PLAY ► Sa main serrée autour du bras de la jeune femme, Gaaji avait déguerpi de l’antre aux crocodiles à la vitesse de l’éclair, la demoiselle tout aussi pressée que lui, presqu’à le dépasser tellement ils fuyaient à toutes jambes. Dans le feu de l’action, le pirate n’avait même pas réalisé qu’il était en train de sauver la vie d’un de ces païens indiens. Mais les querelles ancestrales, ou même les rancunes personnelles, semblaient superflues, voire même sans importance dans un moment pareil.  Il entendait les bruits produits par les caïmans mécontents, cependant il ne les entendit pas très longtemps tellement ils quittèrent ces derniers à la vitesse de l’éclair. Le chemin qui les avait menés à la crypte quelques moments auparavant lui sembla tout de suite plus empruntable et moins rebutant que plus tôt, et ils retrouvèrent bien vite le couvert rassurant des arbres de la forêt environnante. Néanmoins, ils continuèrent à courir sur quelques centaines de mètres avant de ralentir l’allure et que Gaaji finisse par relâcher l’indigène, maintenant qu’ils étaient hors de portée des monstres marins. Les légendes étaient loin de mentir… Lorsqu’il avait entendu parler d’énormes animaux peuplant cette partie de l’Île, il aurait dû y prêter une oreille plus attentive et moins sceptique. Peu importait, il connaissait la vérité désormais… Et la vérité pouvait toujours s’avérer être utile, d’une manière ou d’une autre.

Le souffle court, Gaaji fit encore quelques foulées plus lentes avant de s’arrêter totalement, s’appuyant d’une main contre un arbre pour reprendre son souffle. Sa cage thoracique le brulait, tout comme ses mollets dont les muscles étaient tendus. Rien de comparable cependant avec la sensation euphorique qu’il ressentait en même temps : celle d’être en vie.  Un sourire s’étira sur ses lèvres. Il avait réussi à se tirer de ce mauvais pas, et avec sa gourde pleine en plus ! Sans plus ressentir aucune douleur au niveau de… Il retint un grincement de dents. Son épaule le lançait, alors qu’il pensait être débarrassé de cette douleur. Fichtre. Aurait-il risqué sa vie pour rien, au final ? Peut-être devait-il appliquer l’eau sur la blessure directement, plutôt que la boire. Non… Gaaji savait pertinemment au fond de lui que la blessure, du moins la douleur qu’il ressentait parfois, n’avait plus rien à voir avec de la douleur physique. La provenance était plutôt psychologique. Il était encore proie à l’humiliation qu’il avait ressentie lors de la confrontation avec son frère, ensuite celle d’avoir été fait prisonnier et traité comme tel… Voilà une blessure que toutes les eaux miraculeuses n’auraient pas pu guérir : celle d’un orgueil mal placé, blessé. Il devrait sûrement l’accepter, pour passer au-dessus, tourner la page et ne plus ressentir cette gêne à l’épaule. Mais Gaaji n’en était pas encore là.

Il se redressa et se tourna vers l’indienne, qui reprenait son souffle également. C’est là que Gaaji remarqua son bras couvert de sang, en une tâche ressemblant à l’empreinte d’une main. C’était normal, c’était par là qu’il l’avait attrapée pour s’enfuir. Le pirate regarda ses mains pleines de sang, qui commençait doucement à sécher. Ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait avec du liquide rouge sur les doigts, il savait très bien comment s’en débarrasser. Il devrait trouver un point d’eau pour le faire cependant, et avant de retourner sur le Queen Anne’s. Sinon, il n’aurait pas l’air très malin, et il susciterait des questions auxquelles il n’avait aucune envie de répondre. Il scruta un moment le sol du regard et se baissa pour se saisir de plusieurs feuilles tombées des arbres, dont il se servit pour enlever le sang de ses mains qui n’étaient pas encore sec. Un silence un peu confus s’était installé entre eux. Alors qu’ils avaient montré qu’ils ne s’appréciaient pas dès le début, ils avaient fini par se sauver la vie mutuellement. Ce n’était pas commun. Du tout. Surtout de la part des Unami. Surtout de sa part à lui, qui avait une aversion non dissimulée pour les indiens. Concentré sur ses paumes, c’est la voix de l’indienne, plus douce et timide qu’auparavant, qui dévia son attention du nettoyage du sang de l’animal. Elle le remerciait. Décidemment, tout devenait de plus en plus étrange. Il laissa tomber les feuilles élimées pour la regarder, haussant les épaules comme s’il n’y avait pas besoin de le remercier pour ça. Il saisit l’occasion pour l’observer un peu mieux, il n’avait pas vraiment eu la chance de se retrouver face à face avec elle bien longtemps, du moins sans qu’un arc et une flèche ne se trouvent entre eux. Ses joues étaient un peu rosées à cause de la course, sous son maquillage d’ocre, qui avait légèrement coulé à cause de l’eau de la source. Ses cheveux étaient encore plus en bataille qu’auparavant, ce qui lui donnait encore plus l’air d’une teigne. Gaaji ne devait pas être plus présentable, si on y réfléchissait. Malgré son air à première vue farouche, l’indienne avait des traits assez fins, doux. Mh. Potable. Jolie même, il pouvait s’avancer jusque-là. Cependant, leur échange de regards ne dura pas très longtemps. Déjà, elle se reculait entre deux arbres, sans doute pour partir aussi loin du pirate qu’elle l’avait fait des crocodiles, deux menaces en soit pour elle. Il comprenait son mouvement, un peu typique des indiens qui préféraient observer dans l’ombre que d’être exposés. Et il n’allait pas non plus la retenir plus que nécessaire.


- Je suppose qu’on peut dire que tu n’as pas été inutile non plus… Il lui rendit son mouvement de tête, pas mécontent que leurs péripéties prennent fin et en… Bons termes, disons ? Il n’avait pas forcément envie d’une joute physique ou verbale à cet instant avec elle, après tout ça. Lui-même amorça un mouvement de recul, pour repartir de là où il était venu. Et que nos chemins ne se recroisent plus, n'est-ce pas ?, ajouta-t-il avec un rictus en coin, en faisant allusion à un peu plus tôt dans la journée, quand il lui avait dit que leurs chemins ne se recroiseraient plus après avoir été à la cascade. Après ça, il tourna les talons, n'attendant pas de voir sa réaction. Il avait juste envie de rentrer, même si intérieurementn il se demandait s'il n'allait véritablement jamais plus la revoir.