissa le petit groupe passer devant lui et reporta son attention sur la jeune inconnue. Il la distinguait mal sous son feuillage et avança un peu son visage pour la voir brusquement assassiner son adversaire. La surprise fut-elle qu’il se sentit basculer dans les ronces avant d’avoir pu dire Nerverland. Les épines crissèrent sur sa peau et Raygon ne retint pas sa rage face à sa douleur et tenta de se dépêtrer de ces buissons sauvages en maugréant.
Lorsqu’il réussit enfin à se relever sans se faire alpaguer par une branche aux piquants acérés, la jeune femme se trouvait face à lui et il imaginait déjà le sourire qui se dessinerait sur son visage. La seule chose qu’il réussit à dire pour sa défense fut un :
« Pourquoi tu m’as dénoncé ? »
La bonne nouvelle à tout ça, c’est qu’il ne restait plus que deux pirates. La mauvaise ? C’est quand criant comme un putois Raygon venait d’alerter les derniers ennemis à leurs trousses. Les deux adversaires revinrent sur leurs pas en courant, l’un envoya un coude dans les côtes de l’autre.
« Je rêve où ils sont de mèche ces deux gamins ? » Raygon s’épousseta en sifflotant, mais il n’y avait plus grand chose à sauver dans la façade. Pour cette fois les deux « gamins » allaient devoir faire front commun. Et si Raygon n’avait aucune confiance en la jeune femme, il ne pouvait pas affronter à la fois les pirates et l’archère rebelle s’il voulait rester en vie.
« Pas d’coups tordus pendant dix minutes t’en es capable ? » lança t-il à la jeune femme avec un sourire ironique. Il n’eut pas le temps d’entendre sa réponse car déjà les deux pirates s’élançaient sur eux en criant. Un chacun comme c’était pratique ! D’un mouvement lest, Raygon laissa le pirate s’abattre sur lui, l’entrainant dans sa chute. Au moment où son dos heurta le sol il s’arrondit tel un chat et fit passer son adversaire au dessus de lui, rentrant la tête pour la protéger du poids du pirate. Son ennemi s’aplatit lourdement au sol et le garçon en profita pour l’y maintenir de toute sa masse en s’asseyant sur son torse. J’ai dit de toute sa masse ? La barrique sous lui le renversa dans un puissant grognement et vint placer ses mains autour de son cou. Raygon vit rouge tandis que le pirate serrait, serrait… Trente six chandelles plus des papillons aux couleurs d’un kaléidoscope commencèrent à voleter dans son champ de vision. Il allait mourir étranglé. Comment tout cela avait commencé déjà ? Ah oui, il avait eu la mauvaise idée de confondre une jeune femme avec un buisson ! Comme quoi, la vie tenait vraiment qu'à une épine.